« La littératie numérique, c’est non seulement des savoirs, des compétences, mais aussi des méthodes qui font qu’un individu peut être acteur de sa vie dans une société numérique. Ancrer l’école dans cette dynamique, c’est inviter les élèves à participer à une culture et à une économie, fondée sur l’échange des savoirs, la coopération, la création. »
1Cet article sur l’école prend en considération une situation où les processus de formation dans leurs relations aux technologies sont pris dans un impératif qui se manifeste entre innovations et rénovations – autrement dit entre rhétorique de la modernisation technologique et rappel des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter). Cette tension sera abordée en dressant d’abord un constat des limites du discours de la modernisation technologique depuis le plan Informatique pour tous (IPT, 1985). Quel bilan établir sur les trente années écoulées ? Après un rappel des discours et des pratiques liées aux technologies, nous ferons ressortir les enjeux contemporains de la formation « au » et « par » le digital autour de la figure du « lettré du digital [1] ». Cette orientation accentue le rôle de l’école quant à sa capacité à faire des élèves des acteurs plus que des usagers des technologies. Cet article s’articule en trois parties : les deux premières s’inscrivent dans une rétrospective de l’examen de la relation entre l’école et les technologies digitales, tandis que la dernière marque une volonté prospective pour envisager une refondation de cette relation.
Les limites des politiques d’intégration autour des figures de l’utilisateur
2Les politiques d’intégration du digital à l’école et leur actualisation sur le terrain s’imbriquent autour des figures de l’utilisateur façonnées par les industriels et les ingénieurs du secteur de l’informatique. Cette « figure » est construite en miroir des différents paradigmes qui ont caractérisé le champ des rapports homme-machine (Pucheu, 2017). Les interfaces mettent ainsi en lumière le passage d’un utilisateur-expert à un utilisateur-profane délesté de tout investissement cognitif face à des machines de plus en plus automatisées dans le champ de son expérience quotidienne. Cette trajectoire est décisive pour comprendre le rapport de l’enseignement aux technologies informatiques.
Apprendre à programmer ou être programmé par la machine
3Dans les années 1970, les premières préoccupations de l’école reposent sur la transmission de la compréhension des mécanismes de programmation et d’algorithmie à une époque où les langages de programmation dominent le « dialogue homme-machine » (Martin, 1973). Ces préoccupations répondaient au célèbre ultimatum de Seymour Papert : « apprendre à programmer la machine au risque d’être bientôt programmé par elle » (Crinon et Hamon, 2010) énoncé lors d’un colloque [2] européen qui marque le début d’un questionnement ininterrompu sur la place des technologies digitales dans les institutions éducatives.
4Le programme Informatique pour tous (IPT) en 1985, premier plan d’équipement d’envergure [3] corrélé à un vaste chantier de formation des enseignants, tend à favoriser l’apprentissage de l’informatique pour des utilisateurs non informaticiens. La formation repose sur l’apprentissage de langages de programmation plus accessibles (à l’instar de Logo, développé par Seymour Papert lui-même) associés à la manipulation directe (l’utilisation du pointeur sur écran via le stylet et bientôt la souris).
5Ce premier mouvement de démocratisation de l’outil informatique, toujours animé par la maîtrise du code, va ouvrir la voie à un enseignement qui se traduit entre 1985 et 1990 par des cours optionnels d’informatique au lycée – cours qui s’articulent sur une dimension conceptuelle (connaissance de l’ordinateur, des langages, des mécaniques algorithmiques), sur une dimension technique (programmation) et, d’une moindre façon, sur une dimension culturelle (la question « informatique et société »). Mais la nature optionnelle de ces cours opère une sélection contradictoire avec les principes de l’école républicaine : il y a peu d’enseignants compétents et peu d’élèves, qui sont pour la plupart masculins, dans des filières scientifiques (Baron et Bruillard, 2011). Ces cours optionnels ont disparu en 1990 parallèlement à l’obsolescence rapide des équipements (le TO-7 de Thomson) qui met en lumière un investissement économique mal maîtrisé sur le plan de la dotation des machines et de la formation des enseignants (le plan IPT avait formé 110 000 stagiaires).
