CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La place importante qu’occupent aujourd’hui les musiques dites « latino » dans le marché musical mondial s’est construite de manière progressive. Les multiples « boom latino » annoncés, de façon récurrente depuis les années 1960, par les médias et producteurs occidentaux ont été un moyen pour attirer l’attention des publics et ne marquent en réalité que la continuité de l’intégration de ces nouveaux sons, tant latino-américains que latino-étatsuniens, par l’industrie musicale dominante. De la salsa du célèbre label La Fania à la trap latino actuelle de Bad Bunny et Ozuna, en passant par la pop latino de Gloria Estefan, Shakira et Ricky Martin, la salsa romántica de Marc Anthony et La India, et le reggaeton de Daddy Yankee et J Balvin, tous ces courants et artistes ont participé au développement d’un secteur panlatino, dont les activités de production et de gestion se sont en deux décennies centralisées à Miami.

2Partant des travaux critiques de l’économie politique de la communication (EPC), cet article souhaite identifier les processus impliqués dans la construction et médiatisation à grande échelle de cette catégorie musicale, et les rapports de pouvoir les ayant accompagnés. Les multiples médiations qui marquent ces processus sont en effet au cœur des dynamiques de concurrence entre entreprises et d’extension de l’activité de ces dernières à de nouveaux « territoires » (envisagés ici comme marchés tant de « production » ‒ d’où faire émerger de nouveaux textes ‒ que de « distribution » ‒ où les écouler), participant de fait à la transformation du matériau musical.

3Le présent article interroge ainsi le double mouvement de transnationalisation et de territorialisation de l’industrie musicale latino de Miami. Il s’appuie sur un matériau empirique constitué d’entretiens semi-directifs auprès d’acteurs du secteur et d’une analyse systématique de la presse magazine professionnelle, en particulier de Billboard qui, depuis 1982, dispose d’une rubrique consacrée au secteur nommée « Latin Notas ». L’article reviendra dans un premier temps sur certaines des propositions théoriques critiques traitant des processus d’internationalisation de la culture et des médias. Celles-ci nous aideront à questionner dans un deuxième temps le contexte d’émergence d’un secteur musical latino à Miami, pris au cœur des processus de mondialisation, pour, dans un troisième temps, pointer les rapports de pouvoir qui se manifestent dans l’internationalisation de ces musiques.

Économie politique de la communication, musique et mondialisation

4L’économie politique de la communication est un des courants pionniers dans la mise en évidence, dès la fin des années 1960, de l’existence d’un système international des médias, pris au cœur des enjeux économiques et politiques de la « mondialisation » en cours (envisagée là comme phénomène inscrit dans le temps long). En donnant une place privilégiée à l’analyse des circulations culturelles et médiatiques à l’échelle du globe, les chercheurs et chercheuses critiques de l’EPC ont pointé les rapports de pouvoir accompagnant ces processus. La circulation de productions culturelles y est dès lors synonyme de domination culturelle, par les rapports et échanges inégaux (à « sens unique ») qui la structurent. Les entreprises privées des secteurs concernés sont perçues comme étant en première ligne de cette lutte pour l’hégémonie, et en particulier les grandes firmes étatsuniennes, en position de force sur l’ensemble de la chaîne de production, de l’appropriation de la création locale à la promotion et distribution internationales.

5Si dès le milieu des années 1970, des intellectuel·le·s nord-américain·e·s portent leur attention sur l’Amérique latine, particulièrement sujette à ce type d’entreprise hégémonique, des chercheur·e·s du sud du continent prennent largement part au débat. Ils et elles auscultent avec minutie les processus de domination étatsunienne ancrés dans les stratégies des multinationales de la communication et les formes de dépendance qui en découlent. Ces études – dont une synthèse menée par Luis Ramiro Beltrán et Elizabeth Fox de Cardona dans l’ouvrage dirigé en 1979 par Kaarle Nordenstreng et Herbert I. Schiller intitulé National Sovereignty and International Communication – en arrivent au constat suivant : les « organisations internationales » et les « entreprises multinationales » ayant le plus d’impact sur le « développement de la communication nationale » en Amérique latine sont majoritairement étatsuniennes. Le mouvement d’investissement direct en capital et le placement de contenus dans les médias latino-américains y sont observés dans un grand nombre de secteurs : de la radio à la télévision, en passant par l’information, la publicité, les comic books et le cinéma. Toutefois, aucune analyse détaillée ne porte de manière spécifique sur le secteur musical. Ce qui prédomine dans ces analyses – et ce peu importe le secteur étudié ‒ est le double enjeu commercial et idéologique, pointant le risque d’homogénéisation culturelle.

