1La diplomatie cherche à négocier les meilleurs arrangements possible pour toutes les parties (dans une logique devenue très populaire du « gagnant-gagnant »). Mais l’action diplomatique doit dépasser la démarche d’actualisation à la suite des conflits ou des différends, pour optimaliser son fonctionnement : elle doit se préparer à l’action avant même que surgisse un conflit, d’où son caractère préventif. La « diplomatie écologique » est formellement assez récente : l’expression est utilisée pour la première fois en 1973 par le philosophe norvégien Arne Naess [1] pour qui le droit de toute forme de vie à vivre est un droit universel (Naess, 1973, p. 96). Naess soutient, dans le premier de ses huit principes philosophiques fondamentaux, que le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non humaine sur Terre ont de la valeur en eux-mêmes et, au septième principe, que le changement idéologique est principalement d’apprécier la qualité de la vie plutôt que de chercher à obtenir un niveau de vie de plus en plus élevé.
2Le mouvement d’écologie profonde (deep ecology) dont il est l’initiateur milite pour la restauration de la diversité naturelle et accorde aux humains le droit de la réduire uniquement pour subvenir à leurs besoins vitaux. Le but du mouvement est de faire évoluer les conceptions de la nature à partir de valeurs et de méthodes susceptibles de protéger la diversité écologique et culturelle des systèmes naturels sur le long terme. Selon le mouvement d’écologie profonde, l’utilisation de la nature à des fins commerciales ne diminuera pas sans un changement des valeurs et des pratiques.
3Durant la même période, des mouvements écologistes se sont développés à Vancouver (Canada), en opposition aux essais nucléaires souterrains dans l’île d’Amchitka en Alaska. La fondation Greenpeace a été créée en 1976 et plusieurs groupes d’activistes ont mis en place un véritable mouvement environnemental, basé sur des valeurs d’indépendance, de non-violence et de « confrontation créative » (chaque personne ordinaire peut faire des choses extraordinaires pour protéger l’environnement). Le but du mouvement est de réaliser un avenir vert et pacifique pour toute l’humanité. Aujourd’hui, Greenpeace est l’organisation environnementale la plus visible au monde, avec des bureaux dans plus de quarante pays et plus de 2,9 millions de sympathisants dans le monde [2].
4Après les années 1970 et alors que la conscience du danger environnemental pour la planète s’est généralisée, il y a eu peu d’actions concrètes et la communication sur ce sujet s’est considérablement réduite. Jusqu’au Sommet de la Terre de Rio, en 1992, il était difficile de répertorier des événements et des organisations significatifs. Ce sommet résulte de la nécessité d’une coopération mondiale pour résoudre les problèmes environnementaux transfrontaliers et a réuni des débats sur un grand nombre de thématiques, dont la protection des ressources transfrontalières communes et les menaces environnementales globales comme le changement climatique. Parmi les acteurs considérés comme pouvant participer à la résolution de ces problèmes figurent les diplomates, les politiciens, les groupes d’action environnementale, les scientifiques, les chefs d’entreprise, les journalistes.
5L’objectif est alors de mettre en place une communication diplomatique bilatérale et multilatérale en synergie et de s’engager dans un dialogue multilatéral avec les organisations, les ONG et les sociétés civiles (Ali, 2007 ; Darst, 2001 ; Gillespie, 2005). Ainsi, de nouveaux liens et de nouvelles relations entre les organisations non étatiques et étatiques ont émergé et le rôle de la société civile est devenu plus important. Cette nouvelle forme de coopération va au-delà de la diplomatie traditionnelle de l’État et crée de nouveaux canaux de communication diplomatiques.
6Après le Sommet de Rio, une autre initiative appelée la Charte de la Terre a été adoptée comme référence universelle fin 2000, après un long processus. Au cours des années suivantes, le document de cadrage a été traduit dans plus de quarante langues et approuvé par des milliers d’organisations à travers le monde, ce qui en fait peut-être le premier support de communication écologique réellement planétaire.
