1Parcours depuis la naissance du logement social, il y a plus d’un siècle, à travers les formes d’aides et de financement. Où l’on voit se développer une dimension ségrégative du logement social, jusqu’à aujourd’hui où une nouvelle crise se dessine : celle du logement abordable.
2La loi Siegfried du 30 novembre 1894 jette les bases d’un système qui perdure encore aujourd’hui : celui de l’utilisation du livret A pour financer la construction de logements locatifs sociaux. Elle est suivie, en 1906, par la loi Strauss destinant le logement social “à des personnes peu fortunées, notamment à des travailleurs vivant principalement de leur salaire”. Et cette définition va rester en l’état jusqu’en 1985. Le logement des salariés est l’objectif principal de la loi, ainsi que le logement des familles et notamment des familles nombreuses.
3À l’époque, le logement social est d’initiative privée. C’est-à-dire qu’il repose sur la bonne volonté et la générosité de “personnes d’œuvre”. Entre 1895 et 1914, le bilan est fort modeste : 10 000 à 15 000 logements construits. Il faudra attendre les années 1910-1913 et la formidable campagne de sensibilisation de Georges Cochon, président du Syndicat des locataires, pour que soit votée, à l’unanimité en 1912, la loi Bonnevay, du 23 décembre 1912, qui institue les offices publics communaux et départementaux d’HBM.
Nouvelle conquête sociale et service public
4C’est à partir de l’action de G. Cochon et du Syndicat des locataires que le logement locatif social devient en quelque sorte une nouvelle conquête sociale. C’est la toute première fois qu’est énoncée la notion de droit au logement. C’est aussi à partir de 1910 que la gauche française s’intéresse enfin à la question du logement. Pour elle, les solutions ne pouvaient passer que par la révolution. Deux grands débats vont marquer la gauche française dans les années qui précèdent la Grande Guerre, et ils sont étroitement liés : le “municipalisme”, c’est-à-dire la prise du pouvoir par les urnes au niveau local, et la question du logement. La construction d’habitations à bon marché par un établissement public fait du logement populaire un service public et permet au locataire d’accéder à un nouveau statut.
5Le débat sur le logement des personnes ayant des faibles revenus et notamment des familles nombreuses est présent dans les préoccupations des personnes en charge des habitations à bon marché. Le problème du logement de ceux qu’on appelle alors les “miséreux” ou les “indigents” est absent du débat politique. Les plus pauvres relèvent de l’assistance et des œuvres de charité.
6L’année 1928 [1] va apporter des réponses législatives et réglementaires à des blocages sectoriels anciens. En effet, pour résoudre la crise urbaine et la crise du logement, sont votées :
- le 15 mars, la loi Sarraut, qui vise à aménager les quartiers de lotissements défectueux qui couvrent près de 10 000 hectares dans la seule région parisienne ;
- le 13 juillet, la loi Loucheur, première loi programme de construction sur cinq ans. Début de l’ère de la planification, elle consacre enfin l’intervention de l’État en matière de logement.
7Ces catégories préfigurent le développement, à partir des années cinquante, d’une politique ségrégative de l’habitat, c’est-à-dire la production de logements dont les loyers et les normes de confort seraient “adaptés” aux populations à qui ils sont destinés. C’est aussi le temps pour le logement social des premières réalisations d’envergure : on passe progressivement de la cité-jardin aux premiers grands ensembles.
8Au début de la Seconde Guerre mondiale, près de 300 000 logements ont été construits par les organismes d’HBM en locatif comme en accession. Mais près du double l’a été directement par les entreprises pour leurs ouvriers.
De la reconstruction à la construction
9Après la guerre, la priorité est alors à la reconstruction. La France va s’installer dans une crise du logement dramatique et durable. En 1952, on construit en France 82 000 logements alors que l’Allemagne vaincue en produit 450 000. C’est dans ce climat que se développent des mouvements revendicatifs pour que cesse le scandale des mal-logés.
