« Si c’était à refaire, je commencerais par la culture. » On regrette souvent, en citant cette phrase apocryphe de Jean Monnet, l’absence en Europe d’une culture commune. Il faudrait, ainsi, passer par la culture pour dépasser les logiques économiques et administratives qui n’ont guère suffi pour souder l’Union européenne ; rechercher la convergence des cœurs et des intelligences plutôt que celle des porte-monnaie. Cette ambition généreuse anime les activités de nombreuses instances européennes dédiées à la culture, à la recherche, à l’enseignement. S’il serait mal avisé de remettre en cause le projet d’une Europe de la culture plutôt que des cultures, il reste que sa rhétorique se fonde sur une analyse assez courte du passé – ce que montre une approche visuelle des convergences et des divergences européennes au xxe siècle.
Pas assez de culture commune ? Les images du passé ne racontent pas la même histoire, si l’on se fie aux résultats du projet Visual Contagions entamé depuis 2019 sur la circulation mondiale des images. Non seulement les Européens ont partagé depuis la fin du xixe siècle un patrimoine visuel conséquent, mais il est possible que ce patrimoine ait survécu dans certains pans de la culture contemporaine. Par ailleurs, ce patrimoine visuel n’a jamais été séparé des logiques économiques qu’on a pris l’habitude de dénoncer pour mieux porter aux nues un projet culturel européen. Reste à savoir ce que nous voulons faire collectivement de cette Europe des images – ce qu’elle dit de notre passé comme de notre présent, en positif ou négatif, et en quoi elle peut (s’il faut qu’elle soit utile) contribuer aux urgences de l’Europe contemporaine…