CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Joanna Nowicki : Quand avez-vous rencontré les questions d’information et de communication dans votre travail scientifique ?

2David Khayat : Très tôt, dans la mesure où le cancérologue que je suis est souvent placé en situation intermédiaire entre un savoir, et donc de l’information, et l’application de ce savoir auprès d’un malade avec qui il va falloir communiquer sur les enjeux, les problématiques, les stratégies – avec le besoin de passer de l’information vers la communication. Sans une bonne qualité de communication, il n’y aura pas de relation singulière de qualité entre un médecin et un malade, il n’y aura donc pas d’adhésion du malade envers un programme et une stratégie thérapeutique, et donc il y aura clairement une perte de chance.

3Joanna Nowicki : Quelle différence faites-vous entre l’information et la communication ?

4David Khayat : À mon avis, il n’y a que très peu de liens entre information et communication sauf dans le sens où le matériau qui est à communiquer vient nécessairement de l’information – l’un est donc le matériau de l’autre. D’autre part, c’est la communication qui donne toute sa valeur à une information. En effet, quelle serait la valeur d’une information si celle-ci restait totalement confidentielle et que personne n’arrivait à la connaître, à la savoir ? Le concept le plus difficile est certainement la communication. Pourquoi ? Parce qu’il fait appel à beaucoup moins d’objectivité que l’information elle-même, la recherche du savoir. Cette communication fait appel à des valeurs et des qualités humaines, et elle est potentiellement à la fois très utile et parfois aussi très dangereuse car il est souvent apparu, dans le domaine qui est le mien de la science médicale en cancérologie, de voir des communicants ne pas tenir compte de la réalité de l’information qu’ils communiquaient, et donner lieu à de faux espoirs et à des croyances tout à fait malhonnêtes.

5Joanna Nowicki : Avez-vous rencontré des échecs de communication dans votre travail scientifique ?

6David Khayat : Les échecs sont indéniables, ils sont impossibles à éviter. Il y a deux formes de communication dans mon métier : la communication vis-à-vis d’autres acteurs scientifiques et la communication vis-à-vis des malades. Vis-à-vis d’autres acteurs scientifiques, mes collègues, les médecins, les chercheurs avec qui j’ai pu échanger, cette communication est seulement un partage de savoir entre gens de niveau de compétence à peu près égaux dans le domaine correspondant à cette communication. Cette communication est donc, de ce fait, relativement facile. La communication vis-à-vis des malades est plus complexe : faire passer un certain nombre d’informations qui tiennent à la fois au pronostic (et notamment aux questions de soins palliatifs et de fin de vie) mais aussi à la valeur des informations que tel ou tel patient a pu recueillir par exemple sur Internet ou les réseaux sociaux, et revenir à plus de réalité sur ce que, malheureusement, très souvent les journalistes et des communicants peu scrupuleux font passer pour des scoops avec guérison à la clé.

7Les résistances par rapport à la communication existent, ont toujours existé, dans la mesure où ce dont nous parlons quand nous communiquons touche à la vie, à la mort, à la souffrance, à l’espoir qui sont, toutes choses égales par ailleurs, d’une importance considérable et fondamentale.

8Joanna Nowicki : Quelle différence faites-vous entre communication et vulgarisation ?

9David Khayat : La différence entre communication et vulgarisation ? Pour moi, la vulgarisation, que j’ai souvent pratiquée dans mes livres, correspond davantage à une communication vis-à-vis d’une masse d’individus et non pas d’un individu en particulier. La vulgarisation, c’est la traduction d’une information, d’un savoir, au travers d’une forme de communication extrêmement simplifiée ; cela permet à des gens non qualifiés de comprendre ce dont il s’agit. Naturellement, eu égard à l’importance du cancer dans nos sociétés, la vulgarisation a toujours été demandée avec force par nos concitoyens.

10Joanna Nowicki : Quel est le rapport entre information, communication et interdisciplinarité ?

