CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Jean-Michel Besnier : La revue Hermès entreprend depuis trente ans de mettre au jour les sources de la résistance au concept de communication ainsi que les biais par lesquels cette notion a pu s’imposer à certains des grands scientifiques. Le CNRS n’est pas encore parvenu, de son côté, à installer le domaine de l’interdisciplinarité dont il est convaincu pourtant de la nécessité. J’ai pensé qu’il était important de t’entendre sur la part de l’information et de la communication dans ton travail scientifique et dans les positions stratégiques qui furent, et sont encore, les tiennes au Collège de France et à l’Institut. Comment as-tu donc rencontré la communication ?

2Pierre Corvol : Progressivement, pas brutalement. Ça n’a pas été une éruption, un chemin de Damas. Mais durant ma carrière médicale, en tant que responsable, médecin hospitalier, je l’ai rencontrée parce que dans mon domaine, qui était l’hypertension artérielle, il y avait une absence de prise de conscience par les médecins praticiens de l’importance que pouvaient représenter le diagnostic et puis le traitement de l’hypertension artérielle. Cela date, c’est vrai, du début des années 1970, mais je me souviens très bien qu’à l’époque il y avait encore des théories qui disaient qu’il fallait préserver la pression artérielle, parce qu’en la baissant, on diminuait la pression de perfusion dans les organes, le cerveau, les reins, et que cela pouvait être dangereux. Naturellement, on pouvait rapporter des cas où il y avait eu des accidents du fait d’une brutale baisse de la pression artérielle par des traitements mal contrôlés. Le sujet était vraiment d’importance parce qu’il y a toujours 10 à 15 % de patients hypertendus, et encore une résistance des médecins à s’intéresser à ce problème. De plus, il fallait aller à l’encontre d’une certaine austérité : ce n’était pas très gai de prendre la pression, de relever deux chiffres, de les expliquer aux malades, de leur donner un traitement alors qu’ils se portaient bien… On a donc été confrontés dans le service dans lequel j’étais jeune interne, puis chef de clinique, à ce souci, et nous avions mis en place une tournée d’information : nous partions tous les mois, avec l’un des agrégés du service, porter « la bonne parole » auprès des médecins traitants. Nous étions parfaitement honnêtes dans la délivrance de nos messages, mais notre démarche était aidée financièrement. Par qui ? Ni par l’hôpital ni par les sociétés savantes. Oui, tu as deviné, elle était aidée par l’industrie pharmaceutique. J’ai mis peut-être un certain temps à réaliser que nous contribuions aux profits de certains laboratoires. Il y en avait deux ou trois qui avaient de bons médicaments antihypertenseurs, et c’est vrai qu’à la fin de nos tournées auprès des médecins, en province ou dans la région parisienne, on était invités à dîner, et les médecins repartaient avec l’idée que le médicament du laboratoire untel était sans doute excellent puisque le professeur machin avait dit qu’il en était ainsi.

3Jean-Michel Besnier : Donc vous dispensiez une information qui était quand même asservie à des intérêts extrascientifiques…

4Pierre Corvol : Ah mais complètement ! C’est indiscutable. Mais qu’aurions-nous pu faire, dans la mesure où ce type de communication n’était pas pris en charge par l’Assistance publique, où je travaillais, et encore moins par la faculté ? L’Inserm n’existait pratiquement pas, il était balbutiant à l’époque et, de toute façon, ça n’a jamais été vraiment sa préoccupation. Il n’y avait pas à l’époque de société savante d’hypertension artérielle ; on l’a créée seulement à la fin des années 1970. Donc je n’hésiterais pas à poser le problème au niveau des autorités de santé, qui ont mis du temps à réaliser que la communication était importante. Et moi j’ai aussi mis du temps à le réaliser. Je pense qu’à l’heure actuelle, les choses ont bougé : il y a des campagnes d’information très bien conçues, par exemple sur le tabac. À mes débuts, il n’y avait rien de tel. Et cela tranchait avec l’expérience que je pouvais avoir eue, au même moment, quand je suis parti au National Institute of Health (NIH) à la fin des années 1960 : dans cette Mecque de la recherche fondamentale, il y avait, à côté de la recherche clinique, un secteur d’information. C’était la préoccupation d’un organisme gouvernemental. Assurément, il nous manquait quelque chose en France.

