CAIRN.INFO : Matières à réflexion

En 2019, Ayaka Fujî, chercheuse en électro-communication, met au point un système de réalité mixte afin de pouvoir manger avec un petit robot. Célibataire, Ayaka Fujî souffre de solitude. Vers midi et le soir, en particulier, la sensation d’isolement se fait lancinante : « Personne avec qui partager son repas… À force de rester seuls, les gens perdent confiance en eux-mêmes. » Pour leur venir en aide – parce que le fait de manger seul suscite le sentiment d’être coupé du groupe –, Ayaka Fujî travaille sur des dispositifs électro-numériques conçus pour influencer positivement leurs utilisateurs en favorisant l’illusion de n’être pas seul-e. Issus des technologies dites « persuasives », ces dispositifs connaissent la faveur du grand public au Japon. Ils mettent pourtant en application les principes du conditionnement, souvent critiqués dans la littérature scientifique (Verbeek, 2011 ; Zouinar 2013 ; Zuboff, 2020). Comment comprendre que ces objets bénéficient d’un fort potentiel de sympathie et de confiance alors qu’ils visent à placer l’humain sous l’emprise d’une technologie ? L’objectif de cet article est d’étudier les raisons pour lesquelles, au Japon notamment, les utilisateurs s’en remettent à des algorithmes conçus pour les tromper et les manipuler.
En préalable à cette enquête, une précision s’impose : les chercheurs en Interactions Humains-Machines sont souvent les premiers à questionner la fiabilité (ou la dimension éthique) des systèmes qu’ils développent. Le plus connu d’entre eux est l’Américain B…

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En 2019, Ayaka Fujî, chercheuse en électro-communication, met au point un système permettant de « manger avec » un robot. Issu des recherches en technologies persuasives, ce système prolonge toute une série d’expériences visant à faire du repas un moment d’échange, ne serait-ce qu’en imagination. Au Japon – pays frappé par une forte hausse du célibat –, les « dispositifs de commensalité » constituent depuis une dizaine d’années un domaine de recherche très actif. Ils permettent aux personnes seules de « partager » leur repas… avec des gens sur des écrans, des créatures de synthèse ou des robots. Pourquoi se fier à de tels outils ? Pourquoi, surtout, faire de l’illusion une « solution » ?

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  • robot
  • Japon
Agnès Giard
Agnès Giard, anthropologue rattachée à l’université de Paris Nanterre (laboratoire Sophiapol), chercheuse postdoctorale à Freie Universität Berlin, travaille au sein du groupe de recherche européen (ERC) EMTECH : Emotional Machines : The Technological Transformation of Intimacy in Japan. Ses recherches portent sur l’industrie des simulacres affectifs dans le contexte du dépeuplement du Japon. Elles mettent en regard la consommation des produits de consommation émotionnels et le stigmate frappant les personnes qui vivent seules, ainsi que la perspective d’une mort sans descendance.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/12/2021
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