Seconde chance, second risque
Jean-Jacques PAUL, Thierry TRONCIN, Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire, IREDU, Pôle AAFE. Esplanade Erasme, BP 26513, 21065 Dijon cedex, Décembre 2004. 44 p. www.u-bourgogne.fr/IREDU
1Pour une large part des enseignants mais aussi des parents et même des élèves, le redoublement d’une classe constitue une réponse aux difficultés scolaires. Les arguments en faveur de cette pratique pédagogique sont multiples et abondent dans tous les conseils de classe. Le redoublement permettrait de donner plus de temps pour assimiler les connaissances, la répétition conduirait à l’acquisition des savoirs. Et puis, surtout, que pourrait retenir dans un niveau supérieur un élève n’ayant pas acquis les connaissances dispensées préalablement. Le rapport réalisé par l’IREDU, à la demande du Haut conseil de l’évaluation de l’école, démontre l’inanité de cette position partagée largement en France. Des pays comme le Danemark, la Finlande, la Suède, l’Islande et la Norvège ont abandonné cette pratique. Certes, depuis une vingtaine d’années, le taux de redoublement en France a diminué mais, à la fin du primaire, 20 % des enfants ont redoublé une ou deux fois. Toutes les études disponibles montrent que le redoublement est inefficace. À compétences identiques, le redoublement n’assure pas une meilleure réussite dans les niveaux supérieurs. Plus grave, il affecte négativement la motivation et les comportements des élèves. Que dire de l’argument du manque de maturité qui renvoie l’élève redoublant dans le groupe des plus jeunes ? Inefficace, le redoublement est inéquitable. Tel qui redouble ici sera admis, ailleurs, en classe supérieure faute d’un “étalon” homogène. Plus curieux et plus inquiétant, une enquête réalisée dans l’académie de Poitiers montre que les retards d’enfants nés au mois de décembre sont près de trois fois supérieurs à ceux nés au mois de janvier. Corrélés fortement au sexe à l’origine sociale et à l’âge, variable selon les territoires, le redoublement pèse aussi sur les dépenses du système éducatif. Le rapport rappelle que cette pratique française du redoublement tient largement au modèle culturel qui structure l’enseignement autour de classes de niveaux les plus homogènes possibles, avec un enseignant et pour une année. Comme l’affirmait Marcel Crahay dans un article sur l’échec scolaire, “puisqu’il n’existe pas de preuve sérieuse de l’efficacité du redoublement, la profession enseignante devrait abandonner cette pratique comme jadis les médecins ont délaissé les saignées et les purges”. 1263
Pouvoirs à gagner
Catherine ÉTIENNE, Les travailleurs sociaux et le Conseil de vie sociale en CHRS : vers des approches collectives favorisant l’ “empowerment” des usagers, Mémoire pour l’obtention du DEA “Travail social, action sociale et société”. Conservatoire national des arts et métiers, 292, rue Saint-Martin, 75003 Paris, Novembre 2004. 143 p.
2Peut-on imaginer que le travail social puisse changer de trajectoire ? C’est à cette question que tente de répondre Catherine Étienne dans un mémoire de DEA consacré à l’idée d’“empowerment”. Les observateurs ont montré depuis longtemps la prépondérance de l’ancrage psychologique, voire analytique, de la pratique du travail social. L’analyse des parcours de vie, l’invitation faite aux personnes en difficultés à renouer avec leur propre histoire dans le cadre d’une relation éducative et thérapeutique constituent les outils prioritaires des travailleurs sociaux. Certes, on évoque régulièrement le travail de groupe, de collectivité, voire de communauté, mais tout cela reste à la marge. La circulaire de Nicole Questiaux fut l’occasion d’un rendez-vous manqué lorsque vinrent la transformation de la population pauvre et la réaffectation de la polyvalence de secteurs aux conseils généraux dans la première partie des années quatre-vingt. L’arrivée de la contractualisation avec le RMI et l’obligation des projets personnels ne firent que renforcer ce mouvement en insistant sur la nécessaire autonomie de la personne au moment où les ruptures se faisaient de plus en plus violemment collectives, sur les marchés de l’emploi ou du logement. Pour Catherine Étienne, le moment est propice pour changer d’orientation, et redonner aux personnes en difficulté la possibilité de peser ensemble sur leur devenir. La réforme engagée par la loi de janvier 2002 ouvre de tels espaces, en particulier dans les établissements. S’appuyant sur l’analyse du fonctionnement des Conseils de la vie sociale dans les CHRS, Catherine Étienne montre comment et à quelles conditions serait possible le passage de l’individuel au collectif. 1264