6Or c’est bien là que se situe le point d’accroche des critiques portées à cette théorie de « l’impérialisme culturel ». Lorsqu’interviennent, au-delà de l’étude des modalités de domination des grandes entreprises culturelles transnationales et de leurs contenus, les arguments sur les « effets culturels » de ces processus (Negus, 1996). Nous ne souhaitons pas ici revenir sur cette dernière dimension, mais davantage questionner les dynamiques industrielles contribuant à la situation selon laquelle certains types particuliers de musiques se retrouvent sur le devant de la scène internationale là où d’autres restent plus confidentiels et à l’écart des réseaux de diffusion mondiaux dominants. Ainsi, se pose la question de savoir quelles sont les dynamiques économiques, mais aussi culturelles et sociales, qui participent à l’émergence et à la circulation à grande échelle de productions spécifiques, dès lors présentées comme « globales [1] », et les rapports de pouvoir qui y prennent forme. En la replaçant dans le contexte des musiques populaires, nous pourrions reprendre une formule éclairante de Stuart Hall en guise de question programmatique : le global n’est-il pas l’auto-présentation du particulier dominant ? (Hall, 1991, cité dans Negus, 1996, p. 174).

7Si les travaux plus récents en EPC ont porté attention à ce que Dayan Kishan Thussu nomme les « contre-flux » ou « flux subalternes » provenant d’autres centres de production, notamment situés dans les Suds, le courant a en effet poursuivi ce travail de mise en lumière des flux dominants dans la circulation globale des biens culturels et médiatiques, et de la surreprésentation des entreprises étatsuniennes en leur sein. En ce sens, bien qu’en montrant que ces réseaux inscrits dans une dynamique plus « horizontale » se sont multipliés depuis les études pionnières de l’EPC [2] et que la circulation mondiale des contenus culturels et médiatiques a pu s’accroître avec l’accès à internet – bien qu’inégalement réparti à l’échelle globale (Mattelart, 2011 ; Mattelart et al., 2015) –, les recherches ont continué à montrer les « disparités dans le volume et la valeur économique de ces flux » (Thussu, 2007). Ils ont dès lors fait valoir que ces dynamiques ont pu « refléter un réaménagement de l’hégémonie », mais de « manière plus complexe » que ne l’a laissé penser la tendance croissante à leur valorisation (Ibid., p. 4). Le projet originel de ce courant de recherche critique, à savoir le dévoilement « de la genèse du mode capitaliste de production de la culture et de la communication » (Granjon et al., 2019, p. 18) et les rapports de pouvoir l’accompagnant à une échelle internationale, s’est donc bel et bien poursuivi.

8Afin d’observer ces processus concrètement, et ainsi prendre en compte « les questions liées aux pratiques sociales » qui caractérisent nombre de travaux de l’EPC – aux fondements théoriques certes diversifiés (Miège, 2004, p. 48) –, il nous faut alors en revenir à une échelle plus locale. Elle seule permet une analyse des relations sociales et des conditions matérielles de production capable de nous éclairer sur la façon dont certaines structures « façonnent directement le mouvement international de la musique populaire dans le monde » (Negus, 1996, p. 189).

L’émergence d’un secteur musical latino à Miami au cœur des processus de mondialisation

9Dès 1979, le secteur musical trouve à Miami un « point territorial de référence pour la transnationalisation de son industrie » (Mato, 2002). Suivant le mouvement d’implantation de filiales locales dans les divers pays latino-américains, qui débute quant à lui dans les années 1940, les majors choisissent la ville du sud de la Floride pour la création de bureaux impliqués dans la gestion de ces marchés dits régionaux. Si Discos CBS international, rachetée en 1987 par Sony Music Entertainment, est la première à le faire à la fin des années 1970, elle sera suivie par d’autres maisons à mesure que le marché de la musique « hispanophone » se développe, tant en Amérique latine qu’aux États-Unis. Les labels, producteurs et compositeurs qui s’y installent en nombre croissant participent alors à une centralisation progressive de la gestion des multiples répertoires « latino » à Miami, d’où est en dernière instance orchestrée leur internationalisation.

