1Depuis plusieurs décennies, le domaine de l’enseignement a été le lieu de vifs débats en réponse aux discours basés sur des injonctions ou des espérances et proposant – parfois en essayant de l’imposer – l’intégration de la technologie à l’école. La radio, la télévision, l’informatique et l’ordinateur, puis les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE), illustrent la variation des termes utilisés autour de ces « objets » qui seraient invités à participer à la vie de l’institution scolaire. Les plus récentes évolutions des appellations ont conduit peu à peu à faire apparaître une dénomination générique basée sur le mot « numérique ». Après avoir évoqué quelques éléments de repérage historique autour des tentatives d’introduction des technologies à l’école, nous proposerons plus particulièrement d’étudier la présence du mot « numérique » dans les rapports officiels publiés depuis le début du xxie siècle par les instances nationales de type ministère ou inspection générale.
Retour historique sur des promesses déjà anciennes
2Tout au long de l’histoire se sont répétés des scénarios construits sur des schémas assez aisément identifiables en ce qui concerne les technologies à l’école, tout particulièrement ces dernières décennies. Pour certains, il s’agirait d’un cycle de hype [1] qui se décrit en cinq phases : 1) apparition de la technologie ; 2) pic des espérances ; 3) creux des désillusions ; 4) pente de l’illumination ; 5) plateau de productivité. Selon nous, et résumant le cycle présenté par Larry Cuban [2] il y a plus de 30 ans déjà (Cuban, 1986), ce que nous observons en France peut se décrire en trois phases. La première phase est celle de grandes annonces, de discours plutôt positivistes, chargés d’espérance et de promesses, appelant à introduire sans plus tarder les technologies dans le contexte éducatif. Elle est souvent portée par l’action publique et politique. Cette phase est suivie par celle des équipements et des financements à plus ou moins grande échelle selon les situations, afin d’encourager principalement des expérimentations qui doivent venir en renfort des différents discours et servir autant que possible de démonstrateur. La phase suivante est celle des bilans, souvent décevants, face à la difficulté de réussir un passage à l’échelle c’est-à-dire d’être en mesure de généraliser une expérimentation réussie localement. Et le tout en attendant l’apparition d’une « nouvelle » technologie, signe du déclenchement d’un autre cycle. Dans ces différentes phases nous retenons que le grand absent est l’enseignant et celui qui est bien souvent oublié est l’élève !
3En juillet 1913, lorsqu’un journaliste (Smith, 1913) demandait à Thomas Edison quelle était son estimation quant à la valeur éducative future des images [3], celui-ci répondait que dans les dix années qui suivraient, les livres seraient devenus obsolescents dans les écoles publiques, qu’il serait possible de transmettre toutes les connaissances à l’aide d’images et de films à caractère pédagogique et que le système scolaire serait complètement modifié [4]. Au-delà de propos prophétiques en matière de révolutions dues à l’apparition de technologies que nous pourrions citer, force est de constater que les échecs et abandons progressifs se sont multipliés. Tel fut le cas pour la radio (années 1920-1930) ou encore la télévision éducative (années 1950-1960) pour reprendre deux exemples prometteurs du siècle dernier. C’est ainsi que d’après René Duboux (1996), « [l]’audiovisuel et les TV scolaires n’ont pas transformé l’enseignement » alors que Viviane Glikman (1995) parle même de « nonpolitique » en ce qui concerne la télévision éducative.
