CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Offres avantageuses de crédits ? Spéculation ? Spirale auto-entretenue ? Les prix de l’immobilier s’envolent laissant en dehors du marché les catégories modestes pour lesquelles le choix du lieu de vie est rendu problématique, malgré les aides. Quelles sont les causes de cet emballement ?

2Depuis plusieurs années déjà, l’immobilier résidentiel affiche une bonne santé insolente : les taux de croissance qui se mesurent tant pour la construction de logements que pour la production de crédits immobiliers aux ménages, par exemple, donnent le vertige. Mais le dérapage des prix de l’immobilier qui accompagne ces évolutions fait peser un risque sur la conjoncture du secteur. Et surtout il renforce, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les difficultés d’accès à un logement convenable des ménages à revenus modestes voire moyens.

Une explosion des prix

3Les rythmes constatés (voir tableau) sont en effet sans aucun rapport avec les évolutions des principes fondamentaux de l’économie réelle : qu’il s’agisse de la croissance économique en petite forme depuis plus de deux années ou simplement des revenus des ménages qui n’augmentent que timidement depuis deux ans.

4Les causes d’un tel emballement sont évidemment des conditions de crédit (niveau des taux, durée des prêts accordés, diversité de l’offre et des produits...) remarquables. Le marché de l’ancien s’est alors progressivement adapté à la montée des prix, intégrant pleinement la stratégie des ménages les plus aisés qui ont fait que la hausse des prix peut maintenant paraître “auto-entretenue” : ces ménages souhaitent revendre afin d’acheter plus spacieux, de meilleure qualité, mieux localisé ; l’état du marché les y encourage (bonne activité et prix orientés à la hausse) et comme ils vont payer le nouveau bien plus cher que l’ancien, ils vont chercher à vendre au meilleur prix (pour eux, bien entendu) ; tant que les conditions de crédit restent celles d’aujourd’hui, leur calcul économique est fondé (par exemple, les taux d’effort qu’ils supportent in fine ne peuvent que les encourager dans leur démarche).

Tableau 1

Des évolutions rapides

Tableau 1
Progression des prix France entière (en %) Au cours des 12 derniers mois Au cours des 3 dernières années Au cours des 6 dernières années Prix des appartements neufs (au m2, source : NEXITY) + 11,2 + 29,7 + 58,5 Prix des logements anciens (au m2, source : FNAIM) + 15,5 + 47,7 +87,9 Revenu disponible des ménages (source : INSEE) 3,2 10,1 24,8 Chiffres décembre 2004

Des évolutions rapides

5Mais il est clair qu’à avoir trop tardé à prendre en compte les conséquences que la hausse des prix a pu imprimer sur le fonctionnement des marchés immobiliers, les pouvoirs publics paraissent aujourd’hui désemparés : comment, par exemple, peut-on imaginer inciter les ménages modestes à primo-accéder ?

6Aussi est-il plaisant maintenant d’expliquer cette situation par référence à la trop fameuse bulle immobilière, expression du comportement des ménages qui spéculent sur l’avenir et escomptent réaliser de confortables plus-values en faisant monter les prix bien au-delà du raisonnable. En un mot, la hausse des prix de l’immobilier ancien ne pouvait donc être ni prévue ni maîtrisée et les autorités monétaires ne pouvaient que la constater.

7En réalité, tous les travaux qui ont été réalisés suivant le protocole de recherche mis au point par les économistes depuis quinze ans infirme déjà l’hypothèse de bulle.

8C’est le cas, par exemple, des tests conduits sur données agrégées par le service des études économiques de la Caisse des dépôts et consignations en février 2004 ou par les économistes de la Société générale en juin dernier.

9C’est aussi le cas des tests réalisés plus récemment [1] sur des données désagrégées (comme il convient de le pratiquer, en théorie) pour des villes telles que Lyon, Marseille ou Paris : ils confirment l’absence de bulle pour chacune des villes et ils établissent que l’amélioration des conditions de crédit (baisse des taux d’intérêt et allongement de la durée des prêts) se trouve à l’origine de la hausse des prix.

Quel est le risque ?

10Le caractère préoccupant de la hausse des prix ne tient pas alors, comme cela est trop souvent souligné, au risque d’un blocage dramatique des marchés qu’elle ferait courir. Alors que les prix ont doublé en sept ans, l’activité n’a guère souffert. Certes, on peut toujours évoquer les témoignages de professionnels qui estiment que la clientèle hésite et affiche des signes de découragement...

