1Le C2i2e concerne les compétences relatives à l’usage du numérique, appelées à l’origine « compétences informatique et Internet » (C2i®) ; le niveau 2 (2) renvoie au caractère professionnalisant de cette certification qui valide que les enseignantes et les enseignants (e) maîtrisent les compétences nécessaires à l’exercice de leur métier du point de vue de l’utilisation du numérique. Depuis les travaux de Larry Cuban (2001), il est apparu que les objets techniques sont souvent introduits pour mettre en valeur la modernisation des établissements, alors que leur déploiement dans les usages pédagogiques reste en deçà des possibilités qu’ils offrent. En compensation, la mise en place d’une certification peut avoir un caractère coercitif. Le C2i2e a été déployé pour inciter les établissements de formation à mettre en place des formations visant le nécessaire développement des compétences numériques des enseignants, notamment pour ce qui concerne les usages pédagogiques du numérique, la généralisation des usages pédagogiques étant une ambition réaffirmée dans le plan numérique pour l’éducation en début d’année scolaire 2016-2017 [1].
2Le statut de cette certification n’est cependant pas très clair. Si le C2i2e a été expérimenté en 2004 (Loisy, 2005), puis officiellement généralisé l’année universitaire suivante (Loisy et Rinaudo, 2007) sous l’impulsion de la sous-direction des technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (SDTICE) qui dépendait alors du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il n’est pas obligatoire, malgré une courte tentative entre 2011 et 2013 au moment de la mastérisation de la formation. Depuis, les textes officiels ne mentionnent plus le C2i2e bien que diverses circulaires et même les nouveaux programmes de 2016 réaffirment que les élèves doivent acquérir et maîtriser les compétences numériques.
3Une étude menée en 2012 (Loisy, Bénech, Bessières, Fontanieu et Villiot-Leclercq, 2012) révèle que les préoccupations des répondants concernent la contrainte de la nouvelle organisation, la gestion du temps dans la formation, la certification et les outils. Aucune classe de réponses portant sur les processus de formation n’émerge significativement de l’analyse des données. Les contraintes de la mise en œuvre du C2i2e et l’immersion de la formation aux compétences dans le processus « formation-évaluation-validation des compétences-certification C2i2e » ont pu faire perdre de vue la complexité inhérente à la formation des compétences.
4Faire acquérir des compétences numériques aux élèves, souhait réaffirmé dans tous les programmes, suppose que l’enseignant lui-même maîtrise les usages du numérique propres à l’exercice de son métier. Donner une formation aux enseignants est donc indispensable. En revanche, la question parfois posée de l’opportunité de rendre la certification obligatoire pour les enseignants en formation initiale reste ouverte. Toutefois, à un premier niveau de généralisation du C2i2e, il serait judicieux de rendre la certification obligatoire pour tous les formateurs, qu’il s’agisse de ceux qui interviennent dans les établissements de formation, ou de ceux qui interviennent sur le terrain, car c’est à eux qu’il revient de mettre en œuvre des situations permettant aux stagiaires de construire des compétences. Il est envisageable de rendre la certification obligatoire quelle que soit la discipline d’enseignement des formateurs car le numérique offre aujourd’hui des potentialités permettant à toute didactique de cibler ce qui est le plus adapté à l’appropriation des savoirs qui lui sont propres. Ainsi, les enseignants en formation auraient l’occasion de se confronter à des situations permettant de générer des activités mobilisant une utilisation professionnelle du numérique offrant une certaine variété.
5En revanche, voir une tierce personne agir ne suffit pas pour développer des compétences. Le postulat épistémologique constructiviste (e.g., Coulet, 2011) pose que dans toute situation se déploie un processus de mobilisation et de régulation. Une approche par compétences intègre non seulement des situations permettant la mobilisation de compétences déjà là, mais aussi des activités de régulation. Cela signifie que tous ces formateurs devraient non seulement donner à voir, mais surtout mettre les jeunes enseignants en situation d’agir et de réguler leurs compétences en construction dans des situations. Ainsi, la variété des situations agies, assurée par la diversité des formateurs, favoriserait la construction de classes de situations, condition nécessaire à la construction des compétences, puisqu’aucune compétence n’existe dans l’absolu.
Pourquoi maintenir formation et certification ?