10La loi du 3 septembre 1947 réorganise en profondeur le secteur des HBM. Elle instaure un régime de prêts directs du Trésor de 2 % sur soixante-cinq ans, avec différé d’amortissement et remise partielle des intérêts sur dix ans. La surface minimale des logements est augmentée. Elle passe de 45 mètres carrés à 57 mètres carrés pour un trois pièces. Certains équipements sont rendus obligatoires, la salle d’eau notamment. Mais les crédits ouverts au titre des prêts à taux réduits sont très insuffisants. Entre 1947 et 1950, un peu plus de 30 000 logements seulement sont produits par les organismes d’HBM.
11Les orientations d’Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction de 1948 à 1953, sont de trois ordres : la remise à niveau des loyers et l’amélioration du patrimoine ancien (loi du 1er septembre 1948), la reprise de l’initiative privée dans le secteur du bâtiment (primes et prêts du Crédit foncier) et l’industrialisation du bâtiment.
12La loi du 21 juillet 1950 jette les bases d’un nouveau système de financement qui va subsister pendant près de vingt ans. L’État intervient par des primes et prêts à long terme du Crédit foncier pour accélérer la construction de logements, notamment en accession à la propriété. Tout constructeur de logement à usage principal d’habitation (personne physique ou morale) peut bénéficier d’une prime de cinq francs par mètre carré de surface habitable (six francs en 1952), versée chaque année pendant vingt ans. Il bénéficie d’un prêt du Comptoir des entrepreneurs de cinq ans relayé par un prêt à annuités constantes de quinze ans du Crédit foncier de France. Le taux d’intérêt ne peut dépasser 6,8 %. Aucun plafond de ressources, aucune condition réglementant le prix de revente ou les loyers ne sont imposés. Ce système favorise naturellement les classes moyennes et supérieures. Par la même loi, les HBM deviennent les Habitations à loyer modéré (HLM).
13Le Plan Courant de 1953 prévoit enfin la construction de 240 000 logements par an. Le plan élargit le droit des pouvoirs publics (État, départements et communes) en matière d’expropriation (loi du 6 août 1953). Il instaure le 1 % logement qui impose à toutes les entreprises de plus de cinquante salariés (dix salariés en 1963) le versement de 1 % de la masse salariale pour la participation des entreprises à l’effort de construction (décret du 6 août 1953, reprise d’une initiative du Nord en 1942). Ce décret marque la fin d’un système prôné par la droite sociale selon les idées de Frédéric Le Play, dite de “patronage”, période où l’entreprise logeait directement ses ouvriers.
14En 1954 l’État diminue le taux d’intérêt des prêts du Trésor à 1 %, mais il réduit la durée du prêt qui passe de soixante-cinq à quarante-cinq ans.
15À partir de 1953, on assiste à un développement très rapide de la construction pour faire face aux problèmes de surpeuplement et aux évolutions démographiques. On passe de 113 000 logements construits en 1953 à 336 000 dix ans plus tard. Cette construction est essentiellement le fait de l’accession aidée à la propriété (1,5 million de logements financés par les primes et prêts du Crédit foncier de France). Le logement locatif social, avec 609 000 logements construits en dix ans, représente 21 % de la production.
Une politique ségrégative de l’habitat
16Il s’agit de construire plus, plus vite et moins cher. L’État procède par concours. Après l’appel de l’abbé Pierre, ce sont les Logements économiques de première nécessité (LEPN). Des cités d’urgence seront édifiées partout en France : plus de 12 000 logements dans 220 villes. L’État organise d’autres concours pour des logements à normes réduites : les Logements économiques normalisés (LEN), les Logements million, les Logements populaires et familiaux (LOPOFA) ou encore les Économies de main-d’œuvre (EMO). Le souhait des pouvoirs publics est d’aboutir à une sorte de systémisation de la construction et donc d’un abaissement du prix de revient (au détriment de la qualité).
