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Retour sur une polémique : le prénom comme marqueur culturel

1Les propos d’Éric Zemmour adressés à Hapsatou Sy, tenus le 13 septembre 2018, à l’occasion de l’enregistrement de l’émission « Les terriens du dimanche [3] » ont provoqué de vives et nombreuses réactions, notamment la demande d’excuses de la part de la chroniqueuse de l’émission à l’adresse du polémiste de droite. Après avoir suggéré que la jeune femme aurait dû s’appeler Corinne, il déclara : « C’est votre prénom qui est une insulte pour la France [...] les prénoms incarnent l’histoire de la France donc votre prénom n’est pas dans l’histoire de la France, que ça vous plaise ou non. » Suite à ce qu’elle a vraisemblablement considéré comme une attaque personnelle, Hapsatou Sy lui a répondu : « Vous venez de m’insulter parce que mon prénom fait partie de mon identité. »

2Malgré leur confrontation, il nous semble évident que les deux protagonistes de cette affaire s’accordent sur le fait que les prénoms constituent des marqueurs identitaires majeurs et nous pensons que cet échange, au-delà de son aspect polémique, est très révélateur de ce que les prénoms peuvent nous dire de notre « histoire » et de notre « identité » individuelles et collectives. Ce sont d’ailleurs les historiens qui se sont le plus souvent consacrés à l’étude du phénomène de prénomination. Ainsi, pour John Dickinson,

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le prénom est un marqueur culturel. Il est partie intégrante d’un complexe sociologique, qui renvoie à des sensibilités régionales (ou nationales), à des logiques familiales, à des modèles de conduite, à des genres de vie. Par voie de conséquence, les transformations de la prénomination se présentent à nous comme un élément notable et un indicateur précis des changements vécus par une société.
Dickinson, 1998

4L’étude des prénoms est en effet une méthode extrêmement féconde lorsque l’on se consacre à l’analyse des bouleversements culturels et démographiques. L’étude de l’évolution dans l’attribution des prénoms en France depuis 1900 peut être réalisée en s’appuyant sur le volumineux fichier Insee des prénoms [4]. Ainsi, comme nous l’avons montré dans L’Archipel français. Naissance d’une nation multiple et divisée, la raréfaction du prénom Marie [5] au cours du xxe siècle et sa géographie départementale illustrent spectaculairement l’affaiblissement de la matrice catholique tandis que la multiplication du nombre des prénoms utilisés et des prénoms rares confirme le basculement dans une société de l’individualisme de masse. Le succès des prénoms américains auprès des classes populaires depuis les années 1980 montre par ailleurs la capacité d’influence de la world culture véhiculée par les médias de masse et une forme d’autonomisation culturelle des classes populaires.

Un outil révélateur de l’histoire des migrations et de l’assimilation

5Mais l’étude des prénoms est également un outil précieux qui permet de suivre l’histoire et les modalités des immigrations en France depuis 1900. Le dénombrement des attributions de prénoms de différentes origines à partir du fichier de données brutes de l’Insee (l’Institut n’a opéré aucun regroupement ou classement dans son fichier) permet tout d’abord de dater le commencement puis de suivre le développement des différentes vagues migratoires que notre pays a connues. Nous nous pencherons dans cet article sur quelques-unes des immigrations les plus emblématiques et significatives en commençant par l’arrivée des Polonais au début des années 1920 pour aller jusqu’aux immigrations les plus contemporaines en provenance du continent africain.

6Au travers de l’analyse statistique des attributions de prénoms de différentes origines, nous pouvons par ailleurs prendre la mesure de l’ampleur des flux et des volumes de populations concernées mais également observer l’implantation originelle puis l’éventuelle dispersion de ces différents groupes sur le territoire national. Cette analyse géographique peut également être réalisée à une autre échelle, comme nous le ferons dans la dernière partie de cet article en réalisant un focus sur la ville de Marseille, porte d’entrée historique de plusieurs vagues d’immigration en France.

7Enfin, last but not least, l’analyse anthroponymique sur la longue durée s’avère être une méthode utile pour évaluer, via l’abandon plus ou moins rapide ou au contraire la persistance des prénoms d’origine par les populations immigrées et leur descendance, la puissance de la machine assimilatrice républicaine au cours du xxe siècle et la volonté de ces différents groupes de se fondre dans la population majoritaire ou à l’inverse d’afficher un certain particularisme. Si le taux de mariage ou d’union mixte constitue habituellement un indicateur majeur retenu par les démographes pour évaluer le degré et le rythme d’intégration d’un groupe minoritaire à une population majoritaire [Tribalat, 2017], on peut penser que le choix du prénom pour ses enfants (voire pour soi-même, quand certains immigrés décident de franciser leur prénom) représente également un indicateur assez fiable et suffisamment congruent avec le taux d’exogamie pour apprécier ce processus d’assimilation. Après dépouillement de nombreuses listes électorales, il nous est en effet apparu que les choix des prénoms différaient ainsi très sensiblement selon les groupes ethnoculturels.

Les immigrations polonaise, portugaise et asiatique

8Au lendemain de la Première Guerre mondiale, des centaines de milliers de Polonais sont venus travailler en France, et principalement dans le secteur minier qui manquait cruellement de bras après la Grande Guerre. On estime qu’entre 1920 et 1930 près de 500000 Polonais s’installèrent en France, le plus gros contingent se fixant dans le bassin minier du Pas-de-Calais. Les Polonais étaient très nombreux dans les communes minières, constituant parfois jusqu’à 40 % des effectifs des mineurs de fond. Cette forte concentration, associée à la spécificité de cette immigration, ne plaidait pas pour son intégration rapide. Et, de fait, la communauté polonaise vivait en vase clos, encadrée par ses propres prêtres catholiques, et avait créé très rapidement ses propres structures (clubs sportifs, associations culturelles, sections syndicales et équipes de mineurs constituées sur une base nationale, etc.). Cultivant un très fort sentiment patriotique (la Pologne venait d’accéder à nouveau au statut d’État souverain), beaucoup de Polonais envisageaient à l’époque de rentrer rapidement au pays une fois qu’ils auraient économisé un peu d’argent.

9Dans ce contexte, la transmission de la langue revêtait une importance particulière, et la communauté polonaise obtint (avec l’appui du puissant patronat des mines) que, dans les communes où elle était fortement implantée, des cours du soir en polonais soient proposés, une première dans l’histoire de l’école de la République. Conséquence et illustration de son fonctionnement en « circuit fermé », les mariages mixtes étaient quasiment inexistants dans les années 1930 à 1940 [Kastrubiec, 1991] et, de la même manière, nombre de prénoms attribués durant cette période dans ces familles étaient des prénoms polonais.

Graphique 1

Proportion de nouveau-nés portant un prénom polonais dans le Pas-de-Calais

Proportion de nouveau-nés portant un prénom polonais dans le Pas-de-Calais

Proportion de nouveau-nés portant un prénom polonais dans le Pas-de-Calais

10La courbe ci-dessus nous livre des indications précieuses. La proportion des prénoms polonais parmi les nouveau-nés du Pas-de-Calais décolle en 1921-1922, soit un ou deux ans après les premières arrivées, et se maintient à un niveau élevé jusqu’au milieu des années 1930. La conjoncture politique et sociale pèse de tout son poids sur cette courbe, qui fléchit durant la période 1928-1930, marquée par de fortes tensions sociales et des rapatriements forcés de mineurs polonais dans un contexte de fort accroissement du chômage. Mais la courbe révèle que la préférence pour les prénoms polonais a été de courte durée, puisqu’on ne l’observe que sur une période de vingt-cinq ans, des premières arrivées en 1920 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alors que cette communauté vivait repliée sur elle-même à son arrivée, tout se passe comme si, en l’espace d’une génération, elle s’était fondue dans le reste de la population française. Des études locales ont d’ailleurs révélé un très fort taux de mariages mixtes au sein de la seconde génération, confirmant le mouvement vers une assimilation rapide.

