1 Au tournant du XXe siècle, à Paris comme dans les autres métropoles occidentales d’alors, le monde de la charité était constitué d’un ensemble d’institutions en pleine expansion, qui poursuivaient des causes très diverses et mobilisaient un grand nombre et une grande variété de personnes [1] . Ce monde est encore mal connu. Si on laisse de côté la littérature hagiographique, abondante et du plus grand intérêt comme genre, l’historiographie de la philanthropie, charité ou bienfaisance parisienne est relativement récente – cette terminologie étant elle-même en débat. Il est exceptionnel qu’une étude historienne ait pour ambition d’embrasser l’ensemble des institutions et des acteurs, comme l’a fait Catherine Duprat pour le premier XIXe siècle ou Jacques-Olivier Boudon pour les œuvres catholiques sous le Second Empire [2]. Les approches sectorielles sont moins rares, car les œuvres charitables sont souvent regardées désormais comme les « précurseurs » d’institutions ou professions qui se développèrent plus tard [3]. De précieuses monographies ont commencé à voir le jour, centrées sur une œuvre ou un personnage important [4], sur le rôle des congrégations féminines [5], sur la laïcisation de l’assistance à Paris [6]. Le rôle de l’action charitable dans l’émancipation des femmes d’œuvres a été souligné [7] et Françoise Battagliola a mis en évidence la porosité entre la charité féminine et les mouvements de réforme sociale [8].
2 Ces travaux récents ont toutefois laissé de côté la tâche de proposer, du monde charitable parisien, une vue d’ensemble. Nous nous y essayons ici en utilisant des outils qui permettent de formaliser de très vastes espaces sociaux et institutionnels sans jamais perdre de vue les éléments individuels qui les composent. En combinant les approches macro-sociale et micro-sociale et en jouant sur plusieurs échelles d’analyse, on peut tenter de décrire globalement le monde charitable parisien sans pour autant négliger sa complexité.
3 Nous allons donc dresser une carte de ce monde en explorant successivement ses différentes régions, qui seront caractérisées à la fois, par les types d’œuvres et par les positions et trajectoires sociales de leurs dirigeants et grands donateurs. Après avoir décrit les réseaux confessionnels, aussi bien celui de l’archevêché que ceux des confessions minoritaires (section 2), nous nous attacherons aux œuvres « neutres » qui formaient deux types de réseaux notabiliaires : d’une part celui des notables de la réforme sociale, d’autre part celui des grandes œuvres semi-officielles, nées au cours des régimes déchus (section 3). Nous décrirons ensuite les réseaux que caractérisait leur penchant républicain (section 4) et serons alors en mesure d’examiner dans quelle mesure ces différents espaces formaient ou non un seul monde charitable, ce qui reviendra à identifier et étudier les personnes et institutions qui constituaient des ponts entre des « camps », généralement considérés par l’histoire politique comme irréconciliables (section 5). Mais il nous faut auparavant nous arrêter un instant sur les méthodes de cette étude (section 1).
Les graphes des réseaux charitables : des artefacts pleins de sens
4 Un des principaux instruments d’analyse que nous allons utiliser dans cet article est le graphe de réseaux – il a servi à explorer le monde qui nous intéresse, il permettra aussi d’exposer nos résultats. Les graphes utiles pour notre étude sont de deux sortes. Les graphes bimodaux comportent deux types de sommets, des individus et des institutions, les liens qui figurent sur le graphe exprimant le fait qu’un individu donné est affilié à une institution donnée. Les graphes unimodaux, ceux que nous privilégierons ici, ne font pas figurer les institutions : un lien entre deux individus exprime le fait qu’ils sont affiliés à (au moins) une même institution. Ces représentations permettent de poser des questions fondées empiriquement auxquelles l’analyse s’efforcera de répondre, mais il importe d’abord d’en préciser la nature : il s’agit d’artefacts, au sens où ils procèdent d’une double opération de construction de la réalité représentée.
5 La première est celle réalisée par les compilateurs des répertoires qui constituent nos sources, deux groupes qui, chacun à sa manière, entendaient « représenter » la charité parisienne : les hommes de l’Office central des œuvres de bienfaisance (OCOB), réformateurs qui se réclamaient de la doctrine de la charité scientifique anglaise et, d’autre part, les catholiques intransigeants qui publiaient le Manuel des œuvres [9]. Ces gens non seulement fixaient le périmètre de ce qu’étaient, à leurs yeux, les œuvres charitables, mais ils sélectionnaient aussi les personnes qu’ils citaient à propos de chaque œuvre : les fondateurs ou donateurs, les présidents, secrétaires, trésoriers ou directeurs, c’est-à-dire aussi bien ceux qui procuraient patronage et protection qu’une partie de ceux qui administraient les œuvres, généralement bénévoles, plus rarement rémunérés. Les répertoires ne mentionnent donc pas toutes les personnes engagées dans l’action charitable, loin de là : ils offrent du monde qu’ils revendiquent de représenter, une description liée à un « point de vue » spécifique. Nous pensons que celui-ci est pertinent, car il livre une sélection de ceux qui comptaient, aux yeux des compilateurs, dans la charité parisienne.
6 Pour 2 833 œuvres mentionnées dans les répertoires, on trouve 1 898 individus, la plupart d’entre eux figurant comme affiliés à une seule œuvre : cela ne signifie pas qu’ils ne s’intéressaient pas à d’autres, mais ils n’y jouaient pas de rôle dirigeant. Le monde charitable parisien apparaît donc, dans nos sources, comme extrêmement éclaté en institutions locales ou spécialisées, indépendantes les unes des autres. Il y a néanmoins un petit nombre d’individus qui relient entre elles au moins deux œuvres : ils sont au nombre de 160 – 101 hommes et 59 femmes – soit 8 % du total des noms cités [10]. Ce sont ces « pluri-affiliés » que nous considérons ici par convention comme les principaux dirigeants de la charité parisienne et pour lesquels nous avons recueilli le plus grand nombre possible d’informations biographiques [11]. C’est donc sur un modèle réduit du monde de la charité parisienne que nous travaillons.
7 La seconde construction est celle que nous avons opérée à partir des répertoires. En passant d’une succession de notices dans un ouvrage imprimé à une liste d’œuvres et de personnes mentionnées dans celui-ci et en insérant cette liste dans une base de données nominatives, nous prenons une vue d’ensemble, surplombante, qui n’était sans doute pas accessible aux compilateurs eux-mêmes. En regardant cette double liste comme formant un réseau représentable par un graphe, nous ajoutons une détermination supplémentaire : nous considérons que le fait qu’une personne a été mentionnée comme ayant une quelconque fonction ou activité en relation avec une œuvre constitue un « lien » entre cette personne et cette œuvre, et que tous ces liens peuvent être regardés comme équivalents. Pourtant, être le modeste administrateur rémunéré d’une institution, en être un grand donateur ou présider le comité des dames qui l’anime, ce n’est pas du tout la même chose. En outre, rien n’assure que les personnes qui jouaient ces fonctions collaboraient effectivement ou, même, se sont jamais rencontrées. Le « lien » de chacune à l’œuvre signifie seulement qu’elles adhéraient aux objectifs de celle-ci et acceptaient que cette adhésion, aux côtés d’autres, soit rendue publique. C’est peu, mais c’est aussi beaucoup, dans un monde bourgeois et aristocratique où le nom, la notoriété et le crédit étaient des ressources fondamentales. Si l’on admet la pertinence des liens ainsi définis, on peut construire du monde charitable une représentation globale : celle-ci fait voir des relations qui, une à une, étaient perceptibles par les acteurs, mais qui, dans leur ensemble, leur échappaient sans doute.