17Le fait récurrent des politiques du logement en France, c’est sans doute, sans débat politique, la multiplication des produits et l’adaptation des normes en fonction des ménages à qui sont destinés ces logements. On assiste ensuite régulièrement, sous la pression notamment des maîtres d’ouvrage et des professionnels du bâtiment, à des tentatives de regroupement des différentes catégories de produits. L’arrêté du 23 novembre 1955, par exemple, met fin à la multitude de procédés techniques de construction et à leur mode de financement. Ce n’est pas moins de six catégories de logements qui sont désormais regroupées sous deux appellations : HLM de type A et de type B. En 1961, on détermine une seule catégorie de logement locatif : les HLM.O. Mais très vite, l’année suivante, on crée deux nouvelles exceptions : les Programmes sociaux de relogement (PSR) et les Immeubles à loyer normal (ILN).
18Dans cette période se développe une conception ségrégative du logement social : d’une part un parc social ordinaire qui accueille en majorité des classes moyennes et d’autre part, un parc “thérapeutique” à normes réduites, un parc de transition pour ceux que l’on appelle alors les “asociaux ou les inadaptés”. On développe des concepts de “rééducation sociale” et d’“apprentissage du logement”. Une première expérience lie explicitement travail social et hébergement. Elle est menée à Troyes, en 1953, par l’Office municipal HLM pour reloger les occupants des taudis lors de la rénovation du quartier le Bouchon de Champagne. Le concept de cité de transit est né.
Pour qui sont ces logements ?
19Deux nouveautés vont marquer l’année 1954 : la création de l’Épargne construction et la naissance d’une réglementation sur les attributions de logements sociaux, au moment même où l’action de l’abbé Pierre est fortement relayée. Le décret du 27 mars 1954, “fixant les conditions d’attribution des logements des organismes d’habitation à loyer modéré”, est le premier texte consacré à l’attribution des logements HLM.
20Les logements HLM sont toujours “réservés aux personnes physiques peu fortunées et vivant principalement de leur salaire”. Le décret fixe des plafonds de ressources, des conditions d’occupation minimales et invente le supplément de loyer. Pour les villes de plus de 10 000 habitants, les candidats au logement font l’objet d’une notation qui permet d’établir une liste de classement de ces candidats, affichée dans les lieux publics et crée un droit de recours pour les familles refusées. Ce recours s’exerce auprès d’une commission départementale. Les demandes de logements HLM sont classées en fonction de la situation des ménages en matière de logement (sans-abri, en centre d’hébergement, état de péril, expulsés...), de la composition familiale, et de l’antériorité de la demande en cas de même note de classement. Aux critères de ressources sont associés des critères de moralité. Trois éléments sont déterminants pour l’accès à un logement social :
- la tenue et la propreté du logement occupé ;
- la moralité, la sociabilité et la réputation de la famille ;
- la solvabilité.
21Une série d’articles, publiée sous la plume de Gilbert Mathieu dans Le Monde en avril 1957 – “Logement, notre honte” – dénonce vigoureusement la sur-représentation des cadres dans le parc HLM et le non-respect par les organismes HLM et les maires du système de notation. Pour “plus de transparence et d’équité”, le décret du 19 décembre 1963 institue au sein du conseil d’administration de chaque office public d’HLM une commission d’attribution des logements. Il faudra attendre 1991 pour que cette disposition soit étendue aux sociétés anonymes.
22Par décret du 20 mai 1955, le logement social devient accessible aux étrangers. La législation réservait alors le bénéfice des HBM, puis des HLM, aux seuls citoyens français, sauf lorsque des conventions avaient été conclues entre la France et un autre pays : c’était le cas de la Belgique, de l’Italie, et de la Pologne, avant la Seconde Guerre mondiale et de l’Espagne après guerre. Cette disposition sera confortée par une circulaire du 28 mai 1963 : “Aucune discrimination de droit ne doit jouer à l’encontre des étrangers quelle que puisse être leur nationalité.”