4De ce point de vue-là, il semblerait que rien actuellement ne soit bien différent de ce qui était déjà le cas au début du xxe siècle. Mais pour certains, nous assistons à un troisième mouvement majeur dans l’histoire humaine à la suite de l’invention de l’écriture, puis de l’imprimerie, avec l’apparition du numérique (Serres, 2012). Ceci est présenté par un triptyque écriture-imprimerie-numérique parfois contesté et critiqué. Cela n’est pas nouveau, nous pourrions renvoyer au Phèdre de Platon et sa critique de l’écriture [5]. De la « petite poucette » (Ibid.), évoquant le caractère inéluctable, à « l’appel de Beauchastel [6] », l’intégration du numérique ne va pas de soi. Et comme le soulignait Hélène Papadoudi-Ros (2000), « [l]es moyens d’information et de communication sont nés en dehors de l’école. Leur présence et leur influence, dans la vie sociale, dans la formation des mentalités et des modes de pensée, ont toujours été ressenties par les institutions scolaires comme concurrentes à leurs propres valeurs ». Nous pourrions rappeler, s’agissant du recours à des outils comme les micro-ordinateurs par exemple, que ces derniers ne sont pas auto-suffisants et que pour en avoir un usage critique, raisonné et pertinent, il convient de disposer d’une culture technique, technologique et désormais plus largement d’une « culture à l’ère numérique » (Cerisier, 2012).
5En France, les premières traces semblent apparaître dans le séminaire de Sèvres sur « l’enseignement de l’informatique à l’école secondaire » (Ceri-OCDE, 1971). Ce séminaire organisé en mars 1970 par le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (Ceri) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avec la collaboration de la Direction de la coopération du ministère de l’Éducation nationale présente dans ses actes les différents contours de cet enseignement (Baudé, 2013) et la circulaire ministérielle 70-232 du 21 mai 1970 (BOEN no 22, 28 mai) en précise les objectifs. Cette circulaire, qui est suivie du lancement de « l’expérience des 58 lycées », considère l’informatique comme « un phénomène qui est en train de bouleverser profondément les pays industrialisés et le monde moderne en général » et que « l’enseignement secondaire tout entier et dès la classe de 4e ne peut rester à l’écart de cette révolution » et que « ceux qui ignoreront tout de l’informatique seront infirmes… » Ces premiers pas de l’informatique dans le contexte scolaire seront dès lors suivis de près par l’association Enseignement public et informatique (EPI), acteur engagé sur ces questions présentant sur son site et à travers sa revue électronique de nombreux documents utiles [7]. C’est ainsi qu’au fil du temps, depuis sa création en 1971, des membres actifs de cette association produiront divers travaux permettant notamment de se repérer et de parcourir l’histoire de l’informatique dans l’enseignement en France (Pélisset, 2002).
6Le programme emblématique est celui du plan Informatique pour tous [8]. Lancé officiellement par le premier ministre Laurent Fabius le 25 janvier 1985, le plan visait trois objectifs. Tout d’abord initier à l’informatique tous les élèves, quel que soit l’établissement ou le niveau, du primaire au supérieur ; puis former les enseignants (objectif de 11 000 enseignants pour la rentrée 1985) ; et enfin s’ouvrir aux citoyens par des conventions avec les collectivités territoriales et les associations. Pour cela, il semblait nécessaire de prévoir la mise en place de configurations pour équiper les établissements avec des matériels et logiciels et d’impliquer les enseignants (formations, primes). En termes de chiffres, le plan prévoyait 120 000 micro-ordinateurs, ce qui porterait à 160 000 le nombre de micro-ordinateurs installés à la fin de l’année 1985. Mais malgré cette volonté politique, l’inspection générale fera le constat que « pas plus de 10 ou 20 % des enseignants utilisent l’informatique alors que 60 à 70 % d’entre eux ont été formés » (Troger et Ruano-Borbalan, 2012). L’erreur constamment commise par les décideurs serait de penser qu’il suffit de mettre à disposition du matériel pour que celui-ci soit utilisé. Si l’ordinateur s’est banalisé au cours du temps pour des usages personnels, sa mise en jeu dans le contexte éducatif ne s’est pas faite spontanément, et ce ne sont pas les formations assurées ou autres mesures d’incitation à des usages plus larges qui ont changé la donne.
