CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis les années 1980, la question de l’utilisation à des fins éducatives de l’informatique et, plus récemment, des systèmes numérisés d’information et de communication divise les experts. Pour certains, la généralisation des pratiques de production, classement, conservation et communication numérisée des informations s’imposera nécessairement à l’école et y transformera les manières d’enseigner, d’apprendre et d’administrer les établissements. Pour ces experts, en effet, le rejet de l’automatisation et de l’algorithmisation aggraverait le poids relatif des coûts de fonctionnement de l’institution scolaire par rapport aux secteurs où ces modalités sont déjà d’usage courant, tels que commerce, banque, transports, administration et production industrielle (Albertini, 1992). Impossible également, selon eux, de ne pas faire appel à ces systèmes face à la double exigence actuelle de massification et de diversification des publics (Balle, 1995 ; Baron et Bruillard, 1996), et de ne pas y familiariser les élèves et étudiants, alors qu’au sortir de leur formation, ils les utiliseront quotidiennement (Chaptal, 2003). Leur argumentation mentionne également le contexte d’un « capitalisme académique » (Slaugher et Rhoades, 2004) supposé convertir l’éducation en l’une des industries « de la connaissance » les plus attractives (Bates, 2002).

2A contrario, d’autres experts considèrent que l’enseignement n’est pas un secteur comme les autres, que la médiation humaine y est prioritaire et que, loin de contribuer à sa disparition, le recours à des systèmes médiatisés rendrait au contraire cette médiation plus nécessaire que jamais (Peraya, 2009). Ils font observer de surcroît qu’en dépit des efforts déployés à l’époque, ni le cinéma, ni la radio, ni la télévision n’ont été adoptés par l’institution éducative (Cuban, 1986). Pourquoi en irait-il autrement aujourd’hui ? Au demeurant, soutiennent-ils, aucun outil ou média n’affecte en profondeur la forme scolaire. Les utilisations de ceux que certains enseignants retiennent ne font que confirmer les modes pédagogiques dominantes. Significatifs seraient à cet égard les succès du rétroprojecteur, puis du vidéoprojecteur, dont les usages renforcent l’enseignement magistral. Même constat pour le laboratoire de langue : il ne trouve sa place qu’en favorisant les plus instructionnistes des apprentissages. Emmanuel Davidenkoff (2014) aurait donc tort d’invoquer le « tsunami » de la numérisation éducative ; il s’agirait plutôt de la dernière en date des vagues qui viennent, les unes après les autres, mourir sur la grève d’un système éducatif inaltérable et imperturbable.

3Quelle que soit la valeur des arguments de part et d’autre, les débats qu’ils alimentent nous paraissent stériles. Non seulement, en effet, ils réactivent l’opposition factice entre technophiles et technophobes, mais encore ils omettent trois points essentiels. Le premier est que cette numérisation s’inscrit dans une histoire de la technologisation et de la rationalisation éducative remontant au début du xixe siècle, avec l’invention du manuel scolaire et de la panoplie qui lui fait cortège (ardoise, tableau noir, cahier de brouillon, carte murale, mobilier scolaire, etc.). Bien avant, par conséquent, les projets avortés d’utilisation scolaire du cinéma et de la radio. Deuxième point, cette histoire est à son origine marquée par la soumission de l’enseignement à un idéal éducatif productiviste : il s’agit de former rapidement et à moindres frais les futurs cadres de la nation. Par la suite, ce productivisme se trouve lui-même renforcé par une approche industrialiste de l’éducation. Troisième point, ce productivisme est aujourd’hui en panne, comme l’est plus généralement le gouvernement du système éducatif, et il ne faut pas compter sur les systèmes numérisés pour le relancer. Ces trois points devraient éclairer d’un jour nouveau la question qui nous intéresse.

4En centrant le propos sur l’école primaire, nous commencerons par questionner les raisons qui, au moment de sa fondation, en font un lieu privilégié pour l’invention du manuel. Ensuite, nous nous interrogerons sur la récurrence de ces conditions dans la perspective de l’introduction des systèmes numériques d’information et de communication. Enfin, nous examinerons les conséquences des incertitudes touchant à la définition des finalités de l’école sur l’utilisation de ces systèmes et sur leur appropriation.