Le temps des grands ensembles
23L’année 1955 marque un tournant, la France se tourne vers un futur “radieux”. Des programmes quinquennaux vont être mis en œuvre pour les HLM. L’industrialisation de la construction permet un accroissement considérable de la production, une baisse des coûts et une réduction des délais d’exécution. Cela débouchera sur des programmes démesurés de 600 logements minimum. C’est alors le temps des Zones à urbaniser en priorité (ZUP) créées par décret du 31 décembre 1958 et de l’organisation des chantiers en fonction des “chemins de grue” [2]. 220 ZUP comportant 2,2 millions de logements seront réalisées en France.
24Pourtant, les mécanismes mis en place sont insuffisants pour résoudre le problème des mal-logés. En 1962, les Programmes sociaux de relogement (PSR) vont permettre le développement de cités de transit, notamment pour résorber les bidonvilles dont le dernier, La Digue des Français à Nice, de plus de 2 000 personnes, est rasé en 1976 ; ces programmes sont accompagnés de “thérapie sociale”, et les familles sont classées suivant leur degré d’adaptation [3].
25L’arrêté du 3 octobre 1968 fixe pour la seule région parisienne certaines priorités pour l’attribution des logements sociaux. C’est l’amorce de ce qui deviendra par la suite le contingent préfectoral. Les années soixante-dix sont marquées par le début d’une interrogation sur les mécanismes de peuplement. Différents rapports mettent en évidence la paupérisation d’une partie du parc social et les risques de ségrégation. L’accession à la propriété aspire les clientèles solvables du parc HLM et la rénovation ou la reconquête des centres anciens va drainer vers le logement social des populations en grandes difficultés. On va “déterrer” la pauvreté des centres historiques et l’exiler dans certaines banlieues.
26De 12 millions de logements en 1946, on passe à 21 millions en 1975. L’équipement en eau courante dans le logement est passé de 37 % à 98 % ; les w.-c. intérieurs de 25 à 74 % ; le chauffage central équipe un logement sur deux ; le surpeuplement accentué est passé de 12,8 % à 4,8 %.
27Cette période correspond au développement massif des couches moyennes, à la généralisation du salariat et à l’avènement du secteur tertiaire. Elle est marquée aussi par l’omnipotence de l’État. C’est la première puissance financière, le premier employeur et le premier producteur. L’État est partout. Il va normaliser, impulser, régenter, conduire. Les dispositions prises, par la loi de 1957 qui autorise l’État à légiférer par décret-loi, dans le domaine de l’urbanisme et du logement, va renforcer les pouvoirs réglementaires des services centraux. Le pays vit dans l’euphorie d’une forte croissance économique. L’inflation permet d’emprunter sans risque. Cette période se caractérise par la production d’un parc hiérarchisé de logements avec un modèle promotionnel de l’habitat qui voyait les familles améliorer leurs conditions de logement en même temps qu’augmentaient leurs ressources.
Réformer pour se désengager
28Mais le patrimoine social vieillit mal. L’urbanisme des tours et des barres a montré ses limites. Les mentalités se transforment. C’est la génération de 1968. “Times are changing” chante Bob Dylan. L’histoire va lui donner raison.
29Le rapport Consigny, de 1971 [4], marque une nouvelle inflexion dans les politiques du logement. Les dépenses de l’État en matière de logements sont trop importantes. Il faut désormais mieux les cibler. L’allocation logement familiale créée par la loi de 1948 est réformée. On crée l’allocation logement sociale. Les primes et prêts du Crédit foncier sont modifiés pour toucher des clientèles plus sociales.
