CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Accompagner le projet d’orientation de l’élève et développer sa culture numérique sont des enjeux pour l’éducation dans le cadre des nouvelles politiques éducatives. En effet, l’école est traversée par plusieurs mouvements de fond, le déploiement du numérique et de nouvelles politiques éducatives qui mettent l’accent sur les implications sociales de l’apprentissage (vivre en société, participer à la société) et sur la dimension programmatique vis-à-vis du parcours de l’élève – en d’autres termes, sur le curriculum. Donner aux élèves les éléments qui les engageront de manière réfléchie et positive vers la poursuite d’études ou le choix d’une filière professionnelle est désormais une mission attendue des équipes pédagogiques (loi 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ; nouveaux programmes 2016). Les outils numériques peuvent faciliter la collecte, la mise en forme et l’organisation de traces tangibles sur le projet d’orientation et leur partage, comme favoriser la réflexivité.

2Quelles expériences sont tentées en France ? Quelles sont les tâches scolaires des élèves ? Y a-t-il des effets en termes d’apprentissages relatifs à la recherche d’information et à l’écriture ?

3L’article commencera par situer le propos dans deux mouvements de fond qui traversent l’école, le déploiement du numérique et les nouveaux programmes qui visent à ce que soit intégrée une approche curriculaire, en révélant les questions qu’ils soulèvent. Ensuite, il exposera les tâches que les élèves réalisent autour de la construction de leur projet d’orientation dans deux contextes : l’expérimentation « Folios » qui concerne toute la France ; un projet concernant des enseignants engagés dans une recherche collaborative autour de ces questions. Enfin, il analysera les apprentissages qu’y font les élèves pour ce qui concerne la recherche documentaire et l’écriture. La discussion situera les intérêts et les limites de ces tentatives d’accompagner le projet d’orientation de l’élève en s’appuyant sur des outils numériques.

Deux mouvements de fond traversant l’école

4Le déploiement du numérique et l’intégration de la logique curriculaire traversent aujourd’hui l’école. L’accompagnement du projet d’orientation permet de faire se rencontrer ces nouvelles attentes.

Le déploiement du numérique

5Comme pour tout artefact (Vygotski, 2014 [1931]), les outils numériques, productions sociales emplies de signification et vectrices d’une capitalisation de la culture humaine dans laquelle ils sont déposés, nécessitent l’appropriation par les sujets des activités qu’ils incorporent. Aujourd’hui dans les pays développés, ils sont largement présents dans les environnements familiaux et sociaux. En conséquence, les jeunes ont pour la plupart des représentations et des pratiques élaborées par immersion dans un monde social extérieur à l’école incluant certains outils numériques et certaines activités humaines. De fait, lorsqu’ils arrivent à l’école, les élèves ont déjà construit certains apprentissages numériques dans le privé, et ils ont des représentations plutôt négatives sur le numérique en contexte scolaire. Ce dernier leur apparaît notamment moins émancipateur que l’usage qu’ils en ont dans la sphère privée qui offre un accès illimité à des contenus et une grande sociabilité entre pairs (Fluckiger, 2008). Ces représentations pourraient être une des causes de la faiblesse des effets, eu égard à ceux qui pourraient être attendus, des utilisations scolaires du numérique sur les apprentissages (Male et Burden, 2013). On peut faire l’hypothèse que permettre à l’élève d’utiliser le numérique en classe dans des situations soutenant une émancipation pourrait améliorer les bénéfices des usages pédagogiques des outils numériques et potentiellement contribuer à lever certains freins à l’intégration pédagogique du numérique émanant des enseignants.

