CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Bérénice. Classiques Hachette.

2Les héroïnes raciniennes sont femmes de caractère. Et Bérénice n’échappe pas à la règle. La pugnacité que montre Racine dans la préface qu’il dédicace à Colbert témoigne de la virulence des critiques que souleva la pièce. Il défend la thèse d’une tragédie dépourvue de sang et de violence, capable de séduire grâce à une “tristesse majestueuse” et de susciter chez le spectateur “le plaisir de pleurer et de s’attendrir”. Point de sang certes : Bérénice ne se tue pas comme Didon quand Enée l’abandonne au rivage de Carthage. Et la violence n’est autre que la tourmente des sentiments qui ravagent les héros. Ils sont trois : Titus que la mort de son père Vespasien vient de faire empereur de Rome, Antiochus, roi de Comagène, Bérénice, reine de la Palestine que Titus vient de conquérir. Les deux hommes aiment Bérénice, qui, elle, ne brûle d’amour que pour le maître de Rome. Le ressort de l’action réside dans l’affrontement entre la passion amoureuse et la raison d’État. La tradition romaine ne peut accepter le mariage de l’empereur avec une princesse étrangère : interdit politique lié au souvenir des amours de Cléopâtre avec César puis Antoine. Titus se débat dans un douloureux dilemme : sacrifier le pouvoir dont il vient d’être investi et fouler aux pieds de ce fait la majesté de Rome, ou bien trahir la promesse faite à la reine depuis cinq ans, reine dont il proclame à longueur de scènes qu’il lui porte un attachement sans réserve. Les hésitations rythment la pièce, sa fermeté vacille. Incapable d’avouer une rupture inévitable, il charge son rival de délivrer à la reine le funeste message. Puis il se ressaisit. Tout aussi torturé, Antiochus ne se heurte pas de plein fouet à un obstacle politique. C’est avec lui seul qu’il doit négocier, avec son impuissance à dompter son amour. Il subit son destin, non sans noblesse d’ailleurs. Face à ces deux hommes déchirés, Bérénice défend avec vigueur la cause de son amour : elle refuse de se plier au diktat impérial, gémit lorsqu’elle se croit abandonnée, tente de fléchir son amant, trouve les accents d’une parfaite modernité pour traduire la cruauté de l’absence et de manque dans l’espace et le temps :

3

“Seigneur que tant de mers me séparent de vous...
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous ?”

4Elle clame la pureté d’une passion qui ne doit rien à l’appât de l’ambition, cède au chantage affectif (les trois héros évoquent d’ailleurs sur un mode un peu rhétorique la tentation d’un suicide !). Mais en fin de compte, c’est Bérénice qui dénouera l’écheveau de l’intrigue. Elle pliera, non par faiblesse ou résignation mais par une noble acceptation d’un devoir civique qui l’écrase. Elle montrera davantage de force et de résolution, la reconnaissance la plus ferme d’un impératif qui transcende la dictature des émotions. Titus la quitte sur un “hélas” (a-t-on assez reproché ces “hélas” à Racine), et c’est elle finalement, le véritable vainqueur.

Paule Paillet
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2008
https://doi.org/10.3917/inso.122.0131
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