CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Décédé à l’âge de soixante-douze ans, le chimiste et physicien Bernard Bigot nous a quittés le 14 mai 2022, à Pessac, en Gironde, où il est enterré. Son second successeur au poste d’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), François Jacq, a bien résumé ce que fut l’homme dans son allocution prononcée lors des obsèques : « Bernard Bigot forçait l’admiration par son abnégation et son don de soi au service de l’intérêt général… Bernard était un serviteur de l’État au sens le plus élevé. »

2 Né le 24 janvier 1950 à Blois, brillant élève, il est admis à l’École normale supérieure de Saint-Cloud à dix-neuf ans, agrégé de sciences physiques à vingt-trois, docteur en chimie nucléaire à vingt-neuf. Sa thèse obtenue, il effectue deux séjours d’enseignement à l’étranger, l’un au Pérou, l’autre aux États-Unis. À son retour en France, il participe à l’aventure de la relocalisation de son ENS à Lyon. Il s’y investit de plus en plus, d’abord comme professeur des universités, directeur de l’un de ses laboratoires, directeur adjoint en charge des études et de son système de concours (1986‑1993) puis de sa recherche (1998‑2000), avant d’en prendre la direction (2000‑2003).

3 En 1993, avec l’arrivée du gouvernement de cohabitation d’Édouard Balladur, Premier ministre, et de François Fillon à l’Enseignement supérieur et à la recherche, Bernard Bigot est nommé chef de la mission scientifique et technique (MST). Trois ans plus tard, il devient directeur général de la recherche et de la technologie au ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (1996‑1997). En 2002, à l’issue de la réélection de Jacques Chirac à la présidence de la République, il revient aux affaires de l’État en tant que directeur de cabinet de Claudie Haigneré, ministre déléguée à la Recherche et aux nouvelles technologies, ainsi que directeur adjoint du cabinet de Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, où il s’illustre par une défense vigoureuse des budgets de l’Enseignement supérieur et de la recherche face aux inspecteurs des finances. En juillet 2003, Bernard Bigot est nommé haut-commissaire à l’énergie atomique, poste qu’il conserve jusqu’en 2009. Il ne s’éloigne cependant pas de l’enseignement supérieur.

4 Début 2011, Bernard Bigot accède à la présidence du conseil d’administration de l’École supérieure de chimie, physique, électronique de Lyon. Surtout, en octobre de la même année, il est nommé, pour deux ans, président du Comité de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE). Constituée en juillet 2009, l’Alliance a pour mission de coordonner les recherches sur l’énergie menées par les organismes publics nationaux. Elle réunit notamment, autour du CEA, le CNRS, l’IFP Énergies nouvelles et la Conférence des présidents d’université, ainsi que d’autres établissements publics de recherche associés. Bernard Bigot reste en effet non seulement un organisateur hors pair, mais aussi un chercheur-auteur de publications scientifiques parues dans des revues spécialisées de chimie théorique (photochimie, catalyse, état condensé).

5 De nouveaux défis attendent cet amateur de randonnées alpines. En 2003, on l’a vu, Bernard Bigot est appelé aux fonctions de haut-commissaire à l’énergie atomique. En tant que tel, il se mobilise sur le dossier de la fusion nucléaire, qui cherche à reproduire un processus physique naturellement présent dans les astres à partir de l’hydrogène disponible en quantité presqu’illimitée sur terre. En janvier 2009, il prend les fonctions d’administrateur général du CEA. Il définit dès lors de nouvelles orientations. Cette évolution se traduit par un changement de nom : dès 2018, l’organisme devient le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. De nombreuses réussites scientifiques jalonnent ses deux mandats. En 2009, il est en outre vice-président du conseil de surveillance d’Areva. Enfin, en 2012, il entre au club d’influence Le Siècle, sans qu’il soit possible d’identifier quelle y fut sa réelle contribution.

6 En novembre 2014, Bernard Bigot succède à Osamu Motojima en tant que directeur général du projet de recherche ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Il en est élu directeur général en mars 2015 et réélu unanimement par le conseil d’ITER en janvier 2019 pour cinq ans supplémentaires. Sous son impulsion et grâce à une collaboration internationale exemplaire (Chine, Corée du Sud, États-Unis, Inde, Japon, Russie et Union européenne), est édifié sur le site de Saint-Paul-lez-Durance (Bouches-du-Rhône) le plus grand tokamak jamais conçu, à savoir une machine qui doit démontrer que la fusion, l’énergie du soleil et des étoiles, peut être utilisée comme source d’énergie à grande échelle, non émettrice de CO2, pour produire de l’électricité. Malade déjà, Bernard Bigot préside jusqu’au bout le conseil d’ITER de sa chambre d’hôpital où il lutte contre la maladie. Il en va de même pour la Fondation pour l’université de Lyon, dont il assure aussi la présidence.

7 Doué d’une force de travail hors du commun, Bernard Bigot s’est toujours monté d’une totale disponibilité, sans jamais se départir de son sourire et s’intéressant à tous les sujets dont on l’entretenait. Pour avoir travaillé avec lui à la MST, puis lorsqu’il était à la Direction de la recherche et de la technologie (DGRT), enfin en tant que directeur de cabinet de Claudie Haigneré, j’ai le souvenir d’un leader à la fois charismatique, bienveillant et modeste, capable d’échanger avec vous sur les dossiers les plus complexes entre six heures du matin et deux heures le lendemain matin. J’ai le souvenir aussi d’un homme fidèle aux causes qu’il a portées et à ceux qui, à leur niveau, ont travaillé avec lui. Son héritage nous offre un exemple et un modèle.

Dominique Barjot
Dominique Barjot est historien économiste, professeur émérite à Sorbonne Université. Il est directeur adjoint des sciences humaines et sociales du CNRS de 1994 à 1997 et occupe le poste de directeur des sciences humaines et des humanités à la MSTP (aujourd’hui Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, Hcéres) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche entre 2003 et 2007. Depuis 2017, il est président du Comité français des sciences historiques.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/10/2022
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