Le manuel, au service du productivisme éducatif

5Deux impératifs président à la naissance de l’école primaire moderne. D’une part, amener les élèves, en très grande majorité issus des milieux ruraux, à recevoir un minimum d’instruction. Et ce, alors que bien d’autres tâches les accaparent, que de multiples pensées les distraient de leur scolarité et que, si cruels soient-ils, les châtiments corporels ne les rendent pas toujours dociles. D’autre part, permettre à des enseignants peu compétents de transmettre à leurs élèves ce minimum requis de savoirs et de valeurs. Tels sont, de Guizot en 1833 à Ferry en 1881, les deux impératifs auxquels s’attelle une administration qui, par-delà les changements politiques et malgré la résistance des familles et des collectivités, témoigne à cet égard d’une constance et d’une persévérance remarquables.

6Sans doute ne faut-il pas exagérer l’importance de la loi de 1833. Elle dresse la liste des matières à enseigner, mais sans détailler les manières de les enseigner. Il est vrai qu’un an plus tard, l’arrêté du Conseil royal définissant le Statut sur les écoles primaires communales répartit les élèves en trois divisions selon leur âge. Et qu’en 1840, le périodique L’instituteur. Manuel général de l’instruction primaire fournit des indications sur le temps à consacrer à ces matières de l’une à l’autre de ces divisions. Cependant, ces propositions ne sont pas contraignantes, contrairement aux dispositions de la loi Ferry et des arrêtés de 1882 (Chapoulie, 2005). Dès lors, sous la Monarchie de juillet et le Second Empire, l’organisation nouvelle peine à se mettre en place (Rouet, 1993) face au modèle des petites écoles de l’Ancien Régime où, pour lui soumettre son travail, chaque élève se présente à tour de rôle devant le maître.

7Ces retards ne sauraient masquer l’un des aspects novateurs de la réforme Guizot, repris sous le Second Empire et amplifié sous la Troisième République : l’importance du manuel et de la nouvelle régulation du travail scolaire qu’il rend possible. Ce manuel – que les frères des écoles chrétiennes sont jusqu’alors quasiment les seuls à pratiquer – n’est pas, en effet, un répertoire ou un simple livre où l’élève apprend à reconnaître les lettres. Il s’agit d’un ouvrage calqué sur le programme et permettant à l’enseignant de faire travailler chaque élève individuellement et de s’adresser à toute la classe (Choppin, 1992). Là réside sa nouveauté : il crée à grande échelle les conditions d’un enseignement collectif et simultané, dont il devient l’adjuvant indispensable. Les chiffres ne trompent pas : pour les seules années 1831, 1832 et 1833, l’administration commande à Louis Hachette et aux fils de Firmin Didot, associés pour l’occasion, 500 000, 200 000 et 300 000 exemplaires de l’Alphabet ou premier livre de lecture à l’usage des écoles primaires. L’historien Jean-Yves Mollier (2002) parle du premier best et long-seller de l’édition scolaire. Et, ajoutons-nous, de l’édition tout court.

8Certes, le manuel n’est pas présent partout : en 1843, 23 % des écoles (environ 2 millions d’élèves) en restent partiellement ou totalement privées (Choppin, 1992). Cela ne l’empêche pas de se faire le pilier d’un paradigme éducatif dont l’orientation productiviste n’échappe pas aux acteurs et témoins de l’époque et, plus significatif encore, qu’elle ne rebute pas davantage. L’une des raisons en est que ce paradigme réalise un compromis qui leur paraît acceptable entre l’artisanat de l’enseignement individuel et successif, pratiqué sous l’Ancien Régime, et l’industrialisation radicale de l’enseignement mutuel, calqué sur la manufacture.

9En quoi cet enseignement mutuel est-il industriel ? Un maître donne ses consignes à des contremaîtres (élèves avancés) qui les répercutent à une vingtaine d’élèves. De la sorte, plusieurs centaines, voire des milliers d’élèves, sont pris en charge au moindre coût. Évoquant non sans exagération ce type d’enseignement dans son roman d’anticipation, Paris au xxe siècle, Jules Verne mentionne les « 157 342 élèves, auxquels on infusait la science par des moyens mécaniques » (Verne, 1994 [1864]). Rêve d’une industrialisation éducative maximale (Mœglin, 2005) !

