1Écrivain prolixe, auteur du célèbre « billet » du journal Le Monde pendant plus de vingt ans, Robert Escarpit collabora aussi avec l’Unesco, fut président d’université, militant « fraternel », apôtre de la diversité culturelle. On lui doit des liens durables, toujours actuels, avec les universités africaines. Né d’un père laïc, directeur d’école et d’une mère béarnaise pratiquante, il n’a jamais abandonné son accent du Sud-Ouest, ni une réticence de girondin vis-à-vis de l’arrogance parisienne – d’où en mai 1968 le fameux billet critique « Othon contre Sorbon ». Normalien brillant, docteur après une thèse consacrée à Byron, il s’engage dans les Brigades au moment de la guerre d’Espagne. Attaché culturel au Mexique après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il en revient ébloui et sera désormais le chantre de la diversité culturelle sa vie durant. Il attirera collègues et étudiants venus d’Amérique latine, d’Afrique, du Moyen Orient, de l’Europe de l’Est (sous régime soviétique), convaincu de la valeur des échanges entre êtres humains, donc différents. Depuis l’université de Bordeaux, qui ne s’appelait pas encore « Montaigne », il fonde un institut de recherches affilié au CNRS, l’Institut des littératures et des techniques artistiques de masse (Iltam), préoccupé qu’il était dès les années 1950, des techniques artistiques de masse, c’est-à-dire la bande dessinée, la littérature policière, les romans populaires, le livre de poche. Il encourageait aussi le théâtre hors normes, bref à explorer, s’aventurer hors du consacré, dans l’insolite, le méconnu. Tout un séminaire de recherche se pencha sur San Antonio (romans policiers écrits par Frédéric Dard).
2À sa table (son épouse et collègue Denise cuisinait admirablement), puis avant ou après une conférence universitaire, il invitait les partenaires bordelais à rencontrer le Sicilien Enrico Fulchignoni, le physicien Abraham Moles, l’écrivaine venue de l’Est Kouchner. Les plaisirs de la table, érigés en Cène, sont l’un des traits du partage avec Autrui
3Un moment historique fut le dialogue entre Marshall McLuhan le Canadien et lui-même : à la stupeur de l’auditoire, pas de pugilat, une écoute réciproque dans le respect.
4Peu avant 1970, il crée le premier Institut universitaire de technologie (IUT), en banlieue bordelaise, destiné à apporter une formation orientée vers des professions, pas uniquement vers l’intellect. Puis deux années plus tard, il lance des unités de valeur, à l’université, qui seront l’embryon de la création d’une nouvelle filière (la 56e, devenue 71e actuellement), les sciences de l’information et de la communication. Plus créateur que gestionnaire, il confiera à l’helléniste Jean Meyriat le périlleux mandat de piloter cette section au Conseil national des universités et aussi de diriger la société savante SFSIC pour animer la recherche ; car, bien entendu la science politique, les collègues de Paris 2, chevauchaient eux aussi sur ces nouvelles pistes, relayés/soutenus par les professionnels du journalisme ou de la publicité.
5Une fois retraité, il se consacrera à des engagements plus personnels : fidèle à l’Albanie bien après la chute du mur de Berlin, discrètement en politique comme les universités d’été de la communication à Carcans, organisées pendant vingt ans par la Ligue de l’enseignement et qui recevaient jusqu’à onze ministres à l’ère mitterrandienne.
6Tel un oiseau nomade, ce grand voyageur, explorateur des cultures, défenseur des langues, est revenu s’éteindre dans la rue des Cordeliers, à Saint Macaire (33), là même ou il vécut adolescent.
7Parfaite synthèse de l’ouverture à l’Autre, au goût de l’Ailleurs, sans rien renier de son identité propre. Et ce dans le charme de sa voix chaleureuse et le plaisir d’un humour souriant. Cent ans après, on l’entend encore.
8Nous, heureuse compatriote et collègue de cet homme plein de vie, d’humour, apportons une touche plus humaine au portrait de celui qui fut plus qu’un homme de lettres. Un colloque vient d’être organisé à Bordeaux par Franck Cormerais (université Bordeaux Montaigne) les 20 et 21 septembre 2018. Les textes, consacrés au « pionnier » des SIC seront publiés dans les revues Études digitales et Communication et langages.