5Jean-Michel Besnier : Pour mettre en place ce quelque chose, vous êtes-vous adressés à des gens dont la spécialité aurait été de peaufiner les messages ?

6Pierre Corvol : Non, pas du tout. On était en plein dans l’improvisation, on faisait un topo assez universitaire je dirais, qui n’a sans doute pas contribué d’ailleurs à redorer le blason de ce qu’on appelle l’enseignement post-universitaire. À un certain moment les médecins praticiens se sont dit : « mais qu’est-ce que c’est que ces universitaires qui viennent de loin, qui sont peut-être bien calés dans leur domaine, mais qui sont loin de la réalité de nos patients de tous les jours ! » Ils avaient raison. Nous, nous voyions des malades relativement compliqués, et ce qui nous intéressait c’était de leur dire : « Voyez comment on fait à l’hôpital, n’est-ce pas qu’on est bons ? Faites comme nous ». Il fallait en convenir : notre démarche n’était pas adaptée à cette communication. Mais personne ne nous l’a dit. Il y a eu beaucoup d’empirisme dans ce que nous faisions. Mais généreux, nous n’étions pas pour autant payés par le laboratoire : celui-ci assurait le déplacement, il organisait localement la réception, ce qui nous a permis d’établir un réseau. Il n’y avait qu’un service d’hypertension artérielle en France à l’époque, et c’était celui-là. Une société a pu être créée grâce à ce réseau.

7Jean-Michel Besnier : C’est là où vous avez pu, peut-être, expérimenter la dissociation de l’information et de la communication. Vous étiez porteurs d’un message, vous étiez donc en position d’informer, et vous produisiez finalement une mise en synergie susceptible de créer un espace de communication.

8Pierre Corvol : Absolument. Quand nous allions ainsi prêcher la bonne parole, nous récupérions non seulement des patients un peu difficiles, mais aussi des jeunes médecins qui se trouvaient ainsi formés dans un domaine, qui n’existait pas ailleurs. Et c’est donc ainsi que s’est développé tout le réseau.

9Jean-Michel Besnier : Il y a deux notions qui se jouxtent souvent, et dont la proximité est sans doute l’une des raisons de la résistance de bon nombre de scientifiques : la notion de communication et celle de vulgarisation. As-tu déjà été confronté à la difficulté d’assumer cette proximité dans ton parcours ?

10Pierre Corvol : Je pense que c’est un grand problème pour le chercheur, à l’heure actuelle, de savoir communiquer et de résister à certains travers. Prenons un cas extrême : la thèse en trois minutes. Résumer trois ans de travail en trois minutes, ce n’est quand même pas simple… Bien entendu, dans le domaine des sciences de la vie, comme dans le domaine des sciences humaines et sociales, il faut parvenir à être synthétique tout en s’interdisant de déformer la vérité à force de la comprimer. Cela aussi, ce n’est pas simple. Et le journaliste en face du chercheur fait comme s’il était confronté à un politique, auquel il demande une réponse binaire : « alors c’est oui ou c’est non, vous allez le virer oui ou non ce cancer, et dans combien de temps ? » Comment faire comprendre la part d’incertitude qu’il peut y avoir dans notre travail, à un moment donné, la relativité de notre résultat, le contexte dans lequel il faut l’interpréter ? La frustration est permanente…

11Jean-Michel Besnier : Pour le chercheur ?

12Pierre Corvol : Oui, il s’agit bien d’une frustration. Je ne suis jamais à l’aise quand on me demande une interview, et j’en donne vraiment peu. En plus, l’exigence d’immédiateté de l’information est redoutable : Mathieu Vidard de l’émission La Tête au carré sur France Inter, par exemple, te demande de venir commenter un article, le lendemain de sa parution, un article que tu n’as même pas eu le temps de lire, dont tu ignorais même l’existence. Tu comprends qu’il y a là motif à se défiler…

13Jean-Michel Besnier : Cela veut dire qu’il faut préserver la communication du scoop ?