11L’arrivée massive de ressortissants portugais dans les années 1960-1970 présente un phénomène assez proche de celui des Polonais. En l’espace de quelques années, plusieurs centaines de milliers de Portugais sont en effet arrivées en France. Consécutivement, les données de l’Insee ont enregistré un pic de prénoms portugais parmi les nouveau-nés entre les années 1970 et 1975. Mais, à l’instar de ce que l’on a observé pour les prénoms polonais dans le Pas-de-Calais, ce phénomène a été de très courte durée, et les Carlos, João, Pedro et Rui sont rapidement retournés à l’anonymat statistique dès le milieu des années 1980.

Graphique 2

Évolution de 1930 à 2016 du nombre de nouveau-nés masculins portant différents prénoms portugais

Évolution de 1930 à 2016 du nombre de nouveau-nés masculins portant différents prénoms portugais

Évolution de 1930 à 2016 du nombre de nouveau-nés masculins portant différents prénoms portugais

12L’abandon relativement rapide du choix d’un prénom polonais ou portugais nous semble lié au tarissement des arrivées après quelques années pour ces deux immigrations, quand l’arrivée régulière de membres de la communauté d’origine favorise à l’inverse la persistance des mariages endogames et contribue à maintenir le groupe dans le bain culturel du pays d’origine. La multiplication des mariages mixtes, la diffusion géographique progressive de ces populations ainsi qu’une intégration économique réussie ont certainement été des éléments décisifs qui expliquent la rapidité de ce processus.

13Nous nous sommes également intéressés à la population d’origine asiatique présente en France en utilisant les listes électorales du 13e arrondissement de Paris, qui abrite une population d’origine asiatique significative. Cette monographie, qui n’a pas vocation à être parfaitement représentative des comportements de l’ensemble de la population d’origine asiatique vivant en France, offre néanmoins des éléments chiffrés assez robustes et révélateurs d’une forte tendance à l’attribution de prénoms français ou européens. Ainsi, 52 % des personnes portant un patronyme asiatique et inscrites sur les listes électorales dans le 13e arrondissement ont un prénom français ou européen. Seuls 48 % d’entre eux possèdent un prénom renvoyant à leur pays ou culture d’origine. Cette proportion de porteurs d’un prénom français ou européen s’établit à 75 % pour les personnes ayant un patronyme asiatique mais étant nées en France, et que l’on peut considérer comme constituant la seconde génération [6].

14Le taux est logiquement beaucoup plus faible, quoique assez élevé, parmi les personnes nées dans ces pays : 39 % possèdent ainsi un prénom français ou européen [7]. Cette proportion varie quelque peu selon le pays de naissance [8] : 52 % des personnes nées au Laos et 45 % de celles nées au Cambodge portent un prénom français ou européen contre un tiers de celles qui sont nées au Vietnam ou en Chine. Ces taux élevés peuvent, selon nous, renvoyer au fait qu’une part significative de ces personnes était issue de familles ou de milieux ayant des liens avec la puissance coloniale qu’était la France (cadres « indigènes » de l’administration coloniale, milieux d’affaires, professions libérales, minorités chrétiennes, etc.), ce qui a pu conduire certaines familles à donner des prénoms français à leurs enfants. On touche là au fait qu’une partie de l’immigration des boat people a été constituée de cadres ou de personnes disposant d’un capital culturel et/ou économique non négligeable, ce qui a pu faciliter leur intégration une fois arrivés en France. On peut également penser que ce taux de prénoms français ou européens parmi les immigrés asiatiques de la première génération, beaucoup plus élevé que dans l’immigration maghrébine ou africaine (comme nous le verrons plus loin), traduit le fait qu’une part significative de ces immigrants asiatiques a fait le choix de changer de prénom au moment de son arrivée en France ou quelques années après, dans l’optique de favoriser son intégration. Ce choix a été, comme on l’a vu, encore plus fréquent quand il s’est agi de prénommer les enfants nés en France. Il convient néanmoins de rappeler que le choix d’un prénom français ou européen concerne souvent le premier prénom. Les enfants portent souvent également un second prénom les rattachant au pays d’origine de leurs parents. Ces familles font ainsi un choix pragmatique : un prénom asiatique couramment utilisé dans la sphère privée, et un prénom occidental plus « passe-partout » favorisant l’intégration des enfants à l’école et dans la vie sociale.

Un fort développement des prénoms arabo-musulmans en France

15L’application de l’analyse anthroponymique centrée sur les prénoms donne des résultats tout aussi utiles lorsqu’il s’agit d’étudier la montée en puissance du groupe ethnoculturel arabo-musulman [9] dans la société française au cours des dernières décennies.

16Ainsi, à partir du fichier de l’Insee, nous avons dressé un tableau statistique permettant de quantifier le nombre de nouveau-nés portant un prénom d’origine arabo-musulmane depuis 1900. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur le travail que nous avons réalisé à partir des listes électorales depuis plusieurs années afin de constituer une liste la plus complète possible des prénoms se rattachant aux mondes arabo-musulmans [10]. Les informations complémentaires (lieu et date de naissance notamment) fournies par les listes électorales nous ont permis d’éviter autant que possible les confusions qu’engendre la base culturelle méditerranéenne commune aux trois religions monothéistes. Certains prénoms ont ainsi été traités avec la plus grande précaution ou écartés afin d’éviter toute attribution erronée. Nous avons mené ce lourd travail empirique dans le cadre d’un précédent ouvrage [Fourquet et al., 2015], commandé par la Fondation Jean-Jaurès, il a été systématisé et amplifié dans L’Archipel français en nous appuyant sur la base de données de l’Insee qui offre un corpus encore plus volumineux. Au terme de ce travail fastidieux, nous avons recensé 4550 prénoms masculins et 3500 prénoms féminins arabo-musulmans différents. Précisons, et cela est important, que, dans notre esprit, cette appellation ne désigne pas une « communauté » (c’est-à-dire un ensemble social normé dans l’espace et dans le temps, dont les membres déclarent partager un ensemble de traits culturels et de relations sociales), mais un groupe social (un ensemble de personnes ayant en commun des caractéristiques sociales) [Schrecker, 2009].

17En dépit des multiples précautions qui ont entouré ce travail, les chiffres que nous présentons dans les pages qui suivent sont à considérer comme des révélateurs d’ordres de grandeur et de tendances à l’œuvre plus que comme des estimations millimétriques totalement figées [11]. En outre, il convient de rappeler, même si cela va de soi, que toutes les personnes portant un prénom originaire des mondes arabo-musulmans ne sont pas nécessairement musulmanes. Croire ou pas en Dieu est une opinion personnelle que l’analyse onomastique menée ici ne saurait prétendre vérifier.

18Nous avons choisi de nous concentrer ici sur la population masculine, dans la mesure où la liste des prénoms masculins arabo-musulmans compte beaucoup moins de prénoms pouvant renvoyer à une autre aire culturelle que la liste des prénoms féminins [12]. Cette proportion de prénoms arabo-musulmans dans la population masculine nous semble pour autant constituer un indicateur robuste lorsqu’il s’agit d’évaluer le poids des personnes d’ascendance arabo-musulmane dans l’ensemble d’une classe d’âge [13].

