« Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes » disait Jean Monnet, l’un des Pères de l’Europe, en 1952. Encore faut-il que ces « hommes » – et ces femmes – s’entendent sur le projet, et les concepts qui le sous-tendent. À défaut, l’« incommunication » prendra le dessus sur une communication effective, dans laquelle émetteur et récepteur sont sur la même longueur d’onde (Wolton, 2021 ; Lepastier, 2013). Toutefois, l’incommunication n’est pas forcément négative si elle se définit comme un « sentiment partagé de ne pas arriver à se comprendre (insatisfaction) » qui « se distingue de la non-communication et du désaccord » (Dacheux, 2015).
Or le projet européen recèle, de par son caractère multilingue et multiculturel, un risque d’incommunication particulièrement élevé qui constitue aussi une opportunité. Les historiens et philosophes ont pointé du doigt la difficile émergence d’un « espace public » européen, défini par une offre politique clairement identifiable dans les différents pays constitutifs de l’Union (Kaelble, 2004 ; Spector, 2021). L’« identité européenne » est tout aussi labile, mais est-ce un problème, ou au contraire une force pour agréger des populations disparates et atténuer leurs conflits ?
Aujourd’hui, le développement d’une foisonnante littérature historique fondée sur les sources d’époque, donc évitant l’anachronisme de la projection ex-post de concepts actuels, permet de renouveler l’étude ce processus en l’appliquant à la question délicate du modèle économique et social européen…