1Dans sa Lettre de Jamaïque de 1815, Simón Bolívar écrivait à propos du Chili : « […] les vices de l’Europe et de l’Asie ne parviendront à corrompre les mœurs de ce pays du bout du monde que beaucoup plus tard, et peut-être même jamais. Ses frontières étant nettement marquées, il restera toujours à l’écart de la contamination du reste du genre humain […] » (cité in Vaja et Senart, 1974) Ces mots véhiculaient l’idée d’une supposée insularité du pays, idée reprise et répandue par nombre d’auteurs, chiliens et étrangers, jusqu’à devenir un lieu commun. Pourtant, elle s’avérera trompeuse, voire complètement fausse : en effet, loin d’être à l’écart du monde, le Chili restera, tout au long de sa vie indépendante, un pays très ouvert aux influences diverses et, plus récemment, depuis le retour à la démocratie en 1990, particulièrement perméable au processus accru de mondialisation. Cet article s’intéresse aux développements de la musique contemporaine chilienne et, tout particulièrement, aux trajectoires et aux œuvres de deux compositeurs en activité : Andrés González et Felipe Pinto d’Aguiar. Nous abordons tout d’abord les mutations du paysage local de la musique contemporaine dans les trois dernières décennies, période d’intensification de la circulation internationale. Ensuite, nous montrons comment ces compositeurs provenant d’un espace considéré comme périphérique s’insèrent dans les réseaux de diffusion transnationale de la musique contemporaine. Enfin, l’exemple d’œuvres récentes nous permettra de comprendre à la fois les stratégies de communication interculturelle déployées par leurs créateurs et les métissages sonores qui s’y opèrent.
Trente ans de musique contemporaine chilienne (1989-2019) : des repères pour comprendre
2Comme un signe des temps, en 1989 voit le jour – au lendemain du triomphe du « non » au maintien du général Pinochet au pouvoir, lors d’un référendum national – une œuvre symptomatique de ce moment décisif : La otra concertación. Mélangeant les voix d’une cantatrice (enregistrée) et celle d’une chanteuse de jazz/fusion, tout comme des instruments représentatifs d’esthétiques diverses (basse électrique, tabla indien) avec l’électronique, l’œuvre incarnait métaphoriquement l’ouverture culturelle à venir, ainsi que l’utopie d’une musique planétaire (avant même que la notion de world music ne pénètre dans le pays).
3Avec le retour à la démocratie au Chili en 1990, le domaine musical tout comme l’existence des Chiliens vivront une période de fortes reconfigurations. En effet, durant cette période post-dictatoriale, le milieu musical sera marqué par une série de mutations et d’événements associés au processus de mondialisation de la culture, accentuant ce que García Canclini (2000) dénomme « le caractère multitemporel de l’hétérogénéité » propre à l’Amérique latine. Avant d’aborder des cas concrets (compositeurs et œuvres), une brève révision des évolutions des dernières trente années nous permettra de mieux comprendre les manifestations musicales récentes, exemplifiées dans la deuxième et la troisième partie.
Rencontre entre deux musiques chiliennes
4La dictature de Pinochet avait gravement affecté le monde culturel et artistique chilien, les musiciens s’étant trouvés – dès le putsch de septembre 1973 – dans la ligne de mire des militaires. Après 1990, le nouveau contexte politique permet le retour d’un nombre non négligeable d’anciens exilés. Il s’agit d’une période de renouement et de retissage social entre des artistes ayant été contraints au déracinement, et ceux qui ont dû poursuivre leur travail sous la dictature. Ce rétablissement des liens dans un milieu fracturé a eu aussi une dimension intergénérationnelle, les jeunes musiciens locaux n’ayant jamais côtoyé leurs aînés bannis du pays dans les années 1970. Les musiciens qui rentrent de l’étranger à partir des années 1990 nourriront le milieu local de l’expérience de leurs parcours internationaux, incitant les jeunes musiciens à suivre l’exemple de la mobilité – désormais sous un régime démocratique.
