1Si la diffusion des langues est un indice de l’influence de leur(s) pays d’origine dans différents domaines – politique, économique, etc. –, les traductions sont pour leur part des vecteurs et des témoignages d’influence culturelle (Casanova, 1999). De ce point de vue, il est intéressant de regarder quels sont les auteurs les plus diffusés, langue par langue, par le biais de ces « belles infidèles » dont Umberto Eco a dit un jour qu’elles seraient la langue de l’Europe. Voici donc, pour les six principales langues romanes, l’état des lieux, avec l’indication des auteurs les plus traduits et du nombre de traductions, établi à partir des données de l’Index translationum de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
Traductions du français

Traductions du français
Traductions de l’italien

Traductions de l’italien
Traductions de l’espagnol

Traductions de l’espagnol
Traductions du catalan

Traductions du catalan
Traductions du portugais

Traductions du portugais
Traductions du roumain

Traductions du roumain
2On voit que le français est largement en tête pour le nombre de traductions, le dixième auteur francophone (Uderzo) étant plus traduit que les dix catalanophones ou roumanophones, et que neuf des dix italianophones, hispanophones ou lusophones. En revanche neuf des dix francophones et italianophones sont morts, ainsi que huit pour les roumanophones, sept pour les lusophones et les hispanophones et un seulement pour les catalanophones.
3On voit en outre que les dix premiers auteurs traduits du français s’étalent sur quatre siècles (de Perrault à Uderzo), que ceux traduits de l’italien s’étalent sur sept siècles (de Dante Alighieri à Umberto Eco), sur près de cinq siècles pour les auteurs hispanophones (de Cervantes à Vargas Llosa ou Montalbán), alors que l’écart de temps est plus réduit pour le roumain, le portugais ou le catalan. Il y aurait donc des littératures plus « jeunes » que d’autres. Mais il n’y a pas de corrélations entre l’âge d’une œuvre et le nombre de ses traductions : Jules Verne est trois fois plus traduit qu’Honoré de Balzac, Umberto Eco deux fois plus que Machiavel, Gabriel García Márquez deux fois plus que Miguel de Cervantes.
Des langues romanes qui traduisent et qui sont traduites
4Comment se comportent ces six langues romanes par rapport aux autres langues du monde ? Le tableau ci-dessous présente, toujours selon l’Index translationum, les vingt premières langues sources de traductions, le nombre d’écrivains en ces langues ayant obtenu le prix Nobel de littérature, et les vingt premières langues cibles de traduction.

5Cinq des six langues romanes que nous avons prises en compte (français, italien, espagnol, portugais et catalan, dans cet ordre) sont présentes dans le classement des langues sources, le roumain pointant à la vingt-deuxième place, et quatre (français, espagnol, portugais, italien) sont présentes dans le classement des langues cibles. Il est donc possible de mesurer l’équilibre ou le déséquilibre entre ces flux. On traduit par exemple plus de l’anglais que vers l’anglais, de l’italien que vers l’italien, du russe que vers le russe, et moins de l’allemand que vers l’allemand ou de l’espagnol que vers l’espagnol, du portugais que vers le portugais, etc.
6On voit en outre qu’il y a une certaine corrélation entre la reconnaissance internationale que constitue le prix Nobel de littérature [1] et les flux de traductions à partir de ces langues. Ces traductions témoignent donc d’une part de la visibilité littéraire des langues, en quelque sorte de leur place dans les vitrines culturelles, et d’autre part de l’ouverture des pays dans lesquels on parle ces langues aux textes venus d’ailleurs.
7Il est d’ailleurs possible d’élargir ces comparaisons et ces croisements, en particulier pour ce qui concerne le type des œuvres présentes dans ces listes : romans, poésie, sciences, politique, religion, bandes dessinées ou littérature enfantine, etc. Mais le lecteur intéressé pourra poursuivre lui-même cette exploration en se plongeant dans l’Index translationum : il s’agit d’une base de données contenant « une information bibliographique cumulative sur les livres traduits et publiés entre 1979 et 2009 dans une centaine d’États membres de l’Unesco, soit plus de 2000 000 de notices dans toutes les disciplines : littérature, sciences sociales et humaines, sciences exactes et naturelles, art, histoire, etc. » Il y a là, on le voit, matière à bien d’autres recherches possibles.
Note
-
[1]
Même s’il constitue une vision européenne de la littérature mondiale : le japonais, le chinois mandarin ou l’arabe ont recueilli moins de prix que le suédois ou le norvégien…