19La courbe ci-dessous représente le pourcentage de garçons portant un prénom arabo-musulman parmi l’ensemble des nouveau-nés garçons, année après année, depuis 1900 [14]. La trajectoire de cette courbe est des plus impressionnantes et montre de manière très nette l’une des principales métamorphoses qu’a connues la société française au cours des dernières décennies : alors que la population issue de l’immigration arabo-musulmane était quasiment inexistante en métropole jusqu’au milieu du xxe siècle, les enfants portant un prénom les rattachant culturellement et familialement à cette immigration représentaient 18,8 % des naissances en 2016, soit près d’une naissance sur cinq. Comme le montre le graphique, cette montée en puissance s’est faite de manière assez progressive dans un premier temps, avant de connaître une très forte accélération au cours des vingt dernières années.

20Ainsi, de 1900 à 1950, la proportion de nouveau-nés en métropole portant un prénom arabo-musulman va de manière constante rester proche de 0 %. Un premier frémissement de la courbe se fait sentir à partir du milieu des années 1950, date d’arrivée des premiers contingents de travailleurs immigrés en métropole. La courbe franchit symboliquement la barre des 2 % en 1964, soit deux ans après la fin de la guerre d’Algérie, période marquée par de nouvelles vagues de travailleurs venus des anciennes colonies pour participer au développement économique et industriel du pays, mais aussi par l’arrivée des harkis. La pente de la courbe va s’accentuer ensuite dans les années 1970, notamment après 1976 et l’institutionnalisation du regroupement familial. La dynamique démographique est alors alimentée par l’accroissement de la population issue de l’immigration en âge de procréer ayant grandi sur notre territoire et par la poursuite de l’immigration, soit des hommes et des femmes majoritairement jeunes.

Graphique 3

Pourcentage de prénoms arabo-musulmans parmi les naissances de garçons en France

Pourcentage de prénoms arabo-musulmans parmi les naissances de garçons en France

Pourcentage de prénoms arabo-musulmans parmi les naissances de garçons en France

21Au terme de cette première phase de hausse, un premier pic (autour du seuil de 7 % des naissances) sera atteint entre 1983 et 1984, période au cours de laquelle la population issue de l’immigration acquiert une visibilité à l’occasion notamment de la « Marche des beurs » (Marche pour l’égalité et contre le racisme) et de grèves importantes dans le secteur de l’automobile. Un léger tassement s’ensuit au milieu des années 1980, période marquée par une politique migratoire plus restrictive et la mise en place de dispositifs d’aide au retour. La marche en avant reprend à la fin des années 1990, le seuil des 8 % des naissances étant atteint en 1997 pour s’accélérer considérablement depuis lors – et approcher, donc, de la proportion d’une naissance sur cinq ces dernières années.

22Tout au long des dernières décennies, la trajectoire de cette courbe est très clairement indexée sur celle du nombre d’immigrés, comme l’a établi la démographe Michèle Tribalat [2017]. Ses travaux distinguent une première période de forte hausse de l’immigration (des années 1960 à la fin des années 1970), puis une phase de stabilisation (années 1980 et 1990), la France connaissant depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000 un nouveau cycle migratoire de même intensité que celui que nous avons connu dans les années 1960 à 1980. La courbe de l’évolution de la proportion de nouveau-nés portant un prénom arabo-musulman marque bien, elle aussi, ces trois phases, et la pente de la courbe est la même pour les deux périodes de fortes entrées d’immigrés. Hormis le choix des familles déjà installées en France depuis plus ou moins longtemps, le taux de prénoms arabo-musulmans est donc également affecté par l’intensité des flux migratoires.

23L’essor du recours aux prénoms musulmans ne se dément donc pas et s’amplifie même, alors que de nombreuses études ont montré que ces populations étaient simultanément victimes de discriminations dans l’accès au logement ou à l’emploi, notamment [Valfort, 2015]. Cette discrimination insidieuse opérant notamment sur la base des prénoms (figurant sur les CV ou les dossiers constitués en vue de la location d’un logement) ne semble pas dissuader ces familles de faire de tels choix. Parallèlement à l’attachement profond à une culture, une religion et à leurs origines familiales, on peut également voir dans ces choix réitérés une forme de réaction identitaire face à une stigmatisation fréquente et à des situations de discrimination réelles.

24Si le choix de prénoms arabo-musulmans demeure massif dans ces familles, l’analyse détaillée des prénoms retenus fait ressortir, d’une part, une diversification des prénoms (le nombre de ces prénoms différents étant en hausse constante à l’instar de ce que l’on observe dans l’ensemble de la population) et, d’autre part, une évolution des goûts. On constate en effet que le nombre d’occurrences pour les prénoms arabo-musulmans « classiques » ou « traditionnels » décline au profit de prénoms plus « modernes » comme le montre le graphique n° 4.

Graphique 4

Évolution de la part des prénoms arabo-musulmans « classiques » et « modernes [15] » donnés en France (en pourcentage du total des prénoms masculins arabo-musulmans donnés sur l’année) [16]

Évolution de la part des prénoms arabo-musulmans « classiques » et « modernes15 » donnés en France (en pourcentage du total des prénoms masculins arabo-musulmans donnés sur l’année)16

Évolution de la part des prénoms arabo-musulmans « classiques » et « modernes [15] » donnés en France (en pourcentage du total des prénoms masculins arabo-musulmans donnés sur l’année) [16]

25Ces prénoms souvent plus courts se rattachent néanmoins à l’aire culturelle arabo-musulmane. Certains d’entre eux sont ainsi également assez en vogue dans les pays du Maghreb et on les retrouve aussi dans un certain nombre de cas associés avec le prénom Mohamed dans le cadre de prénoms composés par exemple (Mohamed-Adam, Mohamed-Yanis, etc.).

26On constate donc des évolutions sémantiques, des préférences pour des prénoms parfois moins « typés » et une grande diversification (le processus d’individualisation et la recherche de la distinction notamment par le prénom touchant l’ensemble de la société). Cependant, les données dont nous disposons, issues de calculs effectués non pas sur des échantillons mais sur l’ensemble des naissances intervenues en France et indiquant une hausse constante de la prévalence de ces prénoms au fil du temps, ne nous permettent pas de souscrire à la thèse défendue par Patrick Simon et Jean-Baptiste Coulmont. Selon leur note récente [Coulmont et Simon, 2019], l’occurrence de ces prénoms chuterait drastiquement dans la troisième génération. Cette génération porterait très majoritairement des prénoms « mixtes » ou français d’après les deux auteurs. Nicolas serait ainsi le second prénom masculin le plus porté dans la troisième génération issue de l’immigration maghrébine. Or, dans un département comme la Seine-Saint-Denis, où cette troisième génération est numériquement très représentée, le fichier de l’Insee ne répertorie que très peu de naissances de Nicolas depuis vingt ans, comme le montre la courbe suivante, quand d’autres prénoms plus « modernes » mais aussi le prénom Mohamed sont attribués beaucoup plus souvent (graphique n° 5).

