Cyrille FERRATON et Delphine VALLADE (dir.), Les Communs, un nouveau regard sur l’économie sociale et solidaire ?, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2019, 249 p.
1Cet ouvrage collectif est une sélection de textes issus d’un colloque du Réseau inter-universitaire des chercheurs en économie sociale et solidaire (RIUESS). Il est pluridisciplinaire et se consacre aux relations entre les communs et l’économie sociale et solidaire. Il se décompose en quatre parties. La première (deux textes) propose un regard historique sur les liens entre ESS et communs en développant une réflexion sur la propriété collective dans le cadre coopératif et en montrant comment, dans le Jura, le lait fut, pour les producteurs de fromage, un commun. La deuxième (quatre textes) se propose, à rebours, d’étudier quatre initiatives solidaires contemporaines à l’aune des communs : les zones de gratuité permanente, la gestion communautaire de biens culturels en Espagne, la microfinance au Burkina Faso et l’habitat groupé participatif. La troisième (trois textes) étudie les liens entre communs et innovation sociale, soit d’une manière théorique, soit à travers deux études de cas : le mécénat de compétence et une coopérative d’énergie. La dernière partie, enfin, s’intéresse à des initiatives locales (un Pôle territorial de coopération économique, un système autonome d’épargne et de crédit en Haïti, l’initiative « territoires zéro chômeur de longue durée ») en se situant dans la perspective des communs. L’ensemble forme un tout cohérent encadré par une bonne introduction et une bibliographie complète.
2Cet ouvrage, d’une qualité beaucoup plus homogène que la plupart des ouvrages collectifs, présente trois points forts. Tout d’abord, il offre une ouverture internationale appréciable. Grâce à la nature francophone du RIUESS, sont analysées des initiatives étrangères (en Afrique, aux Caraïbes, en Espagne) qui montrent la diversité des enjeux. De plus, il donne la parole à des praticiens (le directeur de la SCIC Enercoop, la responsable du centre de transfert Tetris) qui, de par leurs qualités réflexives, nous donnent un accès privilégié à la conception des communs que peuvent porter des acteurs de l’ESS. Enfin, ce livre permet d’illustrer le dynamisme actuel de la pensée sur les communs. Il montre que, par-delà les réflexions classiques sur les biens communs chers à E. Ostrom ou les communs de la connaissance bien connus des chercheurs en sciences de l’information et de la communication, les travaux portent aujourd’hui sur des questions comme les compétences bénévoles, la micro-finance, l’énergie, etc. On pourra, certes, regretter que l’ouvrage n’aborde pas la question des communs historiques en voie d’extinction que sont les sections communales ou qu’il propose trop souvent, en note de bas de page, le recours à l’expression « op. cit » qui pousse le lecteur à chercher de longues minutes la référence citée pour la première fois, mais ce ne sont là qu’imperfections secondaires. Reste au final, un ouvrage solide et intéressant, à mettre entre toutes les mains de chercheurs curieux (ce n’est hélas pas un pléonasme !).
3Éric Dacheux
4Université Clermont Auvergne – Communication et solidarité
5Courriel : <eric.dacheux@uca.fr>
Neil POSTMAN, Technopoly. Comment la technique détruit la culture, préface de François Jarrige, traduit par des membres du collectif Technologos, Paris, L’Échappée, 2019, 224 p.
