CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Aider à passer de la guerre ouverte au dialogue, tel est l’objectif des assistantes sociales et des médiatrices familiales chargées d’accueillir les couples en situation de rupture. La réponse sociale se complète par une médiation pour ceux qui se portent volontaires. Cette double approche, à la fois sociale et relationnelle, effectuée par des professionnels qui travaillent ensemble, permet souvent que l’enfant reste un enfant et ne soit plus vecteur du conflit de ses parents.

2La séparation d’un couple génère des bouleversements affectifs, matériels, relationnels qui conduisent les familles à solliciter le travailleur social dans différents domaines (voir encadré).

3Lors du premier contact, les principales préoccupations des personnes sont liées à l’accès aux droits : “Je me sépare, quels vont être mes droits ? Quelles démarches dois-je faire en premier ? Mon mari ou ma femme s’occupait de tout, comment vais-je m’y retrouver ?

4Nous étudions la situation de la famille au regard de tous ses droits. Ceci implique :

  • une mise à jour du dossier CAF avec ouverture de droits et évaluation des droits (demande API, ASF, ALF...) en travaillant en complémentarité avec les autres services de la CAF ;
  • une information sur les autres droits (protection sociale, CMU...) et sur les démarches à effectuer auprès de diverses administrations (CPAM, ASSEDIC...) par rapport au changement de situation (exemple : aide pour compléter le dossier d’aide juridictionnelle) ;
  • une information sur les textes juridiques et les procédures civiles : divorce, séparation, autorité parentale, demande de pension alimentaire, réflexion sur la résidence habituelle des enfants, démarches auprès du juge aux affaires familiales...
Face à l’éclatement de leur vie familiale et personnelle, les personnes arrivent démunies, perturbées, angoissées. Elles ont besoin d’être écoutées, entendues et reconnues dans leur souffrance. Ainsi, mieux informées mais avec une prise de conscience souvent difficile de la réalité, elles vont poursuivre leurs démarches ou prendre le temps de la réflexion, afin d’intégrer tous ces nouveaux éléments.

Comment faire face ?

5Lorsque la décision de séparation est prise, le cadre de vie général est modifié et surviennent alors toutes les questions liées à la vie courante (loyer, logement, emploi, garde des enfants). Notre action sera d’aider la famille à définir ses priorités, de l’orienter et la guider dans les démarches à effectuer : étude du nouveau budget, recherche de logement, de mode de garde, démarche d’insertion professionnelle...

6Nous devons aussi être à l’écoute du vécu de la séparation car assumer la charge quotidienne des enfants avec de faibles ressources génère un changement de vie important qui affecte tous les membres de la famille et peut amener la nouvelle cellule familiale à se replier sur elle-même.

7Un temps d’écoute important est nécessaire pour la prise en compte de la souffrance de la personne qui se sépare.

Le maintien du lien social

8Au-delà de l’accompagnement individuel et pour lutter contre le risque d’isolement, notre service participe, en collaboration avec les équipements de quartier, à la mise en place d’actions collectives de soutien à la parentalité et ceux favorisant l’accès aux loisirs en famille.

9L’organisation de sorties familiales, de soirées conviviales ou de séjours de vacances permettent aux parents et aux enfants de vivre des temps riches d’échanges. Ces actions permettent une pause dans leur vie souvent difficile à gérer, tant sur le plan psychologique que financier. Le loisir, les vacances peuvent être utilisés comme moyens pour soutenir les familles et les aider à retisser le lien parents-enfants qui, bien souvent, a été mis à mal par la situation de séparation.

10Ainsi, un cadre extérieur va faciliter les relations parents-enfants et, parfois, restaurer l’image du parent aux yeux de l’enfant : “J’ai pu offrir des vacances à mes enfants” ; “J’ai tout oublié pendant ce séjour !

11Par ailleurs, nous proposons aux parents qui le souhaitent de participer à des groupes d’échange et d’écoute, ouverts à tous, chaque semaine : les lieux d’accueil offrent aux parents la possibilité de partager leurs expériences, leurs préoccupations, de confronter leurs idées et trouver un soutien mutuel dans un climat convivial et de non-jugement. La présence de professionnels garantit un cadre sécurisant pour permettre l’expression de chacun dans le respect de la parole de l’autre et de la confidentialité. Ces groupes facilitent la reprise de confiance en soi et un mieux-être qui relance ainsi une dynamique personnelle, sociale et citoyenne.