7Les années 1990 sur lesquelles nous ne nous attarderons pas ici ont plutôt été marquées par les réseaux, le multimédia (nous pourrions évoquer les cédéroms) et l’arrivée d’Internet accompagnée par les technologies du Web. Fournir des équipements, assurer des raccordements à Internet, installer et mettre en réseau les ordinateurs dans les établissements deviennent les objectifs essentiels. Malgré le développement de la téléphonie mobile, d’un accès à Internet qui se banalise, les usages en matière de technologie pour la pédagogie restent limités. La fin des années 1990 est marquée par la désillusion du e-learning après une phase euphorique (Perriault, 2002).
8Nous pouvons retenir que les dernières décennies ont été marquées par de nombreuses promesses et de nombreux échecs malgré les différents programmes engagés. Dans le même temps, nous avons assisté à un mouvement de convergence entre des technologies audiovisuelles (télévision, cinéma), des moyens de télécommunications (téléphonie puis téléphonie mobile, réseau Internet) et des moyens informatiques (matériels, réseaux, logiciels, applications, etc.). Cette convergence s’accompagne par des équipements de plus en plus nombreux (téléphones mobiles, tablettes, micro-ordinateurs connectés à Internet) aussi bien au niveau individuel que dans les sphères professionnelles. Cette convergence au niveau « matériel » paraît avoir été étendue aux termes utilisés pour la décrire. C’est ainsi que de « l’informatique » des années 1980, nous sommes passés au « numérique » des années 2010. Les expressions ou termes sont différents alors qu’il semble bien que nous parlions toujours des mêmes choses.
9Le terme « informatique » a été utilisé pour dénoter la « science du traitement rationnel, notamment par machines automatiques, de l’information considérée comme le support des connaissances humaines et des communications dans les domaines techniques, économique et social [9] », d’après une définition officielle parue dans le bulletin officiel en février 1981. Les expressions « l’informatique » et « les TIC » ont été progressivement remplacées par le substantif « numérique ». Nous noterons que le Trésor de la langue française [10] donne l’acception de l’adjectif « numérique » comme étant ce qui « concerne des nombres, qui se présente sous la forme de nombres ou de chiffres, ou qui concerne des opérations sur des nombres ». En informatique, nous pourrions parler de représentations d’informations à l’aide de caractères (qui peuvent être des chiffres) ou de valeurs discrètes au contraire des signaux analogiques. Le moins que l’on puisse dire est que ces éléments de définition sont bien loin de cet « objet » qu’ils devraient décrire. La substantivation observée révèle que le mot est utilisé comme un réceptacle. Cet usage s’accompagne d’un glissement sémantique d’un sens spécialisé (« qui concerne les nombres ») vers un sens plus vague, plus indéterminé. De plus, le mot « numérique » est aussi utilisé en tant que substantif masculin [11] et non plus comme un simple adjectif.
10Après ces considérations, il nous semble dès lors intéressant de nous attarder sur la présence du mot « numérique » dans les discours pour voir comment celui-ci est apparu et a été utilisé ces dernières années.
Le numérique dans les rapports officiels
11Comme nous venons de le voir, le terme « numérique » fait son apparition progressivement dans l’histoire récente des technologies à l’école. En effectuant une recherche ciblée sur le site de la Documentation française [12], nous avons retenu les dix documents en réponse à notre requête « numérique ET école » à la condition d’être librement accessibles en ligne et publiés depuis 2000. Nous les présentons dans le tableau 1 ci-dessous et en simplifiant l’affichage sur les auteurs [13] lorsqu’il s’agit d’institutions et sur les URL [14] des documents.