Graphique 5

Évolution du nombre d’attributions du prénom « Nicolas » et de certains prénoms arabo-musulmans en Seine-Saint-Denis (par année)

Évolution du nombre d’attributions du prénom « Nicolas » et de certains prénoms arabo-musulmans en Seine-Saint-Denis (par année)

Évolution du nombre d’attributions du prénom « Nicolas » et de certains prénoms arabo-musulmans en Seine-Saint-Denis (par année)

Géographie de l’implantation des populations issues de l’immigration arabo-musulmane

27Parallèlement à l’étude de la dynamique démographique des populations arabo-musulmanes au plan national, les données de l’Insee permettent également d’évaluer l’implantation et le poids relatif de ces populations dans les différents départements, et cela à plusieurs moments de l’histoire. Les quatre cartes qui suivent représentent ainsi, pour différentes périodes, la proportion de nouveau-nés portant un prénom arabo-musulman par département. Nous avons retenu comme premier jalon l’année 1968 car, d’une part, elle correspond à une époque où la proportion de prénoms arabo-musulmans n’avait pas encore commencé d’augmenter fortement (on peut ainsi considérer ce moment comme un état initial) et, d’autre part, c’est cette année-là que les anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise ont été redécoupés pour donner naissance aux actuels départements franciliens (moins la Seine-et-Marne, qui existait déjà). L’Île-de-France abritant la plus forte population issue de l’immigration, il était nécessaire de pouvoir disposer du même découpage administratif aux différentes périodes afin de pouvoir suivre les évolutions dans le temps.

28La carte de 1968 présente une très grande homogénéité. Dans l’écrasante majorité des départements français, la part des naissances débouchant sur le choix d’un prénom arabo-musulman est inférieure à 2 %. La quasi-totalité du territoire n’est, à l’époque, aucunement concernée par l’immigration, à quelques rares exceptions près. Il s’agit soit des grandes aires urbaines et/ou des principaux foyers industriels français, qui nécessitaient de la main-d’œuvre immigrée. C’est le cas à Paris, dans les Hauts-de-Seine et le Val-d’Oise (où sont implantées les usines automobiles de Billancourt et de Flins), en Seine-Saint-Denis (à l’époque très industrialisée), mais aussi en Moselle (mines et sidérurgie), dans le Nord (mêmes activités plus le textile) ou bien encore dans un autre important foyer industriel que constituait alors le triangle Lyon-Saint-Étienne-Grenoble. La proportion de prénoms arabo-musulmans est également plus forte que la moyenne dans les Bouches-du-Rhône et le Var : c’est que les ports de Marseille et de Toulon sont les principales portes d’entrée en France pour les populations en provenance du Maghreb. Mais à l’époque, même dans ces départements, l’occurrence des prénoms arabo-musulmans parmi les nouveau-nés est cantonnée à un niveau très modeste : 6 % en Seine-Saint-Denis ou 6,5 % dans les Bouches-du-Rhône, par exemple.

29Quinze ans plus tard, en 1983, se produisent la « Marche des beurs » et les grandes grèves des OS (ouvriers spécialisés) immigrés dans l’automobile. Cette date marque un tournant dans l’histoire de ces populations : leur composante la plus jeune acquiert en effet, à cette occasion, une véritable visibilité dans la société française.

Carte 1

Garçons ayant reçu un prénom issu des mondes arabo-musulmans en 1968, 1983, 2002 et 2015 (en pourcentage des naissances masculines sur l’année)

Garçons ayant reçu un prénom issu des mondes arabo-musulmans en 1968, 1983, 2002 et 2015 (en pourcentage des naissances masculines sur l’année)

Garçons ayant reçu un prénom issu des mondes arabo-musulmans en 1968, 1983, 2002 et 2015 (en pourcentage des naissances masculines sur l’année)

30Si l’on effectue un second coup de sonde sur ce millésime, on s’aperçoit qu’entre 1968 et 1983 deux phénomènes se sont produits concomitamment : une augmentation de la proportion des nouveau-nés portant un prénom arabo-musulman dans les départements où elle était déjà la plus forte, et un effet de diffusion dans de nouveaux territoires plus ou moins proches. Dans les foyers initiaux, le taux de prénoms arabo-musulmans franchit dès 1983 le seuil des 10 % à Paris et des 15 % dans le « 9-3 ». Parallèlement, le taux augmente pour se situer dans la strate des 5 à 10 % sur les marges du Bassin parisien : départements des Yvelines avec des villes comme Mantes-la-Jolie ou Trappes par exemple, du Val-d’Oise (Argenteuil, Sarcelles), de l’Oise (Creil) ou d’Eure-et-Loir (Dreux). On constate un même phénomène de diffusion en Alsace, à partir du foyer mosellan, ou dans le sud de la France, à partir des Bouches-du-Rhône et du Var (Vaucluse, Alpes-Maritimes, Gard). Plus globalement, se fait jour, à partir de cette époque, un fort contraste de part et d’autre d’une ligne Le Havre-Valence-Perpignan. À l’est de cet axe, la plupart des départements enregistrent une occurrence de 2 à 5 % ou de 5 à 10 % de prénoms arabo-musulmans, alors qu’à l’ouest de la ligne ce taux reste proche de 0 %, à l’exception de quelques départements isolés dans la vallée de la Garonne. On aura reconnu à cette description la carte du vote FN, qui s’apprête à émerger sur la scène électorale précisément à ce moment-là (lors des élections municipales de Dreux et d’Aulnay-sous-Bois en 1983 puis lors des élections européennes de 1984), avec, comme principal ressort, un discours hostile à l’immigration.

31La troisième carte présente la situation en 2002, toujours caractérisée par une forte hétérogénéité sur l’ensemble du territoire français. Dans certains départements précocement concernés par une implantation d’immigrés, la proportion de nouveau-nés portant un prénom arabo-musulman atteint désormais un niveau très conséquent. Elle dépasse ainsi le seuil des 30 % en Seine-Saint-Denis. Les Bouches-du-Rhône, le Rhône, le Val-de-Marne et le Val-d’Oise ont franchi la barre des 15 %. Dans le reste de l’Île-de-France, plus d’un enfant sur dix nés dans l’année porte un prénom de ce type, tout comme dans le département du Nord (avec un foyer principal dans la conurbation lilloise : Roubaix et Tourcoing) et du Haut-Rhin (Mulhouse). Le foyer méditerranéen initial (Bouches-du-Rhône, Var) se renforce et se prolonge via la vallée du Rhône jusqu’à Lyon. À l’est de la ligne Le Havre-Valence-Perpignan, de nombreux départements affichent un taux de 2 à 5 % ou de 5 à 10 %, alors que dans la moitié ouest du pays, et notamment dans le quart sud-ouest (à l’exception de la vallée de la Garonne), de nombreux territoires continuent de se situer sous le seuil des 2 %. Si, à cette date, la diversité ethnoculturelle est devenue une réalité dans les grands centres urbains et dans le Sud-Est, l’homogénéité démographique qui prévalait historiquement continue de caractériser la France de l’Ouest qui, cette année-là, a continué de mieux résister à la poussée frontiste – on se souvient que la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 s’est principalement jouée dans la France du Sud-Est et du Nord-Est.

32En 2015, en cohérence avec la courbe qui indiquait une très forte augmentation de la proportion de nouveau-nés portant un prénom arabo-musulman au plan national à partir des années 2000, la carte fait ressortir une hausse significative dans la plupart des départements. Les contrastes observés précédemment sont toujours présents, mais partout les seuils ont été nettement rehaussés. Le taux dépasse désormais les 40 % des naissances en Seine-Saint-Denis, les 30 % dans le Val-d’Oise et les 25 % dans le Val-de-Marne et dans le Rhône. Le bloc Gard-Bouches-du-Rhône-Vaucluse, d’une part, et l’Ouest francilien (Yvelines, Hauts-de-Seine et Essonne), d’autre part, suivent de près en affichant des taux compris entre 20 et 25 %. Dans tous ces départements, l’équilibre démographique au sein des jeunes générations s’en trouve considérablement modifié. Paris et d’autres départements du grand Bassin parisien élargi (Seine-et-Marne, Oise et Loiret), le Nord, l’Alsace-Moselle, la vallée du Rhône et le pourtour méditerranéen ainsi que la Haute-Garonne affichent quant à eux un taux compris entre 15 et 20 %.