776 lauréats du prix Nobel et les initiateurs de la déclaration de Mainau sur les changements climatiques (2015) sont à l’origine de la dernière activité de communication mondiale en ce qui concerne l’environnement. Les signataires mettent en garde l’humanité sur le réchauffement de la planète et le changement climatique : « Jusqu’à présent, nous avons évité la guerre nucléaire même si la menace demeure. Nous croyons que notre monde fait face à une autre menace d’une ampleur comparable [3]. » Pour les signataires, la cause principale du changement climatique imputable à l’homme est la rapidité de la consommation des ressources mondiales. La nature est en effet transformée en ressources (nourriture, eau, énergie) ce qui, en l’absence de régulation, conduira l’humanité à une catastrophe mondiale.
8Bien qu’il subsiste des incertitudes quant à l’ampleur précise du changement climatique, les conclusions du dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sont alarmantes, en particulier dans le contexte des risques identifiés du maintien de la situation actuelle face à une augmentation de plus de 2 degrés de la température globale moyenne. Le rapport conclut que les émissions de gaz à effet de serre sont la cause probable du réchauffement planétaire actuel de la Terre. La réduction de ces émissions au cours des prochaines décennies est donc nécessaire.
9Les lauréats du prix Nobel restent cependant optimistes sur le fait que la coopération entre les nations pourra réduire les risques de changement climatique et beaucoup d’espoirs ont été placés sur les conséquences de la COP21. Pourtant, les débats sur la crédibilité du changement climatique se poursuivent, des grandes entreprises et des gouvernements retardent la transition vers les énergies renouvelables et la mise en place de moyens de transport respectueux de l’environnement.
10Ces débats et les échanges d’informations devraient s’appuyer sur de nouvelles relations entre les citoyens, les institutions et les organisations concernés par les problèmes liés à la nature. Le rôle de la diplomatie écologique est ainsi de créer et de maintenir de telles relations. Il s’agit d’initier les coopérations, de participer aux négociations, de transmettre au public les données scientifiques. Cette communication diplomatique pourrait inciter chacun à repenser la situation actuelle.
11En 2015, un autre groupe d’« universitaires, scientifiques, militants et citoyens » a publié le Manifeste écomoderniste qui défend « un idéal environnemental de longue date, selon lequel l’humanité doit réduire ses impacts sur l’environnement afin de laisser plus de place à la nature, tandis que nous en rejetons un autre, selon lequel les sociétés humaines doivent s’harmoniser avec la nature afin d’éviter un effondrement économique et écologique ». « Un bon Anthropocène exige que les humains utilisent leurs capacités techniques, économiques et sociales, sans cesse grandissantes, pour améliorer la condition humaine, stabiliser le climat, et protéger la nature. Ces deux idéaux sont désormais irréconciliables. En règle générale, les systèmes naturels ne seront pas protégés ou améliorés par l’expansion de la dépendance de l’espèce humaine sur eux, pour sa subsistance ou son bien-être [4]. »
12La perspective écopragmatique et écomoderniste tente de combiner modernisation économique et protection de l’environnement, ce qui conduirait à l’atténuation des changements climatiques et à la réduction de la pauvreté dans le monde. Selon les auteurs, il manque aux sociétés la conscience des dommages causés aux biosphères vivantes.
13Les écomodernistes soulignent la relation directe entre l’économie et les impacts environnementaux. Avec la croissance des villes, l’agriculture attire de moins en moins d’actifs ; grâce aux meilleures conditions de vie, les humains vivent plus longtemps et ont moins d’enfants, ce qui signifie que la croissance de l’humanité devrait atteindre un maximum. Par exemple, la consommation de viande de bœuf a déjà diminué dans de nombreux pays riches et la déforestation est actuellement trois fois plus faible qu’à l’époque précédant la révolution industrielle. Cette perspective optimiste, notamment soutenue par Hans Rosling, fondateur suédois de la fondation Gapminder, prévoit, après une vague de réchauffement, une amélioration de la situation, notamment parce que les technologies seront en mesure d’améliorer le niveau de consommation des ressources naturelles.
14La diffusion des documents du mouvement de l’écologie profonde comme du Manifeste écologique [5] est utile pour inciter la réflexion sur l’évolution de la nature. Il est nécessaire d’installer des modes de communication adaptés pour tenter de faire évoluer les mentalités et les représentations. Par exemple, la majorité de la planète ne s’inquiète pas de la menace qui pèse sur des régions entières, comme l’Océanie, qui pourraient devenir inhospitalières pour leurs citoyens. À mesure que la densité de population augmentera, la rareté des ressources s’accroîtra, entraînant de nouvelles tensions et une instabilité mondiale accrue.