Corpus documentaire des rapports officiels publiés depuis 2000


Corpus documentaire des rapports officiels publiés depuis 2000
12Inscrivant notre travail dans les sciences de l’information et de la communication, nous appuyons notre démarche d’identification de la présence du mot « numérique » sur une analyse de type textométrique. La textométrie, dénommée également statistique textuelle, lexicométrie ou logométrie, consiste en une approche à l’aide d’outils logiciels permettant des analyses quantitatives sur les textes d’un corpus (Lebart et Salem, 1994). Pour mettre en œuvre notre analyse, nous avons choisi d’utiliser Iramuteq [15], logiciel libre et gratuit d’analyse de données textuelles basé sur le logiciel de statistique R [16] et sur le langage de programmation Python [17]. Notre corpus d’étude, constitué des dix textes que nous avons extraits des documents au format PDF du site de la Documentation française, a été ainsi importé dans ce logiciel. Nous avons pris la décision de n’effectuer aucune action préalable et de soumettre au traitement statistique en l’état [18] les données textuelles présentes dans les rapports. Nous obtenons tout d’abord les informations synthétiques suivantes :
- 10 documents
- 703 806 occurrences (nombre total de mots)
- 28 745 formes (nombre de mots différents)
- 13 055 hapax ou formes qui n’apparaissent qu’une fois (45,42 % des formes)
- 21 309 formes-mots et 10 167 hapax (47,71 %), obtenus après lemmatisation [19].
13Nous pouvons dire que les formes les plus présentes (en nombre d’occurrences) confirment le domaine ou contexte relatif au corpus : numérique, élève, enseignant, école, scolaire, ressource, formation, pédagogique, national (par ordre décroissant du nombre d’occurrences).
14En regardant de plus près, document par document [20], les six formes les plus utilisées, nous obtenons le tableau suivant :
Position des mots les plus cités dans le corpus global et document par document

Position des mots les plus cités dans le corpus global et document par document
15Si l’on s’intéresse au corpus global, nous notons que la forme-mot « numérique » est bien la plus utilisée. Mais nous constatons que, dans le document 1, « numérique » ne figure pas dans la liste. Pour rappel le document 1 a été publié en 2002 alors que le document 2 l’a été en 2008. Nous pouvons ainsi souligner l’absence du mot numérique dans les titres des rapports officiels le temps de la période 2002-2007 [21] tout en rappelant que notre choix de documents reposait précisément sur la présence simultanée des deux mots « numérique » et « école ». À partir de 2008, nous constatons alors une apparition et un usage bien plus soutenu du mot « numérique » alors qu’« informatique » n’apparaît que pour le document 9 (en 4e position).
16En ce qui concerne les verbes, la forme-mot la plus fréquente correspond à « mettre » (1 874) que nous illustrons ici avec quelques exemples d’utilisation : « …mis en place… », « …mis en œuvre… », « …mis en commun… », « …mis à disposition… ». Cette forme-là, plus fréquente, rend bien compte de l’action politique à travers les différentes réalisations, annonces ou intentions présentées dans les rapports. Ensuite, nous trouvons la forme « permettre » (1 639) qui peut être associée à la précédente, formes suivies de « consulter » (1 109 [22]) et « utiliser » (906).
17Quant aux noms, il s’agit, dans un ordre décroissant, des mots « élève » (3 501), « enseignant » (3 298), « école » (2 391) sans aucune surprise, mais suivis de « ressource » (1 972) et « formation » (1 969). La notion de ressource – « …ressources numériques éducatives… », « …des ressources et des services… », « …ressources pédagogiques… », « …ressources en ligne… », pour en donner quelques exemples – est fortement présente. Elle est proche (du point de vue métrique) de « formation » (« …formation aux usages… », « …formation des élèves… », « …formation auprès des enseignants… », « …formation des référents numériques… », etc.)
18Si nous observons les adjectifs les plus utilisés (dans l’ordre décroissant), après ceux qui peuvent nous sembler évidents tels que « numérique » (5 087 fois [23]), « scolaire » (2 053), « pédagogique » (1 905), « national » (1 265), « éducatif » (1 198), nous trouvons l’adjectif « nouveau » (942 fois).
