CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’utilisation des smartphones et autres objets connectés s’est rapidement imposée comme une évidence dans notre vie quotidienne, au point qu’on compte autant de smartphones que d’êtres humains sur Terre en 2018. Un smartphone sur deux est équipé d’une application à visée santé ou bien-être (plus de 100 000 sont disponibles sur les plateformes d’applications [1]), la distinction entre les deux types faisant l’objet d’un flou souvent volontairement entretenu à des fins marketing. Il faut compter également les T-shirts, bracelets, chaussettes, tétines, patchs, bandeaux et autres objets connectés, qui collectent à large échelle nos données, fréquence cardiaque, respiratoire, taux d’oxygène, sommeil, alimentation, etc. dans une frénésie d’automesure.

2Ces objets très présents dans notre vie courante s’invitent nécessairement et inévitablement dans la médecine, à l’initiative de l’ensemble des partenaires de la chaîne de soins : « patients-usagers », médecins et soignants, institutions, politiques. Leur utilisation vise à répondre à des enjeux et des attentes immenses : appropriation de sa santé et empouvoirement (empowerment) du patient, meilleur accès aux soins, soutien au virage ambulatoire de la prise en charge des maladies chroniques, accompagnement de l’innovation, surveillance de la sécurité après accès au marché (suivi de phase IV, tant des médicaments que des dispositifs) grâce aux données dites « en vie réelle », collecte de données massives multimodales, socle de la médecine de précision « 4P » (prédictive, préventive, personnalisée, participative) [2][3]. Pour autant, le déploiement de l’outil connecté (OC) dans le soin pose plusieurs questions. Au-delà de leur capacité à démontrer leur efficacité et l’efficience de leur utilisation dans l’amélioration du parcours du patient, ces objets connectés ne produisent pas seulement un changement de l’expérience intime du sujet avec lui-même, mais interfèrent également dans la façon dont la relation thérapeutique entre le patient et son médecin et l’équipe soignante va pouvoir se nouer.

La nécessité de nouveaux chantiers de recherche

3L’évaluation et l’analyse des objets connectés portent sur des aspects habituels en recherche clinique : fiabilité, pertinence, amélioration de la prise en charge du patient, évaluations médico-économique et psychologique. Cependant comparés à l’évaluation du médicament, des aspects et méthodologies nouvelles émergent : il s’agit d’analyser et d’évaluer l’écosystème global de l’objet connecté considéré, d’analyser des trajectoires de soins et non plus les seuls indicateurs de morbi-mortalité, de prendre en compte « l’usager » à la fois en tant que patient (qualité de vie, amélioration du vécu de la maladie, etc.) et en tant qu’« usager » (évaluation de « l’expérience patient »), d’utiliser des méthodologies dont les délais seraient compatibles avec la vitesse d’évolution très rapide des technologies, où les constantes de temps de la recherche clinique habituelle sont totalement dépassées ou, en tout cas, à questionner. Ces nouveaux moyens de « traitement » du sujet humain rendus possibles par l’essor du numérique, qui se veulent toujours plus innovants, convoquent ainsi la nécessité de recherches interdisciplinaire urgente.

4À la lumière de réflexions académiques d’ordre éthique, économique, clinique, psychologique, sociétal, technologique et numérique, et des premiers retours d’expérience d’évaluation d’objets connectés en santé, il est urgent de s’interroger sur les modalités qui permettront de concilier le développement de ces outils à des fins médicales avec les exigences d’une médecine attentive à la préservation de la relation/communication avec le patient.

Notes

Cristina Lindenmeyer
Cristina Lindenmeyer est psychanalyste, maître de conférences HDR à l’institut Humanité Science et Société, CRPMS, université Paris Diderot, université de Paris. De 2014 à 2019, elle a été chercheuse associée au pôle de recherches Santé connectée et humain augmenté à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (UMS 3665). Elle participe actuellement à la création du GDR du centre Internet et Société du CNRS (UPR 2000) en tant que responsable du groupe de travail Santé et intelligence artificielle.
Marie-Pia d’Ortho
Marie-Pia d’Ortho est docteur en médecine, PhD, HDR, professeur des universités, praticien hospitalier, cheffe du service de physiologie, explorations fonctionnelles, hôpital Bichat, AP-HP. Elle est European Sleep Specialist, membre du comité Médecine du Sommeil, Société européenne de recherche en sommeil (ESRS) et directrice scientifique de la plateforme d’évaluation des objets connectés en santé, Digital Medical Hub.
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2019
https://doi.org/10.3917/herm.085.0041
Pour citer cet article
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