1Depuis cinquante ans, l’amélioration des conditions de logement est indéniable. Celle-ci s’est réalisée parallèlement à l’augmentation du nombre de propriétaires du logement principal. Pour autant, des problèmes subsistent : surpeuplement et nuisances diverses qui touchent principalement les ménages à faibles ressources ; et des rêves demeurent : “devenir propriétaire” d’une maison individuelle reste une aspiration forte et partagée.
2Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les conditions de logement dans notre pays étaient mauvaises. Comme on avait construit relativement peu de logements durant l’entre-deux-guerres, en particulier pendant la grande dépression des années trente (Cahen, 1957), et que les mesures de blocage des loyers prises au lendemain de la Première Guerre n’incitaient pas les bailleurs à procéder à des travaux d’entretien et d’amélioration, le parc de logements était devenu ancien, vétuste et restait inconfortable. En 1954, année où l’abbé-Pierre lança son appel en faveur du logement des démunis, plus de quatre logements sur dix n’avaient toujours pas l’eau courante, seul un quart était équipé d’un w.-c intérieur, et 10 % seulement disposaient d’une douche ou d’une baignoire.
3Le faible volume de la construction et le blocage des loyers eurent aussi pour effet de freiner la mobilité résidentielle des locataires en place, ce qui, en rendant difficile l’installation des jeunes ménages et en favorisant le maintien dans les lieux de personnes n’ayant plus de charges de famille, a conduit à l’inadéquation d’un nombre croissant de logements aux “besoins” de leurs occupants. Au recensement de 1954, 13 % des ménages étaient considérés comme étant en situation de surpeuplement critique et 12 % en situation de surpeuplement temporairement admissible, au vu des normes de peuplement peu sévères de l’époque [1], tandis qu’à l’inverse, 33 % des logements étaient jugés “sous-peuplés”. Si le surpeuplement était fréquent dans les villes, et notamment en banlieue parisienne, il n’était pas – loin s’en faut – complètement absent des campagnes, où les familles étaient parfois nombreuses. Le problème touchait particulièrement les jeunes ménages avec enfants : 45 % des ménages dont le chef était âgé de moins de 40 ans habitaient dans un logement sous-dimensionné, compte tenu de leurs besoins.
4La situation est bien différente aujourd’hui. L’amélioration des conditions de logement au cours des cinquante dernières années est le résultat d’un important effort de construction et de rénovation, impulsé et aidé par les pouvoir publics sous des formes très diverses (aides à la personne, aides à la pierre). Cet effort a bénéficié de la forte croissance des revenus de la période des Trente Glorieuses, qui a rendu supportable l’accroissement du poids des dépenses en logement dans le budget des ménages : encore inférieurs à 10 % en moyenne au cours des années soixante, les taux d’effort des locataires et des accédants à la propriété se sont élevés progressivement, pour atteindre, en 2002, 17,6 % en moyenne pour les accédants et 16,4 % pour les locataires, après déduction des aides personnelles.
Plus nombreux, plus grands, plus confortables...
5De 1954 à 2002, on a construit en moyenne 356 000 logements chaque année, avec un pic à près de 550 000 logements en 1972 (graphique 1). Le nombre total de logements a ainsi pu être multiplié par deux environ en cinquante ans. On ne s’est pas contenté de construire beaucoup de logements, on a aussi construit des logements plus grands, des maisons individuelles notamment. Aujourd’hui, le logement moyen comporte quatre pièces d’habitation (Jacquot, 2003 a), contre un peu moins de trois en 1954. Comme dans le même temps le nombre moyen de personnes par ménage est passé de 3,05 à 2,40 [2], chaque personne dispose maintenant de 1,67 pièce en moyenne, au lieu de 1 pièce en 1954 (tableau 1). En appliquant les critères de peuplement de 1954, on ne dénombrerait plus aujourd’hui que 1,8 % de ménages en situation de surpeuplement temporairement admissible et 0,6 % en situation de surpeuplement critique. L’accroissement des surfaces habitables a eu pour corollaire une baisse de la densité de population dans les centres-villes au profit de leurs banlieues et des zones périurbaines. À titre d’exemple, la ville de Paris est ainsi passée d’une population de 2 800 000 personnes en 1954 à un peu plus de 2 100 000 en 1999.