6La formation des enseignants par alternance, par les mises en situation qu’elle permet, est un élément clé de construction des compétences métier, à condition, comme cela vient d’être évoqué, que ces situations permettent à la fois la mobilisation et la régulation des compétences. Concernant le numérique, les stagiaires arrivent aujourd’hui en formation initiale avec des représentations et des pratiques numériques qu’ils ont élaborées dans le monde social. Cependant, les apprentissages numériques qu’ils ont déjà construits ne sont pas forcément liés à ceux dont ils auront besoin dans l’exercice de leur métier. Une des craintes pourrait être que le C2i2e multiplie les tâches. Pour répondre à cela, un regard attentif aux compétences définies dans le référentiel du C2i2e montre que ces compétences correspondent aux compétences générales des enseignants visées par la formation en leur octroyant une dimension numérique (Loisy, 2009). Ceci est congruent avec le fait qu’il s’agit d’un référentiel de compétences professionnelles et non d’un référentiel de compétences techniques. Cette caractéristique est consubstantielle des certifications de niveau deux, quel que soit le corps de métier concerné, qui ne sont jamais techniques mais professionnelles par essence. Si tous les formateurs sont aguerris au numérique, le C2i2e ne devrait donc pas ajouter une surcharge de travail, mais s’intégrer dans la formation.
7Il est évident que les compétences des jeunes enseignants sont encore en devenir puisque toute compétence se construit dans et par les activités qu’elle permet de générer. La personne mobilise des compétences déjà là pour traiter une tâche qui lui est donnée, et dans le même temps, par les processus de régulation, elle se développe vers une plus grande efficacité de ses compétences déjà là, ou vers l’application de compétences déjà là à des situations nouvelles. De ce fait, utiliser l’argument selon lequel les compétences numériques se construisent au fil de la carrière pour poser qu’elles ne peuvent pas être évaluées en fin de formation initiale illustre soit un manque d’étayage théorique sur la notion de compétence, soit la référence à des modèles ne tenant pas compte du fait que toute compétence s’inscrit dans la durée de sa construction et de ses adaptations à des situations.
8Si l’évaluation des compétences numériques des élèves figure par deux fois dans les compétences du référentiel du C2i2e (compétences B4.1 et B4.2 [2]), en revanche, peu de compétences soutiennent explicitement les compétences numériques des élèves. On peut citer « B2.3 Concevoir des situations de recherche d’information dans le cadre des projets transversaux et interdisciplinaires », qui vise à faire développer par les élèves la compétence numérique de recherche d’information. Ceci peut s’expliquer d’une part par le fait que celles-ci peinent également à s’imposer dans les programmes, d’autre part par une volonté du comité de pilotage du C2i2e de faire en sorte que les compétences à enseigner avec le numérique demeurent indépendantes des contenus qu’elles supportent, y compris numériques. Cela constitue possiblement une faiblesse du C2i2e. On peut toutefois penser que si chaque enseignant mobilise les compétences du C2i2e dans le panel de situations d’apprentissage qu’il met en place, il contribue à développer chez l’élève une culture du numérique complémentaire à celle de la sphère privée.
9Les programmes insistent désormais sur la construction des compétences par les élèves. Or, il n’est de développement de compétence sans activité. Celle-ci permet de mobiliser des compétences déjà-là pour faire face à la tâche, et d’engager des régulations, c’est-à-dire des ajustements pour réduire, en fonction des contingences de la situation, l’écart entre résultats anticipés et résultats obtenus. Les termes qui caractérisent l’approche par compétences sont très présents dans le C2i2e : on trouve le mot situation dans toutes les compétences du domaine B2, dont quatre fois l’expression situations d’apprentissage. Indiscutablement, les compétences du C2i2e cherchent à favoriser la mise en place de situations d’apprentissage dans lesquelles l’élève est actif. De plus, la compétence B2.5 « Concevoir des situations ou dispositifs de formation introduisant de la mise à distance » semble ouvrir une perspective en termes de travail sur l’organisation de l’activité, au-delà de la mise en activité, ce qui va tout à fait dans le sens d’une approche par compétences.
10Comme souvent pour les référentiels de compétences, le C2i2e est parfois perçu comme un référentiel à visée essentiellement certificative ; un travail sur la notion de compétence et sur le sens à accorder à l’évaluation des compétences serait à mener avec les acteurs impliqués dans la certification. Une formation initiale au numérique des enseignants est d’autant plus nécessaire que, s’il subsiste des disparités dans les établissements en termes d’équipements, cette formation réduirait au moins une potentielle source d’inégalités du point de vue des enseignants.
Notes
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[1]
« Circulaire de rentrée 2016 », Bulletin officiel de l’Éducation nationale, no 15, 14 avr. 2016. En ligne sur : <urlz.fr/3pvV>, consulté le 21/05/2017.
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[2]
Le C2i2e définit 28 compétences professionnelles dans l’usage pédagogique du numérique, réparties en deux domaines. Le domaine B précise les compétences liées à l’intégration du numérique dans la pratique ; le sous-domaine B4 définit les compétences liées à la mise en œuvre de démarches d’évaluation. Les compétences B4.1 et B4.2 sont respectivement définies ainsi « Identifier les compétences des référentiels Tic (B2i®, C2i®) mises en œuvre dans une situation de formation proposée aux élèves, aux étudiants, aux stagiaires » et « S’intégrer dans une démarche collective d’évaluation des compétences Tic (B2i® ou C2i®) ».