CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Alors que l’écologie dite de la « nature » était encore émergente, Abraham Moles (1920-1992) avait mis en avant l’« écologie humaine [1] ». Observateur de l’évolution des nouvelles technologies de la communication de son temps, et dès les débuts de l’ère du numérique, il montrait déjà que l’être humain était confronté à ses propres limites face à leurs usages et aux changements relationnels en résultant. C’était donc en parallèle, avant et dans les suites du rapport du Club de Rome de 1972 sur les limites de la croissance et le développement durable, et de l’émergence des Grünen en Autriche puis des Verts en France.

2Censés aller de soi dans la logique du progrès et de l’abondance des Trente Glorieuses, toutes ces nouvelles pratiques communicationnelles n’étaient pas sans conséquences sur les rapports humains de plus en plus confrontés à l’uniformisation des cultures via les médias de masse. Ne serait-ce que sous l’emprise des industries culturelles, avec leurs propres valeurs et représentations positives de l’avenir, et l’expansion du monde dit « virtuel » dans la vie quotidienne avec son présent permanent. Autant de réalités qui, depuis, n’ont fait que s’affirmer davantage tout en posant toujours la question de l’avenir communicationnel projeté à l’échelle de la Cité globale avec le système des métadonnées développé sur la Toile numérique.

D’une écologie à une autre dans le temps passant

Faire face à l’opulence des sollicitations communicationnelles

3À l’époque de Moles, le processus était encore fondé sur les technologies émergentes prises en compte par les entreprises de télécommunication, les câblo-opérateurs et le secteur des médias de masse combinant les innovations avec leurs activités classiques comme les radios libres, la « télématique [2] », etc., et grâce à l’essor des infrastructures chaque fois en rapport. Le processus de diversification-concentration des médias électroniques, tel que constaté depuis la fin du xxe siècle, n’a fait que croître avec la « segmentation des médias » jusqu’à l’expansion quasi exponentielle des réseaux sociaux numériques (RSN), nés il y a une vingtaine d’années aux États-Unis, et en conjugaison avec celle des téléphones mobiles de nouvelle génération (« 3G » puis « 4G »). Dans cette stimulation générale, aux cinq entreprises qui se sont imposées en cette fin de siècle, celles dites les « Big Five » ou GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), s’en sont ajoutées bien d’autres, bien que de taille plus modeste.

4Toutefois, ces « Big Five » sont devenues quasi hégémoniques dans les processus de production, de diffusion et d’échanges d’informations, mais aussi de mises en relation avec incitations à se connecter dans le contexte communicationnel démesuré dit des Big Data – et donc à s’imposer face aux États de la planète, quitte à les influencer aussi dans leur logique de progrès comme cela a été maintes fois constaté dans l’actualité. De fait, ces « majors » sont quasiment devenus des États « transversaux » gérant ce qui est devenu leur écosystème et sur lequel les États de droit n’ont plus guère de prise. Certes, les États-Unis restent à part car ces « Big Five » sont devenus un outil de leur propre politique internationale fondée à l’origine sur les travaux des laboratoires de l’armée américaine.

5Mais dès l’économie de l’opulence des Trente glorieuses ayant marqué l’Occident, l’être humain a été confronté à la question du meilleur choix possible face aux biens et services offerts avec plus ou moins d’incitations. Dans le contexte de saturation et d’encombrement personnel des équipements de réception en rapport, puis de la portabilité des postes-récepteurs radiophoniques, des téléviseurs, magnétophones, magnétoscopes etc., ainsi que de la multiplication des chaînes de programmes et des services de télécommunication en tous genres (téléfax, télétexte, répondeur téléphonique, terminaux télématiques, mobiles, etc.), le problème devenait celui du choix dans un environnement culturel allant vers un « trop-plein ». D’où le concept d’écologie avancé par Moles. Déjà utilisé dans les sciences de la vie à propos de la répartition et des interactions des espèces animales, il ne pouvait que s’imposer dans le domaine des offres de communications entre les êtres humains.

6De surcroît, dans le contexte planétaire en mutation, le débat sur l’économie libérale sans limites, voire sans régulation effective de la part des États démocratiques, est aussi revenu dans l’actualité. Ne serait-ce que par la déréglementation des télécommunications et l’ouverture à la concurrence des nouveaux marchés à conquérir. S’y est ensuite ajoutée l’exploitation de celui des données personnelles à chacun.