10Le processus dialectique de centralisation et de dispersion géographiques évoqué ici nous semble précisément être une des caractéristiques de la mondialisation. Miami disposerait en ce sens de certaines des fonctions de « ville globale » telles que définies par Saskia Sassen (2009) ou d’autres chercheurs travaillant sur la ville floridienne. C’est le cas de Jan Nijman (2015), qui synthétise en quatre points les caractéristiques de ces villes. Il explique ainsi qu’en représentant un lieu de concentration du capital, avec un degré de commandement et de contrôle s’exprimant par la présence de grands sièges multinationaux, celles-ci seraient utilisées comme bases de départ dans l’organisation géographique des marchés et de la production. Ce faisant, elles attireraient un nombre grandissant de migrants nationaux et internationaux, ces derniers participant de façon concomitante à la croissance économique et au développement des liens globaux de ces villes.

11Ainsi, le déploiement d’une stratégie réticulaire des entreprises dominantes du secteur depuis Miami souligne la nécessité de ne pas scinder les marchés latino-étatsuniens et latino-américains, traditionnellement étudiés séparément par les spécialistes des médias (Dávila, 2014, p. 2), alors que se jouent précisément là les relations de pouvoir précédemment évoquées. Non seulement les majors installent des filiales dans les pays latino-américains, mais elles rachètent également, dans une logique concentrationnelle, les acteurs les plus puissants des différents marchés locaux. Polygram par exemple, absorbée par Universal Music Group en 1999, acquiert en 1995 le très important label vénézuélien Rodven, appartenant à la famille Cisneros (propriétaire du géant de la télévision Venevision), puis consolide sa position en prenant possession d’Univisión Music Group dans le courant des années 2000, lui-même déjà propriétaire des deux plus importants labels mexicains (Fonovisa et Disa Records).

12De la sorte, l’émergence d’un nouveau pôle fort du secteur latino à Miami autour de Sony, Universal, Warner et EMI participe à la reconfiguration des équilibres géographiques dans la gestion de ces marchés. De New York et Los Angeles, elle migre progressivement vers la ville floridienne. Cette réorganisation du secteur, autour d’une catégorie générique (Latin ou « latino ») réunissant un nombre croissant de styles musicaux, et pour laquelle travaillent des équipes dédiées, correspond à une technique de management connue sous le nom de « gestion de portefeuille de projets » (portfolio management) (Negus, 1999). Celle-ci permet, selon Negus, de « diviser les labels, les genres et les artistes en unités d’affaires stratégiques, rendant visibles la performance, le profil et la contribution financière de chaque division » (Ibid., p. 87). L’industrie musicale s’inscrit donc dans une stratégie de diversification, en répartissant risques et sources potentielles de revenus entre les différents genres musicaux.

13Ce qui a été entrepris, par exemple, pour la country à Nashville, s’est toutefois produit dans un contexte spécifique pour les musiques latino. En effet, la localisation territoriale de l’industrie à Miami découle de dynamiques économiques et politiques spécifiques dans lesquelles sont prises celles liées aux musiques populaires, et qui ont eu un impact durable sur les contenus produits et distribués à grande échelle.

De la naissance d’une scène locale à l’internationalisation des musiques latino

14Les premières grandes migrations cubaines, constituées de personnes fuyant la prise de pouvoir castriste en 1959, ont permis de lancer l’intégration progressive de Miami dans la mondialisation, tout lui en attribuant une identité spécifique, que certains observateurs qualifient de « latina » (Jolivet, 2015). Ainsi, entre 1959 et 1962 [3], 278 070 Cubains s’installent aux États-Unis, auxquels il faut ajouter les 340 000 réfugiés traversant le détroit de Floride entre décembre 1965 et avril 1973, dates de réouverture temporaire des frontières par Fidel Castro. Ces populations nouvelles, soutenues par Washington, arrivent à Miami avec leurs propres référents culturels, qui vont dès lors imprégner les musiques qu’elles commencent à créer sur le territoire d’accueil. Les jeunes musiciens de cette génération développent un nouveau son, précurseur de la fusion musicale caractéristique de la ville et identifiée sous le nom de Miami sound (Curtis et Rose, 1983 ; Yúdice, 2003 ; Party, 2008). En s’appuyant sur le rock, le rhythm’n’blues et une soul en pleine expansion depuis l’émergence des labels Stax (1958) et Motown (1959), ils composent une musique répondant aux codes de la culture étatsunienne du moment, mais aux sonorités cubaines et plus largement latino-américaines. Cela passe par l’intégration d’instruments cubains – souvent rythmiques, tels que les congas, les bongos ou les claves ‒ et, surtout, par des paroles en espagnol. Les désirs de cette génération semblent en effet portés, pour reprendre une expression formulée au cours d’un de nos entretiens, par la volonté de mélanger la « cosa cubana » et la « cosa americana » (Carlos Oliva, 25 juin 2014).