10Les échecs que connaît cet enseignement et son abandon dans les années 1880 ont plusieurs raisons pédagogiques et techniques. Mais ils ont surtout une origine politique. Comme le souligne en effet G. Rouet (1993), Guizot y renonce pour se concilier le clergé, lequel voit d’un mauvais œil un enseignement destiné à l’acquisition de connaissances et compétences sans s’accompagner d’aucune formation morale et religieuse. L’enseignement mutuel ne disparaît toutefois pas sans laisser de traces. Non seulement, le modèle collectif et simultané a le champ libre et peut s’imposer partout en quelques décennies, mais encore l’idéal d’un système éducatif massifié peu coûteux fait son chemin. Les plates-formes de Mooc, entre autres, s’en inspireront très directement.

Terrain propice

11Quatre leçons sont à tirer de cet épisode fondateur, de la concurrence entre enseignement mutuel et enseignement collectif et simultané, ainsi que de la victoire du second.

12La première leçon est que l’éducation en général et l’enseignement primaire en particulier se voient désormais reconnaître officiellement une dimension productive. Sans doute d’autres dimensions leur sont-elles également attribuées en parallèle (Derouet, 1992) : culturelle, lorsque l’éducation donne aux élèves l’accès aux grandes œuvres de l’esprit ; politique, quand elle inculque leurs droits et devoirs à de futurs citoyens ; économique, dès qu’elle fait acquérir des compétences à de futurs professionnels ; domestique, si elle veille à l’épanouissement de l’enfant au moment de son passage à l’âge adulte. Cependant, la reconnaissance de la nouvelle dimension a d’importantes conséquences : conçu comme une « machine », pour reprendre le terme d’Émile Durkheim (1997 [1922]), le système éducatif s’efforce, comme tout système productif, d’atteindre le meilleur ratio possible entre inputs (ressources humaines, techniques et financières) et outputs (quantité d’élèves, nombre de diplômés, niveau de compétences, etc.).

13La deuxième leçon à tirer de cet épisode tient à ce qu’en quête de rationalisation et d’optimisation, ce système emprunte dès le xixe siècle certains de leurs modes de fonctionnement à la manufacture et à l’usine. Ainsi recherche-t-il substitution du capital au travail, économies d’échelle, standardisation et normalisation des procédures, planification des tâches, contrôle des performances, recueil de données chiffrées. Quant à la gestion des élèves, elle s’inspire du livret ouvrier pour imposer carnet de notes et livret scolaire. Certes, l’on n’en est pas à juger des performances établissement par établissement comme cela se fera ensuite (Barats, Bouchard et Haakenstad, 2017). Reste qu’à la tendance visant à aligner l’école sur l’entreprise, le primaire ne se montre pas moins réceptif que les autres niveaux d’enseignement.

14La troisième leçon a trait à la configuration instaurée par l’adoption et la généralisation du manuel. Sans être forcément équilatéral, un triangle conjugue en effet prescripteurs (les enseignants décident du choix de leurs manuels depuis 1875), financeurs (traditionnellement, les communes pourvoient les écoles primaires en « fournitures ») et utilisateurs (élèves, familles et enseignants). Or, cette triangulation a un effet déresponsabilisant sur chacun des trois pôles. Parce que le choix des manuels relève de leurs prérogatives, les enseignants continuent d’en prescrire l’achat quand bien même les utilisations qu’ils en font sont en forte diminution. Parce qu’elles ne veulent pas paraître manquer à leurs devoirs, les collectivités continuent d’en financer le renouvellement, mais elles le font avec des réticences et retards croissants. Enfin, parce que la disponibilité des manuels les rassure, élèves et familles continuent d’y être attachés, tout en critiquant l’alourdissement des cartables. De cette configuration et des malentendus qu’elle induit, les industries éducatives dans leur ensemble seront durablement marquées. Le système peut continuer à fonctionner toutefois tant qu’y pousse la volonté politique. Lorsqu’elle faiblit, il en est déstabilisé.