19Nous notons aussi que la forme correspondant à l’adjectif « nouveau » est régulièrement en bonne place dans le palmarès des documents du corpus qui s’étendent de 2002 à 2015, dont voici quelques exemples illustratifs : « …problèmes nouveaux… », « …nouveaux acteurs… », « …nouveaux services… », « …concepts nouveaux… », « …nouveaux objets et usages… », « …nouveaux outils numériques… », « …nouveaux médias… », « …nouveaux modèles… », « …nouvelles technologies… », « …nouvelles démarches… », etc. Ce thème de la nouveauté est sans doute le plus représentatif du caractère permanent et récurrent des discours sur le numérique à l’école. Par ailleurs, la forme lemmatisée « mettre », comme nous l’avons vu par les exemples cités, correspond bien à l’intention affichée d’action politique (mise en œuvre, mise en place, etc.).
20En résumé, pour illustrer cet aspect statistique basé sur la fréquence d’utilisation des différentes formes-mots présentes dans le corpus, nous avons établi une représentation visuelle de type nuage de mots, sur la base des 30 formes-mots les plus utilisées :
Nuage de mots du corpus « numérique et école »

Nuage de mots du corpus « numérique et école »
21Dans cette figure 1, de manière évidente, « numérique » se situe au centre, accompagné des autres formes déjà présentées, avec une présence de « fr », « www » ou encore « ligne », voire « consulter » – autant de signes indiquant les nombreux renvois et liens fournis dans les rapports.
22Une autre façon de représenter les formes-mots mises en jeu dans le corpus est proposée ici sous la forme d’un graphe.
Graphe des mots

Graphe des mots
23Nous pourrions donner quelques pistes d’interprétation sur cette représentation visuelle telle que fournie par le logiciel Iramuteq. La forme-mot « numérique » capte pratiquement toutes les relations en étant directement liée aux autres, mais pas à « élève ». La forme-mot « enseignant » est associée à « numérique », « élève », mais aussi « formation ». Cette formation des enseignants se ferait principalement en « ligne » en encourageant ces derniers à « consulter » de nombreux documents en ligne (« http », « fr ») pendant que l’élève ferait encore son « apprentissage » en salle de « classe ».
24Nous remarquerons que « numérique » est effectivement très présent dans les discours mais tout en restant à l’extérieur de la relation enseignant-élève – en tout cas dans cette représentation bien schématique d’une situation autrement plus complexe. Nous ne prétendons évidemment pas réduire les discours à ces quelques représentations visuelles qui ne sont là que pour illustrer l’organisation des contenus textuels du corpus.
25Pour conclure sur notre corpus, la notion du temps n’apparaît pas de manière flagrante alors que celle-ci nous semble essentielle. En effet, dans un contexte qui affirme de plus en plus une volonté politique orientée vers une généralisation, il n’en demeure pas moins qu’il reste des « doutes sur l’efficacité de l’usage du numérique dans les activités d’enseignement, en particulier au regard de la quantité de travail qu’il impose » (Puimatto, 2014). Nous considérons dans cette lignée que le temps nécessaire à consacrer au numérique scolaire n’est toujours pas convenablement évalué, indépendamment de l’apparente facilité de fonctionnement des appareils, ce qui rend particulièrement épineuse la question de la reconnaissance de ces activités et des enseignants qui s’y engagent.