La crise du libéralisme économique sans limites

7Mais, en dehors de ces domaines, ce débat était aussi patent lors des crises financières de 2000 et 2008 et leurs suites. Comment peut-on envisager un État-providence ou une réunion d’États assurant le « libre-arbitre » face aux excès et aux dérives ou perversions perturbant le principe du libre-échange, mais aussi les normes sociales, fiscales et environnementales ?

8S’étant exprimé sur cette crise alors qu’il était président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Jean-Paul Fitoussi (2010) avait encore pointé ce constat : « le libéralisme s’affirme sans contrainte ou avec le moins de contraintes possibles ». Ainsi, au regard des crises passées et des problèmes toujours actuels, l’économie ne saurait se développer sans un dispositif arbitral à l’instar des Conferences of Parties (COP) pour l’écologie planétaire instaurées à la fin du xxe siècle ayant abouti à l’accord de Paris sur le climat lors de la COP21. Or, comme les logiques économiques ne sont pas toujours en phase avec les aspects humains spécifiques à toute société et à prendre en considération dans leur évolution, voire à préserver, Fitoussi avait mis en avant la perspective d’une « nouvelle écologie politique [3] ». Évidemment, celle-ci ne peut être qu’en interactions avec la précédente et la suivante.

9Il se trouve qu’une telle perspective avait déjà été mise en avant par Moles mais dans son propre domaine de chercheur-observateur : celui de l’univers communicationnel et social confronté à ses mutations majeures dès la seconde partie du xxe siècle. Il est vrai que ces deux universitaires se connaissaient. Fitoussi avait été en poste à la Faculté des sciences économiques au sein de la même université de Strasbourg quand le second revalorisait le domaine de la psychologie sociale, des sciences du comportement et de la communication. Ainsi intitulé, son laboratoire de recherche pointait d’évidence la perception d’une notion dépassant les cinq sens.

Une préoccupation du début à la fin de son œuvre

L’observation de la place de chacun dans son environnement

10Face aux progrès des technologies et techniques de la communication, il s’agissait de demeurer réaliste, surtout face aux discours promotionnels ou valorisants qui ne mettaient pas toujours en avant les mutations comportementales et les relations nouvelles en résultant dans la vie quotidienne et relationnelle avec son environnement social. Autrement dit, d’analyser la complexité des organismes ou des systèmes sociaux telle que développée dans son œuvre au cours de sa vie.

11À commencer par son ouvrage de référence quant à notre thématique intitulé Sociodynamique de la culture (1967) et son dictionnaire de La Communication et les mass media (1971), puis son livre sur La Psychologie de l’espace (1972) et le suivant, avec son sous-titre sur la Théorie des actes. Vers une écologie des actions (1977). On retrouve la problématique dans L’Image communication fonctionnelle (1981) et, surtout, dans la Théorie structurale de la communication (1986). Très tôt présente, l’écologie de la communication est donc plus ou moins explicitée dans ses travaux. On peut même en trouver les prémices épistémologiques dans ses articles écrits, dès 1957, dans L’Ère atomique. Encyclopédie des sciences modernes (Moles et Grégoire, 1957-1962).

12Ainsi, telle que mise en avant, cette approche originale s’inscrivait dans la perspective d’un nouvel ordre social mais en préservant le respect de chaque personne placée au « centre du monde ». Sa démarche se révélait comme base d’une nouvelle forme de sociologie à entrevoir. Elle prenait en considération l’ensemble des problèmes relevant des rapports humains à leurs différents niveaux, faisant les liens entre l’environnement personnel quotidien de chacun et le nouvel environnement virtuel issu de toutes les technologies de l’information et de la communication.