33Ces départements pris tous ensemble concentrent une part majeure de la population nationale (il s’agit pour l’essentiel de la France urbaine) mais aussi des naissances. Or, c’est dans cette France-là, cette France démographiquement la plus dynamique, que les nouveau-nés portant un prénom arabo-musulman sont proportionnellement les plus nombreux. Inversement, certains départements démographiquement atones comme la Meuse, la Creuse, la Lozère, le Cantal ou l’Orne figurent parmi ceux qui sont le moins concernés par le phénomène. C’est le cas aussi de la plupart des départements de la moitié ouest du pays, où les taux se situent soit entre 2 et 5 %, soit entre 5 et 10 %.

34Le basculement de la société française dans une configuration d’hétérogénéité ethnoculturelle n’opère donc pas avec la même intensité sur l’ensemble du territoire, mais la rapidité du phénomène est assez saisissante. Alimentée par une immigration légale et clandestine qui demeure relativement soutenue et par une moyenne d’âge de la population de culture arabo-musulmane moins élevée que celle de la population « de souche », la dynamique qui s’est enclenchée depuis une vingtaine d’années pourrait se poursuivre pendant un certain temps et transformer en profondeur la physionomie ethnoculturelle de la France.

L’hétérogénéité des populations issues de l’immigration

35Si la méthode du dénombrement des naissances via l’origine culturelle et géographique des prénoms nous a conduits à raisonner de manière globale, il convient de ne pas perdre de vue que cette population issue de l’immigration arabo-musulmane ne constitue pas un ensemble homogène, tant s’en faut. Il existe de fortes disparités selon le pays d’origine, voire, au sein d’un même pays, selon la région d’origine, l’ancienneté de l’arrivée en France, le rapport à la religion – ou bien encore les orientations politiques.

36L’analyse de l’occurrence des prénoms parmi les nouveau-nés permet de bien mettre en lumière la diversité des dynamiques démographiques et migratoires. Si l’on considère, par exemple, une série de prénoms féminins originaires des pays musulmans d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Burkina Faso, etc.), tels que Fatoumata, Aminata, Hawa, Bintou, Fanta ou Fatou [17], on constate une première hausse de l’occurrence dans les années 1970 et le début des années 1980, les filles nouveau-nées portant ces prénoms passant de moins de 30 par an à plus de 700. Ce niveau va ensuite demeurer stable jusqu’à la fin des années 1990, avant qu’une nouvelle phase de hausse se produise à partir du début des années 2000, mouvement qui fera atteindre à la courbe le seuil des 1400 naissances portant l’un de ces prénoms en 2016.

Graphique 6

Évolution de 1950 à 2016 du nombre de nouveau-nées portant différents prénoms féminins d’Afrique de l’Ouest (Fatoumata, Aminata, Hawa, Bintou, etc.)

Évolution de 1950 à 2016 du nombre de nouveau-nées portant différents prénoms féminins d’Afrique de l’Ouest (Fatoumata, Aminata, Hawa, Bintou, etc.)

Évolution de 1950 à 2016 du nombre de nouveau-nées portant différents prénoms féminins d’Afrique de l’Ouest (Fatoumata, Aminata, Hawa, Bintou, etc.)

37Cette seconde hausse très rapide aboutissant à un doublement des effectifs s’explique à la fois par l’arrivée à l’âge de la procréation des jeunes filles nées dans les années 1970 et 1980 et par la poursuite et l’accroissement d’une immigration en provenance de ces pays depuis le début des années 2000.

Zoom sur Marseille

38Les données présentées ci-dessus, calculées à partir du fichier des naissances de l’Insee, témoignent bien de la diversité des flux migratoires affectant la France. On peut également approcher cette réalité au travers de l’analyse des listes électorales. Si les personnes n’ayant pas la nationalité française ne sont, par définition, pas inscrites sur ces listes, cette source documentaire est néanmoins précieuse dans la mesure où elle permet d’effectuer des zooms sur certaines communes, ce que le fichier de l’Insee, qui n’est renseigné qu’au niveau du département, n’autorise pas.

39On l’a vu précédemment, le département des Bouches-du-Rhône est un de ceux qui présentent le plus d’attributions de prénoms arabo-musulmans. Le dépouillement des listes électorales de Marseille montre combien la répartition géographique des populations immigrées est contrastée à l’échelle d’une ville comme Marseille. Par ailleurs, la liste électorale utilisée, que nous avions obtenue en 2014, précise également le pays de naissance des électeurs inscrits. Ce matériau permet du coup de lire l’historique des vagues migratoires dans la cité phocéenne mais également d’étudier l’implantation de ces différentes populations dans l’espace marseillais et d’observer les évolutions éventuelles de ces implantations au fil du temps.

De très fortes concentrations de populations immigrées

40Premier constat, la répartition des électeurs portant un prénom arabo-musulman dans les bureaux de vote marseillais est extrêmement inégale. Ces électeurs, essentiellement issus de l’immigration postcoloniale résident et votent (ou s’abstiennent) préférentiellement dans la moitié nord de la ville, les principales concentrations s’observant dans les 1er, 2e, 3e, 13e, 14e et 15e arrondissements (carte n° 2) de Belsunce, au nord de la Canebière, aux cités du parc Kallisté et de la Solidarité situées à l’extrême nord de la commune à la limite de Septèmes-les-Vallons dans le 15e arrondissement. Nous attirons l’attention sur le fait que cette forte présence septentrionale ne doit pas pour autant amener à construire l’égalité « quartiers nord = cités et immigration ». Malgré la puissance évocatrice de l’appellation « quartiers nord », ces derniers sont loin d’être homogènes, notamment au niveau architectural puisque, aux grands ensembles dégradés et/ou paupérisés, il convient d’ajouter les noyaux villageois historiques et des quartiers pavillonnaires construits relativement récemment. Ces deux derniers types d’habitat accueillent une population issue de l’immigration nettement moins importante. C’est donc dans les cités des arrondissements septentrionaux marseillais ainsi que dans l’habitat ancien et dégradé des arrondissements centraux (1er, 2e et surtout 3e) que se trouvent les principales concentrations d’électeurs français portant un prénom arabo-musulman.

41La comparaison de la carte des prénoms arabo-musulmans avec la carte n° 3 représentant le taux de ménages sous le seuil de pauvreté (source : données carroyées à 200 mètres de l’Insee) montre la très grande correspondance spatiale des deux phénomènes et démontre la pertinence de la démarche onomastique lorsqu’il s’agit de comparer des données socio-économiques officielles et des données ethno-culturelles à une échelle infra-urbaine d’une grande précision. Ainsi, non seulement les bureaux de vote où se concentrent les électeurs portant un prénom arabo-musulman dans la partie nord de la ville sont très clairement identifiables comme de vastes zones de grande pauvreté sur la carte des carrés Insee, mais même les bureaux isolés des 9e, 10e et 11e arrondissements où se trouve une forte proportion d’électeurs portant un prénom arabo-musulman sont associés à des poches de pauvreté au sein de quartiers plutôt mieux lotis économiquement parlant.

42La mise en regard des deux cartes fait également apparaître la spectaculaire ségrégation spatiale et ethnoculturelle dans l’espace marseillais, scindé entre une partie sud où le taux de prénoms arabo-musulmans est très faible (souvent moins de 5 %) et le centre et le nord-ouest de la ville où ce taux dépasse souvent les 35 % ! La même disparité s’observe au niveau du taux de pauvreté, les deux facteurs se superposant quasi parfaitement.