Pluralité de médiateurs
Françoise GAUTIER-ÉTIÉ, Éric LENOIR, La médiation sociale. Clés pour la mise en œuvre et la professionnalisation, Délégation interministérielle à la ville. Centre national de la fonction publique territoriale, 8 rue d’Anjou, 75381 Paris cedex 08, Décembre 2004. 288 p., www.ville.gouv.fr www.cnfpt.fr
3Agents d’ambiance dans les transports à Grenoble, femmes-relais à Gennevilliers, agents de prévention et de médiation dans les espaces publics de La Rochelle, correspondants de nuit à Chambéry, coordonnateur d’équipes de médiation à Angoulême, les exemples ne manquent pas de ces activités de service créées depuis une vingtaine d’années. Les dénominations multiples, parfois d’une créativité aux limites de la fantaisie, les différences de statuts et de contrats rendent difficiles l’inventaire et l’analyse de ces métiers de la médiation. Les emplois-jeunes, dont le nombre atteignait près de 20 000 voici quelques années, constituèrent le principal bataillon de ces médiateurs. La disparition de cette forme d’aide à l’emploi aurait pu marquer la fin des médiateurs mais un arrêté du 26 juillet 2004 vient de créer un titre professionnel de technicien médiation services. Cette création rejoint de nombreuses études et recherches dont l’objectif est, à la fois, d’identifier les acquis de ces activités et d’en repérer les potentialités, tant en termes d’emplois créés que de services rendus. Qu’il s’agisse d’interventions pour réduire des comportements incivils, de conflits entre personnes, de dégradations ou pour apporter une aide ou un conseil, l’intervention du médiateur s’opère le plus souvent à chaud et exige, outre des nerfs solides, un grand sens des autres dans des situations presque toujours tendues. Une activité qui requiert de grandes qualités humaines mais dont les exemples présentés montrent qu’il s’agit aussi de compétences qui peuvent s’acquérir par la pratique et la formation. Rapport, manuel, revue, le document coréalisé par la DIV et le CNFPT constitue surtout un large panorama des pratiques et des outils de la médiation sociale. 1265
RMI, RMA : les débats
Élise JEUDY, Politisation, convergence et inertie des politiques de protection sociale. Lire la décentralisation du RMI et la création du RMA, Mémoire pour l’obtention du DEA “Action publique et territoires en Europe” - Sciences-Po Rennes, 9 rue Jean-Macé, 35000 Rennes. Octobre 2004. 121 p.
4Dans les assemblées parlementaires, il y a des mots et des voyelles qui fâchent, surtout lorsqu’il s’agit de mesures à forte portée symbolique. Ainsi l’introduction d’un A à côté ou à la place du I causa en 2004 une sévère empoignade parlementaire lors du vote de la loi créant le RMA et décentralisant le RMI. Elise Jeudy, analysant finement les débats parlementaires, montre comment, autour de ce débat, se réactivèrent et se mirent en scène les oppositions structurales entre la gauche et la droite. Comme les nationalisations, en d’autres temps, ou la réduction du temps de travail, certaines mesures, qui touchent le plus souvent au travail et à l’organisation de l’assistance, déclenchent un véritable pic de politisation. On pourrait voir dans ces débats le fonctionnement normal de la démocratie en action. La lecture du mémoire d’Elisa Jeudy conduit à relativiser cette position dans la mesure où elle montre que finalement le RMA n’est pas plus, ni moins, porteur d’ambiguïtés, que ne pouvait l’être le RMI. Mieux, s’inscrivant, a priori, dans une logique européenne d’activation des politiques de l’emploi, le RMA peine à se situer entre un modèle universaliste de type scandinave et un modèle plus libéral de type anglais. Si le débat politique consiste parfois à surcharger de significations une mesure ou une loi, il faut se sortir aussi de ces pics de politisation. Pour le RMA, le terrain s’en chargea, on sait le peu de succès rencontré dans les départements par cette mesure. Le politique y contribua, par exemple, en inventant de nouveaux dispositifs et ce n’est pas par hasard que le mémoire d’Elise Jeudy se termine au moment de l’adoption du plan Borloo. 1266
L’union et l’emploi