13Cependant, au sein de la société de l’opulence des Trente Glorieuses où la complexité ne faisait que croître, tout comme la facilité et la spontanéité d’accès aux biens et services de communication sous toutes leurs formes, l’individu-consommateur, et en principe toujours citoyen, était déjà confronté au problème de leur utilisation dans l’espace et le temps. Et, surtout, à propos de la réalisation la plus appropriée de ses désirs. D’où la question émergente de l’écologie individuelle de la communication assimilée à un « art difficile ». Comment réagir au mieux face à une inflation de stimuli, de signes, de mots, d’images et de sons pouvant être qualifiée de chronophage, y compris dans l’essor du « télétravail » plus ou moins encadré juridiquement ? Ceci devait pouvoir se traduire par l’apprentissage du « non », quitte à se déconnecter, car le « droit à la déconnexion » était déjà inscrit dans sa pensée avant d’être introduit dans la loi française relative au travail et à la modernisation du 8 août 2017.

Une écologie de préservation de l’être humain en soi

14Moles avait pointé les mutations sociales et comportementales dues aux nouvelles pratiques des médias interpersonnels que sont devenus, par leurs usages, les téléphones mobiles et les ordinateurs portables. De facto, leurs usagers mettaient en avant le point « ici et maintenant » devenant, ne serait-ce que par sa permanence, l’enjeu opérationnel et/ou affectif selon les circonstances et le lieu où chacun se trouve au « centre du monde ». Ce « point » est d’ailleurs devenu la notion-clé de La Psychologie de l’espace (1972). Dans cet ouvrage, Moles examine les situations de la quotidienneté, se préoccupe des espaces de liberté face aux obstacles s’opposant à l’action, mais aussi de la connaissance ou de la méconnaissance des réalités du terrain et des bases élémentaires de la communication sous ses aspects à la fois culturels et esthétiques, pour nous en tenir seulement à notre sujet. De fait, il a montré à quel point une philosophie de la centralité a pu se développer à partir de cette « coquille personnelle » à l’abri de laquelle chacun perçoit les messages, ou les divers stimuli de son environnement, pour réagir positivement ou négativement. La quotidienneté est prise en compte, y compris dans son irrationalité. Et cette orientation sera poursuivie dans l’ouvrage suivant, Micropsychologie de la vie quotidienne (1976).

15Dans notre synthèse, nous ne pouvons être exhaustifs. Toujours très originale, l’approche de Moles est à comprendre sous l’angle de l’interaction des modalités communicationnelles entre acteurs de niveaux différents, dans l’espace et le temps, dans le monde physique réel et le monde virtuel placé entre le précédent et celui des projections et/ou de l’imaginaire.

16Comme on le sait, les références scientifiques de ses observations et constats se fondent sur les sciences physiques (Mathien, 2007). Et, à partir de celles-ci, Moles a établi le parallélisme entre phénomènes humains et systèmes sociaux, avec la complémentarité épistémologique en résultant dont, par exemple, l’usage des notions d’entropie et de néguentropie. Son écologie de la communication est donc bien à comprendre comme le cadre interactif des modalités de communications dans cet espace-temps modifié. Le but est de pouvoir mieux gérer, ou assumer, les divers liens d’une sphère personnelle à une autre, puis d’une sphère élargie à un « système » social et relationnel. Les jeux des acteurs spécialisés dans ce domaine sont surtout pris en considération, du point de vue des infrastructures comme des objets et des produits ou services communicationnels en rapport avec leurs usages, dont ceux relevant de l’économie.

Défendre le point « ici et maintenant » de chacun

17Comme Moles le rappelait souvent, dans ses paroles comme dans ses écrits et schémas, l’homme est au centre du monde. Le point « ici et maintenant », dans lequel s’enracine la sphère privée, la bulle personnelle ou la coquille de l’homme (devenue fragile face aux techniques modernes de l’ère du numérique), est présent dans quasi tous ses ouvrages, y compris dans ceux traitant explicitement de la communication. Cette extension du concept de boîte noire traduit l’importance qu’il accorde à l’individu comme entité à défendre. C’est bien là la manifestation d’un choix décisif en faveur de la liberté individuelle, ou d’un choix humaniste comme nous avons choisi de l’écrire (Mathien et Schwach, 1992). Nous l’avons fait en sachant que Moles contestait ce mot par rapport à l’évolution d’une société, ou d’un système social construit autour des technologies de la communication et devenant, ce n’est pas le moindre des paradoxes, de plus en plus impersonnel.