30Le gouvernement engage une réforme profonde du financement du logement sous la conduite de Raymond Barre. C’est la réforme du 3 janvier 1977, une véritable révolution. Elle marque la fin d’un système basé essentiellement sur l’aide à la pierre. C’est le renouveau d’une conception tout à fait libérale du logement où le marché doit répondre aux besoins et le parc social à la marge pour ceux qui ne peuvent pas se loger dans les conditions du marché. La régulation sociale se fera par les aides à la personne. La réforme crée l’Aide personnalisée au logement (APL). Et si elle maintient un prêt aidé au logement locatif pour les organismes d’HLM, il est nettement moins avantageux. C’est le Prêt locatif aidé (PLA) : un seul produit, soit une qualité accessible à tous, les aides à la personne permettant de moduler l’effort des ménages. La loi crée la PALULOS pour la réhabilitation et un seul produit, banalisé, pour l’accession à la propriété sociale : le Prêt aidé à l’accession à la propriété (PAP).
31En locatif, les aides sont conditionnées à un système de conventionnement. 30 % des logements produits sont réservés aux préfets pour loger les ménages prioritaires et les fonctionnaires. La convention détermine un loyer maximal et un plafond de ressources.
32La réforme a pour priorité l’accession à la propriété, mais aussi de réduire considérablement les aides à la pierre. Elle est pensée dans une perspective d’expansion alors que dans le même temps se dessine une crise économique et sociale très profonde. Elle marque une rupture importante. On passe d’une intervention de l’État sur la structuration de l’offre immobilière à une intervention dans le champ de la régulation sociale pour corriger les effets du marché.
Des ménages modestes aux défavorisés
33Depuis le début des années 1980, on assiste au développement de la tonalité sociale de la politique du logement. Des mesures de régulation des rapports entre propriétaires et locataires sont votées avec la loi Quilliot, suivies des lois Méhaignerie et Mermaz/Malandin. Des fonds d’aides locaux ou départementaux sont créés pour permettre aux ménages d’accéder au logement ou de s’y maintenir. Des bilans diagnostics départementaux sont établis pour évaluer les besoins, notamment pour les ménages défavorisés et deux plans départementaux pour le logement des plus démunis sont expérimentés avant la lettre dans les Yvelines et en Ille-et-Vilaine. Ils serviront de modèle à la loi Besson du 31 mai 1990 sur le droit au logement.
34La loi du 18 juillet 1985 généralise pour tous les logements sociaux le contingent préfectoral. Le préfet établit un règlement départemental d’attributions qui définit des priorités. Enfin, la loi modifie, après quatre-vingt ans de bons et loyaux services, la destination des logements sociaux : les bénéficiaires devront être désormais des “personnes modestes”.
35Depuis le rapport Consigny, le mot d’ordre semble être le “désengagement de l’État”. En 1985, une partie du 1 % logement est consacrée à l’aide à la personne, dont les barèmes seront réaménagés et régulièrement sous-actualisés. En 1989, l’État ne bonifie plus les prêts, ni ne les garantit. C’est à la Caisse des dépôts d’apprécier le risque et de vérifier l’équilibre financier des opérations.
36La réforme de 1977 avait créé une seule catégorie de logements sociaux avec pour objectif la qualité pour tous. Par différentes inflexions, les pouvoirs publics ont créé progressivement différentes catégories de logements pour différents types de ménages : le logement intermédiaire, le logement “normal” et pour ceux qui sont appelés désormais “les plus défavorisés” ou “les plus démunis”, le logement d’insertion ou adapté et plus tard le logement d’urgence.
37Les pouvoirs publics annoncent un nécessaire “recentrage” du parc locatif social. Il s’agit pour eux de recréer une chaîne promotionnelle du logement où la fonction jadis jouée par le parc privé inconfortable que certains nomment encore “parc social de fait” serait remplacée par le parc social de droit. La fluidité serait organisée vers et par l’accession sociale à la propriété et le parc locatif intermédiaire ou privé confortable, mais cher.