6Cela semble d’autant plus important que même si certains apprentissages informels se font par les usages sociaux des outils numériques dans la société, une éducation formelle aux médias et à l’information est attendue dans les programmes (nouveaux programmes 2016), et gagne à être intégrée au cursus scolaire et universitaire (Le Deuff, 2011). En effet, sans éducation formelle, les usagers du numérique se retrouvent face à des difficultés liées notamment à la multiplication des contenus numériques auxquels ils peuvent avoir accès. Ainsi, la quantité de contenus numérisés qui prolifèrent sur la Toile rend nécessaire notamment de savoir repérer ce qui peut effectivement constituer une ressource pour apprendre et se développer. L’école a un rôle majeur à jouer dans cette éducation documentaire des élèves. Ces apprentissages concernent tous les élèves en tant que citoyens du monde, mais l’école a également à relever le défi d’enjeux démocratiques, car si l’accès se généralise, les inégalités numériques demeurent ; la recherche a montré des inégalités dans des usages liées à un voisinage social plus ou moins enrichissant (Le Guel, 2004), mais également la nécessité de développer les compétences instrumentales, l’usage du numérique révélant au grand jour les difficultés en lecture et écriture qui conditionnent son utilisation (Brotcorne et Valenduc, 2009).

… et celui de la logique curriculaire

7Le second mouvement est celui des nouvelles politiques éducatives qui mettent l’accent sur les implications sociales de l’apprentissage, autrement dit le curriculum. Pendant, longtemps, cette notion, largement usitée aux États-Unis, a été peu utilisée en Europe où l’on se référait aux cursus et programmes d’études, mais elle est progressivement apparue dans le vocabulaire éducatif. Ces terminologies s’inscrivent dans des histoires de l’éducation qui sont différentes ; dans le contexte de l’Europe francophone et de la France en particulier, parler de cursus est emblématique d’une culture de la discipline scientifique qui met en exergue la problématisation du savoir, et qui attribue à celui-ci une valeur intrinsèque (Bulle, 2000). À l’opposé, le curriculum « se définit à partir des attentes et des besoins de la société » (Sachot, 2000) ; l’usage de cette notion se déploie effectivement quand les politiques éducatives insufflent un modèle d’école visant la préparation à l’emploi. Cela conduit certains auteurs à considérer que la notion de curriculum ne serait pas indépendante du mouvement néolibéral qui se déploie, et que ce mouvement pourrait conduire à une uniformisation des cultures (Lenoir, 2002).

8Ces risques étant pointés, l’approche curriculaire qui intègre une dimension programmatique vis-à-vis des parcours des élèves peut aussi être vue comme une chance pour soutenir une meilleure appropriation des savoirs. En effet, les programmes d’études ne sont pas exempts de critiques, en particulier par les défenseurs des approches constructiviste et historico-culturelle issues des travaux de la psychologie du développement au cours du xxe siècle (Vygotski, Piaget, Wallon, Bruner). Ces approches conduisent à une évolution des conceptions de l’apprentissage impliquant l’élève dans la construction de ses savoirs, et mettent en exergue le rôle des interactions, du langage et des artefacts dans le développement cognitif. Le risque de dérive pourrait être réduit en France où les enseignants jouissent d’une autonomie pédagogique au service de l’accomplissement de leurs missions : les curricula qui sont prescrits au niveau de la scolarité secondaire n’imposent pas de méthodes pédagogiques. De ce fait, les enseignants ont une latitude pour répondre à ces attentes tout en s’appuyant sur leurs savoirs scientifiques ancrés, mais prenant également en compte que l’efficacité de l’action doit être au service de la construction du parcours d’apprentissage et de développement de l’élève.

… se rencontrant dans le projet d’orientation de l’élève

9La construction du projet d’orientation de l’élève, projet d’insertion sociale et professionnelle, participe de cette logique curriculaire. Mais qu’on le veuille ou non, la responsabilité du projet professionnel pèse de plus en plus sur le jeune et sur sa famille, et l’accompagnement du projet d’orientation de l’élève est une occasion de penser l’école autrement, notamment si l’orientation est entendue en termes d’« orientabilité » (Pelletier, 2004). Les travaux sur l’approche éducative en orientation (ibid. ; Pelletier et Dumora, 1984) conçoivent la tâche d’orientation comme un processus conduisant le jeune à devenir un sujet autonome. Pour cela, il doit développer un projet, c’est-à-dire des intentionnalités, des directions et des objectifs répondant à une recherche de sens à conférer à son itinéraire de vie (Boutinet, 2002). Au-delà du projet, le jeune doit être en action et se mobiliser pour atteindre le but qu’il se fixe, ce qui facilite aussi sa mobilisation sur les apprentissages scolaires et fait évoluer son rapport au savoir, contribuant ainsi à donner à l’expérience scolaire le sens qu’elle ne construit plus spontanément (Charlot, Bautier et Rochex, 1992). Ainsi, si l’expérience scolaire est à prendre en compte, il ne s’agit pas d’enfermer l’élève dans le passé de cette expérience, mais de lui permettre de s’appuyer sur ses forces et ses faiblesses pour se mettre en projet et agir.