La convivialité contre l’éducation aux technologies
6Les années 1990 correspondent à l’apparition des premiers logiciels permettant, via une couche graphique, de programmer les machines « sans savoir » (et, pourrait-on dire, « sans le savoir »). Autour du tableur notamment émerge une controverse sur la didactique de l’informatique, où l’on voit s’opposer les tenants d’une approche toujours préoccupée par le couple algorithmique/programmation et une autre, plus soucieuse de former les élèves à la maîtrise des interfaces graphiques offertes par l’industrie logicielle (Baron et Bruillard, 2011). Les interfaces dissimulent les mécaniques algorithmiques des machines et tendent à se confondre avec le fonctionnement de l’informatique, validant l’assertion de Donald Norman (1988) : « pour l’utilisateur : l’interface c’est le système ». En fait, les années 1990 marquent une quasi-disparition de l’enseignement de l’informatique, tandis que paradoxalement l’école, au même titre que bien des acteurs d’une société désormais qualifiée de « société de l’information », était frappée d’un double tropisme :
- d’une part, la « convivialité » des interfaces graphiques qui privilégie l’usage et rend inutile l’apprentissage des bases de l’informatique, désormais « intuitive » (Bardini, 1999) ;
- d’autre part, la mise en avant du « jeune » utilisateur « natif » de cette informatique « conviviale » qui n’aurait plus rien à apprendre des machines inscrites de plus en plus dans le cours de sa vie quotidienne.
7Ces tendances vont amplifier les attitudes de méfiance des institutions éducatives qui, en dehors de leurs murs, constatent des mutations culturelles auxquelles elles semblent étrangères (Fluckiger, 2008). Excluant de leurs prérogatives l’enseignement de l’informatique comme discipline, les plans d’équipement ne vont pas pour autant cesser et ils vont continuer de répondre aux impératifs de modernisation et à l’idéologie « progressiste » ambiante. On verra ainsi apparaître, dans les écoles, des salles informatiques utilisées par quelques enseignants (professeurs de technologies et professeurs-documentalistes notamment).
L’école et l’informatique des réseaux
8La fin des années 1990 marque l’entrée dans le paysage scolaire de l’Internet et du Web. Une informatique en réseau enrichie de documents multimédias reliés par lien hypertexte. Les potentialités communicationnelles offertes par la mise en réseau vont offrir de nouvelles façons d’être ensemble ; de nouvelles modalités de travail collaboratif. Autant d’éléments qui vont concourir à repositionner les technologies digitales au cœur de l’éducation nationale. Vont se succéder alors de nouvelles politiques d’équipements concomitantes au développement des infrastructures réseau. Des politiques toujours calquées sur une démarche prescriptive, sans réelle concertation avec les acteurs du terrain.
La domestication d’une technologie « sauvage »
9Ce qui change avec l’arrivée de l’Internet, c’est l’attitude générale vis-à-vis de la domestication des technologies digitales à laquelle les institutions éducatives vont désormais s’attacher. On peut citer, par exemple, le cas du déploiement des environnement numériques de travail (ENT) dans le cadre du plan RE/SO 2007 (Pour une REpublique numérique dans la SOciété de l’information, Kaplan et Pouts-Lajus, 2004) visant à produire un réseau régulé par les institutions éducatives. Le cartable, puis l’agenda, deviendront bientôt « électroniques ». Les technologies digitales seront désormais qualifiées de technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE) [4] afin de strictement différencier des usages – qui ne peuvent pourtant plus l’être – à caractère pédagogique de ceux relevant du divertissement ou de la communication horizontale. L’intégration massive des vidéoprojecteurs et le déploiement des tableaux interactifs témoignent quant à eux d’une compatibilité avec la forme scolaire traditionnelle de l’enseignement magistral. L’informatique mobile (les ordinateurs portables en premier lieu) entre dans les classes sans pour autant en changer la configuration spatiale.
10Une évolution substantielle va également se produire, reposant sur le présupposé d’un savoir inné dont seraient dépositaires les jeunes utilisateurs (évolution formalisée en 2001 par la théorie des digital natives du sociologue américain Mark Prensky). Il n’y a pas à proprement parler d’enseignement dédié aux technologies des réseaux informatiques mais le début des années 2000 est marqué par l’apparition du brevet Informatique et Internet (B2i), une certification basée sur un référentiel de compétences. Cette certification deviendra obligatoire pour l’obtention du brevet des collèges en 2004. Cependant, l’autonomie laissée aux établissements sur les modalités de validation de ces compétences (à l’intérieur d’une ou plusieurs disciplines, sanctionnée par la pratique ou simplement basée sur du déclaratif) en fait un outil peu efficient. Le B2i a en revanche le mérite de mettre en avant la nécessité de former les enseignants. Le certificat Informatique et Internet niveau 2 – enseignant (C2i2e) voit aussi le jour en 2004 et s’intègre désormais à la formation des maîtres.
