1Hermès : Comment fonctionne le service de la communication de la Commission en France ?
2Gaëtane Ricard-Nihoul : Il s’agit plus précisément de la Représentation en France de la Commission européenne. Nous dépendons en effet de la direction générale de la Communication, qui est sous la tutelle du président de la Commission. Mais, en réalité, c’est une institution hybride entre une ambassade et un service de communication. Elle est constituée de trois grands secteurs : un secteur politique (fonction ambassade), un service média, un service communication (relais société civile, réseaux, grand public). Cette distinction est évidemment un peu artificielle – nous sommes une petite équipe et tous les yeux, les oreilles et le porte-parole de la Commission en France.
3À l’origine, la Représentation était essentiellement un bureau d’information. La fonction d’intelligence politique est montée en puissance avec le temps, nous rapprochant d’une Ambassade.
4Hermès : Comment analysez-vous les raisons de la mauvaise image des institutions européennes auprès du public ? Les sondages Eurobaromètres montrent par exemple un score élevé (de l’ordre de 67 %) de citoyens européens qui pensent que leur voix ne compte pas en Europe.
5G. R.-N. : Il faut sans doute commencer par apporter deux nuances à ce propos. Tout d’abord, les Eurobaromètres existant depuis les années 1970, on peut retracer le début de l’éloignement citoyen vers le début des années 1990, autour de la ratification du traité de Maastricht. Les analystes ont identifié cette période charnière comme « la fin du consensus permissif ». C’est l’époque où l’Union européenne (UE) commence à avoir de l’impact sur plus de domaines de la vie des citoyens. Il n’est donc pas surprenant que les gens aient commencé à avoir davantage de questionnements et un regard critique plus fort. C’est d’ailleurs aussi le moment de la démocratisation du système européen, avec, entre autres, une montée en puissance du rôle du Parlement européen. On a en quelque sorte basculé d’une Europe forgée par les diplomates vers une Europe forgée aussi par les citoyens, et donc plus soumise à la vigilance de ceux-ci.
6Autre nuance : si on regarde d’autres indicateurs des Eurobaromètres, comme celui de l’image que l’on se fait de l’Europe ou de la confiance dans les institutions (différents, donc, du sentiment que sa voix compte ou pas en Europe), on constate une baisse de ces indicateurs mais celle-ci touche aussi bien les institutions nationales que les européennes. Et l’Europe est plus fragile sur ce point, car elle est plus éloignée. Il existe donc un phénomène de désaffection plus général face aux représentants politiques, les partis politiques étant d’ailleurs les institutions dans lesquelles les citoyens ont le moins confiance.
7La question de savoir si « ma voix compte » est sans doute une des plus pertinentes, car il est vrai que les gens ont beaucoup moins intégré leur pouvoir de citoyens européens que leur pouvoir de citoyens nationaux. C’est beaucoup plus flou, les gens connaissent peu les institutions européennes. Il y a donc en effet un problème spécifiquement européen, on ne peut pas le nier. Le système institutionnel européen est complexe, particulièrement pour un pays comme la France dont le modèle politique est loin du modèle fédéral. Pour un Allemand ou un Belge, c’est plus facile. Le compromis fait davantage partie de leur culture politique.
8Hermès : De quels moyens disposons-nous pour connaître l’impact ou l’effet de la communication de la Commission ?
9G. R.-N. : Nous avons les enquêtes nationales ou européennes, les systèmes d’évaluation de nos actions. En France, nous avons réalisé une analyse poussée de la communication interinstitutionnelle sur l’Europe, dans le cadre du partenariat stratégique que nous avons avec les autorités françaises (collectivités locales et représentants des autorités nationales qui communiquent sur l’Europe). Les résultats ont montré que les effets étaient faibles. C’est bien sûr lié d’abord aux moyens mobilisés, qui sont faibles aussi bien au niveau national qu’européen. Un autre problème qui a été identifié est l’existence d’un trop grand nombre d’émetteurs et la différence de temporalités politiques entre l’Europe et le niveau national. Mais le problème de fond est bien sûr le récit – autrement dit la manière de parler de l’Europe aujourd’hui. Pour que la communication soit efficace, il faut qu’elle soit située entre la vie quotidienne des gens et le pourquoi de l’Europe. Il faut que ce soit à l’intérieur d’un récit porteur d’un sens. Nous avons donc engagé de nouveaux axes de communication en tenant compte de cette analyse, et avons développé une stratégie pluriannuelle jusqu’aux élections européennes de 2019.