8 Ainsi, le réseau est une forme de modélisation qui permet de représenter de façon synthétique une quantité considérable d’informations. Elle ne dit certes pas tout de son objet, mais les aspects de celui-ci qu’elle met en évidence sont fondés empiriquement de façon très robuste.
9 Les graphes de réseau, ensemble de points reliés par des lignes et disposés sur un plan, se prêtent bien à la métaphore spatiale, qui, elle-même, invite à la cartographie. Dresser la carte du monde charitable parisien consistera à la fois à en distinguer les régions et à examiner les relations établies entre celles-ci.
10 Une première différence oppose des composantes périphériques à une composante principale du réseau, au sein de laquelle chaque personne est liée à toutes les autres – à quelques unes de façon directe, à la plupart de façon indirecte. Les composantes périphériques sont des micro-réseaux indépendants regroupant un petit nombre d’œuvres – au moins deux, par construction – liées entre elles par une ou plusieurs personnes. Notre modèle réduit du monde charitable parisien est ainsi constitué d’une composante principale qui comprend 157 œuvres et 130 personnes (soit 81 % des pluri-affiliés) et de 25 composantes périphériques qui comprennent 61 œuvres et 30 personnes.
11 La composante principale elle-même est constituée de sous-réseaux (ou clusters) au sein desquels les liens sont plus denses qu’avec le reste du réseau [12]. Leurs contours et leur topographie peuvent être calculés et serviront de guide pour notre travail interprétatif : les descriptions que nous proposerons, devront tenir compte de ces unités élémentaires dont l’ensemble forme le réseau charitable parisien. Nous utiliserons de façon lâche les termes « région », « réseau » ou « sous-réseau » pour désigner desclusters ou ensembles de clusters mitoyens qui présentent des caractéristiques pertinentes du point de vue de l’interprétation.
12 La représentation graphique du réseau, point d’appui de nos analyses, est une métaphore spatiale qu’il convient d’interpréter en termes d’histoire sociale. Les individus sont directement connectés par le fait qu’ils ont des fonctions de direction dans la même œuvre : c’est un lien fort. Ces connexions sont organisées en « régions », qui mettent en évidence des groupes d’individus fortement liés les uns aux autres, de façon directe ou indirecte : une région correspond à un ensemble d’institutions qui ont des dirigeants en commun et peuvent généralement être caractérisées en termes de domaine d’action, d’inclination confessionnelle ou politique, de génération d’entrée en réforme, parfois de genre. Ces « régions » sont les constellations élémentaires de la nébuleuse charitable. Elles sont elles-mêmes placées tantôt au centre, tantôt à la périphérie du réseau. Plus elles sont centrales, plus elles sont proches de nombreuses autres régions, c’est-à-dire connectées à celles-ci par un plus grand nombre d’individus. Il convient alors de s’interroger sur ce qui peut fonder ces proximités. Si une région est périphérique, en revanche, elle est relativement isolée dans le réseau, plus à l’écart des autres domaines d’action charitable. Certains individus, que nous identifierons à la fin de cet article, jouent un rôle particulier dans la mise en relation des milieux qui constituent ensemble le monde charitable parisien : leur « indice d’intermédiarité » est élevé, ce qui signifie que c’est par eux que sont connectées des régions charitables nombreuses ou distantes. Sans ces hommes et, surtout, ces femmes, la charité parisienne serait faite de mondes séparés les uns des autres. Nous verrons qu’il n’en est rien.
Les réseaux confessionnels
13 L’invocation de raisons religieuses de pratiquer la charité était fréquente dans le monde de la bienfaisance parisienne en 1900. La charité était aussi un terrain sur lequel les institutions confessionnelles établissaient et mesuraient leur influence. Sans doute entraient-elles rarement en concurrence directe : les confessions minoritaires – protestants et israélites – tendaient à concentrer leur action sur leurs coreligionnaires, que leur abandonnaient des œuvres catholiques surtout occupées à maintenir dans le giron de leur église les populations présumées lui appartenir. Mais les organisateurs de la charité restaient méfiants : « Nous savons tous qu’il y a des gens qui émargent au budget de toutes les œuvres, se font payer le loyer par M. de Rothschild, le pot-au-feu par le baron Schickler, le pain par le curé », pouvait-on entendre au congrès d’assistance de 1900 [13]. D’où la nécessité d’une coordination pour écarter les mauvais pauvres. Il y avait par ailleurs un nombre important d’œuvres qui se définissaient comme « neutres » car elles ne se référaient à aucune confession pour justifier leur action – mais plutôt au bien de l’humanité, à l’hygiène publique ou au patriotisme. Parfois y collaboraient des personnalités connues pour être catholiques, protestantes ou israélites : les premières avaient pris acte de la perte d’hégémonie de leur église et pris le parti de collaborer avec d’autres pour mieux rester dans le jeu, les autres affirmaient leur intégration aux pratiques communes des élites légitimes ou leur volonté de la conquérir [14]. Il arrivait aussi que certaines œuvres neutres aient adopté l’esprit « laïc » – c’est-à-dire anticlérical – qui se développait dans une partie du camp républicain et, notamment, dans l’administration parisienne de l’assistance publique.
14 La référence confessionnelle constituait ainsi un principe important de partition des mondes charitables. Un indice en est une catégorie de classement que l’on trouve dans le Manuel des œuvres – le répertoire des catholiques intransigeants : « Cultes dissidents », placée entre « Alsaciens-Lorrains » et « Étrangers » [15]. Notre analyse des répertoires peut permettre de déterminer dans quelle mesure les confessions formaient effectivement des mondes charitables séparés, à la condition que nous adoptions des critères objectifs très stricts en ce qui concerne l’assignation d’une confession aux individus. Nous avons écarté tout recours aux réputations historiographiques pour nous en tenir à des définitions strictement institutionnelles [16].
Le réseau de l’archevêché
15 La confession majoritaire est la plus difficile à saisir. Faute de pouvoir déterminer de façon sûre le caractère « catholique » des personnes ou des œuvres, nous avons défini un « réseau de l’archevêché » (figure 1) par le fait que ses membres sont liés directement, ou par l’intermédiaire d’un ou plusieurs ecclésiastiques, à Mgr Richard (1819-1908) [17]. Né dans une famille de petite noblesse nantaise, formé à Rome, coadjuteur, puis archevêque de Paris (1886), il gouverna son diocèse dans les tempêtes : déroute de la République des ducs, républicanisation des institutions, appel de Léon XIII au ralliement et, plus tard, séparation des églises et de l’État.
16 La région que nous saisissons ainsi est beaucoup plus étroite que les « œuvres catholiques », car il s’agit ici seulement de celles qui étaient directement sous l’influence de l’archevêque. Il s’agissait pour une part de sous-réseaux liés exclusivement à celui-ci et séparés du reste du monde charitable – autour de l’hôpital Notre-Dame du Bon secours, d’établissements pour aliénés, d’œuvres pour la préservation de la jeune fille ou d’œuvres prosélytes. Le plus important d’entre eux combinait des œuvres charitables historiques (Société Saint-Vincent-de-Paul, Asile-Ouvroir Gérando, Œuvre des pauvres malades, Œuvre de la mie de pain), l’Œuvre des écoles professionnelles catholiques et le Bazar de la charité [18].
17 Trois autres éléments du réseau de l’archevêché étaient de plus grande ampleur et connectés au monde extérieur [19]. D’abord, celui qui pivotait autour de la vénérable Société des amis de l’enfance (1828) et d’un orphelinat et école professionnelle de garçons tenu par les Frères des écoles chrétiennes (l’établissement Saint-Nicolas, qui éduquait près de 3 000 garçons en 1895). Cet ensemble était connecté au reste du réseau par l’entrepreneur de travaux publics Jules Goϋin (1846-1908), constructeur de chemins de fer en France et aux colonies, fondateur d’un hôpital à Clichy et intéressé aux habitations économiques.