26Dans cet article, après avoir fait un retour en arrière sur les quatre dernières décennies d’intégration des technologies au sens large à l’école, nous avons essayé de mettre en évidence l’apparition et l’utilisation du mot « numérique » dans les discours officiels. Nous avons fait le choix de ne garder que les documents avec les mots « numérique » et « école » ce qui nous a conduit à constater qu’il n’y avait aucun document entre 2002 et 2007 répondant à ce critère. Rappelons-nous par ailleurs que c’est la période des projets autour des campus numériques et que la préoccupation politique semble alors plutôt en direction de l’université que de l’école. L’année 2012 présente trois rapports comme pour rappeler qu’il s’agit bien d’une année d’élection présidentielle ou encore que cela coïncide avec la fin d’un quinquennat ; comme si nous étions en matière de numérique continuellement à la fois dans l’urgence et dans une forme de retard. Pourtant, nous pouvons convenir que si le numérique est bien présent depuis bientôt plus de dix ans dans les rapports officiels, sa place à l’école reste encore à faire. Il est vrai que la question du retard peut servir de prétexte, car malgré un développement important des usages, nous conservons « le sentiment d’un retard permanent » (Puimatto, 2014) alors que nous pouvons assister à « des exemples d’initiatives alimentant la rhétorique d’un prétendu retard français, invitant à des politiques massives d’équipement » (Bruillard, 2011). La direction prise par les décideurs politiques est systématiquement en faveur des équipements ou pour des mesures d’incitation à développer des projets expérimentaux coûteux qui ont bien du mal ensuite à être déployés.
27Par ailleurs, comme nous l’avons évoqué, nous assistons plutôt à une répétition de discours proposant des prescriptions, voire des injonctions à recourir au numérique alors que la question de la non-neutralité des technologies se pose toujours et qu’il reste nécessaire de « dépasser les conceptions positivistes et réductionnistes » (Jacquinot, 1993) et tant il est vrai qu’à chaque arrivée d’une nouvelle technologie, « les discours annonçant des changements radicaux sont en définitive toujours les mêmes » (Baron et Bruillard, 2013).
28Enfin, le fait de considérer que le numérique est partout et qu’il n’est pas vraiment nécessaire d’en faire un enseignement à part entière demeure l’invariant. C’est ce même choix qui avait été fait en son temps (début des années 1970) pour l’informatique en refusant d’en faire une discipline scolaire. La notion d’algorithme, le raisonnement informatique, les bases de la programmation et des principes de fonctionnement des ordinateurs et des réseaux auraient pu être enseignés à l’école depuis bien longtemps, et non pas seulement dans quelques filières spécifiques. Il ne s’agit pas de « découvertes » récentes et leur maîtrise serait utile à l’heure où nous parlons de « société apprenante » pour évoquer le tout dernier rapport présenté en mars 2017 par François Taddei à la ministre de l’Éducation nationale et dans lequel le numérique est jugé comme porteur de nombreuses promesses. Nous retiendrons que la formule relevée dans la synthèse du rapport [24] – « nous faisons face à l’urgence, mais il faudra du temps pour conduire le changement » – nous renvoie aux défis restants toujours à relever en matière de numérique éducatif !
29Il convient de ne pas oublier que la question reste d’ordre pédagogique et non pas d’ordre technique pour sortir enfin de cette logique de reconduction cyclique de discours positivistes alors que les différentes actions menées conduisent régulièrement à des désillusions diverses et répétées.
Notes
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[1]
Hype cycle, « hype » signifiant quelque chose qui est « tendance », « à la mode »… Modèle développé par le Gartner Group afin de représenter le cycle de vie des technologies considérées à la mode. Dernière consultation le 30 mai 2017 sur <www.gartner.com/technology/research/methodologies/hype-cycle.jsp>.
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[2]
The exhilaration / scientific-credibiliy / disappointment / teacherbashing cycle qui pourrait se traduire par un cycle présentant les étapes suivantes : euphorie / crédibilité scientifique / désenchantement / dénigrement des enseignants.
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[3]
« What is your estimation of the future educational value of pictures ? »
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[4]
Extrait de l’article de Smith, 1913 : « “Books”, declared the inventor with decision, “will soon be obsolete in the public schools. Scholars will be instructed through the eye. It is possible to teach every branch of human knowledge with the motion picture. Our school system will be completely changed inside of ten years.” »
-
[5]
Socrate raconte la réponse du roi Thamous au dieu Theuth : « Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a » après que celui-ci lui a dit « Roi, […], cette science rendra les Égyptiens plus savants et facilitera l’art de se souvenir, car j’ai trouvé un remède pour soulager la science et la mémoire ».