15Encouragés par quelques succès locaux, les jeunes artistes cubains cherchent alors à développer cette nouvelle scène locale, par l’exportation de leur musique, dans un premier temps, en Amérique latine. Ils s’appuient pour cela sur les firmes locales, en particulier Discos CBS International, installée à Miami depuis 1979. Emilio Estefan, figure de proue de la scène avec son groupe au nom explicite, le Miami Sound Machine, y parvient pour ses trois premiers albums en espagnol : Otra Vez (1981), Rio (1982) et A Toda Máquina (1983). L’objectif suivant est alors d’atteindre le marché étatsunien. Pour y parvenir, Emilio Estefan et son groupe décident d’incorporer dans leurs chansons des textes en anglais, inaugurant ce qu’ils appellent une « Latin Pop », « mélange de rythmes latinos et de pop, de salsa et de disco, avec des paroles en espagnol et dorénavant en anglais » (Estefan, 2010, p. 106), qu’ils estiment à l’image de leurs culture et identité. Ce n’est que lorsque le groupe parvient à signer chez Epic Records, l’un des labels majeurs de CBS, en 1984 – seulement trois ans avant que la maison soit entièrement rachetée par Sony [4] – que le groupe parvient à étendre ses ventes aux États-Unis, puis dans le reste du monde. En bénéficiant des réseaux de distribution élargis de CBS, il hisse son single « Dr. Beat », entièrement en anglais, au sommet des classements européens, latino-américains, japonais et australiens.

16La stratégie mobilisée par le groupe et les équipes qui l’accompagnent se normalise alors progressivement au sein de l’industrie locale. Les majors se conçoivent, pour les artistes qu’elles estiment « à potentiel », comme des farm teams, c’est-à-dire comme une étape intermédiaire entre le marché local et le marché régional, puis international. Les artistes y sont développés, suivis et leurs chances de réussite commerciale optimisées. Dans ce processus, l’enjeu principal est d’arriver à conserver une core audience hispanophone, tout en atteignant les publics anglophones et ainsi le marché « international ». Si cette stratégie est entreprise dans un premier temps avec des artistes implantés à Miami, elle intègre rapidement son réseau de filiales en Amérique latine pour faire remonter les artistes au succès grandissant dans leur propre pays et ensuite les exporter à l’international.

17De surcroît, les majors profitent de l’attractivité de la ville envers d’autres industries culturelles pour développer une stratégie transmédiatique, bénéficiant dès lors d’une visibilité accrue de leurs productions dans les radios locales, mais aussi dans les chaînes musicales (MTV ouvre une antenne locale en 1993 à Miami comme centre des opérations pour l’Amérique latine et le marché hispanophone des États-Unis) et dans les chaînes généralistes hispanophones (Univisión et Telemundo). Pour ces dernières, cela passe par la diffusion de cérémonies d’awards « latinos » qui se multiplient dans le courant des années 2000. Retransmises à une heure de grande écoute et bénéficiant d’une large couverture médiatique (Street, 2014), elles permettent de capter l’attention de publics variés.

18Deux artistes participent de ce mouvement qui s’accélère à la fin des années 1990 : la Colombienne Shakira et le Portoricain Ricky Martin. Avec leurs albums respectifs parus chez Sony Discos ¿Dónde están los ladrones? (1998) et Ricky Martin (1999), ils bénéficient de l’expertise de leur producteur commun : Emilio Estefan. Celui-ci, aux côtés d’équipes marketing dorénavant dédiées, poursuit la stratégie d’alternance linguistique et de mise en visibilité médiatique des artistes de la major. Elle se matérialise par exemple dans le cas de Ricky Martin par des prestations scéniques lors des cérémonies des Grammy Awards de 1998 et des MTV Video Music Awards de 1999, au cours desquelles le chanteur interprète ses tubes bilingues « La copa de la vida/ The Cup of Life » (par ailleurs choisi comme hymne officiel de la coupe du monde de football se tenant la même année en France) et « Livin’ La Vida Loca ». L’impact médiatique est alors considérable (Cepeda, 2000) et contribue à rendre visible aux audiences du monde entier la pop latino produite à Miami.