18Si l’être humain a besoin de préserver sa coquille personnelle, le peut-il vraiment encore ? La question se pose face à la dynamique en essor de la collecte à son insu de données personnelles intégrées dans des ordinateurs et des téléphones portables aux capacités incommensurables et corrélées à des logiques de savoir allant du particulier à la totalité de l’Humanité ? Ce sujet, relatif à la révolution numérique toujours en cours – avec les métadonnées, les téléphones portables inséparables des personnes et leurs quêtes permanentes de renseignements, dont ceux relevant des domaines privés –, a notamment été mis en avant par Marc Dugain et Christophe Labbé (2017). Dans leur ouvrage sur L’Homme nu[4], leurs observations se résument dans cette question : « mon corps est-il encore à moi ? »

19Mais, tout en étant qualifiée comme un art, cette écologie individuelle ne concerne plus les professionnels et spécialistes de la communication de son temps, dont ceux des médias classiques. Pour Moles, la perspective du « management » de l’information et de la communication dans ce qu’il nommait la « société câblée », anticipant ce qui est devenu la « société connectée », était déjà une réalité objective. Elle ne relevait pas de l’imagination, même si elle s’est aussi appuyée sur une communication spécifique en soi, dont la publicité sous tous ses aspects, et du devenir toujours mis « à la mode » !

20L’élargissement des équipements « médiatiques » et de leur « portabilité », avec la quasi- « obligation » de leurs usages dans le domaine privé comme dans le domaine professionnel, induisait déjà chez les individus une quête d’un savoir-faire s’avérant une seconde nature car étant a priori censés pouvoir y accéder, librement et spontanément, et de répondre ou non à leurs sollicitations sans s’épuiser pour autant. Cet univers moderne constituait dès lors une culture en soi dont la dimension privée relève de ce nec plus ultra alors en plein développement que sont la « domotique » et la « bureautique ».

Dans le courant réaliste de la pensée complexe

21Avec ses travaux et observations, Moles était déjà bien orienté dans le courant de la pensée complexe, avec sa logique explicative, telle que développée ensuite par Edgar Morin (1990) [5]. Nous pourrions poursuivre le sujet avec d’autres s’étant penchés sur la problématique ainsi développée afin d’en montrer la pertinence et l’actualité présente.

22Ainsi, par exemple, dans Quand la vitesse change le monde, ouvrage daté de 2006 consacré à la modernité de l’Internet et à sa logique de croissance économique fondée sur le temps court et les chiffres, le géographe Jean Ollivro n’oublie pas le « territoire de vie ». Et de ramener chacun « à la réalité du quotidien » et à la qualité de vie en rapport. Il est vrai qu’il avait lu Moles, dont La Psychologie de l’espace ! Pour lui : « le concept d’identité territoriale est alors central pour ne pas sombrer dans la vitesse pour elle-même. […] Connaître les lieux est l’outil pour garder “les pieds sur terre” et argumenter à partir des temporalités spatialisées donc durables. » (Ollivro, 2006, p. 226)

23Mais, dans cette même optique et dans un rapport daté de 1979 sur les Modes d’analyses et de groupements des indices de qualité de vie (Q.O.L.), où il se réfère à la fameuse pyramide de Maslow sur les motivations servant de référence aux psycho-économistes pour justifier la théorie des besoins, Moles avait clos ainsi son propos :

24

« Nous avons vu que les spécialistes ont donné une importance prépondérante à des coefficients, entre autres parce qu’ils avaient cette rassurante objectivité des sciences de la Nature qui les séduisait, ils oblitèrent par là tout l’aspect effectivement comportemental et dynamique des modes de vie des différents êtres. C’est pourtant là l’élément essentiel qui les conduit à porter un jugement sur leur vie et sur la qualité du cadre où elle se déroule. »

25Telle que mise en avant, cette écologie se fonde donc sur l’observation des mutations transactionnelles et comportementales dans l’organisation de l’Humanité afin de gérer au mieux les liens entre tous les acteurs concernés d’un espace de vie à un autre. Autrement dit au sein d’un « système » relationnel ou social. Elle invite surtout à prendre en considération les jeux, directs et indirects, des acteurs économiques agissant à tous les niveaux, des infrastructures aux produits ou services communicationnels. Car sa dynamique est portée par la meilleure maîtrise possible de l’univers virtuel créé par l’Homme dans le respect de ses libertés et de ses droits.