10Hermès : Quels sont les sujets mis en avant actuellement par la Commission en matière de la communication ? Quelle est la stratégie de communication actuelle ?
11G. R.-N. : La communication se situe à deux niveaux : celui défini par Bruxelles et celui défini par chaque représentation qui va adapter les objectifs européens au contexte national. Ces deux niveaux sont coordonnés avec le cadre global de la Commission – les grandes actions et les dix priorités de la Commission Juncker, autour desquelles il a réorganisé tout le travail de la Commission, qu’il a souhaité globalement plus politique.
12Au niveau national, nous avons défini deux grands axes dans notre stratégie annuelle : nous travaillons autour des dix grandes priorités en sensibilisant les parties prenantes aux politiques européennes prioritaires (par exemple les acteurs du numérique sur la construction d’un grand marché digital européen), mais nous continuons aussi à être présents auprès du grand public, directement ou à travers nos centres d’information Europe direct. Le niveau d’information sur l’Union européenne étant très faible, sans cette pédagogie de base sur l’UE, la communication politique « tombe dans le vide ».
13Hermès : Existe-t-il selon vous un espace public européen ? Si ce n’est pas le cas, cela vous semble-t-il envisageable ?
14G. R.-N : Oui et non. À certains moments et sur certains sujets, il émerge. On dépasse le cadre national et les réseaux sociaux aident. Il existe des acteurs européens, transnationaux, au niveau des partis, des organisations non gouvernementales, des lobbys, des réseaux citoyens aussi, par exemple à travers l’initiative citoyenne, et il faut continuer à encourager leur développement. Mais l’espace public reste avant tout lié à l’univers médiatique, culturel et linguistique national. Je pense donc que l’avenir se fera simultanément en européanisant les espaces publics nationaux. Il n’y a pas de solution qui soit meilleure qu’une autre. Par exemple, si la chaîne Euronews a été une bonne initiative, il faut aussi européaniser les médias nationaux qui parlent à leur public familier. Les espaces nationaux ne disparaîtront pas. La diversité culturelle est la richesse de l’Europe. Cela n’empêche pas de travailler sans relâche à créer des ponts entre eux – les partenariats entre les journaux par exemple. En revanche, on peut se poser la question de savoir si l’européanisation progresse ou régresse actuellement… Je crains la régression car c’est un indicateur important de l’état de nos sociétés : celui de l’ouverture à l’Autre.
15Hermès : Tout le monde parle du déficit démocratique de l’UE. Qu’en pensez-vous en matière de communication ? Comment améliorer l’adhésion des citoyens au projet européen ?
16G. R.-N : Je ne parle pas de déficit démocratique de l’UE. Pour moi, l’Europe est démocratique. Ce qu’on peut observer, c’est peut-être d’une part le déficit de la pratique démocratique européenne et d’autre part un déficit ressenti par les citoyens, qui ne voient pas comment ils peuvent peser sur les décisions européennes. En réalité, ce que l’on a, ce sont plutôt deux systèmes démocratiques – national et européen – qui fonctionnent bon an mal an (car les démocraties nationales ne sont pas non plus en excellente santé) mais qui se parlent peu. Très peu d’acteurs font le relais entre ces deux niveaux. Les institutions européennes se sentent souvent seules. Tant qu’il n’y aura pas plus d’acteurs politiques nationaux ou locaux véritablement impliqués dans la défense du projet politique européen, on n’y arrivera pas.
17Hermès : Quelle définition donnez-vous de la communication moderne ?
18G. R.-N : Les gens évoluent de plus en plus dans des bulles d’information, phénomène amplifié par les réseaux sociaux. Même si la télévision reste le premier lieu d’information et qu’il ne faut pas sous-estimer son impact (nous aimerions d’ailleurs voir plus de politiques européens sur les grandes chaînes). Sortir les gens de leurs bulles de communication est difficile, et c’est particulièrement vrai pour les questions européennes qui ont du mal à dépasser le cercle des convaincus. Moins connues du grand public, elles sont aussi une matière plus fragile à l’ère du « post-factuel ». On travaille donc en permanence pour tenter de se rapprocher d’autres citoyens que les initiés. Nous avons développé par exemple une méthodologie autour de nos dialogues citoyens : nous essayons, à travers un ancrage local et des évènements dans l’espace public, que l’Europe vienne vers les gens plutôt que d’attendre qu’ils viennent à elle. Les stratégies d’influence par les réseaux sociaux sont aussi très importantes de nos jours et nous l’intégrons dans toutes nos actions.