1Lors de la rencontre-débat du 10 septembre 2019 sur l’information et la communication au cœur des connaissances, organisée par la revue Hermès, les notions d’interdisciplinarité et de pluridisciplinarité ont plusieurs fois été évoquées et discutées. Cela a notamment été le cas lors de la prestation de Bernard Valade (Université Paris Descartes) portant sur la question de la communication entre les disciplines scientifiques. Mais, si le mot de transdisciplinarité a été évoqué, il n’a guère été développé et repris par la suite. D’où la présente réaction écrite faute d’avoir pu réagir oralement en raison de la gestion des temps de parole.
2À ce moment-là, j’avais à l’esprit la formule de Greg Niemeyer pour qui « la transdisciplinarité sera la culture du futur [1] ». Son propos relevait alors du dialogue au sein de l’éducation et des formations scolaires en rapport avec le développement des réseaux sociaux. Apparue au cours des années 1970 après Jean Piaget, alors soucieux de la meilleure appréhension de la complexité des savoirs en essor, tout en pouvant remonter au xixe siècle à la notion de crossfertilization de Clerk Maxwell, la transdisciplinarité mettait en avant la coopération constructive entre disciplines scientifiques, dans les sciences exactes comme dans les sciences humaines et sociales. Se fondant sur les divers sens du préfixe latin, donc « entre » et « à travers » les différentes disciplines et « au-delà » de chacune d’entre elle, sa perspective est d’avoir la meilleure compréhension du monde. Ainsi, en invitant à prendre de la hauteur et à découvrir mutuellement les autres disciplines, la transdisciplinarité incite au dialogue.
3Autrement dit à s’informer et à communiquer effectivement, qu’il y ait ou non des frontières rigides entre ces disciplines. Et, surtout quand il s’agit des sciences de l’information et de la communication comme nous l’avons nous-même pointé en son temps [2]. C’était après le Premier Congrès mondial de la transdisciplinarité d’Arrabida en novembre 1994, congrès auquel ont participé, entre autres, Olivier Costa de Beauregard, André Jacob, Edgar Morin, Philippe Quéau. Mais dès 1987, cette dynamique nouvelle, alors portée par le Centre international de recherches et d’études transdisciplinaires (Ciret) mis en place par Basarab Nicolescu, avait alors déjà obtenu le soutien formel d’un jeune chercheur du CNRS, Dominique Wolton.
4Que l’on nous permette de citer ici l’article 3 du « projet moral » du Ciret (1987) :
Il est important de distinguer avec soin la transdisciplinarité d’autres activités apparemment très proches, sinon identiques, comme la pluridisciplinarité, la multidisciplinarité ou l’interdisciplinarité, mais qui sont en fait, quant à leurs moyens et à leurs finalités, radicalement différentes de la transdisciplinarité.
La transdisciplinarité n’est pas concernée par le simple transfert d’un modèle d’une branche de la connaissance à une autre, mais par l’étude des isomorphismes entre les différents domaines de la connaissance. Autrement dit, la transdisciplinarité prend en compte les conséquences d’un flux d’information circulant d’une branche de la connaissance à une autre, permettant l’émergence de l’unité dans la diversité et de la diversité par l’unité. Son objectif est de mettre à nu la nature et les caractéristiques de ce flux d’information et sa tâche prioritaire consiste en l’élaboration d’un nouveau langage, d’une nouvelle logique, de nouveaux concepts pour permettre l’émergence d’un véritable dialogue entre les spécialistes des différentes branches de la connaissance.
6Le constat actuel est donc bien là : de telles perspectives n’ont guère été développées dans le champ des sciences de l’information et de la communication alors que les pratiques de l’information et de la communication, elles, se sont répandues quasiment partout. Y compris dans les démarches scientifiques relevant de toutes les disciplines ! Certes, l’invention des réseaux sociaux, avec les usages et pratiques en essor ayant touché les rapports entre chercheurs, aurait pu favoriser une telle dynamique. Or, bien que brièvement rappelée, la transdisciplinarité, avec les relations suscitées entre les savoirs et l’enrichissement des connaissances en découlant, ne peut qu’inciter à revenir à la finalité première de l’Université : le savoir universel à établir, à reconnaître et à partager dans le cadre d’un dialogue effectif. Dialogue qui ne peut qu’avoir des retombées positives dans la vie politique et sociale au sein de la Cité planétaire globale.
7Mais n’oublions pas non plus ce constat réaliste : la communication relève de la volonté de chacun, voire de chaque structure inscrite dans son environnement, et du partage effectif des perspectives communes ou de l’intérêt général. Donc de s’entendre aussi sur les modalités d’un dialogue à structurer plus ou moins dans l’espace et le temps.
8De fait, l’initiative de la rencontre-débat du 10 septembre s’inscrivait bien dans l’esprit et la perspective de la transdisciplinarité ainsi brièvement rappelée.
Notes
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[1]
Titre de l’entretien du professeur du Centre pour les nouveaux médias de Berkeley (Californie) avec Paloma Soria, paru sous ce titre dans Le Monde du 28 février 2017.
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[2]
Cf. notre article « L’étude des médias : un champ ouvert à la transdisciplinarité », Communication et langages, no 106, 1995, p. 77-88.