Une forte territorialisation des diverses communautés à Marseille

43Parallèlement à cette implantation très inégalitaire de la population issue de l’immigration arabo-musulmane dans la ville, l’analyse de la liste électorale fait également apparaître de fortes concentrations géographiques spécifiques à certaines « communautés ». Cela témoigne d’une gestion sociopolitique propre à Marseille (au-delà des très nombreuses représentations associées à cette ville et à ses habitants) où les discours sur le cosmopolitisme [Peraldi et Samson, 2006, p. 263] et sur la coexistence pacifique des « communautés » cachent un traitement différencié et inégalitaire des populations qui amène Cesare Mattina à la conclusion qu’il existe « à Marseille des gagnants et des perdants des communautés et du jeu communautaire » [Mattina, 2016, p. 224]. Au regard de ce système politique de redistribution de ressources matérielles (logement, emploi municipal...) et symboliques (cérémonies et monuments commémoratifs...) mis en place dans les années Defferre et perpétué depuis, la population d’origine comorienne peut sans conteste être classée parmi les communautés perdantes comme le montre la concentration d’électeurs d’origine comorienne et mahoraise dans les secteurs les plus pauvres de la ville (carte n° 4). Nous dénombrons par exemple un peu plus de 40 % d’inscrits se rattachant à cette immigration (soit environ 400 personnes) dans le bureau de vote de la vaste copropriété dégradée du parc Kallisté (15e arrondissement) et 33 % (soit près de 500 électeurs) dans celui de la cité du parc Bellevue (rue Félix Pyat, 3e arrondissement) [19]. On rappellera que ces calculs ne portent que sur les inscrits sur les listes électorales. Si l’on prend en compte les personnes n’ayant pas la nationalité française ou non inscrites sur les listes, on peut faire l’hypothèse que la population d’origine comorienne ou mahoraise est très majoritaire dans ces quartiers. La carte fait également ressortir des concentrations importantes dans certains quartiers des 13e et 14e arrondissements.

Carte 2

Proportion d’électeurs portant un prénom arabo-musulman dans les bureaux de vote de Marseille [18] (en 2014)

Proportion d’électeurs portant un prénom arabo-musulman dans les bureaux de vote de Marseille18 (en 2014)

Proportion d’électeurs portant un prénom arabo-musulman dans les bureaux de vote de Marseille [18] (en 2014)

Carte 3

Taux de ménages sous le seuil de pauvreté à Marseille (carroyage Insee, 2010)

Taux de ménages sous le seuil de pauvreté à Marseille (carroyage Insee, 2010)

Taux de ménages sous le seuil de pauvreté à Marseille (carroyage Insee, 2010)

44Ce regroupement territorial n’est pas propre aux vagues d’immigration les plus récentes, on relève ainsi une forte proportion de patronymes arméniens dans certains bureaux de vote. Implantée depuis les années 1920 à Marseille, la « communauté » arménienne fait partie des communautés dites « gagnantes » du système politique communautaire de l’ère Defferre. Fortement attachés à leur origine et soudés par la foi chrétienne, une intense vie associative et une mémoire traumatique liée au génocide et à l’exil, près de cent ans après leur arrivée massive au début des années 1920, les Français d’origine arménienne de Marseille pèsent plus de 8 % des électeurs inscrits dans une dizaine de bureaux de vote des 12e et 13e arrondissements (dans les quartiers historiques de Beaumont, situé entre Saint-Barnabé et Saint-Julien, et de Saint-Jérôme [20]) avec une pointe à 29 % au cœur du quartier arménien de Beaumont [21]. Plusieurs églises arméniennes (principalement apostoliques) marquent l’ancienneté de l’implantation des Arméniens dans ces territoires où sont également domiciliées de nombreuses associations arméniennes. Sachant que l’immigration arménienne à Marseille date pour l’essentiel des années consécutives au génocide de 1915, la persistance dans certains quartiers d’un phénomène de concentration non négligeable des descendants de cette population, cent ans après son arrivée, est un phénomène qui doit retenir l’attention et qui illustre le fonctionnement et la physionomie assez communautarisés de la cité phocéenne.

Carte 4

Concentrations notables d’électeurs issus des « communautés » comorienne, arménienne et « rapatriée » à Marseille (en 2014)

Concentrations notables d’électeurs issus des « communautés » comorienne, arménienne et « rapatriée » à Marseille (en 2014)

Concentrations notables d’électeurs issus des « communautés » comorienne, arménienne et « rapatriée » à Marseille (en 2014)

45La répartition géographique des électeurs nés en Afrique du Nord est également symptomatique de la différence des parcours individuels et collectifs en fonction de l’origine et même, en l’espèce, du groupe ethnoculturel et religieux d’appartenance. Nous avons fait figurer sur la carte n° 4 les bureaux où les électeurs nés en Afrique du Nord (Algérie, Maroc et Tunisie) représentaient plus de 15 % des inscrits de leur bureau de vote puis classé ces bureaux de vote selon que les électeurs « rapatriés » ou portant un prénom arabo-musulman étaient largement majoritaires (plus de 65 %) ou non (au sein du sous-groupe d’électeurs nés en Afrique du Nord). Sur les 124 bureaux de vote où les électeurs nés en Afrique du Nord pèsent plus de 15 %, seuls 23, soit 19 %, présentent une démographie relativement équilibrée tandis que 33, soit 27 %, sont nettement dominés par la présence d’électeurs « rapatriés » et 68, soit 54 %, se caractérisent par une large présence « arabo-musulmane ». On remarque sans surprise que les bureaux où la population née en Afrique du Nord pèse plus de 15 % avec une nette majorité d’électeurs ayant un prénom arabo-musulman correspondent aux bureaux identifiés précédemment (carte n° 2). En conséquence, ces électeurs résident et votent dans les quartiers où le taux de ménages sous le seuil de pauvreté est important selon la cartographie des carrés Insee (carte n° 3). Les bureaux sans dominante marquée entre les deux groupes se trouvent plutôt en périphérie de cette vaste zone. Enfin, la localisation des bureaux d’électeurs « rapatriés » correspond à des quartiers de relative aisance, preuve supplémentaire de parcours résidentiels caractéristiques d’une meilleure réussite sociale.

46Par ailleurs, sur l’ensemble de la commune, les électeurs « rapatriés » sont nettement plus nombreux puisqu’ils y représentent six électeurs nés en Afrique du Nord sur dix (soit un peu moins de 37000 électeurs sur les 61000 nés sur la rive sud de la Méditerranée [22]). Or, ils ne sont nettement majoritaires que dans 33 bureaux contre 68 pour ce qui est des porteurs d’un prénom arabo-musulman. Ceci indique qu’alors que la population maghrébine demeure concentrée et « fixée » dans certains quartiers (où le taux de pauvreté est élevé), la population rapatriée est nettement plus disséminée et réside dans des quartiers plus favorisés. Lors de son arrivée, la population « rapatriée » était également très regroupée dans certains quartiers (plus de 50 % à Sainte-Marguerite, la Panouse ou la Rose contre moins de 5 % dans les 7 premiers arrondissements de la ville [23]). Elle s’est ensuite progressivement répartie dans l’espace marseillais même si sa présence demeure significative dans les quartiers de Sainte-Marguerite ou de la Panouse (où elle a parfois investi les quartiers pavillonnaires proches des grands ensembles qui l’ont accueillie dans un premier temps) ou encore dans l’immense copropriété de La Rouvière (dans la partie sud de la ville). C’est également le cas à la Rose, quartier du 13e arrondissement, aux nombreuses cités HLM (Le Clos La Rose, Frais Vallon, La Sauvagine) séparées par de petits secteurs pavillonnaires. Les rapatriés qui ont connu une ascension sociale moindre y sont demeurés et ont été rejoints par les immigrés maghrébins et africains à partir des années 1970 [24].