Nombre de logements achevés

Nombre de logements achevés
6L’amélioration du parc de logements n’est pas seulement quantitative, mais aussi qualitative : 98 % des logements disposent en 2002 des trois éléments du confort sanitaire de base que sont l’eau courante, le w.-c. intérieur, et la baignoire ou la douche. On mesure, à la lecture de ces chiffres, l’ampleur du chemin parcouru. Mais l’appréciation de la qualité d’un logement ne saurait se limiter aux critères de peuplement et à l’équipement sanitaire. Les préoccupations évoluent : aux termes du décret n? 2002-120 du 30 janvier 2002 pris en application de la loi SRU, un logement décent ne doit pas seulement être pourvu d’un minimum de confort sanitaire, il doit aussi ne pas présenter de danger pour la santé et la sécurité de ses occupants.
7L’enquête Logement réalisée en 2002 par l’INSEE auprès d’un échantillon de 32 000 ménages permet de se faire une idée du nombre de logements ne remplissant pas certaines des normes édictées par ce décret et de décrire les ménages correspondants. Une proportion non négligeable de logements (un quart) est concernée par des problèmes d’humidité et d’infiltrations d’eau, mais l’enquête distingue mal les problèmes ponctuels et les problèmes persistants. Les autres problèmes sont moins fréquents (5 % des logements souffrent d’une exposition médiocre, 3 % ont des fils électriques non protégés, 3 % ne sont pas équipés d’une prise de terre, et 3 % ne disposent pas d’une installation suffisante de chauffage), et le cumul de plusieurs difficultés est rare (Chesnel, 2004).
8Une autre évolution notable de la période, sur laquelle on se gardera de porter un jugement de valeur, est l’accroissement de la proportion de ménages propriétaires de leur résidence principale. Ils n’étaient que 35 % dans ce cas en 1954, ils sont maintenant 56 % (Bessière, 2003). La proportion de propriétaires reste plus faible qu’au Royaume-Uni, aux États-Unis ou dans les pays méditerranéens, mais elle est plus élevée qu’en Allemagne (42 %) et en Suisse (33 %). La France se situe à cet égard dans la moyenne de l’Union européenne. Les logements HLM, qui représentaient encore moins de 10 % du parc des résidences principales au début des années soixante-dix, ont vu leur proportion s’accroître jusqu’à la fin des années quatre-vingt pour se stabiliser autour de 15 % à 16 % : le secteur HLM loge ainsi à présent un ménage sur six. Corrélativement, il y a aujourd’hui une proportion plus faible de locataires dans le secteur privé et de ménages logés gratuitement. Après avoir baissé sensiblement au début des années quatre-vingt, la part du secteur locatif privé s’est toutefois stabilisée aux alentours de 20 % depuis quinze ans : l’investissement locatif privé a en effet bénéficié de divers dispositifs de défiscalisation (Méhaignerie, Périssol, Besson, de Robien).
Des ménages à faibles ressources exposés aux nuisances
9Des problèmes subsistent cependant. Tout d’abord, avec une norme de peuplement plus proche des pratiques actuelles (rendues possibles par l’accroissement du parc...) et donc plus stricte que la norme de 1954 (voir encadré), 7 % des ménages de deux personnes et plus sont en situation de surpeuplement, dont 1 % en surpeuplement critique. Le phénomène n’a guère régressé au cours des années récentes, puisqu’il frappait 7,5 % des ménages (de deux personnes et plus) en 1996. Le surpeuplement concerne même un ménage sur cinq [3] dans l’habitat collectif. 43 % des ménages de cinq personnes et plus qui y résident auraient besoin d’au moins une pièce supplémentaire pour atteindre la norme. En revanche, le surpeuplement est quasiment inexistant dans l’habitat individuel.
10La région Île-de-France concentre à elle seule 55 % des quelque 200 000 cas de surpeuplement critique, alors qu’elle n’abrite qu’un cinquième de la population résidant dans notre pays. Les situations de surpeuplement rencontrées en Île-de-France ne sont toutefois pas toutes dramatiques : certains ménages préfèrent un logement petit et bien situé à un logement plus spacieux mais davantage excentré. Un gros tiers des ménages en surpeuplement critique réside en HLM et un petit tiers dans le parc locatif privé. Il s’agit dans la moitié des cas de familles d’au moins trois enfants. 60 % (seulement, ou tout de même, comme l’on voudra) des personnes de référence des ménages concernés ont un emploi.
11Les 2,5 % de ménages ne disposant pas du confort sanitaire de base présentent un profil très différent de ceux en situation de surpeuplement : il s’agit fréquemment de ménages ruraux (37 % des cas), sans enfant (91 % des cas) et âgés (54 % ont plus de 65 ans). 58 % d’entre eux sont propriétaires ou logés gratuitement. À l’inverse, l’inconfort sanitaire est quasiment inexistant dans le parc HLM, construit pour l’essentiel après guerre selon des normes de construction strictes. Enfin, un tiers des ménages se plaint du bruit (diurne ou nocturne), proportion qui n’a guère varié au cours des quinze dernières années.