Le réseau de l’archevêché.

Le réseau de l’archevêché.
18 Un deuxième sous-réseau était organisé autour de l’Œuvre des apprentis et jeunes ouvriers, de l’Association libre d’éducation des jeunes ouvriers, de l’hôpital Saint-Joseph et d’une série d’œuvres prosélytes. Il était ouvert sur l’extérieur par le comte d’Haussonville (1843-1924), un monarchiste résolu qui avait été chef du secrétariat particulier du duc de Broglie, son oncle, quand celui-ci fut président du Conseil (1877) et qui devint ensuite le représentant officiel de la famille d’Orléans. Ayant refusé le ralliement, il se consacrait aux œuvres réformatrices, au Comité de l’Afrique française et aux affaires (Compagnie de Suez, Chemin de fer d’Orléans).
19 Enfin, un troisième sous-ensemble combinait des œuvres officielles de l’archevêché (écoles chrétiennes libres, séminaires, Comité catholique de Paris), la Ligue populaire pour le repos du dimanche et la Société anti-esclavagiste. Un personnage-clef de cet ensemble – qui le connectait à l’archevêque – était l’abbé Osmin Gardey (1836-1914), « un de ces ‘‘grands curés’’ de Paris dont les paroisses égalent en importance un évêché » – en l’occurrence Saint-Clotilde –, « la paroisse du faubourg Saint-Germain et des premières familles de France » peut-on lire dans une notice nécrologique [20]. C’est à trois autres personnages que tenait l’ouverture de ce sous-réseau vers l’extérieur : le duc Albert de Broglie (1821-1901), qui avait conduit, lorsqu’il était président du conseil, la tentative de restauration monarchiste du 16 mai 1877 et s’était depuis retiré sur ses terres et à l’Institut ; Georges Picot, une figure centrale pour l’ensemble du réseau charitable dont nous reparlerons bientôt ; enfin Auguste prince d’Arenberg (1837-1924), un monarchiste légitimiste qui resta élu député dans son terroir du Cher jusqu’en 1902. Président de la Société philanthropique, il était engagé dans de nombreuses œuvres et sociétés.
20 Sur les 25 laïcs, hommes et femmes, qui constituent notre réseau de l’archevêché, 10 affichaient un titre de noblesse d’Ancien Régime, 3 un titre récent, 12 seulement en étaient dépourvus : hors de ce réseau, la proportion de personnes titrées tombait de 52 % à 28 % et, parmi les titres, ceux de la noblesse ancienne de 77 à 37 % [21] . Quant aux ecclésiastiques du réseau, au nombre de 10, certains étaient, comme Gardey, des collaborateurs directs de l’archevêque : l’abbé Odelin était vicaire général des œuvres diocésaines, l’abbé Roland-Gosselin en était secrétaire.
Les confessions minoritaires
21 Moins ample – 13 personnes – et nettement séparé du précédent était le réseau israélite (figure 2). Il réunissait, pour l’essentiel, les membres de trois grandes familles bourgeoises de confession juive, d’origine allemande et s’occupant de banque. Chez les Rothschild, les cinq rameaux de la fratrie de Paris étaient présents parmi les pluri-affiliés : Charlotte (1825-1899), qui avait épousé Nathaniel de la branche londonienne, Alphonse (1827-1905) et son épouse Leonora (1837-1911), Gustave (1829-1911), la veuve de Salomon, Adèle (1843-1922) et, enfin, Edmond (1845-1934). Un autre clan familial était celui qui unissait les Hirsch, Goldschmidt, Bischoffsheim et Bramberger, que, disait-on, les Rothschild tenaient pour des parvenus [22] : on trouve dans le réseau Raphaël Bischoffsheim (1828-1906) – qui dirigeait la banque Bischoffsheim et Goldschmidt fondée à Paris par son père –, son cousin germain Léopold Goldschmidt (1830-1904), époux de Regina Bischoffsheim, et Salomon Goldschmidt (1814-1898), oncle de Léopold. On trouve aussi la baronne Théodore de Hirsch, Alice-Eléonore Pilié (1846-1932), belle-sœur de Maurice de Hirsch et de son épouse Clara Bischoffsheim, sœur ainée de Regina. Les Rothschild et les Hirsch avaient reçu le titre de baron après 1815, les uns de l’empereur d’Autriche, les autres du roi de Bavière. Une troisième famille de banquiers était représentée dans le réseau par Alexandre Weill (1834-1906), cofondateur, avec ses cousins germains Lazard, de la banque Lazard frères et Cie, dont il avait pris la direction en 1880 – et par son épouse Julie Cahn (1840-1920), demi-sœur des frères Lazard. Trois autres personnages, beaucoup moins fortunés, complétaient le réseau : Léon Kahn (1851-1900), le secrétaire général du Consistoire, Mme Coralie Cahen (1832-1899), veuve du médecin en chef de la compagnie du Chemin de fer du nord, qui dirigeait une maison pour anciennes détenues et était vice-présidente de l’Association des dames françaises, et Adèle Porgès (1860-1917), épouse de l’ancien député républicain opportuniste Camille Ferdinand-Dreyfus, active, comme son mari, dans un grand nombre de sociétés réformatrices. La plupart des membres de ce réseau étaient interconnectés, tantôt par des œuvres de caractère familial, tantôt par des œuvres où les trois grandes familles collaboraient, comme le Refuge du Plessis-Piquet, fondé en 1889 pour les « garçons abandonnés de culte israélite ». Le réseau israélite s’inscrivait dans deux sous-ensembles au sein desquels se combinaient des œuvres au caractère confessionnel marqué avec de grandes œuvres neutres de tendance républicaine : l’Association des dames françaises et la Société de l’allaitement maternel [23].
Les confessions minoritaires.

Les confessions minoritaires.
22 Plus étroit encore que le réseau israélite, le réseau protestant – 8 personnes – a pour particularité de n’en être pas un, car les personnalités qui le composent, bien que liées entre elles de diverses façons, sont largement dispersées dans l’espace charitable parisien. Certaines sont situées à la périphérie de la composante principale du réseau de la charité parisienne, mais ne sont pas affiliées aux mêmes œuvres. Le baron Schickler (1835- 1909), qui avait hérité de la banque familiale à l’âge de 24 ans, se trouve répertorié comme fondateur de la Société des ateliers d’aveugles et donateur à l’Œuvre de l’hospitalité du travail, deux œuvres neutres. La baronne Henri Malet (1833-1907), fondatrice ou présidente de plusieurs œuvres protestantes (œuvres des petites familles, des enfants en danger moral, des prisons de femmes) avait aussi fondé à Ménilmontant, l’Asile des petits orphelins, présidé par le supérieur général des Lazaristes et dirigé par les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. La baronne Bartholdi (1831-1910), présidente de la Maison de convalescence protestante de Neuilly était surtout impliquée dans la Société de charité maternelle, œuvre « neutre » qui la connectait à un réseau très dense de dames d’œuvres de toutes inclinations. Ces deux femmes avaient épousé des hommes dont les titres remontaient respectivement au Premier Empire et à la Monarchie de Juillet. Elles appartenaient, comme leurs maris, à des lignages de banquiers protestants apparentés entre eux : les Mallet et les Bartholdi pour l’une, les André et les Delessert pour l’autre. Fernand Bartholoni (1824-1904), administrateur du Paris-Lyon-Marseille était, lui aussi, répertorié au titre d’œuvres neutres : il avait été président de la Caisse d’épargne de Paris créée par son père, avait fondé la Société des institutions de prévoyance et faisait des dons à la Société philanthropique.