14Pierre Corvol : Oui, sans doute. Il faut le faire contre l’institution elle-même, qui ne demande qu’à se valoriser, par l’intermédiaire du chercheur, lequel se valorise également lui-même. C’est tout un système, un engrenage que je n’apprécie pas. Je sais très bien qu’il faut communiquer, et je l’ai fait au Collège de France, mais tout à fait autrement, selon ce que j’appellerais un troisième type de communication. Je suis arrivé comme administrateur à un moment-clé, où les outils de communication par le Net se développaient. Au Collège de France, on en était encore à une communication de type magistral, dans l’entre-soi, pour les happy few du Ve arrondissement, qui se retrouvaient, heureux de pouvoir être proches du professeur, qui lui-même avait son petit cercle d’habitués. La première chose que j’ai faite – et les gens m’en savent gré ici –, c’est d’avoir mis en œuvre les ressources pour que tout ce qui était dit soit enregistré, pour que tout ce qui était enregistré soit accessible sur le site, pour que cela soit filmé, et finalement traduit en voix off, en anglais. Tout cela s’est trouvé réalisé en l’espace de quelques années et a donné une audience incroyable aux activités du Collège. On est passé d’un cercle extrêmement confiné à une grande diffusion, avec grosso modo parfois plusieurs centaines de milliers de téléchargements par an pour un cours donné. C’était quand même formidable.

15Jean-Michel Besnier : Mais cela restait réservé aux happy few quand même.

16Pierre Corvol : Non. J’ai voulu savoir ce qu’il en était, et on a fait deux enquêtes sur le site pour savoir qui nous suivait. Et j’ai fait aussi une enquête sur les « auditeurs physiques » la même année. Le résultat était clair : on avait déplacé la courbe des auditeurs qui nous écoutaient sur le site pour toucher les 35-40 ans, alors que les auditeurs qui fréquentaient le Collège avaient plutôt les cheveux blancs. Bien sûr, ce public élargi avait en général fait des études supérieures mais l’enquête montra que parmi ceux qui téléchargeaient nos cours, outre les étudiants, il y avait des gens beaucoup plus « simples », si je puis dire, des enseignants par exemple auxquels nous rendions service pour la préparation de leurs propres enseignements.

17Jean-Michel Besnier : Puis les conférences du Collège de France ont été reprises par France Culture…

18Pierre Corvol : Nous avons été les premiers à proposer des podcasts. Vraiment de cela, je suis particulièrement fier. J’ai eu de la chance : je suis arrivé au bon moment, et puis j’avais une bonne équipe. Antoine Compagnon a fait « Un été avec Montaigne », première des séries qui n’ont plus cessé depuis. Pour la petite histoire, sache que j’ai demandé à mes collègues s’ils étaient d’accord, et s’il y avait des réticences, ou même des refus. Un certain nombre, même encore à l’heure actuelle, a refusé que leur cours soit pris en charge. D’autres ont finalement accepté quand ils ont vu le succès des autres. Un ou deux internautes nous ont dit : « mais est-ce que ce n’est pas finalement obligatoire et normal que vous mettiez vos cours de cette façon en libre accès ? Après tout, ce sont des biens publics… » C’était très judicieux. Un collègue qui était dans les sciences politiques m’avait dit pour se disculper : « moi je fais un livre à partir de chacun de mes cours ». Je lui ai objecté : « Voilà qui est bien, d’accord, mais quand tu fais ton cours devant un auditoire physique c’est pareil, non ? » Il s’est trouvé embarrassé : « oui, mais non quand même… », et puis, finalement, il a joué le jeu avec bonne grâce. Mais tu vois, tout cela a nécessité un petit peu de travail au corps à corps avec mes collègues.

19Jean-Michel Besnier : Et alors cette entreprise de diffusion des savoirs que tu as initiée, a-t-elle été perçue aussi comme une démarche de vulgarisation ?

20Pierre Corvol : Non, pas du tout. Justement, le cours restait le cours. On n’a pas fait de cours plus simplifiés pour autant. Quand on a filmé ou quand on a pu faire des captures de diapositives, on n’a rien changé. Il s’est juste posé un problème : allait-on être incriminé du fait que nous ne possédions pas tous les copyrights des diapos ? J’avais consulté une avocate spécialisée dans la propriété intellectuelle, qui m’a dit : « étant donné que vous ne faites pas ça dans un but mercantile, vous faites simplement une diffusion, vous ne faites pas de la production en tant que telle, donc en jouant un peu sur les mots, allez-y et vous verrez bien ». Depuis 2007-2008, on n’a jamais eu de problèmes.