10La construction de soi comme sujet acteur de son histoire et détenteur des qualités permettant de penser son avenir nécessite un accompagnement sans lequel le jeune serait influencé par des représentations simplifiées de lui-même et de l’environnement socioprofessionnel dans lequel il cherche à s’intégrer (Pelletier et Dumora, 1984). L’exploration des possibles est facilitée par des interactions avec des « autrui significatifs » (Singly, 2003), dont les enseignants qui ont un rôle spécifique à jouer dans la perspective du développement à long terme des élèves (Loisy et Carosin, 2017). Il s’agit, pour le jeune, de construire des instruments soutenant son pouvoir d’agir (Le Bossé, 2008) participant de son autonomie. Le numérique offre deux types d’opportunités : l’une par la richesse des informations qui y sont disponibles, ressources dédiées à l’orientation comme celles qui sont proposées par l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep) [1], ou informations plus ou moins organisées mais qui constituent une richesse potentielle ; l’autre par les artefacts existant (comme les portfolios numériques) pour faciliter l’élaboration du projet par des activités productives, collecte et organisation de données, et des activités constructives, interactions sociales et activités réflexives à visée de développement. Une hypothèse serait que si elles conduisent à l’autonomie visée, ces activités numériques pourraient être vécues positivement par les élèves en raison de leur caractère émancipateur.

Tâches et apprentissages des élèves

11Les tâches scolaires prescrites aux élèves dans le cadre des activités relatives à l’orientation sont décrites dans deux contextes : l’étude de l’expérimentation « Folios » et une recherche collaborative impliquant des chercheurs et des enseignants. Une réflexion est ensuite conduite sur les apprentissages relatifs à la recherche d’information que ces tâches permettent et sur la place de la lecture et de l’écrire dans ces situations.

Des tâches scolaires

12Issu de la loi d’orientation et de programmation de juillet 2013, « Folios » est un outil numérique au service des parcours éducatifs des élèves diffusé à tous les niveaux de l’éducation scolaire (<folios.onisep.fr>). Ces parcours visent trois objectifs : promouvoir l’agir social des élèves ; favoriser l’apprentissage au-delà des disciplines ; soutenir des formes d’évaluation qualitative et bienveillante. « Folios » concerne notamment le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel. Une étude quantitative (voir le rapport de Loisy, Malassingne, Fontanieu et Pérotin, 2014) a permis de relever comment s’organisaient les tâches scolaires lors de l’expérimentation « Folios ». Les élèves qui produisent font essentiellement des fiches (fiches compétences, fiches liées à un événement culturel, fiches métier) : cumulées, les réalisations de fiches représentent près de 50 % des réponses relatives aux productions. Ces tâches, congruentes avec le fait que près de 80 % des répondants ont mentionné que l’expérimentation n’a pas eu d’effet sur leurs pratiques pédagogiques, interrogent du point de vue de l’approche par compétences et de la construction, par l’élève, de son projet. Les activités plus complexes sont présentes dans 36 % des réponses (préparation d’activités à mener à l’extérieur, organisation de rencontres, etc.). Les enseignants qui mettent en place ce type d’activités répondent, dans les questions ouvertes, que l’intérêt de « Folios » est qu’il permet de lancer les élèves dans des réalisations et de mettre en place de nouveaux modes de suivi et d’évaluation. L’outil numérique semble donc offrir des possibilités de tâches moins traditionnelles, mais tous les enseignants ne savent pas nécessairement les exploiter.