15La quatrième leçon est que jusqu’à une époque récente, l’alignement tendanciel du primaire (et des autres niveaux d’enseignement) sur des modes industriels d’organisation ne choque nullement théoriciens, experts, observateurs et acteurs de terrain. Au contraire, nombreux sont ceux qui, pour ce niveau au moins autant que pour les autres, préconisent le recours aux méthodes tayloriennes. Aux États-Unis, John Franklin Bobbitt (1913) par exemple déclare sans ambages que « l’éducation est un processus de fabrication tout comme l’est l’usine qui produit des rails d’acier : la personnalité de l’élève doit être produite et façonnée selon ce que l’on en attend ». De son contemporain, le Français Joseph Wilbois, plus proche de Fayol que de Taylor, l’on peut dire qu’il « conjugue l’application à l’éducation des principes de l’organisation industrielle, à commencer par la division du travail et la participation des industriels à l’éducation par le biais des corporations, sans que, pour autant, ne soient sacrifiées les valeurs d’une éducation de l’âme et de l’esprit » (Thibault et Mœglin, 2016). Autre indice de cet engouement pour l’industrialisation, le philosophe Alain (1998 [1932]), pourtant humaniste convaincu, évoque la taylorisation éducative comme idéal d’« économie d’effort et souci du résultat ».

16Trois décennies plus tard, les penseurs de la technologie éducative militent de plus belle en faveur de cette industrialisation. Significative est, à cet égard, la question formulée par l’économiste français Lê Thanh Khôi (1967) : « Dans quelle mesure et selon quelles méthodes les moyens nouveaux peuvent-ils augmenter la productivité de l’enseignement ? » Lui fait écho le psychologue états-unien Burrhus Frederic Skinner (1976 [1968]) : « à la longue, le plus grand apport d’une technologie de l’enseignement sera d’augmenter la productivité de l’enseignant. » Plus récemment, Jacques Perriault (1996) confirme : « nous voilà donc confrontés avec la nécessité de considérer désormais la diffusion de connaissances comme un champ d’activité à caractère industriel. »

Après le manuel, la tablette ?

17Ensuite, il est vrai, les implications de ce tropisme industriel divergent selon les orientations de ses inspirateurs et des experts. Les tenants de l’éducation nouvelle et des méthodes actives, par exemple, n’accordent pas aux systèmes techniques la même valeur que ceux, behaviouristes, de l’ingénierie éducative. Parmi ces derniers, B. F. Skinner n’assigne aucune limite au champ d’application de ses machines à enseigner, tandis que Célestin Freinet restreint l’usage de ses « bandes enseignantes », pourtant inspirées des machines de Skinner, à la seule acquisition par l’élève des automatismes en orthographe et arithmétique. Pour sa part, Seymour Papert tient Logo, dont il est le concepteur, pour une machine à apprendre à penser, non pour une machine à enseigner. Ces différences sont de taille évidemment, mais la reconnaissance d’une industrialisation de et dans l’éducation n’est contestée ni d’un côté ni de l’autre. Et il est admis partout que, par rapport à elle, l’enseignement primaire est en première ligne.

18De fait, il est censé offrir aux systèmes numérisés un terrain aussi propice que celui offert aux manuels précédemment. Ainsi la présence d’un seul et même enseignant tout au long de la journée permet-elle de mobiliser ces systèmes pour des activités relevant de plusieurs matières à la fois. Ces systèmes libèrent aussi les enseignants d’une partie des tâches mécaniques, particulièrement nombreuses et ingrates à ce niveau d’enseignement : répétitions, corrections, etc. Ils se prêtent bien également à l’alternance des travaux individuels et en groupes qui scandent la vie des classes du primaire. À quoi s’ajoute la présence du corps des animateurs Technologies d’information et de communication pour l’éducation (Atice) créé en 1985, au moment du plan Informatique pour tous : ils encouragent et soutiennent l’innovation pédagogique, forment leurs collègues et assurent un soutien logistique. Important atout en faveur des stratégies de numérisation, si imprécises et fluctuantes les missions assignées à ces « pairs-experts » soient-elles par ailleurs (Villemonteix et Baron, 2012).

19Serait-ce alors que le productivisme et l’industrialisation éducative trouvent dans la tablette, l’environnement numérique de travail et le tableau blanc interactif de dignes successeurs du manuel, du cahier de texte et du tableau noir ? Autrement dit que la numérisation se présente en moteur d’une industrialisation éducative amorcée précédemment, mais qui reste à actualiser et intensifier ?

