CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’aventure de The Conversation commença en 2009-2010, sur le campus de Melbourne, par des discussions entre un rédacteur en chef chevronné, Andrew Jaspan, et un de ses amis, Glyn Davis, vice-chancellor de l’université, autour de la perte de confiance dans des médias alors en pleine crise. L’Australie est la terre natale du groupe de Rupert Murdoch, qui venait d’être convaincu d’espionnage et de corruption. Comment redonner au partage de l’information des bases solides, fiables, se demandaient les deux hommes ?

2Andrew Jaspan, qui avait dirigé de nombreuses rédactions (notamment The Scotsman, The Observer ou The Age) remarqua qu’une université avait des points communs avec un journal en ce sens que ces spécialités couvraient l’étendue des rubriques d’un quotidien. À la différence près que les enseignants-chercheurs bénéficiaient, eux, de la confiance du public et qu’ils détenaient des savoirs de fond, basés sur des recherches. Et si cette confiance dans les scientifiques pouvait servir de fondation à un nouveau média ?

3À partir de cette intuition, l’ancien rédacteur en chef imagina un site web où des chercheurs et des journalistes-éditeurs pourraient collaborer afin de produire des articles solides éclairant l’actualité et nourrissant le débat public. La conversation qui donne son nom au média se déroule à deux niveaux : conversation entre scientifiques et journalistes d’une part… pour éclairer la conversation citoyenne (numérique ou sur d’autres agoras), d’autre part.

4Afin que ce nouveau média, gratuit et sans publicité, soit le plus indépendant possible, il fut décidé qu’il prendrait la forme d’une fondation à but non lucratif ; son financement dépendrait des cotisations des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, des fondations et de la philanthropie.

5Dix ans après le lancement du site en 2011, The Conversation est devenu un réseau mondial de 8 sites associatifs, en 4 langues, employant 120 journalistes, s’appuyant sur 75 000 enseignants-chercheurs des 5 continents.

6La déclinaison française du site, lancée en 2015, est une association à but lucratif financée par 100 membres et membres bienfaiteurs présentés sur le site (universités, grandes écoles, organismes de recherche, fondations, régions, ministères) qui donne la parole à 7 500 enseignants-chercheurs francophones. Leurs articles ou leurs podcasts, produits en collaboration avec 18 journalistes spécialisés, sont diffusés sur la newsletter quotidienne gratuite (67 000 abonnés) et sur le site, mais aussi par des dizaines de médias en ligne (de Ouest-France au Point, de La Voix du Nord à Slate) sous licence Creative Commons. Les bons chiffres d’audience des articles (6 millions de pages vues par mois) témoignent de l’engouement du public pour des analyses et des études vulgarisées éclairant l’actualité au sens large – y compris l’actualité de la recherche – qui ne sont pas des tribunes ou commentaires comme on en trouve partout sur le Web.

7Tel est le premier élément du contrat de lecture implicite entre les lectrices et lecteurs de The Conversation et les auteurs : le partage de savoirs issus de la recherche et non la publication d’opinions.

Vulgarisation et confiance

8Le travail des journalistes de The Conversation, une fois repérés les sujets et les auteurs pertinents, s’apparente à de l’édition collaborative ; scientifique et journaliste vont travailler ensemble à un texte lisible, clair et accessible. Seuls les chercheurs signent les articles qu’ils ont validés. Le journaliste n’apparaît pas, mais veille à ce que le chercheur soit parfaitement à l’aise avec le texte et son appareillage (titraille, illustrations) dans sa version vulgarisée.

9Les lecteurs ont tendance à avoir confiance dans ce qu’ils trouvent clair et qu’ils comprennent bien. La vulgarisation est là pour rendre accessibles – et agréable à lire – le savoir scientifique décrypté et la recherche en train de se faire. Cette approche a bien entendu des limites. Tout n’est pas aisément vulgarisable. C’est pourquoi certains articles prennent plusieurs semaines à être édités. Mais le résultat est toujours valorisant, à la fois pour l’auteur qui voit son travail compris et pour le lecteur qui accède à des savoirs complexes.

La fabrique de la confiance

10Dans l’ensemble du réseau The Conversation, les règles sont les mêmes : n’écrivent que des enseignants-chercheurs ou des chercheurs qui peuvent appuyer leurs analyses sur leur travail de recherche ; ils n’écrivent que sur leur domaine de compétence strict ; ils signent tous une déclaration d’intérêt, condition sine qua non pour valider leur article sur le site. Ce triptyque est la fondation d’un partage de savoir sain.

11Lors de la dernière étude de lectorat menée en France (en avril-mai 2021) auprès de 4 033 répondants, l’indice de confiance dans les articles de The Conversation est particulièrement élevé : 95 % des lecteurs affirment leur confiance, dont 52 % ont « tout à fait confiance ». Pour ce lectorat, qui affiche par ailleurs un fort taux de satisfaction, la confiance procède avant tout des auteurs (enseignants-chercheurs) puis du média dans la façon dont il diffuse simplement et directement leurs productions. Mais avant tout, The Conversation est perçu comme « passeur de savoirs » autour de l’actualité.

Expertise universitaire, exigence journalistique

12La période de la pandémie a été l’occasion de démontrer combien les lecteurs étaient en quête de données fiables. Le nombre de pages vues a été multiplié par 4 au cœur de la première vague. Pendant cette période, le site francophone recevait environ 40 propositions d’articles par jour, dont 4 ou 5 étaient retenues pour édition, sachant que le site publie une douzaine d’articles par jour, toutes rubriques confondues. La qualité des propositions reçues est à noter. Les enseignants-chercheurs du réseau The Conversation connaissent bien les règles de publication du média. Les journalistes se rendent d’ailleurs dans les établissements membres pour assurer des séances de formation à l’écriture grand public. L’exigence journalistique concerne bien entendu la clarté des articles publiés, mais aussi le choix des sujets et des auteurs. Les journalistes du réseau sont la plupart du temps des spécialistes d’un domaine particulier (pour The Conversation France : physique, électronique, biologie, économie, ethnologie, philosophie, histoire, etc.) passés par des formations de journalisme. Ils sont à même de s’y retrouver dans la masse des publications, dans les réseaux de laboratoires et le calendrier des colloques. Être des interlocuteurs exigeants et bienveillants pour les chercheurs tout en sentant l’actualité des sujets est leur défi quotidien.

Didier Pourquery
Président co-fondateur de The Conversation France, président de CapSciences à Bordeaux, diplômé de Sciences Po Paris et de l’ESSEC, Didier Pourquery est journaliste depuis le début des années 1980. Rédacteur en chef pour de nombreux titres dont Libération, La Tribune, InfoMatin, VSD et L’Expansion. Directeur des rédactions de Metro France depuis son lancement en 2002 jusqu’en 2006, il fut aussi rédacteur en chef puis directeur adjoint au Monde de 2009 à 2014. Il est l’auteur de 11 ouvrages, dont Les Mots de l’époque, L’Été d’Agathe, Petit Éloge du Jazz, En finir avec l’ironie ? et Une histoire d’hamburgers-frites.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/12/2021
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...