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Erving Goffman, L’arrangement des sexes, Paris, La Dispute, 2002

1Erving Goffman a consacré un de ses derniers textes à l’évocation des rapports de genre et, plus précisément, aux conditions sociales qui les produisent. L’arrangement entre les sexes désigne les agencements ritualisés entre les personnes en fonction de leurs classes sexuelles. Ce qui revient à étudier les relations entre hommes et femmes non pas à partir d’une grille biologique mais à partir d’une grille sociologique. Cette idée est illustrée par la référence à cinq thèmes : la division du travail, la socialisation des frères et sœurs, l’aménagement et les pratiques des toilettes, la sélection à l’embauche en fonction de l’apparence et l’identification des genres par le langage.

2La croyance est un élément important de différenciation des arrangements de sexe, ce que Goffman montre à partir d’exemples, en apparence minuscules. Ainsi, dans la sphère institutionnelle de l’école, l’auteur se souvient d’une époque où, tout en étant en situation de mixité, les enfants étaient rangés à la fin de la récréation en rang selon le genre. Les filles rentraient en premier : cet événement banal était une façon de mettre en œuvre des principes de galanterie qui plaçaient les filles dans un état de faiblesse et de protection face aux garçons, “naturellement” forts et brutaux. L’agencement spécifique est ici un alignement.

3Dans la sphère domestique, les frères et sœurs, quelle que soit leur classe sociale d’appartenance, font l’expérience d’une socialisation différenciée. “Chaque sexe devient un dispositif de formation pour l’autre”, précise Goffman et ce, dès le plus jeune âge et dans la diversité et la répétition de la vie quotidienne. Plus généralement, les filles et les femmes d’une famille se trouvent dans une situation équivoque : elles font face à une corporation d’hommes (mari, père et frère) tout en devant participer à une “coalition contre le reste du monde”, en intériorisant une complémentarité qui tourne à leur désavantage.

4L’exemple des toilettes est aussi trivial qu’éclairant pour décrire ces processus de mise à part des femmes. Dans les entreprises et les espaces publics, les toilettes sexuées constituent une enclave où les femmes vont passer relativement plus de temps que les hommes. Ainsi, ce qui semble répondre à une exigence de la différence des sexes est, en fait, un élément de production de cette différence.

5Ce qui intéresse l’auteur, notamment à partir des comportements de séduction et de galanterie, c’est la “stylisation” des rapports de genre, c’est-à-dire la façon dont ces relations se réfèrent à des modèles où chaque sexe joue son rôle. Ainsi entre un employeur plus âgé et sa jeune secrétaire c’est le mode avunculaire (d’oncle à nièce) qui va régler les relations autorisant, par exemple, l’homme à faire part de questions familiales voire intimes, sans déchoir, mais aussi à aider à soulever une très lourde machine à écrire, pour bien montrer qui est le plus fort.

6Cette situation de coprésence entre les sexes se lit jusque dans le projet éditorial de l’édition française puisque le texte de Goffman est préfacé par une sociologue, qui écrit, à vingt-cinq ans de distance, une préface intitulée “... en contrepoint - Ensemble et séparés”.

Alain Vulbeau
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2008
https://doi.org/10.3917/inso.122.0011
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