Emmanuelle Maunaye, “Quitter sa famille d’origine” in Catherine Pugeault-Cicchelli, Vincenzo Cichelli, Tariq Ragi, Ce que nous savons des jeunes, Paris, PUF, 2004
1Les recherches sur la jeunesse ont fait apparaître des processus inédits. La jeunesse était autrefois une étape brève et synchronisée où l’on passait d’une série d’états marqués par la dépendance (parents, foyer domestique, école) à une série d’autres (couple, habitat autonome, emploi). Cet âge de la vie est désormais connu comme une période qui s’allonge à 25 ans et au-delà, et surtout qui se désynchronise. Les différents passages ne sont pas simultanés et ne sont pas définitifs. Pourtant, jusqu’à présent, ces incertitudes statutaires étaient interprétées en terme de période moratoire, de temps social suspendu, où les jeunes, définis de façon négative, n’étaient ni des adolescents ni des adultes.
2En ce qui concerne le départ du logement parental ou décohabitation, des recherches menées des deux côtés de l’Atlantique présentent un tableau contrasté des pratiques juvéniles. Ainsi aux États-Unis, on note une période d’expérimentation intermédiaire marquée par des essais de vie indépendante en colocation, en solitaire ou en institution. Les départs se font entre 18 ans et 23 ans, plus précoces pour les filles que pour les garçons, dont les causes sont la poursuite des études, le service militaire ou l’obtention d’un emploi. La structure familiale n’est pas indifférente puisque l’on constate que les départs sont plus précoces dans les familles “non intactes” (monoparentales, recomposées, etc.). En revanche, les chercheurs américains mentionnent les “boomerang kids” qui, à la suite d’accidents de parcours, recohabitent au sein de leur famille.
3En France, les difficultés d’insertion professionnelle et le coût de l’accès au logement ont montré leur influence pour expliquer une décohabitation tardive. Là aussi cependant, la structure familiale n’est pas sans effet : plus la fratrie est importante et plus l’âge au départ baisse, et les cadets partent plus tôt que leurs aînés. Comme aux États-Unis, les jeunes partent plutôt de familles monoparentales. Dans les foyers qui connaissent le chômage des parents, les jeunes, et en particulier les garçons, restent plus longtemps, sauf si ces derniers connaissent également le chômage. Quelles que soient les situations, les filles sont en général moins captives.
4Des recherches récentes ont introduit une interprétation renouvelée de cette période de vie juvénile en insistant plus sur le sens donné par les acteurs à ces événements que sont la cohabitation et la décohabitation. Il ne faut pas toujours les lire comme le résultat de nécessités économiques ou de désaccords intergénérationnels mais aussi dans la perspective de la conquête de l’autonomie. Dans cette perspective, le critère de l’habitat est moins déterminant que les façons d’habiter. On peut être indépendant en famille en aménageant l’espace et l’on peut rester proche entre générations sans habiter sous le même toit.