CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Si la vocation relationnelle des gardiens de l’habitat social a toujours été mise en avant par les acteurs du Mouvement HLM, il reste que, depuis le milieu des années 1990, elle est l’objet de redéfinitions institutionnelles destinées à promouvoir la fonction de médiation sociale, l’objectif sous-jacent étant de résorber le sentiment d’insécurité en réduisant incivilités et autres conflits de voisinage. Que recouvre cette notion de médiation et qu’en est-il des évolutions réelles quant au métier de gardien ? [1]

La médiation : une notion floue

2Un examen précis de ce que recouvre la notion de médiation dans les revues et guides diffusés par l’Union sociale pour l’habitat [2] révèle combien sont regroupées sous ce terme des activités aussi variées que responsabiliser les habitants, réguler la vie sociale à travers des interventions quotidiennes, susciter des projets collectifs, prévenir et gérer l’insécurité, développer une vie citoyenne, lutter contre l’isolement et le repli sur soi, éviter les conflits entre générations, etc. On le voit, la médiation se décline ici telle une sorte de concept flottant, c’est-à-dire un cadre global renfermant une pléthore de définitions.

3Or une nouvelle identité professionnelle ne peut s’imposer parmi les exécutants concernés que si elle renvoie à des catégories cognitives claires et partagées. La médiation souffre peut-être et surtout de ce qu’elle se veut une notion avant tout pragmatique, destinée à s’adapter selon les actions entreprises, les résultats obtenus, les demandes locales. Mais sans horizon de sens objectivé, les missions des gardiens restent floues. Ces derniers manquent alors de repères et recherchent un sens plus général à leurs engagements ponctuels. Mais ils n’en trouvent pas, d’où un manque de motivation [3].

Des formations professionnelles peu consistantes

4Parallèlement, il faut noter ici le peu d’intensité et la faible fréquence des formations professionnelles dispensées aux gardiens. S’il existe bien des dispositifs en vue d’assurer des formations initiales, qui sont dispensées à environ 25 % des agents de terrain, les formations continues, quant à elles, interviennent souvent plusieurs mois, voire plusieurs années après l’installation dans le quartier, sans compter que le relationnel et le social au sens large n’y sont pas toujours traités avec beaucoup de considération. C’est pourquoi les dispositifs de formation mis en place soit par les organismes d’HLM, soit par des cabinets de conseils ne suffisent généralement pas à établir dans l’esprit des gardiens un ensemble cohérent de recettes susceptibles d’apporter des réponses pertinentes aux contingences quotidiennes. Même pour les gardiens certifiés, dotés par définition du diplôme de gardien d’immeubles – reconnu par l’Éducation nationale depuis 1994 –, le rôle reste principalement défini dans la pratique [4].

Des “bureaux” trop éloignés

5L’un des traits caractéristiques du quotidien des gardiens d’immeubles en HLM réside dans l’écart qui les sépare des “bureaux” – agences de quartier et sièges sociaux. Il est possible de rendre compte de ce hiatus en distinguant quatre formes de distance :

  • physique, dans le sens où les gardiens sont, sinon coupés, tout au moins excentrés des sièges sociaux et même des agences de quartier ;
  • sociale, étant donné que les personnels administratifs développent des stratégies de distinction à l’égard des gens de terrain en refusant, entre autres, de se mélanger avec eux lors des repas de fin d’année organisés au sein même des organismes gestionnaires ;
  • cognitive, dans la mesure où les personnels des bureaux définissent les locataires, ou mieux, les “clients” à partir de critères quantitatifs, lesquels ne font guère écho pour des gardiens se situant davantage dans le registre de l’émotion, du sentiment et de l’intuition ;
  • organisationnelle, en raison de l’exclusion des gardiens des logiques promotionnelles internes, ce qui leur interdit un accès aux fonctions bureaucratiques valorisantes.

Des pivots de la vie sociale

6Cependant, l’éloignement peut se révéler être un allié implicite dans la mesure où il permet aux gardiens de s’écarter des catégorisations bureaucratiques et de traiter ainsi avec davantage de sensibilité des locataires précisément à la recherche de relations personnalisées. C’est pourquoi les gardiens sont certainement des rouages clefs dans la vie sociale des quartiers HLM et contribuent à ce que ceux-ci ne deviennent pas des “non-lieux” en permettant à ces espaces sociaux de faire sens pour ceux qui y habitent. Dans une certaine mesure, en effet, ils contribuent à ce que les habitants ne se bornent pas à y coexister mais à y vivre ensemble.

7Les gardiens incarnent le type même du passeur dans le sens où ils sont au cœur d’espaces transitionnels composés de multiples mondes sociaux. Ils sont des acteurs qui développent, de manière spontanée et au quotidien, des processus de traduction verticale – entre les institutions et les locataires – et de traduction horizontale – entre les locataires eux-mêmes et entre l’ensemble de ceux et de celles qui composent la scène sociale des quartiers HLM. Parce que les gardiens sont typiquement des traducteurs, des médiateurs informels, des négociateurs et des arrangeurs, c’est au quotidien, par leur attitude, leur connaissance fine du terrain et leur proximité de fait qu’ils produisent, de manière anonyme et silencieuse, du sens et de la convivialité [5]. ■

Notes

  • [1]
    Nous tenions ici à remercier la Fédération des entreprises sociales pour l’habitat qui a financé un vaste programme de recherche sur le métier de gardien d’immeubles.
  • [2]
    Anciennement l’Union nationale des fédérations d’organismes d’HLM (UNFOHLM) dont les orientations sont diffusées par les revues Actualités HLM, HLM aujourd’hui et Habitat et société.
  • [3]
    Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé, “Les gardiens du logement social : des médiateurs ?”, in Urbanisme, 2003, n? 328, pp. 17-21.
  • [4]
    Hervé Marchal, La construction de l’identité sociale et professionnelle des gardiens-concierges du secteur HLM, thèse pour le doctorat de sociologie, Université Nancy-2, 2004.
  • [5]
    Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé, “Les gardiens-concierges dans l’habitat social. Un rouage clef de la vie quotidienne”, in Les annales de la recherche urbaine, 2003, n? 94, pp. 53-61.
Hervé Marchal
Il est attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’Université Nancy-2. Il vient de soutenir une thèse de doctorat de sociologie sous la direction de Jean-Marc Stébé, intitulée La construction de l’identité sociale et professionnelle des gardiens-concierges du secteur HLM. Au sein du Laboratoire de sociologie du travail et de l’environnement social (LASTES, Nancy-2), il poursuit ses recherches sur cet ancien métier.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2008
https://doi.org/10.3917/inso.123.0080
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