47Le graphique n° 7 vient confirmer les informations fournies par l’outil cartographique puisque dans les bureaux où les électeurs nés en Afrique du Nord sont moins nombreux que la moyenne marseillaise (qui se situe à 12,6 %), quartiers de classes moyennes et supérieures, les électeurs « rapatriés » dominent très largement au sein du groupe « nord-africain ». Inversement, dans les bureaux où les électeurs nés en Afrique du Nord pèsent plus de 20 % des inscrits, le groupe arabo-musulman est largement majoritaire vis-à-vis des rapatriés avec plus de sept électeurs nés en Afrique du Nord sur dix.

Graphique 7

Proportion de pieds-noirs et d’Arabo-Berbères parmi les électeurs nés en Algérie, au Maroc ou en Tunisie en fonction du poids de cet électorat dans le bureau de vote

Proportion de pieds-noirs et d’Arabo-Berbères parmi les électeurs nés en Algérie, au Maroc ou en Tunisie en fonction du poids de cet électorat dans le bureau de vote

Proportion de pieds-noirs et d’Arabo-Berbères parmi les électeurs nés en Algérie, au Maroc ou en Tunisie en fonction du poids de cet électorat dans le bureau de vote

48Note de lecture : Les Arabo-Berbères représentent 16,2 % (et les pieds-noirs 83,8 %) de l’électorat né en Afrique du Nord dans les bureaux de vote où l’ensemble des électeurs nés en Afrique du Nord représentent moins de 8 % des inscrits.

Conclusion

49Notre pays, ainsi que quelques-uns de ses voisins, a connu une évolution démographique majeure au cours des cinquante dernières années. La France est certes un vieux pays d’immigration, la baisse précoce de la natalité (dès la fin du xviiie siècle) et la conflictualité avec le voisin allemand y ont rendu la main-d’œuvre immigrée indispensable. La deuxième moitié du xixe siècle voit même l’introduction du double droit du sol dans la loi française afin de s’assurer que les enfants d’immigrés deviennent français et puissent enfiler l’uniforme militaire en cas de nouveau conflit contre l’Allemagne afin d’éviter de subir une défaite aussi cuisante que celle de 1870 [Giblin, 2017]. Mais cette histoire particulière ne fait pas tout, des crispations identitaires se font jour et le rejet depuis une quarantaine d’années de l’immigration dite postcoloniale par une partie de nos concitoyens est patent.

50Dans ce contexte, l’étude des prénoms attribués aux nouveau-nés constitue une méthode originale et fiable lorsqu’il s’agit de retracer l’histoire de ces phénomènes migratoires. L’abandon rapide des prénoms d’origine polonaise et portugaise montre par exemple la puissance de la machine assimilatrice républicaine. Quant au choix massif fait par les immigrés asiatiques de donner un prénom français ou européen à leurs enfants, il n’est sans doute pas étranger à l’image d’immigration modèle dont ils jouissent [25]. Les immigrations maghrébine et africaine ne bénéficient pas d’une telle image surtout lorsque ces migrants sont issus de pays musulmans. La présence de ces immigrés et de leurs enfants ainsi que le poids démographique qu’ils représentent au sein de la population française font l’objet de multiples représentations et théories alarmistes [26] mais aussi de projections démographiques quasi apocalyptiques. L’étude des prénoms arabo-musulmans permet d’évaluer cliniquement le poids des descendants de ces immigrations parmi les enfants nés en France, mais aussi de mesurer la très inégale répartition de ces prénoms sur le territoire métropolitain. À cet égard, Hérodote ne s’était pas trompé en consacrant son numéro 162, Le 9-3, un territoire de la nation, à la Seine-Saint-Denis.

51Le cas de Marseille, abordé à travers l’analyse des listes électorales de la commune, démontre bien l’intérêt de procéder à des changements de niveau d’analyse géographique. Ainsi, l’inégale répartition spatiale de la population issue de l’immigration arabo-musulmane apparaît de manière encore plus flagrante au niveau de la cité phocéenne. Le constat, à cette échelle extrêmement fine, d’une très nette corrélation entre la présence de Français portant un prénom arabo-musulman et le taux de ménages sous le seuil de pauvreté est également révélateur des très grandes difficultés économiques qui touchent nos concitoyens issus de l’immigration. Cela se vérifie dans toute une partie des quartiers du nord et du centre de la ville. Mais, même au sud de Marseille, on observe une superposition de poches de pauvreté, avec un nombre important de prénoms rattachant ces Français aux immigrations arabo-musulmans.

52Si l’analyse de la prénomination nous a permis de mettre en lumière l’histoire et l’importance de différents flux migratoires, l’onomastique (étude des noms de famille) a fait apparaître, à l’échelle de Marseille, l’implantation géographique, selon des modalités et des temporalités différentes, de certaines communautés (comorienne, arménienne, pied-noir). Ces outils relativement nouveaux nous semblent ainsi très utiles et féconds pour prendre la mesure de la diversification quasi planétaire des flux migratoires qui constituent un des ressorts majeurs de l’archipélisation de la société française dont la cité phocéenne constitue en quelque sorte une loupe grossissante.

