1À l’ère de sa reproductibilité technique, la musique est devenue une marchandise. Le gramophone avait tracé la voie mais il a fallu la conjonction de deux phénomènes distincts – en l’occurrence, la mise au point du disque microsillon en vinyle 45 tours et 33 tours d’une part, et l’accès des adolescents à un pouvoir d’achat d’autre part – pour qu’un marché colossal s’ouvre. Les États-Unis ont été les premiers et comme de juste ont suscité l’objet idoine pour cette consommation musicale avec le rock’n’roll et Elvis Presley : 1956, dix millions d’exemplaires du single « Heartbreak Hotel » vendus et six millions de « Hound dog ».
2Cependant, l’imprésario d’Elvis, le soi-disant colonel Parker, ayant fait en 1960 le choix du cinéma plutôt que celui du disque, une place s’est libérée et la mondialisation du produit rock’n’roll a émané d’Angleterre, pays parlant plus ou moins la même langue et dont les Beatles, image d’une génération et non plus d’un individu, sont les porte-drapeaux. Grâce à leur exceptionnel talent et un marketing impitoyable, les Beatles sont devenus à la fois l’objet et l’agent de la mondialisation du 45 tours, à la grande perplexité des Américains devant ce succès qu’ils ne pouvaient pas contrôler – la Beatlemania, un mouvement par le bas de nature spontanée, entraînant des millions de fans. L’empire britannique se délite mais ses héritiers sont James Bond et les Beatles.
3Quelques chiffres de vente : quinze millions pour « I want to hold your hand » en 1963 et six millions de « Can’t buy me love » en 1964. Leurs albums 33 tours rencontreront un succès à l’avenant, avec trente millions de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band vendus en 1967. Leur tournée de 1964, outre de multiples concerts en Grande-Bretagne et une résidence à l’Olympia de Paris du 16 janvier au 4 février, comporte vingt-huit concerts en Amérique du Nord. En 1966, ils se produisent en Allemagne, au Japon, aux Philippines et terminent à San Francisco.
4John Lennon dira : « Nous sommes plus célèbres que le Christ ». Leur chanson « Back in the U.S.S.R. » a, du moins selon certains commentateurs lyriques, davantage contribué à la chute du Rideau de fer que les accords sur les missiles SALT 1 *. De même leur proximité avec Ravi Shankar a contribué à légitimer les musiques d’Orient pour le public occidental.
5La réussite des Beatles, puis des groupes anglais épigones, est étayée sur la puissance de la langue mariée au rythme binaire du rock, sans qu’il n’y ait une véritable compréhension des paroles de par le monde.
6Il en sera de même avec Michael Jackson qui restitue aux États-Unis leur leadership, avec chemin faisant de nouveaux supports : le CD et le clip télévisuel. Ses obsèques en mondovision en juin 2009 seront suivies par un milliard de personnes.
7Toutefois le rap, apparu dans les années 1990, scansion nourrie d’argot des populations noires américaines, va essaimer et s’affranchir de la langue anglaise pour ne garder que les principes de la boucle musicale et de la cadence ; il y a maintenant des rappeurs dans toutes les langues, avec un contenu universel de provocation. La nouvelle mondialisation est celle de la forme.
8Le dernier avatar de la mercantilisation musicale mondialisée est celui de la Korean Pop’, musique de synthèse accompagnée d’une chorégraphie millimétrée, témoignant que n’importe quelle musique bien présentée et structurée peut conquérir les adolescents et maintenant les préadolescents de la planète.
9Mais chaque réédition des Beatles reste un événement…