12Que ce soit dans l’accueil individuel ou dans un cadre collectif, la place de l’autre parent est très souvent évoquée. Dans les moments de crise, de conflit, c’est souvent l’agressivité, la colère, la rancœur qui sont exprimées en premier par le membre du couple que l’on reçoit. L’aide que peut apporter le travailleur social est d’amener le parent à prendre conscience du besoin qu’a l’enfant de ses deux parents, qu’il continue d’aimer, sans être pris dans un conflit de loyauté. C’est la raison pour laquelle nous proposons une orientation des situations conflictuelles vers nos collègues médiatrices familiales. En effet, l’intervention d’un tiers peut permettre d’apaiser les tensions et de renouer le dialogue entre les parents.

Un professionnel du dialogue : le médiateur familial

13La médiation familiale permet de passer de la guerre ouverte au dialogue. Cette approche professionnelle intervient dans un contexte de conflit, de rupture des liens familiaux et d’incompréhension mutuelle avec au centre l’enfant qui se trouve parfois être l’enjeu de règlement de compte des adultes. Malgré la rupture du couple, les père et mère restent néanmoins parents et sont censés se côtoyer et contribuer ensemble à l’avenir de leur enfant.

14En fait, toute rupture familiale implique une reconstruction des liens familiaux, des rôles parentaux dans une situation nouvelle de séparation. La médiation familiale crée l’espace approprié pour sauvegarder ces liens, celui de l’enfant avec ses deux parents, celui du lien entre le père et la mère au-delà de la fin de la conjugalité. Dans cet espace, avec l’aide du médiateur, les parents essayent de “remettre de l’ordre dans le désordre” puisque la rupture demande à chacun de réorganiser son rôle et de trouver sa place.

15Nous travaillons auprès des personnes en faveur de la relation plutôt que de la rupture. Nous ne pouvons pas œuvrer sans les deux parents, nous sommes au cœur du dialogue pour faire émerger la parole, faire évoluer le conflit vers des accords.

16La position de tiers du médiateur est déterminante afin de permettre aux parents de rester décideurs et de devenir créateurs de changement. Le médiateur facilite l’échange entre les parents, essaie de les amener vers un changement de regard, à aborder sous l’angle d’aptitude et de complémentarité ce qu’ils exprimaient au départ en termes de faute, de rivalité, de reproche.

17Le médiateur familial travaille avec les personnes sur ce qui fait conflit et tente de le faire évoluer vers des propositions négociables. Le rôle pris par chacun se clarifie et des solutions concrètes, pratiques sont envisageables.

18Ainsi, Madame H nous a sollicités en médiation. Florian, le fils de 6 ans, a un comportement qui inquiète : il pleure souvent, dit des mensonges, ne souhaite plus se rendre chez son père. En fait, il s’avère rapidement qu’il existe un conflit entre la belle-mère de Florian et elle-même. La maman souhaite en discuter : “Elle essaie de me prendre mon fils... Elle a signé le carnet de notes et accompagne des sorties scolaires, ce n’est pas son rôle !

19En médiation, les parents de Florian ont pu clarifier ce qui relevait du rôle de chacun, celui du père, de la mère, de la belle-mère. Ils se sont mis d’accord sur le fait que la nouvelle épouse de Monsieur H avait une place importante auprès de Florian, qu’elle pouvait l’aider dans ses devoirs mais que les rendez-vous, les contacts avec l’école étaient du ressort des parents.

20Le père a pu dire qu’il souhaitait se réinvestir dans son rôle à travers le suivi scolaire, la pratique d’un sport commun avec son fils. À l’issue de la médiation, les parents de Florian ont décidé de se rencontrer une fois par mois pour faire le point sur leur fils, pour réajuster leurs positions et leurs décisions le concernant.

21Plusieurs entretiens ont été nécessaires pour aboutir à cet accord, chacun craignant de perdre sa place auprès de Florian. Il fallait également dépasser les enjeux conjugaux, faire en sorte que chacun soit reconnu dans le rôle qu’il occupe auprès de Florian. Celui-ci peut désormais vivre des relations apaisées avec ses parents.

22Notre objectif est que deux parents se parlent sans passer par le médiateur. Citons pour exemple le cas de ces parents en désaccord qui n’étaient plus en capacité de se confier, à chaque visite, les vêtements nécessaires à leur enfant. Peu à peu, grâce à la reprise de contact lors des entretiens de médiation, ils ont amélioré ce transfert. La première fois, le trousseau a été remis dans l’espace et le temps de médiation. Dans un deuxième temps, cela s’est effectué après l’entretien de médiation sur le parking, enfin, lors du départ ou de l’arrivée de l’enfant d’une maison à l’autre.