23 Le réseau israélite et le réseau protestant s’organisaient donc de façon très différente. Le premier était très étroitement tissé à la fois par des affiliations communes à des œuvres confessionnelles et par des liens familiaux au sein de trois familles de grands banquiers. Le second, en revanche, était dispersé dans l’espace charitable parisien : peu liés entre eux par des œuvres de leur confession, les protestants étaient inscrits dans diverses régions de la charité parisienne au sein d’œuvres neutres. Le rôle de quelques grandes familles de banquiers était important, les origines à Genève ou Lausanne fréquentes, mais ces liens s’exprimaient peu par la participation aux mêmes œuvres. Cette différence tient sans doute pour une part à des politiques familiales différentes : concentration des moyens sur les mêmes œuvres familiales d’un côté, action plus individuelle de l’autre. Mais un facteur sans aucun doute important était aussi l’antisémitisme virulent d’une partie des classes dominantes parisiennes, qui excluait les familles de confession juive de la direction de la plupart des œuvres prestigieuses considérées comme « neutres ». Les protestants, bien que honnis par le clergé catholique le plus ultramontain, étaient à cet égard moins discriminés. Ils purent ainsi jouer un rôle majeur dans la mise en place du « concordat charitable » entre assistance publique et bienfaisance privée – concordat que promouvait à la direction de l’Assistance publique du ministère de l’Intérieur, un membre d’une éminente famille protestante, Henri Monod.
Les réseaux notabiliaires séculiers
24 Lorsqu’on laisse de côté la perspective confessionnelle, qui ne nous a pour l’instant permis d’explorer que les périphéries du monde charitable, une autre réalité peut émerger : l’importance d’œuvres qui affichaient leur « neutralité » en matière confessionnelle. Deux de leurs réseaux présentent une très forte centralité, tous deux reposant sur des « notables » dont Daniel Halévy décrivait la fin en 1930 [24] – des notables, cependant, de deux types bien différents.
Les notables de la réforme sociale
25 Establishment réformateur : c’est le terme qu’Alain Cottereau a proposé, il y a longtemps déjà, pour désigner un ensemble de personnages omniprésents dans les institutions de la réforme sociale qui se mirent en place avec la IIIe République, ensemble dont on a pu ensuite préciser les contours et les caractéristiques [25].
26 Ce groupe d’acteurs est presqu’entièrement contenu dans deux sous-réseaux très denses situés au cœur de la composante principale (figure 3) [26]. Le plus central et le plus vaste est principalement formé des hommes de la réforme pénitentiaire. Il est structuré par la Société générale des prisons et par les principales œuvres de « relèvement » des détenus : la fort ancienne Société de patronage des jeunes détenus et des jeunes libérés du département de la Seine et la plus récente Société générale pour le patronage des libérés – l’une et l’autre créées sous l’égide du ministère de l’Intérieur, l’une par René Bérenger père (1833) et l’autre par René Bérenger fils (1872). On y trouve aussi la Société pour le patronage des libérés protestants, fondée par le pasteur Elie Robin (1869) et la Société de protection des engagés volontaires élevés sous la tutelle administrative, fondée par Félix Voisin (1878) pour promouvoir l’engagement dans l’armée des jeunes gens qui avaient purgé une peine ou avaient été pupilles de l’assistance publique. Deux autres œuvres étaient très liées à ce milieu par leur origine : la Société de protection des apprentis et des enfants employés dans les manufactures qui résultait, elle aussi, d’une initiative officielle (1867) et l’Office central des œuvres de bienfaisance, fondé par Léon Lefébure (1890) après que la direction de l’Assistance publique du ministère de l’Intérieur eut fait adopter par le Congrès d’assistance de 1889 les principes de la charité scientifique anglaise.
27 Un second sous-réseau, fortement lié au précédent, est formé autour d’œuvres qui intéressaient des entreprises industrielles ou étaient liées à celles-ci : la Société pour la participation aux bénéfices, dont Charles Robert (1827-1899), directeur de la compagnie d’assurance-vie l’Union, fut l’un des fondateurs (1878) ; le Musée social – une société-carrefour de la réforme sociale dont on disait qu’elle était « l’antichambre de la Chambre » – fondé (1894) par le comte de Chambrun (1821-1899), grand notable en Lozère et propriétaire des cristalleries de Baccarat [27] ; enfin, la Société française des habitations à bon marché, née lors d’un congrès de l’exposition de 1889, où un rôle-clef était joué par Emile Cheysson (1836- 1910), ingénieur des Ponts, ancien de Schneider au Creusot et homme-orchestre de la réforme sociale : on comptait, au moment de son décès, pas moins de 108 sociétés dont il était membre et, pour un bon nombre, président [28].
La Société des prisons et les œuvres de « relèvement ».

La Société des prisons et les œuvres de « relèvement ».
28 Les hommes de l’establishment réformateur avaient pour trait commun d’avoir investi dans des sociétés de forme privée promues par les autorités, comme la Société des prisons, « association d’initiative gouvernementale » approuvée par arrêté ministériel [29]. Juristes de formation, nombre d’entre eux appartenaient à une bourgeoisie d’État qui occupait des places dans l’appareil judiciaire ou administratif. Cette dépendance se manifesta durement lors des changements de régime et c’est généralement au moment où ils se trouvèrent expulsés de leurs positions dans les institutions de gouvernement (figure 4) que leurs vocations réformatrices se révélèrent.
29 Lorsque, entre 1877 et 1880, la victoire politique des républicains mit un terme à la domination des anciens notables dans l’appareil de l’État, la réforme offrit à beaucoup une façon de rester présents sur la scène publique, voire une reconversion professionnelle. Les gouvernements des républicains opportunistes (1879-1898) leur offrirent cette possibilité, notamment à l’occasion des congrès réunis lors de l’exposition universelle de 1889. Certains purent en outre bénéficier d’une rente, avec un siège à l’Académie française ou à l’Académie des sciences morales et politiques, deux refuges prisés par les acteurs politiques déchus.
30 Quasiment tous les hommes du réseau des notables réformateurs ont connu une trajectoire de ce type. Georges Picot (1838-1909), juge au Tribunal de la Seine (1865), fut directeur des affaires criminelles et des grâces pour Jules Dufaure, ministre de la Justice et président du Conseil (1877). Il dut quitter ses fonctions dès 1879 et échoua à se faire élire à la chambre (1885) : ses engagements réformateurs se multiplièrent alors. En 1892, il obtint le poste de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques. Parcours analogue chez Léon Lefébure (1838-1911) : notable en Alsace, propriétaire en Algérie, député monarchiste (1871), puis sous-secrétaire d’État aux Finances (1873-1875), « s’il ne se représenta pas en 1876, [commenta plus tard Haussonville] c’est qu’il savait que le premier candidat radical venu, à Paris ou ailleurs, lui serait préféré. [...] Il se consacra aux œuvres sociales » [30]. D’autres avaient fait sous le Second Empire une carrière de procureur (Charles Petit, René Bérenger, Félix Voisin, Adolphe Guillot) ou au Conseil d’État (Charles Robert), brisée net après 1870. D’autres enfin avaient été préfets sous la République des ducs (Ernest Cresson, Alphonse Béchard).
Les titulaires de charges gouvernementales dans les régimes précédents.

Les titulaires de charges gouvernementales dans les régimes précédents.
31 Les personnalités politiques monarchistes du réseau de l’archevêché qui avaient, elles aussi, été évincées par la victoire républicaine, disposaient d’une base économique indépendante – domaines ruraux ou grandes affaires. Ce n’était pas le cas des notables de l’establishment réformateur : pour cette bourgeoisie d’État devenue sans place, la reconversion réformatrice était vitale.