11Les approches conceptuelles des technologies digitales restent pourtant cruellement absentes du B2i et du C2i2e. La technique, toujours envisagée dans son aspect instrumental, ne peut résoudre les contractions de son intégration à la culture des élèves, une culture qui continue de se développer en marge de l’école. Le rapport Fourgous de 2010 [5] a suscité un temps des espoirs : il s’appuyait sur une critique inhérente aux limites du B2i, sur la nécessité de réintégrer un enseignement spécifique dédié aux technologies digitales, à leur dimension technique aussi bien que culturelle. Mais une fois encore, le flou régnant sur cette prescription n’a donné jour à aucune actualisation sur le terrain. Le plan Hollande [6], dernier en date, prescrit le déploiement massif de tablettes. Ces terminaux mobiles à écran tactile correspondent eux aussi à la figure de l’utilisateur de l’interface homme-machine (IHM). La tablette n’est pourtant pas à proprement parler un dispositif de production, mais un outil de consultation où l’utilisateur n’a d’autre choix que de se conformer à une offre logicielle conditionnée par les éditeurs du marché.
Un apprenant « programmé » ?
12Quelles conclusions peut-on tirer de ce bref rappel qui montre la dépendance entre les processus d’intégration dans la formation et ceux de l’innovation technologique dans le champ de l’IHM ? La focalisation sur les dimensions instrumentales de l’informatique (sur les interfaces notamment) entraîne la question de leur intégration au système scolaire, à mesure que se succèdent les innovations technologiques, dans une fuite en avant perpétuelle. La trajectoire de l’IHM, des interfaces de programmation aux interfaces graphiques et aujourd’hui celles dites « naturelle », voire « invisibles » (Pucheu, 2015) accompagne le développement des technologies digitales en opacifiant le fonctionnement des machines devenues des « boîtes noires ». Cette situation offre aux industriels le monopole de l’innovation et bride les potentialités créatrices d’une génération pourtant suréquipée de dispositifs digitaux. Les stratégies de captation de l’attention des grands acteurs du capitalisme informationnel présente également un danger pour les jeunes générations qui s’enferment dans les sphères individualisantes d’une information algorithmique (Pariser, 2015). L’apprenant contemporain s’affiche de plus en plus comme un « utilisateur ignorant » du milieu dans lequel il baigne : ce n’est pas lui, mais bien la machine qui semble le programmer. Comme l’écrivait Simondon (2012) : « Les objets techniques qui produisent le plus d’aliénation sont aussi ceux qui sont destinés à des utilisateurs ignorants. »
De l’utilisateur ignorant au lettré du digital
13Sommée de s’adapter à l’impératif des technologies de l’information, l’école ne s’est donc confrontée qu’indirectement à la question de la formation aux technologies et aux enjeux informationnels. Cette situation s’explique, en partie, par le manque d’un référentiel structuré d’une culture digitale. Ce référentiel est à concevoir en relation avec « l’encyclopédisme génétique » de Simondon (Barthémemy, 2008) et non comme une certification basée sur les compétences qui ne reposent finalement que sur une aptitude à manipuler des logiciels qui restent des « boîtes noires ».
Le référentiel et la question des formats pédagogiques
14La nécessité d’une compréhension des mutations des formats de lecture et d’écriture s’organise autour de l’étude des nouvelles formes de captation de l’attention pour introduire un référentiel renouvelant les pratiques du travail intellectuel. C’est donc l’apprentissage critique d’un citoyen « éclairé » par des écrans qui doit faire l’objet de recherche approfondie sur les plans disciplinaire, pédagogique, didactique, etc. Nous voyons là en creux un programme pour les humanités digitales à l’école. À ce titre, l’échec du B2i doit inciter à de véritables temps de formations dédiés à l’éducation aux médias et à l’information (EMI) qui ne sauraient se confondre avec l’importance de l’éducation morale et citoyenne (EMC).
15Les travaux menés depuis plusieurs années dans les domaines de la culture et la didactique de l’information présentent des perspectives opportunes pour les littératies informationnelles (Le Deuff, 2012). Former les élèves à la recherche et à l’évaluation de l’information (Serres, 2012), aux dispositifs de production et de communication de cette dernière et à une amorce d’une pensée de documents (Meyriat, 1978) s’avère un élément clé d’un renouvellement de la notion de lettré. Un lettré du digital (Cormerais et Le Deuff, 2014) est en capacité d’une mobilisation critique et raisonnée des applications, des moteurs de recherche, des réseaux sociaux, etc. Cet apprentissage requiert une progression et une cohérence dans les cursus scolaire pour inscrire un « tournant digital » qui conditionne de plus en plus l’accès aux savoirs. Cet accès relance la question de la lecture et de l’écriture, ce qui suppose une approche nouvelle des programmes pour l’enseignement d’une culture du digital se situant à la croisée des littératies et des numératies. Nous privilégions là une approche des technologies à partir d’une démarche redonnant aux « sciences de l’écrit » (Estivals, 1993) un rôle dans le renouvellement de la vie de l’esprit à travers les exercices et toutes les manifestations du travail intellectuel. La logique d’une « école nouvelle » refondée sur la skholé [7] organise une complémentarité permettant de penser la continuité entre lecture et écriture.