Notes

  • [3]
    D’abord écartés lors de la diffusion de l’émission le 16 septembre 2018, ces propos ont été diffusés sur Internet par Hapsatou Sy le 18 septembre et largement commentés sur les réseaux sociaux et les plateaux télévisés les jours suivants.
  • [4]
    L’Insee fournit chaque année deux fichiers actualisés distincts : un fichier national qui récence tous les nouveau-nés et leur prénom, et un fichier qui détaille les attributions de chaque prénom à l’échelle géographique des départements.
  • [5]
    Près de 20 % des naissances féminines se voient attribuer le prénom Marie en 1900 contre moins de 0,3 % en 2016 [Fourquet, 2019].
  • [6]
    Compte tenu de la période d’arrivée principale de cette population en France, qui correspond à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (crise des boat people), les personnes qui sont nées en France et sont inscrites sur les listes électorales (ce qui implique qu’elles aient au moins dix-huit ans) constituent très majoritairement la seconde génération et très marginalement la troisième génération.
  • [7]
    Nous avons constaté des résultats quasiment identiques en analysant les listes électorales de Bussy-Saint-Georges en Seine-et-Marne. Dans cette commune, qui abrite également une population d’origine asiatique importante, 74 % des personnes portant un patronyme asiatique et étant nées en France ont un prénom français ou européen, et c’est le cas également de 39 % de ceux qui sont nés dans leur pays d’origine.
  • [8]
    L’information sur le pays de naissance est présente dans le fichier des listes électorales parisiennes, ce qui a permis d’affiner cette analyse.
  • [9]
    Appellation générique que nous utiliserons pour désigner l’ensemble des personnes dont la famille est originaire d’un pays musulman, ce groupe étant, comme nous le verrons, très hétérogène et donc non assimilable à un bloc.
  • [10]
    Sans prétendre pour autant à l’exhaustivité.
  • [11]
    La proximité culturelle des trois religions monothéistes du Bassin méditerranéen participe de la marge d’erreur de même qu’elle nous a obligés à la plus grande prudence dans le cas de certains prénoms.
  • [12]
    Des prénoms comme Sonia, Nadia ou Inès peuvent, en effet, être donnés à leur fille par des parents n’ayant aucune ascendance immigrée, et décompter systématiquement ces naissances ainsi prénommées dans la catégorie « issus de l’immigration » aboutirait à une surévaluation statistique. Lorsque nous avons travaillé à partir des listes électorales, nous avons pu, dans de nombreux cas (mais pas dans tous, il s’agit encore une fois d’une démarche empirique), nous reporter au nom de famille pour statuer sur l’appartenance ou non de la personne portant ce type de prénom moins typé ou exclusif au groupe issu de l’immigration arabo-musulmane. Dans le cas du fichier de l’Insee, qui ne comporte que des prénoms mais pas les noms de famille, cette étape d’analyse et de vérification ne peut pas être effectuée. Telle est la raison de fond pour laquelle nous présentons dans ce qui va suivre le dénombrement des naissances portant un prénom arabo-musulman sur l’univers des nouveau-nés mâles.
  • [13]
    À l’issue de nos travaux menés sur les listes électorales de Marseille, Toulouse, Mulhouse, Roubaix, Creil, Aulnay-sous-Bois, Sarcelles et Perpignan, il nous est en effet apparu qu’après avoir réintégré les femmes portant des prénoms non spécifiquement arabo-musulmans mais un patronyme renvoyant à cette aire géographique dans les décomptes, nous obtenions sensiblement la même proportion de personnes d’origine arabo-musulmane parmi les hommes et parmi les femmes, et ce dans chacune des villes étudiées. Nous avons également constaté que ces prénoms étaient très peu portés par des personnes ayant des noms à consonance française et qu’inversement les personnes ayant des noms de famille de type maghrébin portaient dans la très grande majorité des cas des prénoms arabo-musulmans.
  • [14]
    Les données de l’Insee ne portent que sur les départements métropolitains et n’intègrent pas, pour la période 1900-1962, les départements algériens.
  • [15]
    Nous remercions Hakim El-Karoui pour ses précieux conseils nous permettant d’établir la liste de prénoms « modernes » dont l’évolution statistique est présentée dans le graphique n° 4.
  • [16]
    La liste des prénoms « classiques » comprend 272 prénoms, qui représentaient 50,9 % des attributions de prénoms arabo-musulmans masculins en 1968 contre 8,0 % en 2016, et se compose ainsi : Abdel et 158 prénoms composés à partir de cette racine, Mohamed et six variantes orthographiques, 90 prénoms composés à partir de Mohamed et de ses variantes, Ahmed, Ali, Djamel, Farid, Hakim, Kamel, Karim, Mehdi, Mourad, Mustapha, Nabil, Nordine, Rachid, Saïd et Samir. La liste des prénoms « modernes » comprend 7 prénoms et leurs variantes (notamment au niveau de l’accentuation des voyelles), elle ne représentait que 0,4 % des attributions de prénoms arabo-musulmans masculins en 1968 contre 18,0 % en 2016. Elle se compose ainsi : Adam, Kaïs et sa variante avec 2 « s » finaux, Naël, Naïm, Rayan (et Rayane), Soan et cinq variantes orthographiques et Yanis dont trois variantes orthographiques ont également été retenues.
  • [17]
    Nous avons sélectionné au total une série de 20 prénoms féminins fréquemment usités dans cette aire géographique.
  • [18]
    Nous adressons nos remerciements à Céline Colange de l’université de Rouen – UMR IDEES 6266 qui nous a fourni le fond de carte des bureaux de vote marseillais.
  • [19]
    Dans ces deux secteurs, le taux de ménages sous le seuil de pauvreté dépasse les 70 %.
  • [20]
    À proximité de l’église apostolique arménienne du boulevard Charles Zeytountzian (jeune appelé d’origine arménienne tué dans une embuscade en Algérie).
  • [21]
    La densité de cette population est restée plus forte dans ce quartier que dans celui de Saint-Jérôme, où la présence arménienne était historiquement importante, illustrée notamment par l’implantation de Garo (Georges) Hovsepian, maire des 13e et 14e arrondissements de 2001 à 2014 et président de l’Association arménienne de la jeunesse et de la culture de Marseille.
  • [22]
    Cet équilibre serait sensiblement modifié si l’on prenait en compte leurs descendants nés en France (2e, 3e, voire 4e génération).
  • [23]
    Au recensement de 1968, au moins 30 % des habitants des 8e, 9e, 10e, 13e, 14e et 15e étaient des rapatriés, in « La Rouvière, dernier bastion pied-noir », L’Obs, 6 juillet 2012.
  • [24]
    Dans ces bureaux de vote, les excellents scores réalisés de concert par Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle de 2017 témoignent de l’imbrication géographique de ces deux populations.
  • [25]
    Ainsi, d’après le sondage de l’Ifop Regards sur les préjugés antisémites 10 ans après la mort d’Ilan Halimi pour l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) et SOS Racisme réalisé en février 2016, à la question de savoir si les sondés ressentent à l’égard de certains groupes « de la sympathie, de l’antipathie ou ni sympathie, ni antipathie », les Asiatiques ne recueillaient que 6 % d’antipathie, les protestants 5 %, les Juifs 9 % et les étrangers en général 11 %. Ce sentiment d’antipathie s’élevait à 16 % concernant les Noirs africains et à 29 % concernant les Maghrébins et était également à 29 % concernant les musulmans.
  • [26]
    Comme la théorie du « Grand remplacement » de l’écrivain Renaud Camus.
Français

L’étude des prénoms s’avère une méthode extrêmement féconde en enseignements sur les phénomènes migratoires qu’a connus et que connaît encore la France. Le fichier Insee des prénoms attribués aux nouveau-nés chaque année en France, qui se décline également à l’échelle départementale, offre la possibilité de suivre l’histoire des immigrations en France depuis 1900. La disparition rapide des prénoms d’origine pour les immigrations polonaise et portugaise, notamment une fois les flux migratoires taris, montre la puissance de la machine assimilatrice républicaine. L’analyse des listes électorales du 13e arrondissement de Paris montre que 75 % des Français issus de l’immigration asiatique (Vietnam, Laos, Cambodge, Chine) portent un prénom français ou européen, un choix pragmatique à même de faciliter leur intégration.
L’analyse anthroponymique permet aussi d’étudier et de mesurer la montée en puissance du groupe ethnoculturel arabo-musulman (par ailleurs fortement hétérogène) au sein de la société française depuis la Seconde Guerre mondiale, sa diffusion sur le territoire au fil des décennies et sa très inégale répartition sur le territoire métropolitain.
Le dépouillement des listes électorales de Marseille montre, à l’échelle locale, une ségrégation plus grande encore avec des bureaux de vote où plus de 50 % des électeurs inscrits portent un prénom issu des mondes arabo-musulmans, ces bureaux se trouvant essentiellement au nord du centre-ville et dans les arrondissements septentrionaux de Marseille, quand cette proportion est inférieure à 5 % dans de nombreux bureaux du sud de la ville. Cette inégale répartition dessine une correspondance quasi parfaite entre le taux de prénoms arabo-musulmans dans les bureaux de vote et le taux de pauvreté au niveau local (carroyage Insee de 200 mètres de côté). Enfin, les concentrations notables (comoriens, arméniens) selon des temporalités et des modalités très différentes ou au contraire la diffusion de certaines communautés (pieds-noirs) montre la différence des parcours individuels et collectifs en fonction de l’origine des immigrés à Marseille.

  • En ligneCoulmont B. et Simon P. (2019), « Quels prénoms les immigrés donnent-ils à leurs enfants en France ? », Population et Sociétés, Ined, n° 565, avril.
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Jérôme Fourquet
Directeur du département Opinion et stratégie d’entreprise de l’Ifop.
Sylvain Manternach
Géographe, cartographe.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2019
https://doi.org/10.3917/her.174.0113
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