Phénomène festivalier et création de nouveaux ensembles
5Contrairement aux actions sporadiques de la période précédente en faveur de la musique nouvelle, les trois dernières décennies ont vu se développer une floraison d’initiatives qui ont renouvelé le paysage de la musique contemporaine dans le pays. Si les festivals, « phénomène culturel caractéristique du xxe siècle, et surtout de la seconde moitié de celui-ci », selon Pascal Ory (2013), avaient eu une importance capitale au Chili jusqu’à la fin des années 1960, ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’ils redeviennent des points névralgiques de la création musicale – la plupart d’entre eux étant placés sous l’égide des principales universités du pays. En corrélation avec la fondation de plusieurs festivals pérennes, instances privilégiées d’échange entre musiciens nationaux et invités internationaux, on assiste à la création d’une série d’ensembles spécialisés dans l’interprétation de la musique contemporaine, lesquels favorisent une véritable synergie dans le milieu local (en stimulant la création et en la diffusant activement). Et ce n’est pas un hasard si à l’origine de ces manifestations se trouvent des compositeurs ayant bénéficié de séjours d’études à l’étranger.
Plateformes étatiques pour la création et la mobilité internationale
6Outre le soutien des universités, il faut souligner la mise en place de divers fonds d’État destinés à des projets de création et diffusion artistiques. Ouverts annuellement aux propositions des artistes locaux, ils ont réservé une place importante à la musique depuis leur création [1] en 1992. Ce système institutionnel est complété par une série de bourses et autres financements spécifiques destinés à stimuler la circulation à plusieurs niveaux, allant de l’infrarégional (à l’échelle des régions du pays) à l’international [2].
Démocratisation du métier de compositeur et croissance exponentielle de la création musicale
7Si jusqu’aux années 1950, le métier de compositeur restait l’apanage d’une poignée de représentants des couches aisées de la société, la seconde moitié du xxe siècle et les premières décennies du xxie attestent d’une forte démocratisation de la discipline. Il s’agit d’un phénomène qui s’amorce dès les années 1960 avec le processus de réforme universitaire et qui se renforce par la croissance d’une classe moyenne accédant à l’éducation supérieure. Les pôles d’enseignement musical dans le pays se multiplient dans les dernières décennies – résultat de l’ouverture de nombreux centres privés de formation supérieure et d’une demande grandissante. Cela a entraîné un changement de statut de la figure du compositeur : il n’est plus, comme autrefois, « un personnage énigmatique, mi-prophète, mi-sorcier, dont la mission était la révélation des tables de la vérité », mais une figure « désacralisée » (González, 2019). L’essor actuel de la composition musicale au Chili se reflète dans une diversité de propositions esthétiques et le nombre grandissant de créateurs circulant entre leur pays et l’étranger (Guerra Rojas, 2013).
Impact des nouvelles technologies
8L’accès aux nouvelles technologies a bouleversé la pratique compositionnelle ces vingt dernières années. Outre Internet, qui permet la consultation d’une masse d’informations et une confrontation avec les musiques du monde, de nouveaux outils d’analyse, de composition et de traitement du son – à la portée de tous – ont permis un saut qualitatif généralisé. Selon Felipe Pinto d’Aguiar (2019) : « Durant le début du xxie siècle, nous avons vécu le passage d’être des chasseurs-cueilleurs de la connaissance musicale à des usagers du grenier global, ce qui a impacté le processus d’éducation musicale et a, en partie, déclenché l’amélioration du niveau des musiciens ». Par ailleurs, le déficit de l’édition musicale, dont la musique chilienne souffrait historiquement, a été considérablement comblé grâce aux outils d’édition et à la mise à disposition directe de partitions via les sites internet personnels des compositeurs.
L’insertion transnationale des musiciens : le cas de deux compositeurs d’aujourd’hui
9Dans cette partie, nous nous intéressons aux trajectoires de deux compositeurs actifs, appartenant à la génération née à la charnière des années 1970-1980, constituée de créateurs résolument au fait des développements technologiques et esthétiques de leur temps. Considérée encore récemment comme une génération de « compositeurs émergents » (Guerra Rojas, 2013), elle entre aujourd’hui dans une phase de pleine maturité artistique. De même, elle a acquis un statut important à l’intérieur du champ de la musique contemporaine au Chili, son œuvre et son action se projetant depuis plus d’une décennie dans l’espace transnational.