38Pour Pierre-André Périssol, ministre du Logement de 1995 à 1997 : “Les HLM sont au cœur de la chaîne du logement, car ils doivent à la fois insérer les plus défavorisés et permettre aux classes moyennes de se préparer à l’accession à la propriété.” Enfin, les trois axes stratégiques de la “nouvelle politique du logement” sont la réponse à l’urgence, l’accession à la propriété et la relance de l’investissement privé. En 1996, la subvention du PLA est remplacée par une baisse de la TVA de 19,6 % à 5,5 %. On parle alors de PLA fiscal. Le Prêt à taux zéro remplace le PAP. L’investissement privé pour le logement locatif est favorisé par de fortes déductions fiscales. Il faudra attendre la loi du 31 juillet 1998 d’orientation et de lutte contre les exclusions pour que le logement social soit destiné pour la première fois de son histoire “aux ménages modestes ou défavorisés”, mais dans la mixité sociale, ajoute le législateur prudent.
39Le nombre de logements inconfortables baisse régulièrement (2,5 % en 2002, soit 612 000 logements). Les logements de la loi de 1948 ont vu leur nombre fondre de 708 000 logements en 1984 à 246 000 en janvier 2002. Leur disparition est d’ailleurs annoncée. Le nombre de logements vacants est de 2 millions de logements soit 6,8 % du parc de logements. C’est le taux le plus bas enregistré depuis la fin des années soixante. Enfin, le nombre de logements conventionnés avec des aides de l’ANAH est en baisse constante.
40La disparition du parc privé inconfortable et/ou à bon marché qui accueillait traditionnellement les nouveaux ménages et les personnes défavorisées a créé un vide dans la chaîne du logement en milieu urbain. Il est demandé, en substitution, au parc HLM de jouer ce rôle de premier maillon. D’autre part, la notion même de promotion sociale est mise à mal et avec elle le parcours résidentiel qui menait du parc privé inconfortable au HLM, puis à l’accession à la propriété. Cependant, cette transformation du parc locatif privé a réduit de façon drastique l’offre de logements accessibles aux ménages à faibles ressources.
Les écarts se creusent
41Depuis quelques années, la France connaît une crise très grave, non pas du logement, mais du logement “abordable”. En effet, les écarts entre les loyers du secteur privé et ceux du secteur social se creusent sur l’ensemble du territoire, notamment dans les unités urbaines de plus de 100 000 habitants et dans l’agglomération parisienne. Le logement locatif privé, sur les marchés tendus, devient inabordable pour de nombreux ménages y compris pour certaines classes moyennes. Ainsi, la dernière enquête “logement” de l’INSEE montre que les locataires du secteur privé ont en moyenne un loyer par mètre carré supérieur de 60 % aux locataires HLM. Dans l’agglomération parisienne, les loyers du secteur privé sont 2,2 fois plus élevés que les loyers HLM.
42Le PLUS a remplacé le PLA en 2000. S’il en conserve les principales caractéristiques, les loyers maximaux sont calés sur ceux pris en compte par l’APL et il bénéficie à nouveau de subventions. Autre création en 2001, le Prêt locatif social (PLS) qui est destiné aux catégories moyennes. Ce prêt est ouvert aux bailleurs privés, personnes physiques ou morales, et ses plafonds de ressources le rendent accessible à 80 % des ménages français.
43M. de Robien, en charge des politiques du logement dans le premier gouvernement Raffarin, envisageait un système simple et peu coûteux pour l’État : la vente des logements HLM aux locataires devait permettre un désengagement maximal de ce secteur. On réaliserait, d’une part, le rêve de la droite sociale du siècle dernier d’une France de propriétaires [5] et, d’autre part, le produit de la vente permettrait la reproduction du logement social de manière quasi autosuffisante. La régulation des marchés se ferait par le haut, en développant la production de logements locatifs privés aidés par des largesses fiscales.