6Dans sa riche préface, François Jarrige, historien de la technocritique, rappelle que Neil Postman (1931-2003) a d’abord étudié l’école et la pédagogie (Teaching as Subversive Activity, 1969 ; Teaching as a Conserving Activity, 1979), les enfants et les technologies communicationnelles (The Disappearance of Childhood, 1982), l’impact de la télévision (Amusing Ourselves to Death. Public Discourse in the Age of Show Business, 1985, traduit en huit langues, dont en français, Se distraire à en mourir, 1986), tout en contribuant à fonder une « écologie des médias », dont Technopoly s’avère être une des principales références. Si Neil Postman s’inscrit dans la lignée prestigieuse des penseurs critiques des technologies, comme Lewis Mumford, Jacques Ellul, Herbert Read, Arnold Gehlen, Ivan Illich, il se nourrit également de Marshall McLuhan et refuse l’analyse simpliste qui oppose les technophiles aux technophobes pour une réflexion d’une plus grande subtilité, qui étonne d’autant plus qu’elle date de 1992, avant Amazon et Google…
7Dans cet ouvrage très agréable à lire, l’auteur entremêle l’histoire occidentale de la mesure, du dénombrement, du chronométrage à celle des techniques, qui progressivement remplacent les outils et se combinent entre elles pour faire système. Un système qui appauvrit chacun de ses utilisateurs plus qu’il ne leur rend service. C’est finalement ce paradoxe que Neil Postman cherche à expliciter : « La technique, en résumé, se révèle à la fois notre amie et notre ennemie. » À dire vrai, elle s’affirme davantage « ennemie » qu’« amie »… Elle transforme le sens des mots, modifie la division technique du travail, introduit de nouvelles formes de contrôle et de conditionnement, etc., tout en promettant monts et merveilles ! « Chaque outil, constate-t-il, repose sur un parti pris idéologique qui nous fait comprendre le réel différemment, nous prédispose à concevoir le monde d’une certaine façon, à valoriser une chose plutôt qu’une autre et à privilégier davantage un sens, une compétence ou un trait de notre personnalité. » Pour appréhender le passage de la culture des outils à celle du système technique, l’auteur s’attarde sur l’invention de l’invention au xixe siècle, qui suit le déploiement de nombreuses machines mises au point à la fin du siècle précédent, au cours de ce qu’Arnold Toynbee appelle « la révolution industrielle », qu’il préfère associer au productivisme. Ces « progrès » – ils sont alors pensés comme des améliorations indiscutables du sort des humains – s’accompagnent de la bureaucratisation de la société, de l’organisation scientifique du travail, de la vitesse qui supprime les distances, de la généralisation à l’échelle planétaire de l’école moderne créée à la fin du xviie siècle, du processus « de standardisation du discours scientifique », de la marchandisation de l’information, de la soumission des sciences humaines et sociales aux sciences « dures », du culte du nombre et de la norme, bref, de l’apparition de la Technopoly.
8De quoi s’agit-il ? « La Technopoly, écrit-il, est autant un état d’esprit qu’un stade culturel. Elle correspond à une déification de la technique, ce qui signifie que la culture se soumet à son autorité et trouve en elle sa justification et sa raison d’être. Elle implique alors le développement d’un nouveau type d’ordre social et conduit nécessairement à la décomposition rapide de l’essentiel de ce qui relève des croyances traditionnelles. » Avec la Technopoly personne n’échappe au trop-plein d’informations, perçu comme un bienfait et non pas comme une quelconque dépossession ni en termes de culture ni en termes de pouvoir. Les experts de la Technopoly « veulent nous faire croire que la technologie peut clairement révéler la vraie nature de la condition ou des croyances humaines, sous prétexte qu’un score, une statistique ou une taxinomie en donne une traduction d’ordre technique ». Une telle conception du monde s’appuie sur le « scientisme » qui plonge ses racines aussi bien dans la fondation de l’École polytechnique en 1794 que dans les ouvrages d’Auguste Comte. Le scientisme, « c’est l’espoir, le désir, et finalement la croyance illusoire qu’un ensemble de procédures standardisées – appelées “science” – peuvent nous fournir, en tant que source d’autorité irrécusable, une base suprahumaine pour répondre à des questions comme : “Qu’est-ce que la vie, quand a-t-elle commencé et pourquoi ?” ; “Pourquoi mourons-nous et souffrons-nous ?” ; “Qu’est-ce que le Bien et le Mal ?” ; “Comment devrions-nous penser, sentir et nous comporter ?” » Accorder à la science le pouvoir de répondre à ces questions représente la « principale illusion de la Technopoly ». Peut-on la contrer ? L’auteur le croit et en appelle à « l’âme rebelle » qui anime les « résistants », ceux qui se détachent des sondages, refusent que « les relations humaines obéissent à une logique d’efficacité », doutent de l’idée de progrès et distinguent l’information de la connaissance, reconnaissent l’intérêt du passé, apprécient le sentiment de loyauté, ne sont pas obnubilés par la modernité… « Une âme rebelle, précise l’auteur, maintient une distance une distance critique vis-à-vis de la technologie, afin qu’elle lui apparaisse toujours comme quelque peu étrange et artificielle. » Pour cultiver cette attitude et maintenir coûte que coûte son esprit critique, il convient de promouvoir une autre école et une autre université avec « un programme d’étude dans lequel chaque matière serait présentée comme une étape dans le développement historique de l’humanité ; un programme où la philosophie de la science, de l’histoire, du langage, de la technique et de la religion serait enseignée ; et enfin, où l’accent serait mis sur les formes d’expression artistique classiques ». La Technopoly est notre monde, celui des Gafam ; s’en détacher exige un retour à « la culture générale », à la réflexion personnelle, à l’autonomie, à la conversation à bâtons rompus, à un certain scepticisme quant au « tout technologique », bref une indiscipline active, créative et joyeuse, un gai savoir.
