L’aberration ressentie devant la brutale invasion russe de l’Ukraine a conduit les pays européens à adopter des mesures sortant elles aussi de l’ordinaire. Parmi celles-ci, l’interdiction des médias Sputnik et RT News semble paradoxale puisqu’elle revient, pour des démocraties, à enfreindre le principe de libre confrontation dialectique qui les distingue des régimes autoritaires. À partir de l’observation des arguments et des silences qui ont accompagné le passage abrupt d’une compréhensible situation d’incommunication à une situation d’acommunication institutionnalisée, cette étude propose d’examiner brièvement certains des déterminants à l’œuvre dans le rejet d’une communication non consonante.
En matière de liberté d’expression, l’usage dans les États de droit (en particulier celui des cours de justice supérieures) est de mettre attentivement en balance le bénéfice collectif découlant d’une restriction et le degré de gravité de l’atteinte aux principes démocratiques qu’elle implique. Pour leur part, les discours successifs des responsables européens qui ont annoncé le 27 février l’interdiction des deux médias n’ont caractérisé que de façon vague, quoique vigoureuse, l’importance du risque ainsi écarté : ces organes cesseraient ainsi « de répandre leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine et semer la zizanie dans notre Union » (von der Leyen, 2022) ; « nous tuons le serpent en lui coupant la tête » (Borrell, 2022), etc. Ni l’un ni l’autre n’évoquait la question sous-jacente de la liberté d’expression…