44Depuis l’après-guerre, deux volets distincts coexistent, pas toujours pacifiquement : une aide aux investisseurs privés, pour relancer la production, sous la forme notamment de primes ou de déductions fiscales, et une aide sociale pour se loger.
45Pour soutenir le marché, les mesures prises par l’État, notamment par le levier des déductions fiscales, sont efficaces mais totalement aveugles d’un point de vue social. De plus, l’offre est peu adaptable. On assiste notamment à une surproduction de petits logements. Ces aides ont néanmoins le grand avantage de ne pas être inscrites au budget de l’État. L’amortissement de Robien en est un exemple frappant. Son coût par logement est équivalent à celui d’un logement social financé par le PLUS.
46La politique de régulation sociale utilise des mécanismes de redistribution, par le levier notamment des aides personnelles. Mais elle en restreint les bénéficiaires, d’une part par la non-revalorisation des aides et d’autre part par des mesures dites « techniques ». On passe progressivement d’une aide au logement à une aide sociale. Les aides à la personne sont en effet recentrées sur les ménages les plus modestes. En 1977, un ménage avec deux personnes à charge bénéficiait de l’APL jusqu’à 4 fois le SMIC. Aujourd’hui, pour ce ménage, le seuil d’exclusion de l’APL est proche de 2,1 SMIC. Pour une personne seule, il est passé de 2,4 SMIC à 1,1 SMIC. Aujourd’hui, 71 % des bénéficiaires d’une aide à la personne ont un revenu inférieur au SMIC et 1 % des revenus supérieurs à 2 SMIC [6].
47Le nouveau gouvernement a, semble-t-il, pris la mesure de la crise du logement abordable qui frappe le pays. Pour la première fois, le logement est rattaché au ministère des Affaires sociales. Faut-il y voir un signe ? La construction de logements sociaux redevient une priorité et une loi de programmation quinquennale prévoit la production sur cinq ans de près de 500 000 logements sociaux soit un doublement de la production.
48Aujourd’hui, alors qu’un mouvement fort de décentralisation est à l’œuvre, notamment dans le domaine de l’action sociale, le logement reste compétence d’État. Il peut certes déléguer le financement du logement aux établissements publics de coopération intercommunale ou aux départements. Il peut également confier aux communes le contingent du préfet, mais il reste, en théorie, maître du jeu. Le système de solidarité en matière de logement est, lui, décentralisé : les fonds de solidarité logement sont transférés aux départements.
49Dans le même temps, le gouvernement met en place un système très centralisé de financement de la politique de la ville (création de l’ANRU) et une loi programme sur cinq ans de relance de la construction locative sociale (loi de programmation pour la cohésion sociale) également centralisatrice.
50Mais qui va financer ce nouvel effort de construction ? Le 1 %, bien entendu, est sollicité. L’État apportera aussi sa propre contribution. Mais les principaux financeurs seront les organismes de logement social et les collectivités territoriales. La situation est sans doute paradoxale au regard de l’histoire. Le logement social joue et va jouer inéluctablement dans les prochaines années un rôle de plus en plus social et il sera sans doute de moins en moins bien financé par la solidarité nationale. ■
Notes
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[1]
Autour de l’année 1928, le social et l’urbain, Vie sociale n? 3-4/1999, Cedias Musée social.
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[2]
Chemin de grue : la grue était posée sur rails ce qui permettait de développer la construction de part et d’autre du chemin tracé par les rails et sur toute sa longueur.
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[3]
Rapport Trintignac, 1967, “Pour une politique concertée du relogement et de l’action socio-éducative appliquée à la résorption des bidonvilles”.
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[4]
Rapport de la commission habitation du VIe Plan.
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[5]
Le système n’a pas si mal fonctionné puisqu’on est passé de 35 % de propriétaires en 1946 à 57 % en 2002.
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[6]
Source : Direction des études économiques et financières de l’union sociale pour l’habitat.