11En revanche, si les taux d’intérêt remontaient fortement, le niveau actuel des prix deviendrait brutalement insupportable pour une part importante de la demande : mais la probabilité d’une telle évolution est aujourd’hui négligeable. Alors, le risque ne serait-il pas que les établissements de crédit durcissent brutalement leurs conditions d’octroi des prêts (en resserrant leurs exigences en matière d’apport personnel, par exemple) estimant que le niveau atteint par les prix fragilise désormais leurs engagements dans le secteur de l’immobilier résidentiel ?

12Mais là encore, et sauf peut-être pour ceux qui ont agité le spectre de la bulle avouant leur impuissance à maîtriser les tendances à l’excès des marchés, le risque semble limité : le crédit immobilier est un bon risque dont le niveau a formidablement baissé au cours des dernières années et la mise en œuvre des nouveaux ratios définis par les autorités monétaires européennes en matière d’octroi de crédit avantage largement le secteur. Bien sûr, à l’horizon de dix-huit à vingt-quatre mois tout est possible, mais pour l’heure le risque semble ailleurs.

13Le véritable risque, c’est en effet beaucoup plus celui du renforcement des mécanismes de ségrégation et d’exclusion qui sont à l’œuvre derrière cette progression des prix de l’immobilier résidentiel. Tout se passe “comme si”, afin de préserver les espaces qu’ils se sont constitués, les ménages acceptaient de payer un ticket d’entrée sur chacun des marchés qu’ils convoitent : plus le prix payé est élevé, moins le risque de devoir côtoyer des populations indésirables est fort !

14C’est la fameuse “théorie des clubs” à laquelle les économistes se réfèrent plus ou moins implicitement depuis une trentaine d’années lorsqu’ils analysent la formation des exclusions dans le secteur du logement [2]. Ce que certains semblent redécouvrir : le marché est naturellement producteur d’exclusion et la demande en est demanderesse ! Alors, elle paye afin d’obtenir ce qu’elle souhaite et ceux qui ne peuvent suivre vont habiter ailleurs...

15La nouveauté, dans ces conditions, est l’ampleur et la durée d’expression des mécanismes d’exclusion et de ségrégation à l’œuvre : à la fin des années quatre-vingt, cela avait duré trois années, voire quatre années au plus. Cette fois, cela dure depuis bientôt sept ans et la situation créée est sans commune mesure avec tout ce qui avait pu être observé par le passé. Mais il est vrai que, dans l’histoire des cycles immobiliers, c’est la première fois que le marché des crédits immobiliers aux particuliers n’est plus régulé par une autorité centrale compétente et qu’il a largement accompagné (déterminé ?) ces évolutions.

16Quelle que soit l’issue des prochains mois, la question de l’absence de connexion durable entre les valeurs et la solvabilité directe de la demande doit être posée. Cela devrait souligner la nécessité de rétablir, à l’avenir, des mécanismes de régulation des marchés dont la plupart ont aujourd’hui totalement disparu : l’absence de prix plafond dans la construction aidée [3] et dans la foulée la généralisation des procédures en VEFA (vente en état futur d’achèvement, c’est-à-dire, vente sur plan) ont par exemple fait perdre au marché toute référence, hormis bien sûr celle de la connaissance des revenus des clientèles [4].

17Sauf à accepter bien sûr que les dispositifs d’aide au logement ne deviennent totalement inopérants et se transforment définitivement en accessoires des politiques sociales. ■

Notes

  • [1]
    Michel Mouillart et Nicolas Thouvenin, “Bulle immobilière : spéculation ou réalité ?”, L’observateur de l’immobilier, octobre 2004.
  • [2]
    Michel Mouillart, “Logement et exclusions”, postface de Louis Besson, éditions de l’ACMIL, 1998.
  • [3]
    Tant en accession que dans le secteur locatif social et intermédiaire.
  • [4]
    Et à cet égard, le marché est d’un comportement simple : il sert les ménages dans l’ordre de leur solvabilité directe, renforçant au passage des mécanismes d’exclusion déjà puissants sans cela. Il est vrai que les marges sont directement proportionnelles aux revenus des clientèles servies.
Français

Résumé

Le dérapage des prix de l’immobilier renforce, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les difficultés d’accès à un logement convenable des ménages à revenus modestes voire moyens. Conséquence directe des conditions de crédit proposées aux candidats à la réalisation d’un projet immobilier, il renforce la nécessité de rétablir, à l’avenir, des mécanismes de régulation des marchés.

Michel Mouillart
Professeur d’économie à l’université de Paris X-Nanterre, administrateur de l’Office HLM de Nanterre, conseiller du président du Réseau Habitat et Francophonie
(www.habitatfrancophonie.org)
Dernier ouvrage paru : L’état du mal logement en France, 10e rapport de la Fondation Abbé-Pierre, 2005, en collaboration avec René Ballain et Patrick Doutreligne.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2008
https://doi.org/10.3917/inso.123.0014
Pour citer cet article
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