13Les données issues du projet « INO [2] » (Identité numérique (portfolio) et orientation) permettent d’approcher de manière plus qualitative les tâches que les élèves peuvent réaliser pendant leur projet d’orientation. Ces données ont été recueillies auprès des acteurs du projet travaillant en étroite collaboration avec les chercheurs : quatre enseignants de langues, une enseignante de lettres modernes, un enseignant de technologie, une conseillère d’orientation-psychologue. L’objectif était d’élaborer, dans l’esprit de l’approche éducative en orientation (Pelletier et Dumora, 1984), des scénarios et des tâches à mettre en œuvre dans les enseignements disciplinaires. Les élèves travaillaient sur des blogs qu’ils se créaient pour le projet, une certaine individualisation des apprentissages fut ainsi permise (Loisy, 2012). Une professeure d’anglais en classe de seconde a organisé les tâches scolaires de ses élèves à partir du scénario « I ACT, I fly ». Ses élèves ont réalisé en cours d’anglais un travail d’investigation (I) sur leur identité en utilisant une application numérique ; un travail d’analyse (A) sur leur profil personnel les a amenés à rédiger un contenu en anglais qu’ils ont ensuite déposé sur leur blog personnel ; un travail sur le changement (C) avec une projection sur au moins deux profils virtuels et dont la production a été, pour chaque élève, un diaporama en anglais montré à toute la classe ; la finalisation du profil commencé au début du projet sous la forme d’un CV en ligne embryonnaire en anglais engageant le transfert (T) vers un envol (I fly). Ces élèves ont été impliqués dans diverses formes d’évaluation formative tout au long du projet. Une professeure de lettres classiques en classe de seconde a travaillé pendant son cours sur les portraits en littérature pour conduire chaque élève à intégrer dans son blog des productions réalisées en classe autour de trois questions : qui je suis ; ce que j’aimerais devenir ; ce que je sais faire. Plus tard, pour déployer le projet « INO » en accompagnement personnalisé, elle a intégré ces activités dans un projet culturel impliquant un professeur d’arts plastiques et un photographe autour d’un jeu articulant projet d’orientation et réflexion sur l’identité numérique. Dans chaque scénario, ses élèves ont été engagés dans un processus réflexif sur les procédures mises en place et les apprentissages réalisés.

Pour des apprentissages relatifs à la recherche documentaire

14Dans le cadre de l’élaboration de leur projet d’orientation, les élèves ont généralement recours aux ressources développées par l’Onisep. Les ressources sont spécifiquement structurées pour l’activité de recherche documentaire sur les métiers et les formations. L’application « Folios » suggère le plus souvent que les élèves commencent par répondre à des quizz ou des questionnaires, tâches qui s’avèrent les plus fréquentes dans les réponses des enseignants concernant les activités menées avec les élèves dans le cadre de l’expérimentation du dispositif (voir supra, Loisy et al., 2014). Grâce à cette activité, ils disposent d’informations qui peuvent orienter leur préférence. Ils peuvent ensuite, de manière automatique, consulter les informations disponibles sur les métiers connexes à celui qui a attiré leur attention. Les représentations sur l’environnement socioprofessionnel peuvent être construites avec l’étayage des contenus qui semblent solides. La recherche documentaire semble assez simple sur le plan technique comme dans sa dimension langagière, car cet environnement comporte uniquement des informations nécessaires à l’accomplissement de la tâche ; l’activité principale est le traitement de ces informations. L’activité est également simplifiée par le fait que la construction du but de la tâche semble embarquée dans la situation et l’artefact.

15D’autres situations et tâches de recherche documentaire peuvent également être proposées aux élèves. Ainsi, dans le projet « INO », certains enseignants ont choisi d’inciter leurs élèves à faire des recherches documentaires sur le Web. La recherche documentaire dans un environnement ouvert implique de l’élève qu’il obtienne les informations dont il a besoin parmi d’autres qui ne sont pas pertinentes. En plus du traitement des informations récoltées, l’élève doit alors trouver, évaluer et sélectionner des informations. L’activité est plus complexe du point de vue cognitif, notamment dans sa dimension langagière, et parce qu’elle mobilise fortement les processus de planification, de contrôle, et de régulation. De plus, la construction du but relève davantage de l’élève qui a une certaine autonomie dans la conception de la situation et dans la décision relative à la tâche. Ce coût cognitif peut être contrebalancé par une souplesse plus grande quant à la reconstruction du but au fil de l’activité, un élément critique dans l’élaboration d’un projet d’orientation.