Les œuvres quasi-officielles des régimes déchus
32 Si le réseau que l’on vient de décrire s’organisait autour de sociétés créées pour l’essentiel sous la IIIe République comme un refuge pour des vaincus de la bataille politique, une autre région centrale du réseau charitable était organisée autour d’œuvres de création ancienne qui avaient bénéficié d’un statut quasi-officiel sous les régimes précédents – mais dont la pérennité était assurée par le patronage de grandes familles bourgeoises titrées et solidement établies. Autant le réseau des notables de la réforme était intégralement masculin, autant celui-ci donnait aux femmes une place importante. C’est cette région qui assurait les liens les plus solides entre la charité catholique et le reste du réseau. Elle était structurée par la Société philanthropique et par les premières sociétés de protection de la mère et de l’enfant et de croix-rouge.
33 Les deux institutions les plus anciennes étaient la Société philanthropique et la Société de charité maternelle : toutes deux créés dans les années 1780, elles furent refondées sous le Consulat ou l’Empire et surent s’adapter aux changements de régime tout au long du siècle. Plus récente était la Société française de secours aux blessés militaires, créée en 1865 comme société nationale de croix-rouge, dotée d’un caractère semi-officiel sous le Second Empire.
34 La Société philanthropique était, en 1900, la plus importante des œuvres de bienfaisance privée parisienne par l’ampleur et la diversité de ses activités. Elle recrutait dans tous les milieux charitables (figure 5) [31] . On y observe une forte présence du réseau de l’archevêché : de 1883 à 1916, son président fut le prince d’Arenberg et on comptait parmi ses dirigeants ou donateurs le comte d’Haussonville, Jules Goϋin et Georges Picot, mais aussi le marquis de Ganay ou la comtesse de La Rochefoucauld. On y trouve aussi des personnalités titrées de la bourgeoisie d’affaires de penchant orléaniste comme la comtesse Greffulhe (1824-1911) née La Rochefoucauld-Estissac et mariée à un banquier anobli par Louis-Philippe, ou le comte Georges de Montalivet (1851-1929), gendre d’un régent de la Banque de France, vice-président de la Compagnie du Nord et proche des Rothschild. Nombreuses étaient les femmes affiliées à la Société philanthropique qui l’étaient aussi à la Société de charité maternelle : titrées (comtesse de Greffulhe, duchesse de Reggio) ou bourgeoises (Mme Nolleval, Mme Lecoq), elles appartenaient plutôt à sa composante catholique [32]. Mais les affiliations à la Société philanthropique débordaient largement les milieux d’inclination catholique. Deux de ses vice-présidents et son trésorier (Eugène Marbeau, Armand-Martin Péan de Saint-Gilles, Jules Mansais), de bourgeoisie modeste, la connectaient à d’autres œuvres séculières, voire à l’Assistance publique, et Edmond de Rothschild, membre honoraire du Comité d’administration en 1900, comptait parmi ses protecteurs.
La Société philanthropique.

La Société philanthropique.
35 La Société de charité maternelle (SCM) visait à réduire les abandons d’enfants en aidant les femmes en couches si la grossesse était légitime et si elles allaitaient le nourrisson. C’était l’institution structurante d’un vaste sous-réseau qui rassemblait des femmes de la haute société de toutes inclinations (figure 6). Fortement subventionnée par les régimes successifs et leurs familles régnantes, la faveur officielle diminua avec la victoire républicaine. La SCM restait toutefois puissante, du fait des solides patronages dont elle bénéficiait parmi les femmes de la haute société parisienne.
36 La Société de secours aux blessés militaires (SFSBM) était, elle aussi, une œuvre de caractère semi-officiel et le patronage initial du régime impérial continuait de se faire sentir en 1900, en même temps que la proximité de l’institution avec le haut état-major (figure 7). Le président du « conseil central » de la société était le général duc d’Auerstaëdt – qui reçut son titre de Napoléon III –, son trésorier le baron Alphonse de Rothschild, tandis que le « comité des dames » eut successivement pour présidente Mme de Mac-Mahon (1834-1900) et la duchesse douairière de Reggio (1825-1902), qui représentaient toutes deux l’union de la noblesse d’Ancien Régime et de la noblesse récente au sein de familles de militaires.
37 Dans les domaines couverts par ces œuvres – la protection de la mère et de l’enfant et le secours aux blessés – la IIIe République vit naître de nouvelles initiatives qui contribuèrent à structurer une région résolument républicaine au sein du réseau charitable. Mais malgré leurs inclinations politiques – généralement passées sous silence par leurs promoteurs ou promotrices –, ces nouvelles sociétés conservaient des liens avec les plus anciennes, car elles recrutaient une part de leurs patronages dans les mêmes familles de la haute bourgeoisie titrée.
Les sociétés de protection de la mère et de l’enfant.

Les sociétés de protection de la mère et de l’enfant.
Le réseau de la bienfaisance républicaine
38 Une des régions du réseau concentre des institutions qui présentaient toutes un caractère résolument républicain [33]. Il y avait d’abord l’administration de l’Assistance publique parisienne – considérée par les répertoires comme une « œuvre de charité ». En dépit du fait que quelques uns de ses hôpitaux et un grand nombre de ses dispensaires étaient desservis par des « sœurs », la pointe de l’initiative municipale en matière de bienfaisance était l’Assistance publique, et tout particulièrement son service des Enfants assistés. À la tête de celui-ci se trouvait Loys Brueyre (1835-1908), qui avait fait carrière à la préfecture de Paris, puis à l’Assistance publique (1875), où il contribua aux côtés du Dr Théophile Roussel à l’élaboration de la loi sur la protection de l’enfance (1889). Ses affiliations à des sociétés réformatrices étaient nombreuses et faisaient un pont entre le réseau des notables réformateurs et celui de la bienfaisance républicaine.
39 Dans le même sous-réseau, on trouve une institution publique ancienne, l’Institut national des sourds muets, et des fédérations d’œuvres ou sociétés d’étude suscitées par les pouvoirs publics : celles des sociétés de patronage des libérés (Dr Théophile Roussel), des œuvres du travail (Dr Bouloumié), des questions d’assistance (Dr Roussel). On y trouve aussi l’Union française pour le sauvetage de l’enfance (1888), dont Brueyre était administrateur-délégué et Mme Jules Simon, la veuve de l’ancien président du conseil (1876-1877), présidente : cette œuvre, dont l’action était complémentaire de celle de l’administration, recueillait les enfants abandonnés ou en danger moral – en soustrayant ceux-ci à des parents « indignes » – et les plaçait dans des institutions ou des familles.
40 Les œuvres nouvelles nées sous la IIIe République dans le domaine de la croix-rouge et dans celui de la protection de la mère et de l’enfant, avaient pour caractéristique commune d’être restées liées aux œuvres semi-officielles anciennes car certaines familles de la haute bourgeoisie accordaient leur patronage aux unes et aux autres (figures 6 et 7). Prenait forme de cette façon une région du réseau charitable qui constituait une transition entre trois ensembles : les grandes familles des œuvres semi-officielles anciennes – et notamment leur composante catholique –, les notables de l’establishment réformateur et les protecteurs et dirigeants de la bienfaisance républicaine. On relève dans cette région une forte présence des promoteurs des œuvres israélites.
Les sociétés de croix-rouge.

Les sociétés de croix-rouge.
