CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1D’Erevan à Paris, en maternelle comme dans le supérieur, des écoles tentent d’innover en mêlant numérique et pédagogie nouvelle. Au programme, l’apprentissage du code informatique, bien sûr, et un environnement qui accorde une large place au digital, mais aussi l’apprentissage entre pairs, en autonomie, et une requalification du professeur désormais « facilitateur de savoirs ». Petit tour d’horizon mondial de cette nouvelle génération d’écoles.

Tumo Center, incubateur de curiosité numérique en Arménie

2Donner le goût du numérique, même à ceux qui sont le moins exposés aux nouvelles technologies ? C’est la mission que s’est fixée Tumo Center à Erevan, en Arménie. Cette « école après l’école » gratuite fondée par Sam Simonian – un milliardaire libanais d’origine arménienne qui a fait fortune aux États-Unis dans les télécommunications – veut donner aux jeunes de toutes classes sociales l’opportunité de découvrir les outils numériques : ateliers de montage numérique, de musique assistée par ordinateur, de robotique, de coding, de montage photo numérique, de graphisme, etc. L’idée des Tumo Centers : « Offrir une opportunité, un espace de liberté pour choisir », explique Marie-Lou Papazian, directrice du réseau des Tumo Centers. « Certains enfants en Arménie ne savent même pas qu’ils aiment ces nouvelles technologies, car ils n’ont jamais eu l’occasion d’y toucher. » Et les « workshop leaders » – on ne parle pas de professeur à Tumo – sont là pour faire découvrir de nouveaux horizons : DJ, photographes culinaires, réalisateurs de films animés, compositeurs de musique, chefs d’entreprise, stylistes, entre autres, sont venus à Tumo partager leur savoir-faire et faire découvrir leur métier. Le centre fait des émules : quatre ans après l’ouverture du premier Tumo center, deux autres ont vu le jour. 10 000 enfants ont ainsi fréquenté les bancs des Tumo Centers. Les centres incubent déjà trois start-up, créées par des jeunes de 16 à 18 ans, dans l’animation, l’édition de jeu et les relations publiques.

La AltSchool pour les digital natives

3Dans le berceau de la Silicon Valley, à Palo Alto, la AltSchool veut offrir aux enfants de 4 à 14 ans les moyens de se préparer à une société où il faudra être capable de brasser une information toujours plus abondante. L’équipe éducative y propose un programme adapté à chaque élève, établissant des passerelles concrètes entre les matières. Les élèves sont répartis en micro-écoles, où les professeurs « co-apprennent » avec eux. Les nouvelles technologies sont les outils de cette pédagogie sur mesure, permettant un lien entre parents et professeurs, et un suivi pas à pas des progrès des enfants. Des applications spécifiques ont ainsi été développées par des anciens cadres d’Apple, Google, Uber ou encore l’éditeur de jeux en ligne Zynga. Les Altschools se multiplient : on en compte désormais à New York et San Francisco. Altschool bâtit également un réseau d’écoles partenaires qui peuvent se saisir de ses outils numériques et les adapter à leur pédagogie.

L’outil numérique au cœur des Steve Jobs Schools

4Ces écoles primaires, ouvertes depuis 2013 aux Pays-Bas puis en Afrique du Sud, font la part belle aux nouvelles technologies. La tablette numérique remplace ainsi le cartable. La digitalisation des cours permettrait aux professeurs d’accorder à chaque élève plus de temps d’échange. Les programmes sont individualisés : des plans d’étude sont élaborés en fonction des besoins de l’élève. Les horaires de classes sont également flexibles. Les élèves sont répartis en groupes de 25 enfants n’ayant pas plus de quatre ans d’écart. Chaque matin, après un moment d’échange avec le groupe, chacun détermine l’organisation de sa journée, entre ateliers et activités, travail en groupe ou individuel, aux côtés d’un coach expert spécialiste dans une matière spécifique.

42, l’école de la disruption

5Lancée en 2013 par un trublion de l’Internet, Xavier Niel, fondateur de Free et d’Iliad, l’école 42 ne pouvait pas être une énième école d’ingénieurs en informatique parisienne. Ouvert à tous, avec ou sans le bac, l’établissement où le millier d’étudiants de 18 à 30 ans qu’elle forme pendant trois ans n’a ni cours ni professeurs, mais des challenges à relever, a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pour autant, ce n’est pas demain, semble-t-il, que 42 délivrera un diplôme reconnu par l’État. Peu importe, affirme Olivier Crouzet, directeur pédagogique de l’école, l’attente des entreprises et surtout des start-up est là. « Beaucoup ne trouvent pas les profils d’ingénieurs qu’elles cherchent », assure-t-il, confiant. « Elles savent qu’elles ont besoin de gens qui ont l’esprit en vadrouille, qui apportent un regard nouveau pour créer les prochaines évolutions technologiques. » L’école 42 est née sur les manquements du système éducatif français, trop formateur, trop peu stimulant, selon Olivier Crouzet. « Ce système a été créé il y a 150 ans pour accompagner la révolution industrielle. Il a rempli sa mission. La France est la cinquième puissance économique. Mais maintenant, avec le numérique, tout va changer. » Ainsi, l’équipe pédagogique de 42 « estime que les notes du bac n’ont aucun sens », et la sélection se fait par l’épreuve (quasi initiatique) de la piscine : une immersion, nuit et jour, à l’école pendant 1 mois dans la résolution de problèmes informatiques. Si vous en sortez indemne, vous êtes accepté. Le cursus est donc jalonné de challenges où il est autorisé de ne pas écarter tout de suite les idées les plus farfelues. Le « peer-learning », ou apprentissage entre étudiants, est vivement conseillé. Les évaluations se font aussi entre pairs (au nom du « peer-correcting »). Le programme a fini par éveiller l’intérêt d’institutions plus installées (comme HEC, ou l’Institut français de la mode et Sup de pub) qui ont établi des contacts avec 42 ou même envoyé des étudiants pour des sessions de code informatique. Ces futurs disruptifs, formés comme tels, trouveront-ils leur place dans les hiérarchies des entreprises traditionnelles ? Et Olivier Crouzet de reconnaître : « Ils pourront intégrer les start-up internes des grands groupes qui ont leur propre politique de recrutement car on ne peut pas changer la mentalité de leurs salariés d’un coup. »

Ariane Puccini
Ariane Puccini est journaliste-rédactrice et co-fondatrice du collectif Youpress. Aux côtés de ses collègues photographes, elle réalise des reportages sur des enjeux sociétaux (éducation, santé, genre, etc.) en France et à l’étranger, pour la presse généraliste et spécialisée francophone.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/09/2017
https://doi.org/10.3917/herm.078.0118
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