1Brigitte Chapelain : Votre travail met l’image au service des sciences ? Pouvez-vous développer ?
2Marie Mora Chevais : CNRS Images est le service audiovisuel du CNRS. Nous sommes une équipe de professionnels de l’image, qui crée des films et des photographies, en interaction constante avec les chercheurs, pour accompagner l’actualité du CNRS et de la recherche.
3La production audiovisuelle a énormément évolué ces dernières décennies, autant en termes de moyens techniques que de formats de diffusion. L’arrivée de la vidéo, même sur des supports qui nous paraissent aujourd’hui de très mauvaise qualité comme ont pu l’être le Hi8 ou l’UMatic, a modifié la façon de tourner et ensuite de monter. Au tournage, la possibilité d’avoir un matériel plus léger que celui d’un film a réduit le besoin en techniciens et augmenté la quantité d’images tournées. L’arrivée du numérique avec le Béta numérique a prolongé cette tendance en réduisant les besoins en lumière. Quant aux formats d’aujourd’hui avec du matériel toujours plus léger, des capteurs et optiques ultrasensibles et le montage qui se fait avec un simple ordinateur, faire un film est à la portée de tout le monde. Mais attention ! Une meilleure qualité technique ne garantit pas une meilleure qualité artistique. Quoi qu’il en soit, ces bouleversements ont représenté pour les services comme les nôtres, services qui n’ont pas les moyens financiers de la production indépendante soutenue par les chaînes de télévision, d’énormes avantages qu’il est facile d’imaginer : réduction des coûts, multiplication des moyens de diffusion, qualité des images. Tout cela nous a permis d’élargir le champ de nos productions et notre éditorial.
4Les films en sciences dures sont peut-être ceux qui ont le plus bénéficié de ces progrès techniques puisque les optiques sont de plus en plus performantes et les logiciels d’animation et de modélisation sont là pour illustrer et aider à la compréhension d’un discours parfois ardu. De leur côté, les films en sciences humaines et sociales bénéficient des possibilités de tourner davantage, même dans des situations difficiles et improvisées. Entre des moyens techniques performants et des moyens de diffusion modifiés grâce à Internet avec un élargissement du public, nous nous retrouvons avec la possibilité d’être présents sur des terrains où auparavant nous ne l’étions pas. C’est ainsi qu’en 2014, nous avons commencé à produire des reportages d’environ huit minutes dans les laboratoires pour le site du Journal du CNRS, suivi en 2017 du lancement de la chaîne YouTube Zeste de science. Cette chaîne, construite à partir de contenus spécifiques et originaux (photos, animations, modélisations produites par nos laboratoires), utilise les codes du genre, vidéos courtes et incarnées nous permettant ainsi d’élargir notre audience vers un public plus jeune.
5Brigitte Chapelain : Dans le cadre de vos responsabilités quelle(s) différence(s) faites-vous entre l’information et la communication ? Quelle est de ces deux notions celle que vous pratiquez le plus dans vos activités ?
6Marie Mora Chevais : N’oublions pas qu’avant toute chose, nous produisons des films et qu’un film, quelles que soient sa durée et sa nature, reste un film, avec ses codes et ses objectifs, notamment « atteindre un public ». À partir de là, il m’est difficile de faire une différence entre information et communication dans la production audiovisuelle, si ce n’est d’envisager cette question du point de vue du public visé. L’âge, par exemple, est un facteur à prendre en considération. Mais même là, on va se confronter à un public sensibilisé aux questions scientifiques, ou pas, ou peu. Lorsque l’on travaille l’écriture d’un film, on va devoir se poser ces questions-là. Dois-je tout expliquer et perdre un public averti ? Dois-je aller au cœur du problème et perdre un public profane mais qui ne demande qu’à comprendre et être informé ? Dois-je plus simplement donner envie d’en savoir plus ? Si l’on accepte l’idée qu’un film ne peut pas tout dire, j’opterais pour cette dernière option. C’est d’ailleurs très souvent là que l’on se confronte aux chercheurs impliqués dans la réalisation qui, eux, sont habitués à communiquer sur leur recherche de façon la plus exhaustive possible. La seule solution est alors de travailler en amont du tournage et d’échanger à partir d’un dossier écrit qui va permettre de bien cadrer les intentions, le sujet et, de fait, le public. Il est donc évident que quand on touche à la science, et plus encore à des films faits pour montrer la recherche en train de se faire, cette question de « à qui on s’adresse » est cruciale. Elle est plus simple à envisager lorsque les films sont faits à l’occasion d’une conférence à l’adresse de spécialistes, ou sur la politique scientifique du CNRS, mais là nous sommes davantage dans le champ de la communication et de films que l’on dira institutionnels. Mais des films, documentaires ou reportages, qui creusent des sujets scientifiques, même s’ils répondent à une nécessité de communiquer, sont pour moi dans le registre de l’information.