41 L’adhésion très incertaine des dirigeants et dirigeantes de la SFSBM au nouveau régime conduisit à la création en 1879 d’une deuxième société de croix-rouge, l’Association des dames françaises. Solidement républicaine, elle voulait en outre donner aux femmes une place plus grande dans les instances dirigeantes. Son initiateur et secrétaire général était le Dr Duchaussoy (1827-1918) et sa présidente en 1900 la comtesse Foucher de Careil (1829-1911), épouse d’un grand propriétaire terrien devenu républicain conservateur et sénateur. La comtesse unissait les deux sociétés de croix-rouge, car elle était donatrice à la SFSBM. Une troisième société de croix-rouge dirigée exclusivement par des femmes, l’Union des femmes de France naquit en 1882 d’une scission de l’ADF. Emma Schwartz-Koechlin (1838-1911), épouse d’un riche manufacturier de Mulhouse et figure de la charité protestante, en était présidente et le Dr Bouloumié (1844-1929) le secrétaire général.
42 Une évolution analogue vers la républicanisation des œuvres peut être observée dans le champ de la protection de la maternité. Dès le Second Empire (1865), une Société protectrice de l’enfance (SPE) vit le jour : dirigée par des médecins, entièrement masculine alors que la SCM était féminine, elle avait pour ambition de combattre la pratique de la mise en nourrice. On peut la regarder comme une intrusion des professionnels et notables réformateurs dans un domaine qui était jusque là contrôlé par des femmes et, en particulier, celles de la haute bourgeoisie titrée. En 1900, la SPE recrutait ses dirigeants dans la même zone étroite du réseau charitable que la Société des prisons. En revanche, la Société de l’allaitement maternel (SAM), créée en 1876, jouait un rôle de lien entre le sous-réseau de la charité israélite et celui où les œuvres de cette confession se combinaient à la républicaine Association des dames françaises. On y observe aussi la présence de dirigeants de l’Assistance publique (L. Brueyre), de l’Institut Pasteur (Dr E. Roux) et de personnalités protestantes (baronne Henri Mallet, Mme Suchard de Pressensé).
Les acteurs du « concordat charitable »
43 Si l’on en croit le récit classique de l’histoire politique, la France de 1900 se caractérisait par une fracture majeure, de nature à la fois religieuse et politique, que manifesta de façon éclatante l’Affaire Dreyfus (1894-1906). D’un côté, la France cléricale qui n’avait pas su prendre son parti de la République, l’« alliance du sabre et du goupillon » [34], de l’autre, les partisans de la République et de la laïcité qui, une fois l’Affaire dénouée, allaient s’engager dans la bataille de la Séparation. Entre ces deux camps, au bord de la guerre civile, il n’y avait pas de compromis possible. Les mémoires opposées des catholiques traditionalistes et des laïques militants coïncident sur ce point avec une histoire savante qui a remis « la République » au goût du jour.
44 Dans le domaine de la charité – ou de la bienfaisance, c’est selon – les résultats que nous présentons ici invitent pour le moins à nuancer le tableau. Nous avons, certes, observé l’existence, au sein du monde charitable, de régions marquées par des divisions confessionnelles et politiques. Il y avait un vaste réseau de l’archevêché, bien caractérisé et, pour une large part, isolé du reste. Mais il y avait aussi une série de sous-réseaux où étaient groupées des œuvres sans marquage confessionnel. Pour certaines, leur neutralité résultait de leur fondation quasi-officielle au cours des régimes précédents : suscitées ou protégées par les gouvernements successifs, ces sociétés bénéficiaient d’affiliations notabiliaires d’inclinaisons diverses – sociétés de croix-rouge, de protection de la mère et de l’enfant, de réforme pénitentiaire. Pour d’autres œuvres, la tonalité était nettement républicaine : elles s’inscrivaient dans des sous-réseaux centrés sur l’administration de l’Assistance publique, ou sur des sociétés dont les buts étaient identiques aux précédentes, mais qui étaient nées après 1870 en réplique au caractère modérément républicain de celles-ci.
45 Mais, en même temps, nous avons observé que ces diverses régions étaient liées entre elles par des institutions qui recrutaient largement et par un certain nombre de personnes simultanément engagées dans des œuvres appartenant à des régions distinctes : elles apparaissent clairement si l’on calcule la centralité d’intermédiarité des individus – indice qui est d’autant plus élevé qu’il connectent un plus grand nombre d’œuvres situées dans des régions distinctes et distantes du réseau (figure 8).
Les individus selon leur indice d’intermédiarité. Titre de noblesse d’ancien régime : cercles noirs (N=21) ; titre de noblesse récent : cercles gris (N=25). La taille des cercles est proportionnelle à la centralité d’intermédiarité des personnes. Hors de la composante principale, une intermédiarité nulle réduit les cercles à un point, ce qui ne permet pas de les colorier (6 cas).

Les individus selon leur indice d’intermédiarité. Titre de noblesse d’ancien régime : cercles noirs (N=21) ; titre de noblesse récent : cercles gris (N=25). La taille des cercles est proportionnelle à la centralité d’intermédiarité des personnes. Hors de la composante principale, une intermédiarité nulle réduit les cercles à un point, ce qui ne permet pas de les colorier (6 cas).
46 Trois profils de connecteurs ressortent [35]. Il y avait, d’une part, les hommes de l’establishment réformateur les plus liés au réseau de l’archevêché, affiliés en même temps à de nombreuses sociétés réformatrices de caractère « neutre » (Picot, Goϋin, Savouré, Béchard, Lefébure, Guillot) : la plupart avaient eu une trajectoire de vaincus de l’Ordre moral reconvertis en réforme [36]. Une autre catégorie de connecteurs est constituée de grands aristocrates catholiques, élus au parlement dans leur terroir provincial, actifs dans les affaires et qui patronnaient de nombreuses œuvres neutres (Arenberg, Doudeauville). Une troisième catégorie ressort avec netteté : il s’agit de grandes dames de la haute bourgeoisie titrée.
47 Ces femmes avaient plusieurs traits communs. D’abord celui de patronner des œuvres – charité maternelle et croix-rouge – qui avaient bénéficié du soutien de tous les régimes. Ensuite, elles affichaient toutes un titre de noblesse récent : noblesse d’Empire dans le cas de celui de la duchesse de Reggio et de la duchesse de Padoue, titre créé sous la Restauration pour la comtesse de Greffulhe, sous Louis-Philippe pour la duchesse d’Isly – épouse du fils du maréchal Bugeaud –, sous le Second Empire pour Mme de Mac Mahon, duchesse de Magenta. Plusieurs étaient pourtant issues d’un lignage paternel de noblesse plus ancienne, souvent passé par l’émigration. Félicité de La Rochefoucauld-Estissac, comtesse de Greffulhe, descendait d’une des plus vieilles familles aristocratiques, mais la branche à laquelle elle appartenait la classait dans le camp orléaniste. La duchesse de Reggio était une Castelbajac, vieille noblesse du Gers, et sa mère était une La Rochefoucauld. Élisabeth de la Croix de Castries, Mme de Mac Mahon, était fille d’un duc. D’autres lignages paternels étaient roturiers : le père de la duchesse d’Isly était banquier et administrateur de chemins de fer et de mines, celui de la duchesse de Padoue militaire, mais la mère de celui-ci était une Montesquiou-Fezenzac. Ainsi, celles qui avaient apporté en dot à leur époux la patine qui manquait à sa noblesse un peu trop fraîche représentaient aussi une grande bourgeoisie titrée, ancrée tantôt dans l’armée, tantôt dans la banque. Leur environnement familial avait des couleurs politiques qui reflétaient des trajectoires parfois sinueuses, mais qui ne les situait jamais du côté de la République aux moments décisifs : la comtesse de Greffulhe appartenait par son père et son mari au camp orléaniste, on disait Mme de Mac Mahon partisane du comte de Chambord et du drapeau blanc, la duchesse de Padoue appartenait à une lignée paternelle solidement bonapartiste, la famille de la duchesse de Reggio avait servi tous les régimes déchus. Mais c’est sans doute précisément parce qu’elles mêlaient le Faubourg Saint-Germain et la haute bourgeoisie de la fête impériale que ces femmes pouvaient jouer un rôle de pont entre des mondes sociaux aussi différents.