21Jean-Michel Besnier : Alors tu vas garder ta casquette de chercheur juste un petit moment, pour me parler de l’interdisciplinarité, cette notion qui est associée presque naturellement à la notion de communication. Comment est-elle intervenue dans ton parcours ? Comment l’as-tu accueillie ? As-tu eu besoin de la défendre ?

22Pierre Corvol : L’interdisciplinarité, je l’ai d’abord vraiment vécue, à l’époque où on travaillait sur des molécules qui pouvaient donner lieu à des produits chimiques, pour abaisser le niveau de la pression artérielle. J’ai appartenu à l’un des très rares laboratoires Inserm qui a pu recruter un chercheur en chimie du CNRS. Je ne sais pas si tu imagines, mais c’est énorme !

23Jean-Michel Besnier : Statutairement ?

24Pierre Corvol : Absolument. Geneviève Evin qui était chimiste, formée dans une unité du CNRS de Nancy, puis à Montpellier, une bonne unité de chimie organique qui faisait de la synthèse de peptides, est venue dans le laboratoire pour continuer ce type de travail. Et j’ai eu beaucoup d’interactions avec les chimistes, parce que finalement, dans mon domaine, la chimie est très proche de la biologie. Au Collège de France, Marc Fontecave est d’ailleurs titulaire d’une chaire de chimie organique appliquée aux sciences de la vie. Cette interdisciplinarité était donc évidente aux chercheurs dont je faisais partie : elle avait été souhaitée par Philippe Lazare à l’Inserm, et il y avait des commissions interdisciplinaires dans lesquelles je me suis souvent trouvé à siéger. C’est dans ce contexte que j’ai connu Bertrand Castro, qui était chimiste et chez qui travaillait Geneviève Evin. Pour moi, il ne s’agissait pas d’un engagement philosophique, et je ne me suis pas torturé pour connaître et justifier le mot « interdisciplinarité » dans mes trajectoires de recherche. Ça s’est trouvé assez naturellement.

25Jean-Michel Besnier : Enfin, l’interdisciplinarité que tu as assumée « assez naturellement » est née de manière centrifuge : ton domaine de spécialité devait extrapoler vers d’autres disciplines…

26Pierre Corvol : Oui, mais c’est vrai de toutes les spécialités. Pas de progrès dans le champ des sciences de la vie sans l’interaction de la chimie avec la physique… On n’a pas nécessairement besoin du concept d’interdisciplinarité…

27Jean-Michel Besnier : Tu pourrais ajouter à ton domaine d’autres interactions, non ? Celles qui mobiliseraient des géographes spécialistes de nutrition, des sociologues des populations, des juristes ou des philosophes versés dans les questions de bioéthique, etc.

28Pierre Corvol : Oui absolument, tu as raison. Les interactions que je privilégie tiennent à l’évolution des recherches dans lesquelles je suis engagé : si tu veux fabriquer un tissu artificiel pour simuler celui qui tapisse le cœur ou les vaisseaux, faire de nouvelles avancées en vue d’un homme reconstitué, très naturellement tu dois coopérer avec des experts en matériaux, avec des physiciens, etc. Si, en plus, on a la chance d’avoir, comme au Collège ou à l’institut Curie, des instituts assez ramassés, dans lesquels des spécialités peuvent s’entrecroiser, alors on dispose d’une ressource formidable : on permet aux gens de se retrouver facilement, d’organiser des séminaires communs, d’avoir des réunions de travail où chacun échange, et comprend toujours davantage ce que fait et peut apporter l’autre. C’est vraiment décisif pour la recherche.

29Jean-Michel Besnier : Existe-t-il des niches d’incommunication dans le paysage scientifique que tu décris ? Que mettrais-tu sous le vocable d’incommunication ?