10Notre premier exemple est celui d’Andrés González (1977-), compositeur, interprète et philosophe. Après une période d’apprentissage en autodidacte, il suit une formation en tant que guitariste entre les années 1990 et le début des années 2000 à l’Université pontificale catholique de Valparaíso, l’un des principaux centres d’enseignement musical professionnel du pays. Parallèlement, il travaille la composition auprès de Gabriel Matthey, professeur à l’esprit indépendant, composant sous sa direction des pièces pour instruments solistes et pour ensembles. À cette première période, très ancrée dans le milieu d’origine, succède un premier contact avec l’Europe, lorsqu’il suit, entre 2002 et 2003, les cours de composition de Marco Stroppa à la Musikhochschule de Stuttgart. Dès lors, son écriture s’affirme et sa palette technique s’élargit considérablement. Le retour au Chili est caractérisé par la création d’œuvres attestant d’une volonté d’intégration d’instruments occidentaux et traditionnels andins [3]. Sous l’influence des trois années qu’il consacre à la philosophie entre 2005-2007 (recherches sur Boulez et Deleuze), il revient à la composition avec Aión (2008) pour cinq guitares de plusieurs registres et électronique. Avec le Consort guitarrístico de Chile [4], qu’il fonde et auquel était dédiée cette œuvre, il mène une intense activité qui l’amène jusqu’en France en 2011 [5]. Cette année-là, une bourse du gouvernement chilien lui est octroyée, ce qui lui permet d’effectuer un master en composition à l’étranger, le choix se portant tout naturellement sur la ville de Stuttgart et son école supérieure de musique. Outre la possibilité de consolider sa technique compositionnelle, ce deuxième séjour lui permet de perfectionner ses connaissances en matière de musique électro-acoustique, ainsi que de créer ses œuvres avec le concours d’interprètes expérimentés. Une œuvre au titre significatif ouvre cette période féconde : Soy otro [Je suis un autre], pour électronique en système quadriphonique. Bien que s’inscrivant dans la continuité de son esthétique, les titres des œuvres portent les traces de l’acculturation en Europe, comme ces deux compositions de 2012 : mitWerk oder die transversale Zeit et Mut(il)ations, hommage à René Leibowitz. Cette étape terminée, González s’établit au Chili, où il devient professeur de composition et esthétique à l’université. Mais son rôle ne se limite pas à la transmission sur le plan pédagogique : il fonde l’Estudio Modular de Música Actual (EMMA), structure ouverte consacrée à la création, la diffusion et la recherche dans le domaine de la musique contemporaine, opérant ainsi un transfert des modèles institutionnels qu’il connaît en Europe, mais adaptés au contexte local. González maintient des rapports très fluides avec l’Allemagne, devenue un véritable deuxième pôle d’action et diffusion, comme l’atteste toute une série de projets artistiques, réunissant parfois des musiciens des deux pays.
11Felipe Pinto d’Aguiar (1982-) illustre, tout aussi bien que González, le parcours d’un compositeur entre son espace culturel d’origine et l’espace transnational. En partant d’une première approche autodidacte en tant qu’instrumentiste et compositeur, il suit un cursus de composition et arrangements de musique populaire au début des années 2000 à l’institut professionnel Escuela Moderna de Música à Santiago – une importante institution privée, mais de second plan dans le milieu de la musique contemporaine au Chili. Pinto d’Aguiar infléchit cette trajectoire vouée initialement à la musique populaire en s’orientant progressivement vers l’univers de la composition savante. Ses œuvres commencent à être présentées dans des festivals spécialisés et son trio Alti-son-antes (2006) est enregistré aux États-Unis – premier jalon dans l’internationalisation de sa musique. Il parfait sa formation initiale en suivant des cours privés avec Aliocha Solovera, introducteur au Chili d’un savoir-faire acquis lors de ses études en Slovénie et en Autriche. En 2009, Pinto d’Aguiar obtient une bourse du gouvernement chilien, grâce à laquelle il effectue un master en composition avec Elliott Gyger à l’université de Melbourne, Australie. Dès lors, son écriture devient de plus en plus raffinée, sa musique étant l’objet d’interprétations soignées par des musiciens de haut niveau (Sea Changes par l’Arcko Symphonic Ensemble). De retour au Chili, en 2011, Pinto d’Aguiar réintègre le milieu local, participant à diverses manifestations dans le pays. Mais son intérêt pour le monde anglophone et le courant compositionnel post-spectral l’amènent à poursuivre ses études aux États-Unis, où – grâce à une bourse Fulbright – il obtient un doctorat à l’université de Boston, sous la direction de Joshua Fineberg. Sa présence aux États-Unis, unie à la reconnaissance croissante à l’égard de sa production, permet une circulation accrue de son œuvre, comme l’atteste la projection de sa musique vers les espaces européen et asiatique. Tout comme González, Pinto d’Aguiar fixera sa résidence dans son pays d’origine après son deuxième séjour à l’étranger. Depuis 2018, il dirige l’École d’arts musicaux et sonores de l’université de Valdivia, au Chili, où – par le biais de son action pédagogique et administrative – il contribue à la circulation de savoirs et pratiques à travers diverses collaborations avec des musiciens des quatre points du globe.