7Brigitte Chapelain : Pourquoi pensez-vous qu’une conférence ou un film institutionnel relèvent davantage de la communication plutôt que de l’information ?
8Marie Mora Chevais : Même pour une conférence, tout dépend d’« à qui » elle s’adresse. Rappelons que la définition de ces termes rejoint les usages communs. C’est une question de métier et de technique. Pour en revenir à la conférence, qu’elle soit ouverte au grand public ou à un public spécialisé, c’est de l’information scientifique plus ou moins complexe. Alors qu’un film institutionnel communique des messages et non de l’information. Mais pour nous, dans la production audiovisuelle, cette différence, on la fait sur la nature du film. Si le film présente une conférence ou une rencontre pour marquer l’instant, pour l’introduire et en montrer l’importance, on peut dire que l’on est dans la communication. Après, c’est une question « d’être » plus d’un domaine que de l’autre, mais il est clair que communiquer, c’est aussi informer et informer aussi, c’est communiquer.
9Brigitte Chapelain : Avez-vous rencontré des échecs en matière d’information et de communication, des résistances ou au contraire de véritables réussites ?
10Marie Mora Chevais : Réussir un film est un sentiment très subjectif. Je peux juger un film moyen et ça ne l’empêche pas de trouver son public – et c’est ça, au final, qui me semble important. D’autant que nous travaillons sur de multiples niches. Il y a un public pour l’archéologie, les mathématiques, l’histoire, la mécanique, la sociologie, etc. Le sentiment de réussite va dépendre de la capacité de séduire à la fois le grand public mais aussi les spécialistes. Alors oui des échecs, on en a eu, certainement, mais on en tire les leçons. Certains films demeurent insuffisamment explicites pour le grand public et ne restent accessibles qu’à la communauté des scientifiques. Dans un cas comme celui-ci, le travail de médiation de la science s’est avéré être un échec. Pour autant, certains films anciens pas toujours très réussis, sur la robotique par exemple, domaine qui a subi une grande évolution ces trente dernières années, peuvent avec le temps se transformer en archives pertinentes sur l’histoire des sciences.
11Évidemment, nous avons eu aussi de jolies réussites, souvent liées au fait que le sujet du film répondait à l’actualité et donc à une attente du public. Par exemple, en 2012 nous avons produit un film sur le calendrier maya, pour montrer les incohérences qui le liaient à une quelconque idée de fin du monde, et le film a eu plus d’un million de vues sur Internet. En 2014 nous avons produit un film intitulé Une folie de Néron sur la salle à manger de la Domus Aurea, qui a dépassé les 500 000 vues. Actuellement, il nous est facile d’évaluer la portée de la chaîne Zeste de science qui a en trois mois fédéré 10 000 abonnés et 22 000 aujourd’hui. Faire une chaîne au sein d’une institution comme la nôtre était un pari ; au vu de sa réception dans le monde académique, les médias et le public, il me semble que l’on peut parler de réussite.
12Brigitte Chapelain : Comment l’analysez-vous ? Le public a-t-il une curiosité grandissante pour la culture scientifique ou les moyens numériques séduisent-ils ce public ?
13Marie Mora Chevais : J’espère pouvoir dire que cette réussite est liée à la qualité de nos productions et notre façon de travailler ! Car que ce soit pour notre chaîne, nos reportages, nos documentaires voire nos films institutionnels, nous travaillons beaucoup l’écriture, qui subit plusieurs étapes de validation jusqu’à ce que tout le monde soit satisfait. J’ai toutefois l’impression, au regard de l’importante programmation d’émissions, de documentaires et de reportages scientifiques à la télévision ainsi que des chaînes YouTube également dédiées à la science qu’il y a un public pour ce domaine qui s’est révélé. Existait-il avant ? Certainement. Augmente-t-il au regard de la diversification des offres ? Également, je pense. Encore une fois ici, Internet et les médias sociaux permettent de renouveler le public.
14Brigitte Chapelain : Quelle différence faites-vous entre information, communication et vulgarisation ?