20Un premier constat s’impose : la numérisation des manuels ne contribue pas à la relance de l’édition scolaire, en perte de vitesse. Les raisons du phénomène sont connues : manque d’attractivité des ouvrages transposés en numérique ou peu enrichis ; baisse des commandes publiques s’ajoutant à la faiblesse récurrente du financement des collectivités, préférence des enseignants (par ordre décroissant) pour des documents non didactiques, les manuels traditionnels et les ressources des sites collaboratifs ; concurrence des contre-manuels conçus et édités par des associations d’enseignants ; insuffisance de l’équipement en micro-ordinateurs et tablettes reliés à des tableaux blancs interactifs ; défaut de données scientifiques fiables concernant la plus-value des innovations dans le domaine ; incohérence des stratégies ministérielles d’évaluation, valorisation et diffusion des innovations réussies ; inexistence d’une formation des enseignants à la gestion de projets innovants, etc. Ces raisons expliquent que le marché du manuel numérique dépasse à peine 2 % de celui des manuels papier. Et les récentes tentatives pour commercialiser directement auprès des familles un droit d’accès à des manuels en ligne ne devraient pas modifier sensiblement la situation. Ce n’est donc pas des manuels numériques qu’il faut attendre la reconstitution mutatis mutandis des conditions ayant permis au manuel papier d’accompagner les débuts de l’école moderne.

21Plus fondamentalement, toutefois, l’absence d’arbitrage clair entre la mission productive de l’école et ses autres missions nous paraît rédhibitoire. Là se trouve du moins l’un des principaux handicaps des plans de numérisation scolaire engagés par les autorités nationales et les collectivités territoriales : ils ne tranchent pas – ou pas suffisamment – entre ces missions et entre les affectations des systèmes numériques qui y correspondent respectivement. Or, sans être incompatibles, ces missions sont disparates et ne peuvent être confondues (Fluckiger, 2008). De fait, une chose est, par exemple, de confier une tablette à un élève pour qu’il teste ses connaissances ; une autre d’inviter un usager à se servir de sa tablette pour tenir son cahier de texte et informer ses parents des événements de sa scolarité ; une troisième d’accorder à un enfant la possibilité d’exercer sa curiosité en consultant des ressources non scolaires ; une quatrième, enfin, d’encourager un utilisateur à pratiquer jeux et réseaux sociaux en vue de lui faire acquérir une « culture numérique ». Le problème est que cet élève, cet usager, cet enfant et cet utilisateur sont en réalité une seule et même personne.

22Faut-il un exemple a contrario d’une situation où la clarification des missions et affectations favorise l’usage des systèmes numérisés ? Les sociétés spécialisées dans le soutien scolaire ont compris l’intérêt de consacrer d’importantes ressources à la numérisation des exerciseurs et du tutorat. Et leurs réussites montrent assez que cette stratégie est payante. N’est-il pas paradoxal que les usages les plus systématiques et les plus efficaces de ces systèmes soient le fait d’entreprises extérieures à l’institution scolaire ?

Français

Les usages éducatifs des systèmes numérisés d’information et de communication sont-ils les héritiers de ceux que l’institution scolaire naissante fit du manuel au milieu du xixe siècle ? À l’époque, celui-ci était au service d’une éducation privilégiant sa fonction productive. Aujourd’hui, la numérisation éducative s’inscrit dans un projet éducatif écartelé entre des missions disparates. Davantage qu’aux autres niveaux d’enseignement, les incertitudes qui en résultent se font sentir à l’école primaire.

Mots-clés

  • industrialisation de l’éducation
  • numérisation de l’école
  • manuel scolaire
  • tablette éducative

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Pierre Mœglin
Pierre Mœglin est ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, agrégé de Lettres classiques, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris XIII et membre senior de l’Institut universitaire de France. Il a créé en 1995 et dirigé jusqu’en 2010 le LabSic. Il a également créé en 2000 la Maison des sciences de l’Homme Paris Nord (CNRS, Paris VIII, Paris XIII), qu’il a dirigée jusqu’en 2013. Il est l’auteur de nombreux articles et d’une dizaine d’ouvrages dont, en 2010, Les Industries éducatives (coll. « Que sais-je ? », PUF), et il a dirigé la publication de Industrialiser l’éducation. Anthologie commentée 1913-2012, paru en 2016 aux Presses universitaires de Vincennes. Il est co-fondateur en 2003 et co-rédacteur en chef de la revue Distances et médiation des savoirs.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/09/2017
https://doi.org/10.3917/herm.078.0065
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