12Dans les deux cas évoqués s’observe l’importance cruciale du séjour d’études dans des espaces géographiques considérés comme centraux (Europe, États-Unis) pour le compositeur provenant d’un pays « périphérique », comme le Chili. Ce séjour d’études, entendu comme une instance incontournable pour le perfectionnement du métier, remplit une double fonction en tant que plateforme pour le déploiement transnational de leur œuvre, ainsi que comme un moment qui amplifie de façon notoire les possibilités de consécration dans le pays d’origine, en facilitant leur introduction dans le monde universitaire [6].
13Enfin, il ressort de leurs trajectoires un comportement hybride consistant à participer à la logique d’insertion professionnelle d’un compositeur actuel dans l’espace mondialisé (présence dans les festivals internationaux, obtention de commandes, etc.), tout en gardant une fidélité au milieu d’origine (circuit local de diffusion, ancrage universitaire, etc.), ce qui implique une très grande souplesse d’esprit et la capacité de transiter entre des espaces culturels, linguistiques et institutionnels très variés ; sorte de polyglottisme culturel qui s’exprime particulièrement bien dans leurs œuvres.
Stratégies de communication interculturelle dans la composition actuelle
14Il est bien connu que la musique (savante) contemporaine souffre d’une certaine « désaffection », non seulement du grand public, mais à l’intérieur même des cercles d’amateurs de musique classique, qui s’orientent pour la plupart vers la musique du passé [7]. Le public de la musique contemporaine reste généralement restreint – et il s’agit bien d’un phénomène global où le Chili ne fait pas exception. Mais cette musique à l’écriture exigeante est faite pour un public. Le compositeur « désacralisé », pour rappeler les termes de González, crée de la musique pour un auditoire, bref, pour être écoutée. Comment ces créateurs réussissent-ils à franchir cette barrière communicationnelle avec un art « aux confins du sens » [8] ? Afin d’entrevoir des réponses à cette interrogation, nous nous proposons d’examiner brièvement le cas d’œuvres composées durant les séjours à l’étranger de González et Pinto d’Aguiar ; nous essaierons de comprendre les stratégies communicationnelles (souvent implicites) qui les animent et qui rendent possible leur réception dans l’espace culturel mondialisé.
15Trompe oder die unerhörte Zeit, pour guimbarde et électronique, a été composée en 2011 par González, lors de son deuxième séjour d’études à Stuttgart, sous la direction du compositeur italien Marco Stroppa. Cette œuvre [9] frappe tout d’abord en raison de l’appel à la guimbarde, instrument traditionnel présent – avec des particularités distinctives de construction – dans différentes régions du monde (y compris au Chili, où elle fait partie de l’instrumentarium mapuche). Cet instrument traditionnel est ici confronté et mis en interaction avec l’électronique – qui le modifie timbriquement et amplifie ses possibilités instrumentales – et à un texte du poète Vicente Huidobro – extrait d’Altazor (1931) –, où la langue espagnole est décomposée par le recours à l’onomatopée et la création de mots asignifiants, entre autres procédés.
16C’est pendant son deuxième séjour en Allemagne que González propose l’idée théorique des « sonorités endémiques » par lequel il entend se « défaire » de la « vieille » et « caduque notion d’identité ». Dans cette œuvre, il en fait la démonstration, en jouant sur les ambiguïtés : il utilise, en effet, deux guimbardes autrichiennes (en métal, similaires à celles utilisées au Chili), une balinaise et une vietnamienne, en brouillant ainsi toute piste d’identification à un seul espace géographique. Selon le compositeur, « l’idée éta[i]t d’incorporer des endémismes sonores de divers points de la planète […] mais en s’éloignant de son usage traditionnel, les projetant ainsi vers une resignification de ses composantes matérielles » (González, 2014). Ainsi, et sans avoir recours à aucune forme de référentialité explicite, il compose une musique qui interpelle l’auditeur par le potentiel communicationnel d’une multiplicité d’éléments sonores se situant, paradoxalement, à la fois en deçà et au-delà du sens.