26Dès lors, ses observations conduisaient à mettre en cause la fonction ou le sens même de l’information au sein de la société devenue un « système social ». Considéré comme « cadre matériel de l’existence de l’individu », celui-ci obéit dès lors « aux lois que la cybernétique et la théorie des réseaux nous proposent, mais dont l’élément fondamental est le rapport avec un environnement, environnement constitué bien plus par des organismes et des institutions, des appareillages de communication et des structures, que par des individus humains au sens traditionnel » (Moles, 1980, p. 363).

27Autrement dit, la notion d’information se réfère au feed-back de la systémique, donc liée à celle d’homéostasie comme processus d’équilibre ou de préservation à toute machine, mécanique ou sociale. D’où l’enjeu de cette écologie face à la réalité de ses observations vis-à-vis des médias historiques et classiques, dont l’audiovisuel en son temps, mais aussi face – et cela peut surprendre de nos jours – au « réseau de collecte des opinions ». Les télécommunications et l’informatique ont accru « l’aptitude du système social à intégrer les opinions individuelles dans des opinions collectives, à analyser les contenus globaux communs à des formulations disparates, à transférer celles-ci dans des expressions plus ou moins abstraites : c’est le sondage des opinions » (Ibid., p. 368-369). Il visait alors le dispositif de « production d’opinions » avec la simplification entre le « bon » et le « mauvais » au sein d’une démocratie réactive, instantanée voire occulte, qui apparaissait alors avec la télématique émergente !

En revenir à l’éthique universelle partagée

28Depuis, les RSN n’ont pas été une innovation face à la disparition du Proche et du Lointain et de l’environnement social de vie au quotidien. La perspective engagée par Moles est certes à actualiser. Avec les données statistiques à exploiter, les analyses appropriées aux processus de quantification relevant du numérique et les observations comportementales en rapport, l’écologie de la communication telle que projetée ne peut qu’enrichir nos connaissances sur la Cité globale dans le respect de ses habitants et de leurs territoires de vie. À commencer par la liberté effective de chacun face aux droits de l’homme, liberté fondée sur une éthique à défendre vis-à-vis des pratiques des majors et des usages communicationnels allant à l’encontre de ceux-ci [6].

29Avec une telle orientation, il s’agirait aussi de reprendre la problématique du « nouvel ordre mondial de l’information et de la communication » mis en avant à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) par le rapport MacBride et qui ne saurait rester indéfiniment dans un tiroir depuis 1980 (cf. Mathien, 2012) [7]. Le but serait à nouveau de sortir de la logique des rapports de forces entre les nouveaux dominants (GAFAM et autres) et les dominés au regard de l’avenir de la Cité globale et de son absence d’un modèle convergent de société sur lequel une entente devra s’imposer un jour. Notamment dans la perspective du « Tous connectés ! » inscrite dans l’opulence communicationnelle toujours en essor et dans la suite logique de la société de consommation, dont les biens culturels et informationnels font partie.

Notes

  • [1]
    Notre propos est une synthèse actualisée de la conférence faite à l’ouverture du colloque consacré à l’œuvre d’Abraham Moles, vingt-cinq ans après sa mort, par l’université de Strasbourg (28-30 septembre 2017). Elle avait pour titre « L’écologie de la communication comme dynamique humaine, sociale et réaliste ». Faute de confirmation de la publication de ses actes, la revue Hermès a estimé pertinent d’en reprendre le thème sous la présente formulation.
  • [2]
    Néologisme issu de la contraction « téléphone » et « informatique » mis en avant par Nora et Minc (1978) pour justifier l’investissement de la France dans le passage de l’analogique au numérique et combler son retard sur les États-Unis et avoir le premier réseau de télécommunications entièrement numérique du monde.
  • [3]
    Il avait déjà pointé l’enjeu des réalités sociales dans Fitoussi, 2004 ; Fitoussi et Laurent, 2008 ; Fitoussi, 2013.
  • [4]
    Curieusement, au moment où nous livrions notre texte, la neuvième édition du Forum européen de bioéthique de Strasbourg (28 janvier-2 février 2019) annonçait son programme avec pour titre : « Mon corps est-il à moi ? »
  • [5]
    Cet aspect est utile car, lors du Congrès mondial pour la pensée complexe des 8-9 décembre 2016 au siège de l’Unesco, dont l’objectif était de « relever les défis de la complexité dans un monde globalisé », nous avons dû rappeler l’œuvre de Moles, que les intervenants n’avaient pas cité dans leurs présentations. Président de cette rencontre, Edgar Morin avait ensuite confirmé la pertinence de notre remarque.
  • [6]
    Une problématique toujours actuelle et que nous avons déjà évoquée dans le passé. Cf. Fullsack et Mathien, 2008.
  • [7]
    Comme expert, Moles avait alors été auditionné par la Commission internationale d’étude des problèmes de la communication (CIC) créée à l’Unesco en 1977et présidée par Sean MacBride.
Français