9Thierry Paquot
10Philosophe
11Courriel : <th.paquot@wanadoo.fr>
Pascal LARDELLIER, Sur les traces du rite – L’institution rituelle de la société, Paris, ISTE, 2019, 158 p.
12Placé tout entier « sous le signe du rite », le dernier ouvrage de Pascal Lardellier s’inscrit dans un double parcours : celui d’une vie intellectuelle et celui cadré par un programme éditorial. Au sein de ce dernier – la série « Traces » publiée par ISTE –, il succède à La Traque informationnelle de Sylvie Leleu-Merviel (volume 1) et à La Fabrique de la trace (volume 2) d’Yves Jeanneret. Ce troisième volume qui traite du rite « tout à la fois » comme « forme, trace et lien » est situé par son auteur dans « un parcours de recherche, le parcours d’un chercheur ». Cet itinéraire est jalonné de nombreuses contributions à l’étude de la question des rituels, dont David Le Breton souligne, au début de sa préface, la place centrale qu’elle occupe dans le travail de P. Lardellier. Telles sont, rappelle-t-il, Théorie du lien rituel – Anthropologie et communication (2003) et Les nouveaux rites – Du mariage gay aux Oscars (2005). En fait, cet intérêt se marque dès un premier article en date de 1996, « Le pouvoir entre rite et regard », et se confirme au fil d’études sur les « Rites personnels de passage » (2005), les « Ritualités numériques » (2013), Nos modes, nos mythes, nos rites (2015), la déritualisation politique à l’ère des réseaux sociaux (2015).
13De quels fils le lien social est-il tissé ? De ceux que déroulent les rituels, répond P. Lardellier. Les liens rituels se dévident et se nouent tout au long de l’histoire, depuis la plus haute Antiquité jusqu’à nos plus récentes mises en scène. Tout cérémonial actuel procède d’une pratique antérieure. La filiation est sous-jacente ; les rites modernes renvoient à une matrice antique. Aux rites religieux et séculiers sont associées des formes de sociabilité, des manières d’être et d’agir. Les uns et les autres structurent des comportements, des conduites, des attitudes qu’ils rendent par là même lisibles – et prévisibles. À ce titre, et à bien des égards, le rite peut donc être regardé comme une forme de communication sociale. Grande est sa puissance – une puissante et permanente efficacité –, dont l’auteur a pris la mesure lors de circonstances dont il nous fait la confidence : « J’ai vécu une véritable révélation épistémique lors du premier Festival de Cannes auquel j’assistais en anthropologue, en 1996. J’y pris conscience que les dispositifs cérémoniels mis en place pour glorifier les stars du cinéma étaient sensiblement identiques à ceux utilisés pour accueillir les monarques lors des Entrées royales de la France de l’Ancien Régime » (p. 5). De cette révélation est issue une conception de la société comme « enchevêtrement de rites » et une définition du rite comme « instance instituante ».
14Rien de romantique ni de mystique dans cette approche du rite, mais une mise en perspective anthropologique qui fait voir la permanence des médiations symboliques – thème d’un premier chapitre. Le rite, comme « objet scientifique total », est traité au chapitre 2 sous ses différentes « formes », culturelles – matérielle, théorique, symbolique –, et spécifie ce qu’il faut entendre par dispositif rituel, efficacité symbolique, performance rituelle. Le troisième chapitre met en relation rites et médias, en soulignant la puissance symbolique des rites médiatiques, en posant aussi « la question des désinterminations » engendrées par les nouveaux médias et celle de l’avènement de nouvelles « liturgies numériques ». Un dernier chapitre, le plus original, est consacré à « l’institution rituelle de la société ». Des néologismes et notions nouvelles s’y trouvent introduits, dont le sens est explicité dans un glossaire (p. 137-143). Surenchère, sacrifice, culte, apparence sont ainsi condensés dans le « Principe de magnificence ». L’« Appar-être » désigne « la soudaine incarnation d’une personnalité prestigieuse » ; les manifestations émotionnelles qu’elle suscite provoquent une « hallucination eidétique ». Les « Spectacteurs » sont les participants des rites communautaires. La « conclusion » renferme une classification détaillée et une caractérisation précise des « régimes rituels » qui vont des grandes messes politiques et religieuses aux microritualités foisonnantes dans la vie sociale, c’est-à-dire des rites communautaires « les plus formels » aux situations rituelles « moins rigoureuses ».