15Le Manifeste écologique a été écrit dans ce but : s’inscrire dans une démarche de communication diplomatique particulière. L’écriture du manifeste a concerné un grand nombre de personnes qui ont contribué avec leurs connaissances, leur expérience, leur expertise et leur engagement au mode de vie écologique. Le Manifeste écologique est utilisé comme base de discussions auprès de différents publics.
16Une partie de l’humanité est installée depuis longtemps dans une situation où elle est saturée de nourriture et de biens, mais ces produits ne sont pas répartis uniformément. Il est donc extrêmement important qu’ils soient utilisés de manière optimale en économisant certaines ressources pour leur production. Le manifeste s’inscrit dans une démarche d’auto-éducation nécessaire pour accélérer les processus d’amélioration des conditions de vie de toute l’humanité. Il s’agit de proposer une liste d’activités qui peuvent être réalisées et devenir des habitudes liées à une prise de conscience personnelle.
17La diplomatie écologique peut aider à construire une conscience de l’importance du développement durable et participer à tous les processus de consolidation de la paix. Les changements climatiques doivent être soigneusement observés (Jahier, 2016), et la diplomatie écologique et sa communication visent les entreprises comme les gouvernements pour avertir de la gravité de la situation environnementale sur Terre. La diplomatie écologique peut jouer un rôle de tampon entre les pays, fournir une plateforme de dialogue ou d’échanges de données scientifiques aux différentes parties en conflit et aider à la réalisation des accords avec une surveillance de la mise en œuvre des plans d’action. Les « ambassadeurs écologiques » peuvent aider à réduire les tensions diplomatiques grâce à des projets de recherche en collaboration ou à des propositions de financement. Ils pourraient ainsi assister aux négociations, examiner tous les documents pertinents et mener des entretiens avec les participants en cas de conflit éventuel.
18Les négociations internationales ne sont qu’un des nombreux domaines dans lesquels des entreprises privées ou des ONG s’engagent dans des politiques environnementales mondiales. Tout un ensemble de négociations se déroule actuellement dans un contexte historique et conceptuel plus large. À cette échelle, la diplomatie écologique devrait jouer le rôle de coordinateur entre les institutions, les gouvernements et autres parties impliqués en ce qui concerne les problèmes environnementaux. En effet, quand les diplomates de l’environnement ne sont pas impliqués dans les négociations, ils peuvent concentrer leurs efforts sur la création d’un ensemble de facteurs conditionnant le changement climatique et ses sujets (réfugiés, migrations, etc.), localiser les problèmes sur le terrain et rechercher des solutions.
19La diplomatie écologique, en particulier avec son implication dans la communication diplomatique, défend des valeurs morales qui dépassent évidemment l’écologie et tente d’installer une compréhension nouvelle de la nature, en construisant une relation nouvelle, volontaire et consciente entre chacun et son environnement.
Notes
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[1]
Arne Naess fut le premier secrétaire de Greenpeace Norvège, en 1988, et se présenta sur une liste des Verts en 2005.
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[2]
Cf. le site de Greenpeace en France : <www.greenpeace.fr>.
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[3]
La déclaration de Mainau de 2015 sur les conséquences du changement climatique a été proposée à l’origine par Brian P. Schmidt, David Gross, Steven Chu, George Smoot et Peter Doherty, puis signée par 36 lauréats du prix Nobel. Par la suite, 40 autres lauréats ont rejoint le groupe des signataires. Cette déclaration s’inscrit dans la continuité de la déclaration de Mainau sur les armes nucléaires de 1955, cf. <http://mainaudeclaration.org>.
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[4]
Cf. <www.ecomodernism.org>.
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[5]
Cf. <http://vihrenemitev.wixsite.com/ecologicalmanifesto> et <http://docs.wixstatic.com/ugd/19e019_3508d2251b1b430ca042d61f4c1f8086.pdf>, pages consultées le 06/06/2018.