Observatoire européen de l’Emploi. Bilan printemps 2004. Commission européenne. Emploi et fonds social européen, Ecotec research and Consulting, Priestley House, 12-26 Albert Street, Birmingham B4 7 UD, Royaume-Uni, 2004, 239 p. www.eu-employement-observatory.net
5Au fil de l’extension de son champ d’intervention, les méthodes de travail de l’Union européenne sont mieux connues. Si l’existence des directives européennes qui doivent être transposées dans les droits nationaux est bien identifiée, on ignore, en règle générale, une forme d’intervention qui date du sommet de Lisbonne de 2000. Lors de ce sommet, les chefs d’État décidèrent, pour permettre à l’Union d’agir dans des domaines qui n’étaient pas explicitement prévus par le traité fondateur de Rome, de mettre en œuvre une méthode de convergence des politiques nationales définie sous le nom de méthode ouverte de coordination, ce qui en langue européenne se traduit par le concept-sigle de MOC. Développée initialement à propos des politiques d’emploi, de la lutte contre l’exclusion, des retraites, la MOC devrait s’appliquer aux soins, peut-être également à la recherche. Cette méthode se traduit par l’existence de plans nationaux, de comparaison des bonnes pratiques, d’échanges trans-nationaux, de définition d’indicateurs de comparaisons. Pour faire simple, on pourrait dire que le rapprochement des politiques est attendu d’une meilleure connaissance et d’une comparaison des politiques menées dans chacun des États membres. La MOC suppose que les informations nationales soient facilement disponibles. Le rapport sur l’emploi produit par l’Union en 2004 s’inscrit dans cette perspective. Il s’agit, pour les pays membres (on y trouve par exemple des informations sur l’emploi en Turquie), de présenter les tendances générales de l’emploi. L’originalité de ce travail réside surtout dans le fait que les pays présentent des exemples innovants de leurs politiques et que la litanie des chiffres sur l’emploi et le chômage sans être oubliée n’est pas au cœur d’un rapport qui fourmille d’idées même si aucun pays ne prétend avoir la solution aux tensions du marché du travail. 1267
Les ZUS en détail
Bernadette MALGORN, Claude BREVAN, Philippe CHOFFEL, Observatoire national des zones urbaines sensibles, Rapport 2004, Délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain, 194 avenue du Président Wilson, 93200 Saint-Denis. Novembre 2004.252 p. www.ville.gouv.fr
6Le premier rapport d’un observatoire est fondateur. Il dresse un état des lieux, rappelle les dynamiques anciennes, brosse le tableau des connaissances acquises et des manques. Le premier rapport de l’Observatoire national des zones sensibles est conforme à ces attentes. Apparues en 1995, dans la loi d’orientation pour l’aménagement du territoire, les zones sensibles, au nombre de 751, infléchissent et étendent une politique d’intervention sur les territoires, principalement en milieu urbain, politique au carrefour de l’aménagement du territoire et de l’action sociale. Une première partie présente les données de cadrage disponibles sur ces territoires qui échappent aux découpages administratifs usuels. Les auteurs montrent que les nuisances, bruit et pollution, et l’exposition aux risques environnementaux sont particulièrement fortes et contribuent au renforcement des marquages sociaux dans ces espaces. Au-delà de cet apport d’informations, le rapport de l’Observatoire s’arrête sur les enjeux de formation, sur la santé des enfants, la sécurité quotidienne, le chômage et l’emploi ainsi que sur les conditions de logement. Le danger de tout observatoire est de ne produire de l’observation que sur l’objet observé et, par conséquent, de faire apparaître les ZUS comme des territoires en dehors de la totalité du tissu urbain. Les concepteurs de ce rapport évitent le piège en prenant la précaution de resituer ces ZUS dans la diversité des territoires français. 1268
Crise du logement-bis
Christophe ROBERT, Patrick DOUTRELIGNE, René BALLAIN, Danièle DEFERT, L’état du mal logement en France, rapport annuel 2005, Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés, 3-5 rue de Romainville, 75019 Paris, Janvier 2005. 251 p. www.fondation-abbe-pierre.fr