48 Ce sont ces éléments connecteurs qui faisaient que les œuvres charitables parisiennes, malgré les divisions et concurrences qui les traversaient, présentaient le visage d’une étonnante zone de trêve, bien différente du champ de bataille que constituaient les institutions politiques des débuts de la IIIe République [37]. Grâce à ces espaces et acteurs, des diagnostics, des étiologies et des méthodes d’action pouvaient circuler entre divers camps politico-religieux – construisant un langage suffisamment partagé pour constituer un horizon commun à l’action qui prit la forme d’un « champ réformateur ». C’est aussi grâce à ces connecteurs que des accords explicites ou implicites ont pu se mettre en place entre les administrations publiques et des initiatives privées de divers bords, qui devaient survivre à la crise de la Séparation. En 1900 se tint le Congrès international d’assistance publique et de bienfaisance privée organisé, au ministère de l’Intérieur du cabinet radical Waldeck-Rousseau, par Henri Monod, le directeur de l’Assistance publique qui travaillait opiniâtrement depuis 1887 dans ce but. Aux dires des promoteurs du congrès, celui-ci fut l’occasion de conclure le « concordat charitable » qui devait permettre de définir une division du travail entre assistance publique et charité privée, toutes deux rationalisées selon les principes de la « charité scientifique » [38].
Notes
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[1]
Cette recherche a bénéficié du concours de Lucia Katz et Joan Cortinas (saisie des répertoires), Alice Lavabre (recherches biographiques), Stéphanie Ginalski (études préliminaires réseaux) et Pascal Cristofoli (assistance technique pajek). Appui financier ANR (projet Europhil).
-
[2]
Catherine Duprat, Usages et pratiques de la philanthropie, Paris, CHSS, 2 vol., 1996 et 1997 ; Jacques-Olivier Boudon, Paris, capitale religieuse sous le Second Empire, Paris, Cerf, 2001. Une prouesse analogue sur des villes de province en France et en Allemagne, centrée toutefois sur les œuvres catholiques : Catherine Maurer, La Ville charitable, Paris, Cerf, 2013.
-
[3]
Par exemple Bernard Plongeron et Pierre Guillaume (sous la direction de), De la charité à l’action sociale, Paris, CTHS, 1995 ; Yannick Marec Bienfaisance communale et protection sociale à Rouen (1796-1927), La documentation française, 2002 ; Axelle Dolino-Brodiez, Combattre la pauvreté, Paris, CNRS Editions, 2013. Ou, plus spécifiquement, Véronique Leroux-Hugon, Des saintes laïques, Paris, Sciences en situation, 1992..
-
[4]
Tout particulièrement Matthieu Brejon de Lavergnée, La Société de Saint-Vincent-de-Paul au XIXe siècle, Paris, Cerf, 2008 ; ou aussi Gérard Cholvy, Frédéric Ozanam (1813-1853), Paris, Fayard, 2003.
-
[5]
Claude Langlois, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à supérieure générale au XIXe siècle, Paris, Cerf, 1984 ; idem, Catholicisme, religieuses et société. Le temps des bonnes sœurs, Paris, Desclée de Brouwer, 2011 ; Anne Jusseaume, Soin et société dans le Paris du XIXe siècle. Les congrégations religieuses féminines et le souci des pauvres, thèse de doctorat, Institut d’études politiques de Paris, 2016.
-
[6]
Jacqueline Lalouette, « Expulser Dieu : la laïcisation des écoles, des hôpitaux et des prétoires », Mots, no 27, 1991, p. 23-39 ; eadem, La République anticléricale, XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, 2002. Plus généralement, sur les rapports entre bienfaisance privé et assistance publique : Colette Bec, Assistance et République. La recherche d’un nouveau contrat social sous la Troisième République, Paris, Éditions de l’Atelier, 1994 ; eadem, « Fin des concurrences philanthropiques : 1880-1914 », dans Jacques-Guy Petit et Yannick Marec (sous la direction de), Le social dans la ville en France et en Europe 1750-1914, Editions de l’Atelier, 1996.
-
[7]
Par exemple Sylvie Fayet-Scribe, Associations féminines et catholicisme, Paris, Éditions ouvrières, 1990 ; Evelyne Diebolt, Les femmes dans l’action sanitaire, sociale et culturelle, 1901- 2001 , Paris, Femmes et Associations, 2001.
-
[8]
Françoise Battagliola, « Philanthropes et féministes dans le monde réformateur (1890-1910) », Travail, genre et sociétés, no 22, 2009, p. 135-154.
-
[9]
Office central des œuvres de bienfaisance, Paris charitable et prévoyant. Tableau des œuvres et institutions du département de la Seine, 2e éd. [sic]. Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1897 (ci-après PCP) ; Manuel des œuvres. Institutions religieuses et charitables de Paris [...], Paris, Poussielgue, 6e éd., 1900 (ci-après MDO). Voir Stéphane Baciocchi et al., « Les mondes de la charité se décrivent eux-mêmes. Une étude des répertoires charitables au XIXe et début du XXe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 61, no 3, 2014, p. 28-66.
-
[10]
Personnes physiques vivantes en 1896. Outre les 1 898 personnes physiques, on compte 84 congrégations religieuses, 61 autres personnes morales et 11 successions mentionnées dans les répertoires comme jouant une fonction dans les œuvres. Les œuvres dépendant d’une même maison-mère sont comptées une seule fois. La version de la base de données utilisée ici est Charity-Paris_15-09-26.
-
[11]
Les sources utilisées en matière biographique sont trop nombreuses pour être référencées dans le détail. Il s’agit de notices publiées dans des répertoires contemporains de notabilités (pour la plupart disponibles sur la base de données World Biographical Information System), de sites institutionnels (Leonore, Institut de France), de sites généalogiques (principalement geneanet), de nécrologies disponibles sur Gallica, des annuaires mondains, de biographies publiées par des proches, des informations sur les affiliations réformatrices disponibles dans notre base de données Reform-Paris.
-
[12]
Nous avons utilisé l’algorithme du logiciel VOSviewer pour calculer les clusters qui composent le réseau d’ensemble. C’est en tenant compte des clusters ainsi calculés que nous avons mis au point manuellement le graphe de réseau originellement produit sous Pajek par l’algorithme Fruchterman Reingold. D’autres algorithmes auraient sans doute produit des résultats un peu différents, mais n’auraient pas modifié substantiellement les problèmes interprétatifs soulevés.
-
[13]
Louis Paulian, « Nécessité d’un lien commun entre les diverses œuvres charitables publiques et privées », Recueil des travaux du Congrès international d’assistance publique et de bienfaisance privée, tenu du 30 juillet au 5 août 1900, Paris, Secrétariat général du congrès, 1900, vol. 1, p. 292.
-
[14]
C’est un thème parfois évoqué par l’historiographie, s’agissant des philanthropes de confession juive. Par ex. Sandra Dab, « La philanthropie laïque, facteur d’intégration des juifs sous la IIIe République », dans Colette Bec, Catherine Duprat et Jean-Noël Luc (sous la direction de), Philanthropies et politiques sociales en Europe (XVIIIe-XXe siècles), Paris, Anthropos, 1994, p. 105- 112 ; Nora Seni, Les inventeurs de la philanthropie juive, Paris, La Martinière, 2005. On utilisera ici le mot « israélite », courant à l’époque pour désigner une confession et ses institutions (notamment le Consistoire), plutôt que « juif », chargé depuis de connotations nationales ou « raciales ».
