CAIRN.INFO : Matières à réflexion

La tragédie ukrainienne, qui a surpris en France tout en confirmant les pires pressentiments et analyses des pays voisins de la Russie, marque peut-être la fin d’une longue période d’« insoutenable légèreté de l’être » en Europe occidentale. Le retour brutal du tragique a rendu inconvenant d’adopter cette attitude si répandue qui consistait à traiter « l’autre Europe » avec une forme de condescendance. « Petites nations à identité incertaine », image bien discutée par Kundera dans son article qui fait désormais référence, « Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale » (1983), où l’écrivain tchèque illustre sur plusieurs exemples comment l’Europe occidentale la regarde comme une « Europe périphérique » (Horel, 2009), tandis que ces provinces regardent les centres en essayant de les copier, en produisant une « culture de dépendance » (Delteil, 2018), voire « la démocratie illibérale ». L’image d’un « pays factice », nationaliste, xénophobe, largement véhiculée par la propagande de Poutine pour priver l’Ukraine de sa légitimité et reprise par un discours journalistique, n’est pas nouvelle. « Aujourd’hui c’est l’Ukraine qui défend les frontières du monde civilisé. Si, par malheur elle était vaincue, personne ne sait où s’arrêtera l’agression russe », a déclaré Ruslan Stefanczuk, le chef du parlement ukrainien. Ses compatriotes ont raison d’affirmer leur européanité qui leur a été accordée au compte-goutte, sinon niée.
Toute cette aire culturelle appelée Europe centrale et orientale, ou Europe du Centre-Est, est proprement européenne, c’est-à dire marquée par la culture de la liberté issue du judéo-christianisme et de la révolution des droits de l’homme, qui n’empêche pas les dictatures, mais rend possibles les dissidences en leur sein…

Français

Le retour brutal du tragique a rendu inconvenant d’adopter cette attitude si répandue qui consistait à traiter « l’Autre Europe » avec une forme de condescendance. Perçues comme « petites nations à identité incertaine », « périphéries européennes », elles réagissent en s’attribuant parfois une légitimité supérieure de leurs discours du fait des souffrances vécues et d’une expérience historique tragique. La guerre en Ukraine met peut-être fin à cette double condescendance.

  • Europe centrale et orientale
  • histoire de l’Europe
  • culture européenne
  • littérature
Joanna Nowicki
Joanna Nowicki est professeure des universités à CY Cergy Paris Université, où elle est directrice du master Ingénierie éditoriale et communication. Membre du laboratoire LT2DI (Lexiques, Textes, Discours, Dictionnaires) et du bureau de rédaction de la revue Hermès, ses travaux et ses publications portent sur la communication Est/Ouest, l’imaginaire collectif européen, la circulation et le transfert des idées en Europe et l’Autre Francophonie. Elle a dirigé À quoi sert la littérature, avec Axel Boursier, en 2018 et La vie de l’esprit en Europe centrale et orientale depuis 1945, avec Chantal Delsol, en 2021, ouvrages parus aux éditions du Cerf.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Il vous reste à lire 88 % de cet article.
Acheter cet article 3,00€ 5 pages, format électronique
(html et pdf)
add_shopping_cart Ajouter au panier
Autres options
Membre d'une institution ? business Authentifiez-vous
Déjà abonné(e) à cette revue ? done Activez votre accès
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/10/2022
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...