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« J’ai confiance. »
Cette simple phrase ouvre un abîme de perplexité, alors même que la confiance est justement supposée, quand elle est là, en sa solidité, surmonter toute perplexité. Cela engage le « je » pronom personnel, shifter ou « embrayeur » de l’énonciation, qui rappelle cette évidence : le sujet est engagé en personne dans son acte de confiance, il y met du sien en l’accordant à l’autre. Au moment de définir la confiance, le lexicographe ne trouve pas d’autre moyen que de la définir a contrario – et à juste raison – comme « la croyance, spontanée ou acquise, en la valeur morale affective, professionnelle, etc. d’une autre personne, qui fait que l’on est incapable d’imaginer de sa part tromperie, trahison et incompétence ». L’expression même, impliquant l’auxiliaire « avoir », atteste que la confiance désigne une appartenance (subjective).
Définition en négatif et en cercle : j’ai confiance en effet dès lors que je ne décèle aucun motif de méfiance ou de défiance, donc de mettre en doute l’authenticité de l’autre, de ses intentions et de ses actes, dès lors que je suis même incapable d’imaginer la trahison de l’autre. Voilà une tautologie définitoire. Mais considérée comme un acte de plein droit, la confiance relève bien de la croyance ; il s’agit, quand on « accorde sa confiance », de miser sur l’autre. Elle est ce mouvement qui prend à contre-pied la possibilité de la trahison. Ce qui s’appelle « croire en l’autre » – mais aussi ce qui ne peut écarter l’éventualité de la résilier, quand apparaissent des raisons de « retirer ma confiance », révision dont on comprend qu’elle puisse être déchirante – puisqu’elle déchire le sujet même de la croyance…

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Français

Il s’agit de restituer la dialectique subjective de la croyance à la confiance : qu’est ce qui est tenu pour fiable dans l’agir et l’être de l’autre ? Il y a là un pari sur l’altérité, qui se démontre dans l’amitié et culmine dans l’amour, alimentant le lien social. Cette éthique du sujet s’éclaire ici par les ressources du savoir inconscient, qui met au jour l’ordre symbolique, en son expression juridique, par le serment et la « parole jurée ». L’illustre aussi le dispositif juridique du « fidéicommis ». C’est finalement la « décroyance », au-delà de l’incroyance, ver dans le fruit de la confiance, qui en éclaire la conflictualité et les enjeux. On doit en suivre la symptomatologie dans les « passions sociales », dont les formes aiguës de ressentiment et la mise en place de pratiques du soupçon systématisée, défiance qui alimente une forme collective de discours paranoïsé dont le postulat est l’imposture de l’Autre. Cela met à l’épreuve la théorie de la communication et du langage, via la dimension de réciprocation. La clinique du sujet révèle le paradoxe de ces sujets qui répètent systématiquement des situations de trahison, engageant leur capital de confiance à fonds perdus, par où l’on reconnaît le travail de la pulsion de mort, déliaison et destructivité au cœur du lien.

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  • croyance
  • défiance
  • « décroyance »
  • sujet
  • droit
  • symbolique
  • réciprocité
  • ressentiment
  • langage
  • communication
Paul-Laurent Assoun
Paul‑Laurent Assoun, professeur émérite à l’Université de Paris, psychanalyste, membre du Centre de recherche psychanalyse médecine et société (CRPMS), auteur d’une quarantaine d’ouvrages dont Freud et les sciences sociales. Psychanalyse et théorie de la culture (Armand Colin, 2e éd., 2008). Agrégé de philosophie, docteur d’État en science politique, habilité à diriger les recherches en psychopathologie, trajet interdisciplinaire dans l’axe de l’anthropologie psychanalytique.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/12/2021
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