12Quel que soit le type de difficulté (surpeuplement, inconfort sanitaire, installation électrique défectueuse, etc.), les ménages à faibles ressources y sont davantage exposés (Driant et Rieg, 2004). Les 30 % de ménages qui ont le niveau de vie le plus faible représentent ainsi 62 % des ménages ne disposant pas du confort sanitaire de base, les trois quarts des ménages en surpeuplement critique, 42 % de ceux qui ne disposent pas d’une prise de terre...
Les normes de peuplement d’hier et d’aujourd’hui

Horizon 2030
13La demande de logements va rester durablement élevée, pour des raisons démographiques. À l’horizon 2030, le nombre des ménages pourrait s’accroître de près d’un quart par rapport à la situation présente, sous les hypothèses d’une évolution tendancielle de la natalité, de la mortalité, et d’une stabilisation progressive des comportements de cohabitation des individus (Jacquot, 2003 b). La forte croissance du nombre de ménages est inéluctable, car elle sera imputable pour l’essentiel au vieillissement de la population : les personnes âgées cohabitent en effet avec un nombre de personnes en moyenne plus faible que les personnes plus jeunes (qui ont des enfants à charge), de sorte que le vieillissement de la population devrait accroître la proportion de ménages de petite taille. À titre d’illustration, la proportion de personnes vivant seules, égale à 12 % selon le recensement de 1999, pourrait ainsi atteindre 17 % en 2030.
14Dans le même temps, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, la taille des logements (surface, nombre de pièces) est appelée à s’accroître, en dépit de la baisse du nombre de personnes par ménage, car les personnes âgées disposent en moyenne d’une surface habitable beaucoup plus importante que les personnes plus jeunes : en effet, lorsque les enfants quittent le nid, les parents déménagent rarement à cette occasion pour un logement plus petit. Il est probable que l’offre permettra de satisfaire cette demande, tant en nombre de logements qu’en taille de ceux-ci, sans inflexion particulière de l’action des pouvoirs publics, si le revenu des ménages continue de croître à un rythme voisin du rythme moyen de la dernière décennie.
15Les aspirations à devenir propriétaire, et plus particulièrement à devenir propriétaire d’une maison individuelle, restent fortes. En 2002, parmi les 30-49 ans, c’est-à-dire aux âges où les intentions de mobilité sont encore fortes et où la question du choix entre appartement et maison se pose véritablement, la moitié des locataires exprimant l’intention de déménager souhaitent à cette occasion devenir propriétaires, alors qu’un peu plus d’un propriétaire sur dix seulement envisagent de devenir locataires. Ceux qui résident en appartement aimeraient pour près de 60 % d’entre eux habiter en maison individuelle, alors que ceux qui vivent en maison ne sont que 10 % à envisager d’emménager dans un appartement.

16Accroître d’un quart le parc de logements ne peut de toute façon s’opérer qu’en densifiant des espaces déjà construits ou en affectant à un usage résidentiel des espaces jusqu’alors dévolus à un autre usage – qu’ils soient agricoles, industriels, ou bien “récréatifs” – ou encore par toute combinaison de ces deux approches. Il y a là un dilemme pour les politiques publiques, car si les ménages sont demandeurs d’espace, d’habitat individuel et de faibles densités, l’étalement urbain pourrait, en accroissant la part des déplacements réalisés en automobile au détriment des transports en commun, être préjudiciable au développement durable. L’étalement urbain est par ailleurs, à tort ou à raison [4], réputé dispendieux pour la collectivité. ■
Notes
-
[1]
Pour simplifier, on considérait qu’il fallait une pièce par personne jusqu’à trois personnes, et une pièce pour deux personnes au-delà de la troisième personne (cf. encadré).
-
[2]
Il s’agit d’une tendance séculaire : le nombre moyen de personnes par ménage était de l’ordre de 4,0 en 1850, et a baissé de manière relativement régulière de 1850 à nos jours (Cahen, 1957).
-
[3]
Parmi les ménages de deux personnes et plus.
-
[4]
La question est controversée. À ce sujet on pourra consulter les numéros 92 et 94 de la revue Études foncières (Comby, 2001, et Lacaze, 2002), et le numéro 51-52 de L’observateur de l’immobilier.