16Si l’école avait déjà manqué le tournant des médias de masse, elle semble aujourd’hui en difficulté pour appréhender la complexité des littératies. Elle n’a, en effet, pas toujours clairement intégré la question d’une éducation à la culture technique au cœur de ses prérogatives, c’est-à-dire une éducation qui interroge les conditions de production des usages digitaux autant que leurs effets. La saisie des nouveaux circuits entre lecture et écriture, entre développement cognitif et développement technologique, implique des dispositifs d’une intelligence collective et de circuits multidimensionnels (pédagogique, institutionnel, technologique, disciplinaire, etc.). Le retour d’une pédagogie créative qui a longtemps été ignorée par l’institution républicaine (cf. l’opposition entre Condorcet et Rousseau), comme l’actualisation des méthodes Freinet, mériterait un développement pour comprendre les continuums entre lire/écrire/compter. Plutôt que de montrer les effets néfastes d’une exposition prolongée devant les écrans, il est possible de se demander comment mobiliser leur intérêt. Se pose alors la question de l’attention pour réagencer l’esprit de la lettre, du chiffre et du code dans les trois écritures de notre monde (Herrenschmidt, 2007)
Portrait du nouveau lettré et des trois circuits de l’apprentissage
17Élaborer la figure d’un lettré du digital, c’est donc à la fois se rattacher aux traditions précédentes des lettrés (Chartier, 2005), mais aussi mettre en avant la question des littératies renouvelées. Donnons une définition première de ce lettré : c’est « un personnage abstrait dont la pratique dans le continuum lecture/écriture relie l’acte de lecture à celui d’annotation et d’indexation. Ce rapprochement entre les deux traditions de l’histoire de la lecture et de l’écriture permet d’entrevoir la nouveauté de notre personnage dans l’histoire du travail intellectuel. » (Cormerais et Le Deuff, 2014)
18Le lettré aujourd’hui ne peut plus s’inscrire dans le seul régime du livre classique, mais doit désormais puiser aux sources des documents en ligne et maîtriser les outils qui facilitent le travail d’interprétation. Par conséquent, la figure d’un lettré du digital permet de repenser les relations entre la lettre, le chiffre et le code, de manière à sortir des oppositions disciplinaires qui séparent les littéraires des scientifiques. C’est au contraire l’enjeu des liaisons entre les disciplines (Cormerais, 2014), les possibilités de réinvestissement au sein d’une translittératie qui apparaissent les plus judicieuses. Une formation à une culture digitale permettrait la réalisation de cette ambition (Le Deuff, 2011). Face à une apparition d’un régime de l’archive, l’apprenant a besoin d’une nouvelle économie des documents numérisés dont les possibilités sont encore faiblement explorées par l’institution scolaire. Dans le cadre de la formation à une culture digitale, une politique de l’innovation pédagogique à l’école supposerait une démarche collective engageant enseignants, élèves, chercheurs, informaticiens et entreprises. Si la diffusion de la parole magistrale est nécessaire, elle ne doit être qu’un des modes de l’apprentissage scolaire, au même titre que la classe inversée [8]. Il est difficile de revenir sur l’asymétrie énonciative dans l’espace de classe, alors que le nombre d’élèves augmente les possibilités de dispersion de l’attention. Cependant, pour aborder la formation d’une culture digitale, nous proposons dans le tableau ci-dessous d’établir les distinctions suivantes entre trois circuits d’apprentissage :
Les trois circuits de l’apprentissage

Les trois circuits de l’apprentissage
19Ce tableau, par la mise en situation des enseignements, précise les circuits d’apprentissage dans l’avènement d’une relation renforcée entre littératie et numératie. Revenons sur trois séries d’actes pédagogiques (dernière colonne du tableau) pour saisir l’importance du lettré du digital compris comme élément important d’un référentiel à construire :
201) Engrammer/Manipuler : ces actes reposent sur l’information dite de « bas niveau » qui forme un préalable à la maîtrise par la suite des connaissances. Ce niveau accompagne classiquement l’usage des outils informatiques, des logiciels et des plateformes en ligne mobilisés dans la manipulation des documents et des données.