16L’intérêt des tâches réalisées par les élèves, du point de vue de la recherche documentaire, est qu’ils ont été encouragés à s’impliquer dans des situations. Il est donc possible d’affirmer que dans « INO » comme dans « Folios », le caractère situé des compétences de recherche documentaire est exploité. S’il y a bien un exercice de l’activité, en revanche, aucune trace ne permet de dire si un retour sur l’activité de recherche documentaire pour l’analyser et en tirer des enseignements a eu lieu dans le but de soutenir le développement de ces compétences chez les élèves. Il n’est d’ailleurs pas certain que les enseignants, sur l’aspect recherche documentaire, aient su que faire pour soutenir le développement de ces compétences qui dépassent leur discipline d’enseignement. D’autres acteurs des équipes éducatives pourraient être impliqués dans ce travail réflexif.

Et des apprentissages relatifs à la lecture et à l’écriture

17La construction de son projet d’orientation par l’élève nécessite de s’informer – et donc non seulement de savoir trouver des ressources, mais également de les lire. L’activité offre ainsi l’avantage de mobiliser une pratique de lecture qui ne peut que contribuer à consolider les automatismes nécessaires à une lecture fluide dont on sait qu’ils ne sont pas encore acquis par tous les élèves de l’enseignement secondaire. L’activité conduit aussi à engager un processus d’analyse de l’information écrite qui peut s’avérer complexe, notamment lorsque les informations sont recherchées sur des sites non dédiés à des jeunes.

18Pour construire leur projet d’orientation, les élèves sont conduits à réaliser des productions écrites pour garder des traces de la construction de leur projet. Lorsque les élèves produisent des réponses à des questionnaires, les formes d’écriture sont simples et à visée communicative réduite. La préparation d’un diaporama à présenter devant la classe nécessite en revanche de transformer les informations recueillies en une trace linguistique qui respecte une visée communicative. Des processus de planification, formulation, révision, exécution sont impliqués. Plusieurs domaines de connaissances sont mis en jeu, et les processus de traitement de l’information sont largement impliqués. La tâche, en offrant l’occasion de mettre au travail cet ensemble de processus et de traitements, peut soutenir leur automatisation et contribuer ainsi au développement de l’expertise rédactionnelle. L’écriture dans le blog repose sur des processus similaires, mais elle engage en plus une réflexion sur la permanence de la trace écrite et sur son aspect public, la dimension communication s’ajoutant à la dimension auto-publication.

19Dans « Folios » comme dans « INO », ces tâches rédactionnelles sont parfois à réaliser de manière collective, par groupes d’élèves. Depuis les travaux de Johnson et Johnson (1989), il est connu que la coopération entre pairs conduit non seulement à une plus grande génération d’idées, mais également à l’utilisation de stratégies de raisonnement de plus haut niveau dans les processus d’écriture. En effet, lorsque des échanges s’engagent sur les raisonnements mêmes des pairs, l’interlocution conduit chacun à une réflexion sur ses propres processus. Ainsi, même si les processus réflexifs sur les stratégies d’écriture ne sont pas explicitement au travail, cette modalité pédagogique pourrait contribuer à soutenir la réflexivité des élèves sur leurs processus d’écriture. Ces situations peuvent contribuer à relever le défi d’enjeux éducatifs, non seulement liés au numérique, mais plus largement par la lecture et l’écriture qui s’y développent dans des situations authentiques.

Vers de nouvelles perspectives

20Parce que les programmes scolaires impliquent, à partir de la deuxième année de l’enseignement secondaire, que l’on s’intéresse aux parcours d’apprentissage des élèves et que des situations soient mises en place pour favoriser l’élaboration du projet d’orientation par nature personnel, les enseignants se tournent vers des outils numériques facilitant l’organisation de ces situations nouvelles. Ces usages pourraient préfigurer l’utilisation de dispositifs numériques personnels qui se déploient dans les écoles dans le nouveau millénaire (Male et Burden, 2013). Dans le contexte expérimental du projet « INO », les activités pédagogiques visant l’élaboration du projet d’orientation par l’élève laissent, tout du moins à partir du lycée, de l’autonomie, des prises d’initiative et un relativement faible contrôle. Utilisé ainsi, le numérique pourrait contribuer à modifier les représentations des élèves sur le caractère peu émancipateur des utilisations scolaires et alors, par une meilleure congruence entre les usages privés et l’utilisation scolaire, favoriser les apprentissages scolaires.