11David Khayat : Le rapport entre information, communication et interdisciplinarité est évident en science, car le savoir, qui correspond à l’information, ne concerne pas uniquement des professionnels de la même spécialité mais bien souvent des professionnels de spécialités différentes. La cancérologie touche tous les organes et donc intéresse tous les spécialistes : j’entends par là que les cancers du sein intéressent les cancérologues, mais aussi les gynécologues, les cancers du poumon les cancérologues, mais aussi les pneumologues, etc.

12D’autre part, la cancérologie et la prise en charge d’un cancer nécessitent le recours pratiquement systématique à la chirurgie, à la radiothérapie, mais aussi aux sciences de la nutrition, à la psychologie, à la sexologie, aux médecines parallèles et aux soins de support. Sur le plan plus général, la cancérologie, tout au long de son histoire, n’a cessé de poser des questions éthiques quant aux problématiques de fin de vie, d’acharnement thérapeutique, de droits à l’espoir, de droits à la vérité. Cette spécialité qu’est la mienne s’est toujours placée au carrefour d’une considérable interdisciplinarité.

13Joanna Nowicki : Dans ce cadre, quel statut donner à l’incommunication ?

14David Khayat : Le statut de l’incommunication est heureusement rare quand il existe une volonté de partager une information. Lorsque cette volonté n’existe pas, alors c’est l’incommunication. Mais, elle pose surtout le problème de l’annonce de la fin de vie, de la fin des combats, l’annonce du renoncement.

15Joanna Nowicki : Selon vous, qu’apporte le concept de communication dans l’histoire des disciplines et de la connaissance ?

16David Khayat : Encore une fois, il peut s’agir de deux formes de communication. La communication dans ce rapport singulier d’un médecin avec un malade et la communication vis-à-vis d’une population générale ou d’une population spécifique scientifique.

17Dans le premier cas, celui de ce rapport entre un médecin donné et un malade donné, la communication a évolué au cours de l’histoire de la cancérologie, au fur et à mesure que cette cancérologie devenait plus à même d’apporter de véritables espoirs aux malades, d’apporter la possibilité d’une vraie guérison. Il est certain qu’à l’époque où la cancérologie a débuté, juste après la Seconde Guerre mondiale, et où elle était pratiquement impuissante voire dangereuse quand elle se mettait en pratique avec des chirurgies extrêmement mutilantes, des radiothérapies qui brûlaient les organes et les chimiothérapies qui étaient, en fait, l’utilisation à des fins médicales d’armes chimiques de guerre, cette communication était clairement difficile et il y avait peu de connaissance à partager. Vis-à-vis de la population, et donc dans cette idée de la vulgarisation, à cette même époque il n’y avait rien à dire. Vis-à-vis de la communauté médicale et scientifique par contre, dans la mesure où les pages des livres de cancérologie à cette époque étaient vierges, il a fallu tout inventer, tout découvrir, tout créer, et donc il y a eu de la matière à communiquer en interdisciplinarité d’une manière très abondante. Il n’y a pas eu de rupture, mais un continuum dans l’évolution vers plus de vérité et plus de respect vis-à-vis du malade, de son intégrité aussi bien physique que psychique.

18Joanna Nowicki : Pour conclure, comment voyez-vous le rôle réciproque des connaissances et des techniques ?

19David Khayat : Cela s’est structuré au moment des lois mises en place dans les années 1980 qui ont exigé que les médecins expliquent les techniques aux malades et partagent avec eux un minimum de savoir, et ce, de façon strictement légale et réglementaire, ce qui, de mon point de vue, m’est apparu comme une bonne chose.

David Khayat
David Khayat est oncologue. Il a été chef du service d’oncologie médicale à la Pitié Salpêtrière entre 1990 et 2017. Il est professeur de cancérologie à l’université Pierre-et-Marie-Curie.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2019
https://doi.org/10.3917/herm.085.0117
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