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[6]
Collectif d’une quinzaine d’enseignants ayant cosigné un texte en décembre 2015 intitulé « Appel de Beauchastel, contre l’école numérique » ; texte ayant circulé sous format papier et pouvant être trouvé au format PDF sur différents sites ou blogs sur le Web.
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[7]
Cf. <www.epi.asso.fr/>, site web de l’association Enseignement public & informatique et de la revue EpiNet (revue électronique de l’EPI).
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[8]
Plan Informatique pour tous, circulaire no 85-136 et no 85-208 du 29 mai 1985, Bulletin officiel no 24 du 13 juin 1985, p. 1737-1740.
-
[9]
Bulletin officiel de l’éducation nationale (BOEN), 26 fév. 1981, no 8.
-
[10]
Trésor de la langue française informatisé : <www.atilf.fr/tlfi>.
-
[11]
Ceci semble spécifique à la langue française puisque par exemple, nous trouvons écrit le numérique, nous parlons du numérique.
-
[12]
La Documentation française est reconnue pour son rôle majeur dans l’édition publique française et elle est une marque de la Direction de l’information légale et administrative (Dila). Site : <www.ladocumentationfrancaise.fr/>.
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[13]
Parfois citées en tant qu’auteurs et/ou éditeurs, nous avons regroupé ici les différentes institutions sous une forme « factorisée » pour éviter les répétitions et ne pas alourdir le tableau de présentation du corpus (ci-dessous, entre parenthèses figurent les no des documents du corpus concernés).
Auteurs : Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (8) ; Conseil national du numérique (9) ; Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (4, 6, 7, 8) ; Inspection générale de l’Éducation nationale (1, 4, 6, 7, 8, 10) ; Inspection générale des finances (8) ; ministère de l’Éducation nationale (2, 3) ; ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (5) ; Premier ministre (3, 5).
Éditeurs : ministère de l’Éducation nationale (1, 2, 3, 7, 8) ; ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (10) ; Conseil national du numérique (9) ; ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (8) ; ministère de l’Économie et des Finances (8) ; ministère du Redressement productif (8) ; ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative (4, 6). -
[14]
Pour accéder au document, il faut utiliser les URL sous la forme <www.ladocumentationfrancaise.fr/docfra/rapport_telechargement/var/storage/rapports-publics/<NomDuFichier> (dernière consultation de tous les liens le 30 mai 2017).
-
[15]
Le logiciel Iramuteq été développé par le Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (université de Toulouse 3 – Paul Sabatier). Site : <www.iramuteq.org/>.
-
[16]
Logiciel libre de statistique R. Site : <www.r-project.org>.
-
[17]
Langage de programmation Python. Cf. <www.python.org>.
-
[18]
Nous avons choisi de n’opérer aucun traitement préalable sur les textes et de conserver ainsi l’intégralité des contenus textuels tels que présents dans les fichiers publiés.
-
[19]
La lemmatisation consiste en un travail sur les différentes formes en établissant des regroupements basés sur des liens d’identité entre celles-ci. Nous qualifierons ces regroupements par la suite de formes-mots.
-
[20]
Les numéros des documents sont à relier à ceux qui figurent dans le tableau 1 qui présente l’ensemble du corpus.
-
[21]
Correspondant curieusement à la période d’un mandat présidentiel.
-
[22]
Forme à relativiser du fait des mentions « consulté le… » à propos des références de date de consultation des pages de site web.
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[23]
Pour les autres valeurs de fréquence d’apparition des formes, nous omettrons d’écrire « fois » pour alléger le texte.
-
[24]
Vers une société apprenante, synthèse du rapport, F. Taddei. En ligne sur : <cache.media.eduscol.education.fr/file/Journees_innovation/11/7/2017_rapport_taddei-synthese_740117.pdf>, consulté le 07/06/2017.