21Cependant, ces activités dont il semble que l’intérêt dépasse le strict cadre de la classe, qui soutiennent des interactions sociales entre élèves et à l’extérieur de l’école, qui donnent l’occasion d’une production authentique, ne sont pas toujours bien perçues par les élèves. Les élèves en très grande difficulté manifestent des appréhensions, voire des refus, qui peuvent être expliqués par le fait que l’utilisation d’outils numériques donne à voir leurs productions, accentuant ainsi les phénomènes de visibilité et de comparaison sociales dont on sait qu’ils ne profitent pas à ces élèves (e.g., Monteil, 1993) et qui peuvent dans ce cas précis révéler une absence de projet d’orientation ou un projet incompatible avec les performances scolaires. Plus étonnamment, il s’avère que certains élèves qui réussissent très bien sur le plan scolaire évaluent moins positivement le projet : ils expriment notamment la crainte que du temps ne soit perdu, que le programme scolaire ne soit pas terminé à la fin de l’année, qu’ils ne se sentent désorientés l’année suivante si leur nouvel enseignant adopte des méthodes traditionnelles (Loisy, 2012). Diverses pistes d’interprétation peuvent être évoquées : un refus des méthodes (l’enseignement traditionnel profitant mieux aux bons élèves) et des désaccords sur les contenus. Concernant ces derniers, la construction d’un projet d’orientation pose moins de difficultés à des élèves qui réussissent dans l’enseignement secondaire, et la maîtrise des outils numériques est généralement plus élevée chez ces élèves, deux éléments qui peuvent expliquer une motivation amoindrie des élèves qui réussissent à l’école pour les activités numériques visant l’orientation.

Notes

  • [1]
    L’Onisep est un établissement public dépendant du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui propose des services et qui produit et diffuse des informations sur les formations et sur les métiers.
  • [2]
    « INO » fut un projet de recherche collaborative impliquant des équipes éducatives et des chercheurs, qui s’est déroulé de 2009 à 2014, à l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) puis à l’Institut français de l’éducation (IFE). En raison de l’utilisation de portfolio numérique, il articulait la question de l’orientation avec celle de l’identité numérique, c’est-à-dire avec une prise de conscience du fait que les systèmes d’information donnent à voir des représentations des personnes (George, 2009), représentations s’appuyant sur l’indexation de données issues des contributions et traces qui sont laissées sur le Web soit explicitement par la personne elle-même, soit par son activité, soit par d’autres personnes.
Français

Accompagner le projet d’orientation de l’élève et développer sa culture numérique sont des enjeux pour l’éducation dans le cadre des nouvelles politiques éducatives. Quelles expériences utilisant le numérique pour soutenir le projet d’orientation de l’élève sont tentées en France ? Comment s’y organisent les tâches scolaires ? Quels effets escompter en termes d’apprentissages relatifs à la recherche d’information ? Quels intérêts du point de vue de la lecture et de l’écriture ?

Mots-clés

  • orientation
  • numérique
  • curriculum
  • apprentissages

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Catherine Loisy
Catherine Loisy est maître de conférences en psychologie dans le laboratoire S2HEP, EA 4148. Elle est actuellement détachée à l’École normale supérieure de Lyon dans l’équipe EducTice de l’Institut français de l’éducation (IFÉ). Son domaine de recherche est la psychologie du développement. Elle étudie la manière dont les interactions « dispositifs numériques/acteurs de l’éducation » peuvent à la fois contribuer au développement des acteurs et soutenir la conception de dispositifs de formation.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/09/2017
https://doi.org/10.3917/herm.078.0121
Pour citer cet article
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