La citoyenneté européenne est le sujet d’une des incommunications les plus intrigantes dans l’Europe d’aujourd’hui. Son support de communication le plus répandu et saillant, le passeport que tout citoyen de l’Union européenne peut détenir, est à la fois un artefact chargé de symboles et de pouvoir et un objet d’une grande banalité dans le monde globalisé d’aujourd’hui. La dimension européenne de ce passeport, si convoité par les immigrés extra-européens, est devenue invisible aux yeux des citoyens de l’Union européenne. Deux raisons peuvent être invoquées ici : la facilité relative d’obtention d’un passeport, simple démarche administrative en Europe, mais aussi le télescopage entre les deux mentions qui y figurent : la mention de l’appartenance nationale et celle de l’appartenance européenne.
La citoyenneté européenne est une incommunication au sens d’« ambiguïté » (Renucci et Paquot, 2019) entre un supra-État et ses citoyens, qui vient d’un non-pensé de la réalité objective présente derrière des inscriptions administratives. Si ce statut d’incommunication n’invalide pas le passage aux frontières – on se souvient soudain être membre de l’Union Européenne quand le contrôle des passeports distingue catégoriquement entre membres et non membres –, il se fait sentir à d’autres moments de la vie quotidienne et politique. En effet, la particularité de la citoyenneté européenne est d’être superposée à une (ou plusieurs) citoyennetés nationales. Ces dernières sont soutenues plus fortement par les identifications nationales, l’histoire, le sentiment d’appartenance ou, parfois, l’habitude…