Andy Warhol promised me 15 minutes of fame. As a scientist I used already 10 minutes. The five minutes left I am trying as an artist.
« Andy Warhol m’a promis un quart d’heure de célébrité. J’ai déjà utilisé dix minutes en tant que scientifique. J’ai décidé de prendre les cinq dernières pour tenter ma chance en tant qu’artiste. »
2 J’ai effectué ma scolarité secondaire à Condorcet, Paris. Un seul garçon a été plus ou moins dans les mêmes classes que moi, de la sixième à la terminale philo, Jean-Louis Lassez. Nous avions coutume d’être tous les deux jugés insuffisants en maths, peu doués pour les sciences. Nous nous sommes perdus de vue après le bac. Je suis devenu un psychiatre titré, avec entre autres quelques publications solides sur la biochimie du cerveau. Jean-Louis Lassez, quant à lui, est devenu un titan des mathématiques appliquées à l’intelligence artificielle. Si vous pouvez communiquer grâce à votre ordinateur et à votre téléphone portable c’est en partie grâce à lui. Autant pour la valeur prédictive des résultats scolaires !
3 La carrière de Jean-Louis Lassez l’a mené à enseigner en université au Canada (Sherbrooke, Moncton), aux États-Unis (Purdue), en Australie (Melbourne), avant de diriger un département nodal de la recherche chez IBM au T. J. Watson Center, de 1985 à 1989, tout en participant à de multiples conférences de par le monde et en particulier au Japon où il était quasiment l’objet d’un culte parmi ses élèves. En dernier lieu, il était professeur de computer science au New Mexico Institute of Technology et à la Brown University. Il a été rédacteur en chef du Journal of Logic Programming (Elsevier).
4 En 2004, ses pairs lui ont décerné le prix de « l’article le plus important depuis vingt ans » pour un papier de 1987 qui a abouti à la création d’un nouveau langage informatique baptisé Constraint Logic Programming. Quelques lignes d’un dernier article : « On obtient un résultat significatif en utilisant l’élimination de Fourier, très efficace pour la programmation linéaire et aussi la programmation de nombres entiers quand les systèmes n’ont que deux variables par inégalité. »
5 Jean-Louis a un jour confié à son beau-frère François Lacoste, lui-même physicien et inventeur (« de génie », selon Jean-Louis) : « Dans mon domaine de la programmation linéaire, il y a quatre théorèmes de base et j’en ai démontré trois. » Il se définissait comme un mathématicien anarchiste, c’est-à-dire un mathématicien affranchi des règles mathématiques usuelles.
6 Quand nous nous sommes retrouvés il y a une quinzaine d’années, se sont immédiatement installées entre nous la confiance et la sincérité des enfants grandis et éveillés au savoir ensemble que nous avions été. Hermès pourrait s’intéresser à cette question, la communication juvénile, et dans quelle mesure elle subsiste entre adultes.
7 Ces dernières années, Jean-Louis Lassez a excellé dans l’art assisté par ordinateur, remportant des prix. Il a eu de multiples contacts avec des musées renommés de par le monde et, en dernier lieu, lui-même issu d’une famille bretonne catholique, a fourni des documents sur les parents de son épouse, Louis Marcoussis, peintre et graveur (1878-1941) et a mis à disposition une œuvre d’Alice Halicka, peintre et décoratrice (1889-1974), au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme de Paris pour l’exposition « Paris comme école », tenue il y a un an.
8 Jean-Louis avait beaucoup d’humour. Né un 24 décembre, voici comment il se représentait.
9 Jean-Louis Lassez est mort paisiblement dans son ranch au Nouveau-Mexique, fréquenté par les ours bruns, les serpents à sonnette, les coyotes, les pumas. Encore un brillant esprit que la France n’a pas su retenir.