Dans le contexte de l’expansion des nouvelles technologies et des médias de son époque, Abraham Moles avait déjà posé la question des limites de l’Homme et mis en avant la perspective de l’écologie de la communication face aux mutations de l’environnement de sa vie quotidienne, dont les rapports à l’espace et au temps. À l’ère de la numérisation de la Cité mondiale, avec ses métadonnées, les adductions en rapport et l’essor des réseaux sociaux, cette perspective demeure d’actualité en vue de préserver les capacités de réception et de réaction de toute personne en vue de rester elle-même.

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  • systémique
  • télématique

Références bibliographiques

  • Dugain, M. et Labbé, C., L’Homme nu. La dictature invisible du numérique, Paris, Robert Laffont, 2017.
  • Fitoussi, J.-P., La Démocratie et le marché, Paris, Grasset, 2004.
  • Fitoussi, J.-P., « Surtout, ne l’enterrons pas trop vite » (entretien), L’Expansion (dossier « L’État-providence a-t-il un avenir ? »), no 755, septembre 2010, p. 52-54.
  • Fitoussi, J.-P., Le Théorème du lampadaire, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013.
  • Fitoussi, J.-P. et Laurent, E., La Nouvelle Écologie politique, Paris, Seuil, 2008.
  • Fullsack, J.-L. et Mathien, M. (dir.), Éthique de la « société de l’information », Bruxelles, Bruylant, 2008.
  • En ligneMathien, M., « Abraham Moles : affronter scientifiquement la quotidienneté de la communication humaine », Hermès, no 48, 2007, p. 101-108.
  • Mathien, M. (dir.), L’Expression de la diversité culturelle. Un enjeu mondial, Bruxelles, Bruylant, 2012.
  • En ligneMathien, M. et Schwach, V., « De l’ingénieur à l’humaniste : l’œuvre d’Abraham Moles », Communication et langages, no 93, 1992, p. 84-98.
  • Moles, A., « Analyse systémique de la société comme machine », Revue philosophique, no 3, 1980, p. 365-378.
  • Moles, A. et Grégoire, H., L’Ère atomique, Genève, Kister, dix volumes, 1957-1962.
  • Morin, E., Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil, 1990.
  • Nora, S. et Minc, A., L’Informatisation de la société, Paris, La Documentation française, 1978.
  • Ollivro, J., Quand la vitesse change le monde. Essor de la vitesse et transformation des sociétés, Rennes, éditions Apogées, 2006.
Michel Mathien
Michel Mathien, docteur d’État ès lettres et sciences humaines (psychologie sociale et communication), a été professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université de Strasbourg. Depuis 1983 en poste au Centre universitaire d’enseignement du journalisme (CUEJ), ses enseignements ont porté sur l’économie des médias, l’évolution du journalisme, l’information dans les conflits, ainsi que sur la situation des médias en Europe à l’Institut des hautes études européennes (IHEE). En 1993, il a créé le Centre d’études et de recherches interdisciplinaires sur les médias en Europe (Cerime) dissout en 2009. Puis, en 2006, il a fondé la première chaire Unesco à Strasbourg intitulée Pratiques médiatiques et journalistiques – Entre mondialisation et diversité culturelle qu’il a animée jusqu’en 2014. Il a écrit et dirigé une trentaine d’ouvrages et quasi deux cents articles, dont quatre dans Hermès.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/10/2019
https://doi.org/10.3917/herm.084.0207
Pour citer cet article
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