7Il y a ces enfants qui grandissent chez leurs parents, ces femmes avec enfants qui retournent dans la famille après une rupture conjugale, ces familles venues de province et qui, faute de trouver un logement, s’entassent avec des proches, ces adultes encore jeunes qui vivent chez les copains. L’hébergement contraint est devenu une variable statistique pour appréhender ces situations qui sont tantôt un mode d’accès à la ville, tantôt une solution transitoire avant l’accès au logement ou tantôt un recours en cas d’expulsion ou de risque d’expulsion. Ce qui n’était souvent qu’une solution transitoire, parfois sympathique, parfois chaotique est devenue un véritable problème face à la montée du coût des loyers et à l’impossibilité d’accès au logement pour des personnes ou des ménages à revenus précaires. La Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés choisit dans son dixième rapport de traiter la crise du logement sous l’angle de l’hébergement contraint. Ne nous y trompons pas cependant, la véritable cible est bien la question globale du logement avec une sévère critique de l’efficacité sociale de la politique de renouvellement urbain et en exprimant un doute sur la possibilité de mener à bien le programme du plan de cohésion sociale en raison des tensions sur les terrains disponibles. 1269
Sortir de la rue
Haut comité pour le logement des personnes défavorisées., L’hébergement d’urgence : un devoir d’assistance à personnes en danger, Dixième rapport du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées. HCLPD, 38 rue Liancourt, 75014 Paris, Décembre 2004, 107 p. + annexes
8Les maisons-relais sont-elles des CHRS ? L’hébergement d’insertion relève-t-il de l’urgence ? Peut-on faire figurer les hôtels sociaux dans les plans départementaux pour le logement des plus démunis, mais dans ce cas doivent-ils aussi être inclus dans les schémas de l’accueil de l’hébergement et de l’insertion ? Jusqu’au milieu des années quatre-vingt, le CHRS constituait le cadre unique de l’hébergement social. Depuis, le dispositif s’est complexifié, s’est développé, et a perdu de sa lisibilité d’origine. Le dixième rapport du Haut comité constitue d’abord une claire remise à plat de l’ensemble du dispositif de l’hébergement d’urgence. Mais de façon nettement plus politique, les auteurs du rapport notent que la plus grande partie de ce développement n’assure qu’une mise à l’abri et qu’il n’est pas adapté à la grande exclusion. Par ailleurs, le fonctionnement de ce dispositif s’est trouvé fortement mis à l’épreuve ces toutes dernières années par la croissance de la demande d’asile. Enfin, les blocages de l’accès au logement finissent par engorger complètement l’hébergement d’urgence. Parmi les propositions du Haut comité, on rappellera l’opposabilité du droit au logement. 1270
Le volet logement de la LCE
Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction, DGUHC. La mise en œuvre du droit au logement et des dispositifs de la loi contre les exclusions, Rapport au conseil national de l’habitat 1999-2002.Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction, Arche Sud, 92055 La Défense. www.logement.gouv.fr nov. 2004. 106 p.
9Il y a trois lectures de ce rapport sur la mise en œuvre dans le domaine du logement de la loi de lutte contre les exclusions de 1998. La première présente le bilan de l’action de l’État et des collectivités territoriales. On y apprend que la grande majorité des départements disposent maintenant d’un plan et que les deux tiers d’entre eux ont constitué une instance locale chargée d’identifier les besoins. L’action des FSL est solidement argumentée. On y découvre le rôle accru des associations dans la mise en œuvre du droit au logement. Qu’il s’agisse de l’hébergement d’urgence, des missions de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale, des résidences sociales ou de l’accueil et de l’habitat des gens du voyage, le rapport met l’accent sur la réalité de l’avancement des politiques. La seconde manière de lire ce rapport est de s’interroger sur les limites et les dysfonctionnements du dispositif et de regarder, en particulier, le doublement du nombre d’interventions de la force publique entre 1997 et 2003 en matière d’expulsions, ou bien encore toutes ces petites phrases qui expliquent que telle ou telle mesure n’a pu être mise en œuvre, faute de terrains disponibles, faute de collaborations des uns ou des autres. La troisième manière consiste à lire ce rapport en ayant présent à l’esprit les deux rapports de la Fondation Abbé-Pierre et du Haut comité. On se dit alors que le décalage est grand entre les politiques et les tensions sur le marché du logement. 1271