30Pierre Corvol : L’incommunication intervient selon moi dans le raisonnement médical, quand le patient le reçoit sur un mode probabiliste. Je vais te donner un exemple. Tu viens me voir parce qu’on t’a dit que tu avais de la tension. Je te prends la tension, et puis tu me demandes : « qu’est-ce qu’il faut que je fasse, est-ce que je suis hypertendu ? » Je te réponds : « non, tu n’es pas hypertendu, mais regarde la courbe de Gauss de la pression artérielle dans la population, tu te trouves dans un segment pour lequel il y a un certain risque, il n’y a pas ceux qui sont hypertendus et ceux qui ne le sont pas, mais en fonction de ton âge, du fait que tu as fumé, tu es exposé à un certain risque, et donc, on peut davantage parler à ton propos d’hypertension ». Et à la fin, au moment où je te donne une ordonnance, tu vas peut-être revenir à la charge : « mais est-ce que finalement je suis hypertendu ou pas ? ». Pour quelqu’un de « sophistiqué », je dirais, c’est très difficile de clore un raisonnement de ce type, et chaque fois que je peux, je dis qu’il faudrait que, dans les études primaires ou secondaires, on fasse passer les notions mathématiques élémentaires sur les probabilités, l’explication de ce que c’est qu’un risque absolu, un risque relatif, parce que finalement tout notre raisonnement en matière de comportement est lié à cela. C’est très difficile d’éviter que les gens confondent tout…

31Jean-Michel Besnier : C’est peut-être d’ailleurs en quoi le concept de communication a sa pertinence : il emporte toujours avec lui quelque chose d’émotionnel. On porte de l’émotion quand on communique, on est dans le cognitif quand on informe, mais fait-on jamais la part des deux ? On n’informe correctement que si on sait aussi mettre un peu d’émotion dans ce qu’on dit et, en même temps, on ne peut pas trop longtemps séjourner dans la relation purement émotionnelle, car on est surtout attendu sur le terrain cognitif. Faire la balance entre les deux est un vrai défi. Si je reprends ton exemple, je réalise l’inconfort de l’annonce de mon hypertension : je vais peut-être réagir en me plaignant : « oh là là ! il va me falloir prendre un médicament antihypertenseur à vie. Cela va m’asservir… » Je vais donc mettre l’accent, moi, sur cet élément de liberté perdue, là où d’autres réagiront différemment. Ce n’est donc pas simplement des mathématiques qu’il faudrait pour m’expliquer les variations de ma tension, ce n’est pas simplement de la cybernétique qui te permettrait de m’expliquer à moi, qui suis un peu « sophistiqué », l’homéostasie et les équilibres mobiles de l’organisme, c’est peut-être de quelque chose comme de la psychologie ordinaire dont j’aurais besoin. D’où le spectre de compétences qu’il te faudrait peut-être avoir pour accompagner l’information du patient sur ton diagnostic.

32Pierre Corvol : C’est bien ce qui m’inquiète à l’heure actuelle, parce que je trouve que la dérive du métier de médecin, avec l’intelligence artificielle dont on nous bassine, risque de nous faire perdre de vue qu’on a en face de nous quelqu’un qui a besoin d’un renseignement circonstancié, susceptible de nourrir une relation dialoguée.

33Jean-Michel Besnier : Bien sûr, une relation que l’intelligence artificielle ne satisfera pas. Tu irais jusqu’à dire qu’on est en train de faire le lit d’une incommunication croissante ?

34Pierre Corvol : Complètement. Il m’arrive de terminer quelques-uns de mes topos par des diapositives de Claire Bretécher, l’auteur de la BD intitulée Docteur Ventouse, bobologue. Tu te souviens sans doute du diagnostic du docteur Ventouse devant son écran : « c’est dans la tête », parce que son patient lui a raconté des trucs qui ne tiennent pas debout. Un diagnostic, c’est parfois aussi sec : dans la BD, le médecin sort donc l’ordonnance pour « c’est dans la tête », et au moment où le type s’en va, il le rappelle : « attendez, ne partez pas », et il lui offre quelque chose comme une datte fourrée en lui disant : « ça, c’est le facteur humain » !

Pierre Corvol
Pierre Corvol est président de l’Académie des sciences. Médecin et chercheur en biologie, spécialiste de l’hypertension artérielle, il a occupé la chaire de médecine expérimentale du Collège de France entre 1989 et 2012. De 2006 à 2012, il a été administrateur du Collège de France.
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2019
https://doi.org/10.3917/herm.085.0103
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...