15Marie Mora Chevais : Vulgariser la recherche, c’est une manière de décrire et d’expliquer des recherches plus ou moins complexes qui nécessitent parfois un bagage scientifique avancé pour les appréhender. Cela relève de notre mission de médiation de la science auprès du plus large public possible. Évidemment, dans la pratique, ce n’est pas évident. Je l’évoquais précédemment en parlant du public : tout est question de dosage et il ne faut pas oublier qu’un film a ses codes de structure, de rythme, de flux que n’a pas l’écrit. Un film n’est pas à proprement parler fait pour être mis sur pause chaque fois que le discours devient difficile et confus. Tout est question de clarté du sujet, de point de vue : il faut le garder à l’esprit, ne pas déborder, négocier et savoir éveiller la curiosité, ne pas tout dire « d’un seul coup », etc. Et encore une fois donner envie d’en savoir plus, ce qui participe d’ailleurs à fidéliser notre public. Pour la « communication », il s’agit pour moi d’un discours plutôt institutionnel sur le CNRS, l’information concernant davantage les découvertes scientifiques et les résultats de la recherche. Pour rester dans le lexique audiovisuel, je dirais que la différence entre communication et information est au final une question de sujets de film : faire la différence entre une communication de chercheur ou un sujet de thèse et un sujet de film qui, lui, va poser une question, va « attaquer » le sujet sous un angle singulier et restrictif, avec un parti pris. La vulgarisation, elle, est une question de traitement qui va être la « façon de dire ».
16Brigitte Chapelain : Le tournant du numérique a-t-il confirmé, renouvelé ou transformé le rôle de l’image dans l’information et la communication scientifique ?
17Marie Mora Chevais : Je parlais précédemment de ce que le tournant numérique a pu apporter à nos métiers. Ce que l’on pourrait nommer « l’image de science » a littéralement opéré un « virage » puisque nous pouvons montrer ce que l’on ne voit pas avec l’œil. Ceci nous permet de relayer des recherches de pointe de nos laboratoires de chimie, de physique, d’informatique, de mécanique, etc. La chaîne Zeste de science est un bel exemple de ce qu’il est possible de produire aujourd’hui au niveau de l’imagerie. Mais on trouve cette évolution également dans des films d’archéologie, d’anthropologie, d’histoire de l’art, etc. Notre film Peintures en pixels, produit en 2018, montre l’utilisation de différentes techniques d’imagerie qui permet aux chercheurs de reconstituer les œuvres du xve siècle en 3D, d’en connaître les reliefs, de distinguer les repeints successifs, de reconnaître les éléments chimiques de la matière picturale dans le but de mieux restaurer et conserver ces œuvres. La vidéo est totalement adaptée aujourd’hui pour rendre compte de ces travaux. Ce « tournant du numérique » a également influencé la diffusion. Nos productions sont accessibles pour tous les publics grâce à Internet et aux médias sociaux (YouTube, Facebook, le site internet du CNRS, Twitter, etc.). Et actuellement, nous développons une nouvelle plateforme de diffusion de nos films et photos avec une interface moderne qui va nous permettre de proposer nos productions en cohérence avec l’actualité scientifique. Sur ce nouveau site, nous mettons régulièrement en avant nos productions récentes, mais aussi parfois très anciennes. Ceci permettra de valoriser nos archives, dont les premiers films remontent à 1920. Nous espérons que cette plateforme sera disponible en 2020. Entre la modification des moyens de fabrication et des moyens de diffusion, nous avons élargi le champ de nos productions et nous l’espérons, de notre public.
18Brigitte Chapelain : Que savez-vous de votre public et quels retours avez-vous ?
19Marie Mora Chevais : Notre public est pluriel. Nous le rencontrons à l’occasion de festivals, de projections, de rencontres, mais bien évidemment c’est un public qui se déplace en sachant ce qu’il va voir ; il est critique et vient souvent rencontrer les chercheurs (qui régulièrement accompagnent les films), pas exclusivement pour « discuter cinéma » avec les réalisateurs et réalisatrices. Pour la chaîne YouTube, c’est très différent. Le public est plutôt jeune, lycéen et étudiant. Ici, les analyses des statistiques nous permettent d’analyser notre public et les commentaires de mieux connaître cette communauté et d’échanger avec elle. Là, lorsque nous participons à des salons ou rencontres, le public veut rencontrer les acteurs de la chaîne. C’est un monde particulier. Pour en revenir à l’ensemble de nos productions, ce que je peux dire c’est que notre fonds trouve sa place dans les festivals et manifestations culturelles et scientifiques grâce à sa diversité thématique. C’est surtout à ces occasions que nous rencontrons notre public.
20Brigitte Chapelain : Êtes-vous en relation de travail avec les services audiovisuels d’autres organismes scientifiques ?
21Marie Mora Chevais : Bien sûr, nous sommes en relation avec les services audiovisuels des autres organismes de recherche, à l’image de nos laboratoires qui sont principalement des unités mixtes de recherche. Selon les sujets, nous sommes amenés à collaborer avec les universités, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Centre national d’études spatiales (Cnes), les universités, etc. Cela ne donne pas toujours lieu à une coproduction. Mais bien sûr, nous nous connaissons et quand cela se présente, nous travaillons ensemble.