23En fin de médiation, après une séance consacrée à la réflexion sur la contribution éducative et financière, les parents ont décidé de créer un vestiaire commun et, à l’avenir, de se consulter pour les achats, afin d’éviter les “doublons”. En reprenant confiance en eux et en l’autre, ils ont pu s’attacher aux besoins de l’enfant, en fonction de leur budget. Cette décision de parent permet également à l’enfant de vivre librement le passage d’un parent à l’autre sans culpabilité et sans stress car il n’est plus un enjeu financier.

Au service des familles

Le service social de la Caisse d’allocations familiales de Roanne a défini, dans les domaines de la famille et du logement, ses missions au regard des orientations d’action sociale de la CNAF. Dans le cadre de l’accompagnement des familles fragilisées, quatre assistantes sociales du service accueillent les allocataires en situation d’isolement ou de rupture familiale : séparation, veuvage, incarcération, célibataire avec ou dans l’attente d’un enfant.
Les personnes sont orientées soit :
  • par les services internes de la CAF (orientation par les techniciens-conseils de l’accueil, les contrôleurs ou le service prestations) ;
  • par des partenaires externes ;
  • ou par l’envoi des lettres de mise à disposition, suite à un changement de situation familiale enregistré sur le dossier de l’allocataire.
Sont reçues également des personnes qui demandent spontanément une intervention.

24Le rôle du médiateur sera donc d’envisager de faire passer à l’arrière-plan leur contentieux de couple pour les amener à se resituer en tant que parents responsables de leur enfant.

25Dans un premier temps, c’est dans l’écoute réciproque, favorisant l’expression des émotions et des sentiments, qu’une possibilité de dialogue et d’apaisement peut être rétablie. Dans un deuxième temps, c’est en soutenant l’échange, en donnant du sens au conflit, en permettant à chacun d’avancer sa version des faits tout en reconnaissant le même droit à l’interlocuteur, que le médiateur permet à la personne de rester créative et de trouver des solutions acceptables pour tous.

Évaluer le chemin accompli

26Parfois, au moment où le processus de médiation s’achève, les parents nous font part de leurs constats. Ils évaluent le chemin accompli grâce au cadre sécurisant, au non-jugement du médiateur, à sa neutralité, à la liberté de parole. Ils constatent la capacité retrouvée à respecter l’autre, de reconnaître sa complémentarité. “Jamais je n’avais pu lui dire cela auparavant”, nous disent-ils souvent.

27En guise de conclusion, nous pouvons dire que la médiation familiale a été effective lorsque les parents arrivent à des accords, des solutions communes dans l’intérêt de tous et particulièrement de l’enfant ; qu’elle est aboutie lorsque les personnes ont réussi à franchir des étapes, à évoluer dans l’estime de soi et de l’autre parent et qu’ils s’engagent ensemble dans la coparentalité.

28Il semble paradoxal de parler de maintien du lien lors d’une rupture ; cependant, l’enfant doit avoir l’assurance que ses deux parents l’aimeront encore et lui apporteront l’éducation et les soins qu’ils s’étaient engagés à lui assurer lors de sa naissance. C’est un temps que se donnent les parents, de l’union vers la séparation, pour mieux comprendre ce qui les sépare et ce qui les lie encore. La parole du médiateur est une parole pour se séparer sans séparer : c’est-à-dire pour permettre à chacun de s’individualiser (exister et reconnaître l’autre) tout en privilégiant le lien, un lien de qualité. ■

Français

Résumé

La CAF de Roanne a organisé un accueil spécifique pour les familles fragilisées. Les travailleurs sociaux chargés de l’accueil aident la famille à définir son problème et ses priorités et la guident dans ses démarches. Dans certains cas de rupture, une approche par la médiation familiale vise à sauvegarder les liens familiaux.

Bibliographie

  • Jocelyne Dahan, Se séparer sans se déchirer, Laffond, 2001.
  • Revue de l’Ecole des Parents, hors série, La médiation, n? 2-2002.
Eliana Strazzella
Franceline Lamoine
Brigitte Degoute
Assistantes sociales
Laurence Prud’homme
Chantal Ojardias
Médiatrices familiales
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2008
https://doi.org/10.3917/inso.122.0122
Pour citer cet article
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