212) Décoder/Annoter : ces actes autorisent une compréhension critique et une meilleure expression. L’annotation rend compte d’un rapprochement entre le processus de la lecture et celui de l’écriture. Ces deux mouvements se comprennent dans le continuum des exercices et l’évolution de la relation entre le maître et l’élève. Ces actes reposent sur un niveau méta-linguistique (Auroux, 1995) qui n’assimile pas compétence pratique avec connaissance.
223) Coder/Encoder : face à l’impératif du code, ces actes se trouvent aujourd’hui redécouverts après différentes mises en garde de son importance autrefois soulignée (Arsac, 1987). Ils reposent sur davantage de capacités à encoder pour mieux saisir la question des métadonnées produites par les « usagers » eux-mêmes. La possibilité de coder les éléments du langage naturel permet d’échapper à la fameuse la « boîte noire » pour pouvoir mieux s’orienter dans la connaissance qui n’est pas qu’affaire de code, mais de mains et de corps dans le processus d’apprentissage (Jacquot, 2016).
Éléments pour un référentiel d’une culture digitale à l’école
23En réaction à une fascination de la technique, traduction d’un « solutionnisme » (Morozov, 2014), et pour aller plus en avant dans l’approche d’un référentiel d’une culture digitale, trois recommandations pourraient servir de socle à l’épanouissement d’un nouveau type de lettré.
24Recommandation no 1 : le tournant digital dans le cadre d’une formation élargie associe trois circuits (informationnel, communicationnel, dialogique) dans des scénarios pédagogiques et favorise de nouveaux rythmes scolaires en phase avec plusieurs spatialités et temporalités. Appuyer des temps lents de l’appropriation du code face à la vitesse de l’époque permet d’éviter le « tout-code » (selon la formule : code is law de Lawrence Lessig).
25Recommandation no 2 : les dispositifs techniques de rencontre entre littératie et numératie ne dictent pas leurs modes opératoires ; ils assistent une progression graduée d’une approche triplexe de la relation pédagogique. L’invention dans l’ingénierie, en relation avec les chercheurs et les enseignants, s’éprouve dans la mise au point de prototypes. Des avancées sont possibles autour d’investigation comme du paradigme de la contribution [9] qui associe dans l’expérimentation les acteurs. L’enjeu serait de concevoir des plateformes open source (à l’instar des innovations dans l’open édition) qui incarneraient une démarche d’autonomisation et d’alternative critique au « prêt-à-lire ».
26Recommandation no 3 : passer des emplois « non maîtrisés » des technologies dans le quotidien à un emploi réfléchi dans la classe par une maîtrise de pratiques intégrées. Favoriser une politique publique en matière de technologie à l’école ouverte à l’expérimentation pour accompagner les valeurs éthiques de toutes les formations [10].
Notes
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[1]
Nous avons choisi le mot digital plutôt que numérique afin de souligner la dimension anthropologique, celle de l’engagement du corps, pour marquer un éloignement du primat d’une culture du calcul.
- [2]
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[3]
Un plan d’équipement mené exclusivement avec des industriels français qui reste indissociable de la volonté affichée, à l’époque par Laurent Fabius, d’accroître le potentiel économique de l’industrie informatique française naissante.
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[4]
L’appellation récente de Tuic (technologies usuelles de l’information et de la communication) labellisée à l’échelle institutionnelle pour qualifier, après les « TICE », les technologies digitales, résonne comme un aveu : celui d’une technologie dont l’usage serait désormais inscrit dans le cours naturel de nos vies quotidiennes et dont il ne s’agirait plus de questionner le fonctionnement.
-
[5]
Rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur la modernisation de l’école par le numérique, Réussir l’école numérique. En ligne sur : <www.missionfourgous-tice.fr/IMG/pdf/rapport-fourgouschatel-TICE.pdf>, consulté le 02/06/2017.
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[6]
Le projet s’inscrit dans la refondation de l’École dans un axe intitulé « l’école numérique ». En ligne sur : <www.gouvernement.fr/action/l-ecole-numerique>, consulté le 02/06/2017.
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[7]
Voir à ce propos la revue Skholè : skhole.fr
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[8]
Cf. <www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/la-classeinversee-que-peut-elle-apporter-aux-enseignants.html>, consulté le 02/06/2017.
-
[9]
Cf. « Expérimentation en milieu scolaire pour l’éducation à l’image et aux médias », IRI. En ligne sur : <www.iri.centrepompidou.fr/ateliers/pedagogie/experimentationspedagogiques/?lang=fr_fr>, consulté le 02/06/2017.
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[10]
Cf. rapport Jules Ferry 3.0 (Bonnet, 2014).