15On ne sera pas seulement attentif, du point de vue d’Hermès, à ce qui touche plus particulièrement à la communication (chapitre 3). Avant (p. 127-129) le « Retour à la communication », « Une théorie communicationnelle des rites » (p. 33-34), et « Anthropologie et communication » (p. 41-42) sont deux exemples de sections qui intéressent, dans la première les SIC, dans la seconde la conception que D. Wolton se forme de la communication. C’est d’une anthropologie de la communication que relève au total le présent ouvrage. Son assise documentaire est étendue : elle intègre toutes les contributions classiques : celles, au premier chef, de Georges Balandier, de Claude Rivière et, bien sûr, d’Arthur Hocart. Ni Georg Simmel, ni Rudolf Otto, cités dans le texte, ne figurent cependant dans la bibliographie ; et Jean Cazeneuve n’est pas seulement l’auteur de l’article « Rite » complété par Nicole Sindzingre de l’Encyclopaedia Universalis ; il l’est surtout, après sa thèse sur Les rites et la condition humaine (1959), d’une Sociologie du rite (1971) qu’il serait bon de mentionner. On peut aussi regretter le traitement trop rapide de « La forme en sciences sociales » et la trop étroite « Ouverture vers le mythe » – dont le rite est la mise en scène. Mais la richesse des analyses proposées par Pascal Lardellier fait oublier ces dernières remarques.
16Bernard Valade
17Revue Hermès
18Courriel : <bernard.valade@parisdescartes.fr>
Florian SCHNEIDER, Staging China. The Politics of Mass Spectacle, Leiden, Leiden University Press, 2019, 328 p.
19Cet ouvrage en anglais, bien écrit et structuré, est le fruit d’une recherche de longue durée et de grande qualité. Florian Schneider est « senior university lecturer » à l’université de Leiden, réputée pour ses études asiatiques et plus ancienne université des Pays-Bas. L’auteur a assisté aux Jeux olympiques de Pékin de 2008, a visité l’exposition universelle de Shanghai de 2010 et a suivi la célébration du soixantième anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine (RPC) en 2009. L’ouvrage est de qualité, car Florian Schneider mobilise de nombreux auteurs et concepts afin d’analyser ces « networked spectacles », point central de son analyse qui, selon lui, conduisent à une reformulation du sens de la politique.
20Attardons-nous d’abord sur la méthodologie proposée dans un précieux premier chapitre afin de réfléchir aux approches en information et communication. L’auteur convoque entre autres Castells ou Foucault et la notion de coconstruction de réseaux et de discours qui définissent des actions et des orientations dans un processus de pouvoir et de puissance. Si cela n’est pas totalement neuf, Schneider articule macrosociologie – à savoir comment le pouvoir fonctionne – et microsociologie à travers les processus d’interaction. Il ajoute Habermas, Durkheim, Baudrillard, Ulrich Beck et de nombreux sinologues et chercheurs en sciences politiques (anglophones). Croisement fécond entre anthropologie du rituel, sémiotique et sciences de communication et sciences politiques, cet ouvrage propose une méthode utilisable sur d’autres sujets.
21Le concept de « networked spectacles » permet de mettre au jour deux dynamiques. D’abord, ces spectacles (ou évènements) sont le résultat d’interactions en réseau où le gouvernement chinois peut tester des formes de gouvernance associant politiques, médias, ONG et autres acteurs. Ensuite, ces évènements servent de laboratoires pour différentes approches de légitimation et de création de sens (p. 25). L’auteur introduit sa définition : « un ensemble d’affirmations à travers lesquelles les agents communiquant construisent systématiquement et partagent leur savoir sur le monde et créent un matériel brut à partir duquel eux et d’autres acteurs contribuent à construire d’autres discours » (p. 33, ma traduction).