-
[15]
MDO, p. 604-621.1.
-
[16]
Nous ne visons pas à enregistrer les convictions religieuses des individus, mais seulement l’affichage public de leur adhésion à une confession. Les critères se présentent différemment selon qu’il s’agit de la confession majoritaire (catholique) et des confessions minoritaires (israélite et protestante). Pour celles-ci, la personne doit remplir un au moins des critères suivants : 1 / c’est est un pasteur ou un rabbin ; 2/ elle appartient à une œuvre de la base Charity-Paris au caractère confessionnel affiché (mention de la confession dans le nom de l’œuvre ou dans la notice) ; 3/ elle appartient à une des institutions réformatrices au caractère confessionnel affiché dont les membres sont saisis exhaustivement dans la base Reform-Paris. On n’a pas retenu la classification de MDO (« cultes dissidents ») lorsque l’œuvre n’affichait pas elle-même un caractère confessionnel (l’hôpital Rothschild, par ex., n’est pas considéré ici comme une œuvre israélite). Pour la confession majoritaire, si le critère « membre du clergé » est robuste, il n’en est pas de même de ceux qui pourraient indiquer le caractère « catholique » de l’œuvre : ni le nom de l’œuvre (référence à un saint, par ex.), ni le fait d’être dirigé par une congrégation catholique (c’est le cas d’hôpitaux et dispensaires de l’assistance publique), ni même l’adresse au siège d’une congrégation ne sont des critères sûrs. Une vérification œuvre par œuvre n’est guère praticable pour un fichier où les œuvres se comptent par milliers. D’où l’usage de la notion de « réseau de l’archevêché ».
-
[17]
On définit comme « réseau de l’archevêché » l’ensemble des individus qui étaient directement liés à Mgr Richard, ou à un ecclésiastique qui était lié à celui-ci directement ou par l’intermédiaire d’un ou plusieurs ecclésiastiques. En d’autres termes, les membres de ce réseau étaient affiliés à au moins une œuvre dont la direction comprenait un ecclésiastique lié à l’archevêque. Tous les ecclésiastiques ne sont donc pas inclus dans ce réseau, ni toutes les personnes affiliées à une œuvre notoirement catholique.
-
[18]
Clusters no 21, 23, 24, 25 et 6 (le plus important), respectivement.
-
[19]
Clusters no 3, 15 et 8, respectivement. Il faudrait aussi mentionner le cluster no30, centré sur l’Œuvre des pauvres malades des faubourgs et la duchesse d’Isly, autre pont avec le reste du réseau charitable. Quant au cluster no 12, c’est un micro-réseau périphérique comprenant les Secrétariats du peuple et les Œuvres ouvrières de la rue Championnet, connecté au réseau de l’archevêché par Arenberg.
-
[20]
Léo Archer, « La mort de Mgr Gardey », Le Gaulois, 28 janvier 1914 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k536051g.texte;consulté04/09/2015).
-
[21]
On enregistre ici l’affichage du titre sans se prononcer sur l’authenticité de celui-ci : on entend par « noblesse d’Ancien Régime », tous les titres créés avant la Révolution, y compris la noblesse de robe du XVIIIe siècle ; les titres plus récents ont été créés sous l’Empire (duchesse de Reggio), la Monarchie de Juillet (duchesse d’Isly), le second Empire (duc de Magenta) ou par des souverains étrangers (baron de Rothschild) ; notons que des filles de la noblesse d’Ancien Régime peuvent avoir reçu par leur mariage des titres de noblesse récente (comtesse Greffulhe). Les noms à particule dépourvus de titre ne sont pas pris en considération. Mgr Richard, qui n’affichait pas son nom nobiliaire (Richard de Lalance), est considéré ici comme n’ayant pas de titre de noblesse.
-
[22]
D’après Dominique Frischer, Le Moïse des Amériques, Paris, Grasset & Fasquelle, 2002, ch. 7.
-
[23]
Clusters no 5 et 11 respectivement. Deux clusters où se trouvent des personnalités affiliées à des œuvres israélites comprennent seulement des œuvres neutres (L. Goldschmidt no 14 et A. de Rothschild no 22).
-
[24]
Daniel Halevy, La fin des notables, Paris, Grasset, 1930 ; idem, La fin des notables. La République des ducs, Paris, Grasset, 1937.
-
[25]
Alain Cottereau, « L’apparition de l’urbanisme comme action collective : l’agglomération parisienne au début du siècle », Sociologie du travail, vol. 11, no 4, 1969, p. 342-365 ; Christian Topalov, « Investissements réformateurs et formation du champ », dans idem (sous la direction de), Laboratoires du nouveau siècle, Paris, Editions de l’EHESS, 1999, p. 360-373.
-
[26]
Clusters no 1 et 9 respectivement.
-
[27]
Voir Colette Chambelland (sous la direction de), Le Musée social en son temps, Paris, Presses de l’ENS, 1998 ; Janet R. Horne, A Social Laboratory for Modern France, Durham, NC, Duke University Press, 2002.
-
[28]
Emile Cheysson. Sa vie, son œuvre, Paris, Bibliothèque du Musée social, 1910.
-
[29]
Voir Martine Kaluszynski, « Réformer la société. Les hommes de la Société générale des prisons, 1877-1900 », Genèses, no 28, 1997, p. 76-94.
-
[30]
Comte d’Haussonville, « Préface », Paris charitable et bienfaisant, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1912, p. viii.
-
[31]
La figure 5 indique les personnes affiliées à la SP en 1900 d’après Reform-Paris ; les personnes mentionnées dans Charity-Paris comme affiliées à la SP, moins nombreuses, est centré dans le cluster no 18.
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[32]
Trois des quatre femmes citées furent membres du Congrès international des œuvres catholiques de 1900 – comme l’était aussi Arenberg (source : base Reform-Paris).
-
[33]
Cluster no 4. Voir figures 6 et 7.
-
[34]
Sur l’expression, voir Jean-Paul Honoré, « Le vocabulaire de l’anticléricalisme en France de l’Affaire à la Séparation (1898-1905) », Mots, no 5, 1982, p. 69-84.
-
[35]
On laissera de côté le cas de Mgr Richard, dont la forte intermédiarité tient au fait qu’il est l’unique lien entre un grand nombre d’œuvres de son propre réseau (comme, à un bien moindre degré, l’abbé Garnier ou Mme Legentil).
-
[36]
Le cas de Cheysson, tout à fait étranger au réseau de l’archevêché, est différent : c’est son très grand nombre d’affiliations variées qui augmente mécaniquement son intermédiarité.
-
[37]
Ce ne sont pas les seuls liens entre régions du réseau : les congrégations catholiques féminines, notamment les Sœurs de Saint Vincent de Paul, jouent un rôle de connecteur majeur entre institutions ; voir Stéphanie Ginalski et Christian Topalov, « Le monde charitable représenté : réseaux d’acteurs, Eglise et République à Paris en 1900 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 64, no 3, 2017, p. 90-124.
-
[38]
Concordat charitable : Louis Rivière, « Du fonctionnement et de l’efficacité des secours à domicile », Recueil des travaux du Congrès..., op. cit., vol. 1, p. 184. Sur le congrès : Colette Bec, « Deux congrès internationaux d’assistance (Paris, 1889-1900). Temps fort des rapports public-privé », dans C. Bec, C. Duprat et J.-N. Luc (sous la direction de), Philanthropies, op. cit., p. 145- 157 ; Christian Topalov, « Langage de la réforme et déni du politique. Le débat entre assistance publique et bienfaisance privée, 1889-1903 », Genèses, no 23, 1996, p. 30-52.