17Felipe Pinto d’Aguiar compose Caligrama 画诗, pour ensemble d’instruments traditionnels chinois durant son séjour aux États-Unis. L’œuvre voit le jour en 2016 dans le cadre d’un projet de collaboration entre compositeurs de différentes nationalités et un ensemble d’instrumentistes du conservatoire de Shanghai (musiciens formés aux traditions instrumentales chinoise et occidentale). L’œuvre est le résultat d’un véritable travail de recherche sur ces instruments, ainsi que d’un contact direct avec les interprètes. En effet, le compositeur a eu l’occasion de se rendre en Chine à deux reprises : d’abord en décembre 2015, afin de rencontrer les musiciens et se renseigner sur les techniques instrumentales, et ensuite, en octobre 2016, lors de la création [10].
18L’œuvre montre, comme bien d’autres de Pinto d’Aguiar, un intérêt prononcé pour les rapports entre le visuel et le sonore (ici, la transposition au plan musical de l’idée d’un calligramme). D’un point de vue musical, l’accent est mis sur l’aspect processuel (exprimé notamment par une très grande subtilité dans les transitions) et une microtonalité influencée par une conception du timbre héritée de la musique spectrale. Tout comme González, Pinto d’Aguiar évite tout recours à des gestes instrumentaux inspirés des musiques traditionnelles, ainsi qu’à tout motif rythmique ou mélodique exotisant. Ici, c’est le timbre des instruments chinois qui fonctionne comme cadre structurant (à la façon de la figure d’un calligramme). Selon le compositeur : « Tout en préservant la plupart de mes procédés structurels et techniques habituels, mon intention a été d’exploiter ce médium par le biais de ses qualités de couleur plutôt qu’en utilisant un matériau musical référentiel ou des effets stylistiques. Je conçois cette approche abstraite comme un moyen valable afin d’engager un authentique dialogue interculturel » (Pinto d’Aguiar, 2016).
19Ces nouvelles propositions esthétiques, attestant d’une tension féconde entre éléments globaux et locaux dans ses appropriations multiples, essayent d’échapper à la logique uniformatrice vers laquelle entraînerait la mondialisation : le risque d’un style mondialisé indistinct. Il ne s’agit plus de faire entrer l’altérité musicale par une simple juxtaposition stylistique [11], mais de l’appréhender en profondeur et dans le respect de l’autre. Loin de l’exotisme encore présent dans certaines orientations néo-indigénistes au Chili et en Amérique latine, ces œuvres, opposées à toute forme d’identification fermée, montrent la singularité et l’ouverture au monde de musiciens issus d’un espace culturel – tout à la fois héritier et différentiel par rapport à l’Occident – qui ne cesse d’apporter une réflexion légitime au débat sur la culture dans la mondialisation.
Notes
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[1]
Notamment à travers le Fondart (Fonds de développement des arts et la culture) et, plus récemment, le Fonds pour la musique.
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[2]
Mentionnons en particulier les bourses gérées par Conicyt (Commission nationale de la recherche scientifique et technologique) pour des études de master, doctorat et séjours postdoctoraux, ainsi que la ligne Ventanilla abierta des fonds culturels étatiques, destinée à la circulation internationale d’artistes (ou chercheurs) pour des séjours de courte durée.
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[3]
Entre autres, citons K-Tü (2003), pour flûte, quena, guitare et violoncelle.
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[4]
Sur cet ensemble, cf. Gómez Gálvez, 2016.
- [5]
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[6]
Ce qui s’inscrit dans les objectifs du système de bourses instauré au Chili.
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[7]
Le phénomène n’est pas nouveau, mais la scission entre création et public s’accentue au début du xxe siècle. Michèle Reverdy explique cette « désaffection » par l’apparition des moyens techniques d’enregistrement et de diffusion de la musique, entrainant un éloignement de l’amateur des œuvres contemporaines (avant, faute d’enregistrements, celui-ci tenait à se procurer des partitions nouvelles qu’il pouvait lui-même jouer) ; elle pointe également le manque d’exigence des diffuseurs qui privilégient les œuvres du passé considérées comme plus accessibles. Cf. Reverdy, 2007, p. 47-48.
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[8]
Comme le titre de l’ouvrage de Charles Rosen, Aux confins du sens. Propos sur la musique (Seuil, 1998).
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[9]
Une captation audio-visuelle de cette œuvre, réalisée dans le cadre des Donaueschinger Musiktage en 2012, avec le compositeur à la guimbarde, est disponible à l’adresse : <youtu.be/_JSVHboOePg>, page consultée le 08/04/2020.
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[10]
Un registre audiovisuel de la création à Shanghai est disponible en ligne : <youtu.be/VRPEncX96ls>, page consultée le 08/04/2020.
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[11]
Comme dans La otra concertación, évoqué au début de cet écrit.