22Ce livre poursuit deux buts : identifier quelles histoires sont présentées lors de ces évènements et comment ces histoires servent le Parti communiste chinois en interne et en externe, ou en termes de coconstruction, les modalités d’un récit politique et de gouvernance.
23Le livre est composé de huit chapitres et d’une conclusion. Chaque chapitre aborde un aspect de la communication de la Chine tout en se référant à chacun des trois spectacles de masses précités, processus parfois irritant lorsque l’auteur indique rappels, annonces et renvois entre différents chapitres. Le livre aborde le mode de gouvernance des spectacles, le renouveau de la mise en scène, le design du nationalisme chinois, la genèse de l’utopie de la société d’harmonie, la notion contestée de nation branding et le constat de discours fragmentés [ma traduction].
24Dans le chapitre deux, l’auteur détaille comment un spectacle de masse permet à un pays de « générer un sens d’appartenance dans la communauté internationale, parmi les publics domestiques et étrangers, puisqu’il propose une opportunité de présenter localement des discours politiques et culturels utilisant une grammaire et une iconographie internationalement acceptables » (p. 57, notre traduction). F. Schneider discute ici des grands évènements comme les expositions internationales et les expositions coloniales puis s’interroge sur le passage d’un évènement de masse à un spectacle média. Comme le propose l’auteur, de nos jours, ces spectacles sont des coconstructions en réseau, résultat d’un message défini, d’une expérience physique par les participants, d’un commentaire par les médias et d’une réception par d’autres publics. Or, insiste F. Schneider, rien ne garantit la cohérence de l’ensemble du message final. C’est à cela que le gouvernement chinois est attentif lorsqu’il met en place une gouvernance particulière de ce type d’opérations.
25L’auteur détaille cette gouvernance dans l’un des plus intéressants passages. Une ligne invisible entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas représente le premier niveau. Pour les médias, le marché et ses indicateurs de performance et de rentabilité forment le deuxième niveau. Enfin, le contrôle et l’autocontrôle des cadres des entreprises des médias et des prestataires en communication dessinent le troisième niveau. Des agences étatiques spécialisées guident l’ensemble, par exemple dans le cadre des Jeux olympiques, le comité d’organisation chinois. C’est donc le réseau des relations et des interactions entre ces niveaux qui conduit les acteurs privés et publics à s’autoréguler. Cet ensemble, associé au travail du gouvernement sur les émotions, permet de développer un récit performatif qui s’inscrit dans le cadre de la nation. L’auteur consacre également un chapitre au concept d’harmonie, à sa validation et à son insertion dans les trois évènements étudiés, révélant ici la flexibilité conceptuelle du discours politique dans les « networked spectacles ».
26Logiquement, F. Schneider aborde la question du soft power de la Chine. Il pointe le débat récurent, à savoir les liens supposés entre acteur politique, politique culturelle, produits culturels, attraction de ces derniers et liens avec les préférences politiques de ceux qui consomment ces biens (p. 207).
27En conclusion, ce livre de F. Schneider propose une méthode pour interpréter les grands évènements et en déduire les récits dont ils sont porteurs. Il contient une fine analyse de la gouvernance culturelle, « … effort collaboratif entre agents étatiques et non étatiques pour réguler les contenus discursifs dans lesquels les interactions politiques prennent place » (p. 265, ma traduction). L’auteur s’interroge rapidement sur les nouvelles formes de gouvernance avec l’actuel président de la RPC. Il insiste sur la fragmentation de ces évènements, reçus de manière fort différente par les publics, compte tenu des interactions, manière de souligner que ces rituels contiennent (encore) des espaces autorisant la création de sens, malgré les efforts du pouvoir chinois pour en imposer un.
28Voilà donc un livre qui, malgré sa densité, éclaire la fabrication des grands évènements dans la Chine, dans son contexte de nationalisme et de construction d’un récit adapté aux enjeux contemporains. Nous aurions cependant aimé que l’auteur propose son interprétation du récit chinois, au lieu de laisser le lecteur certes, dans une interaction féconde, le (re)construire.
29Olivier Arifon
30Université libre de Bruxelles
31Courriel : <oarifon@ulb.ac.be>