19Cette stratégie de « crossover », tout en posant un rapport de force certain entre cultures « minoritaires » et culture dominante blanche anglo-saxonne, apparaît ici comme un outil de « mainstreamisation » nécessaire pour atteindre le marché « global ». Jason Toynbee, à l’origine de cette dernière notion, la définit comme un processus social ambivalent, dans la mesure où il alterne entre « inclusion et synthèse de la différence dans le courant dominant », et « régulation des différences selon des rapports de pouvoir inégaux » (2002, p. 160). S’il permet en effet à certains types de musiques et artistes d’atteindre des publics qui n’ont a priori pas de connaissances et expériences de leurs conditions et contextes de production, pointant certes des formes possibles d’incommunication dans l’interprétation du message musical ou textuel mais n’empêchant pas pour autant l’« identification » de ces publics à de telles productions, le processus passe par une série de médiations inévitablement faites de négociations, et donc de rapports de pouvoir.

20En conclusion, si les chercheurs et chercheuses travaillant les enjeux de la mondialisation ont montré comment certaines villes, dites mondiales ou globales, ont supplanté les États dans la gestion et la centralisation des flux (économiques, financiers, mais aussi culturels et migratoires) mondiaux, la circulation ‒ non plus à « sens unique » ‒ des contenus à succès ne s’en est pas moins faite par le truchement de quelques grandes entreprises dominantes, implantées sur le territoire de pays en position de force sur les marchés internationaux. L’organisation transnationale qui sous-tend cela participe à l’encadrement de la production et au contrôle de la distribution par ces dernières, impactant de fait les musiques qui en émanent. En outre, si ces processus n’ont pas empêché l’émergence de formes culturelles nouvelles aux référents localisés (comme dans notre cas de musiques influencées par des répertoires « domestiques » latino-américains), ils ont permis à ces quelques mêmes entreprises de capter les profits générés par les productions les plus visibles, qu’elles seules sont capables de mettre en circulation et vendre à une échelle véritablement mondiale.

21L’enjeu n’était donc pas ici d’envisager la domination comme un mécanisme surplombant imposant des productions uniformisées à des audiences crédules, mais de la comprendre plutôt comme la résultante d’un processus basé sur des rapports de pouvoir spécifiques, où les productions musicales sont transformées par une succession de médiations dans lesquelles les dynamiques de résistance peuvent être activement présentes (voir pour cela Bénistant, 2017). Ces éléments nous ont permis d’observer les stratégies industrielles ayant permis le développement d’un secteur latino (de plus en plus) « globalisé », mais aux productions « particulières » liées à un contexte d’émergence et à des conditions sociales de production spécifiques. En ce sens, nous avons souhaité amener des éléments de réponse à la question soulevée en début d’article des « particuliers dominants de l’industrie musicale », et ce tant en termes de « répertoires que de pratiques de travail et méthodes de promotion » (Negus, 1996, p. 180).

Notes

  • [1]
    Les mentions faisant référence à des répertoires, artistes et titres « mondiaux » ou « internationaux » ne manquent pas dans la presse professionnelle et dans les rapports émanant de l’industrie musicale, à l’instar de Iñigo Zabala, Président de Warner Music Latin America & Iberia, qui souligne dans le dernier « Global Music Report » (2019) de l’IFPI qu’en « En Amérique latine, nos équipes artistiques travaillent en permanence sur des projets mondiaux ».
  • [2]
    Bien que très tôt pris en compte par celles-ci à l’image du travail d’Armand et Michèle Mattelart sur les telenovelas brésiliennes dans les années 1980 (Mattelart et Mattelart, 1987).
  • [3]
    Date de la mise en place de l’embargo des États-Unis contre Cuba.
  • [4]
    Les deux entreprises sont liées depuis 1968 par une joint-venture.
Français

Partant des travaux de l’économie politique de la communication qui ont donné une place privilégiée à l’analyse des circulations culturelles et médiatiques au niveau international, cet article souhaite identifier les processus impliqués dans la construction et médiatisation à grande échelle d’une catégorie musicale dite « latino ». Il questionne ainsi le contexte d’émergence d’un secteur musical latino à Miami, pris au cœur des dynamiques de mondialisation, pour au final pointer les rapports de pouvoir qui se manifestent dans les stratégies d’internationalisation de ces productions culturelles spécifiques.

  • musique populaire
  • mondialisation
  • industries culturelles
  • latino
  • Miami

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Alix Bénistant
Alix Bénistant est docteur en sciences de l’information et de la communication. Enseignant au département Culture de l’université de Lille, il est rattaché au Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation (Cemti) de l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, et est membre du comité de rédaction de Volume ! La revue des musiques populaires.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/08/2020
https://doi.org/10.3917/herm.086.0109
Pour citer cet article
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