CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Si tout le monde s’accorde sur le fait qu’une langue romane est une langue issue du latin, le consensus s’arrête dès qu’on se demande combien elles sont et quelle en est la liste. Selon Christiane Marchello (2011), il en existerait de huit à quinze. Elle consacre un article détaillé à dix d’entre elles : le portugais, l’espagnol, le catalan, l’occitan, le français, l’italien, le sarde, le romanche, le roumain et le corse. SIL International, sur son site Ethnologue, en liste quarante-cinq [1] dont un certain nombre n’ont plus de locuteurs vivants comme le shuadit [sdt] [2] ou le zarphatique [zrp].

2Jacques Leclerc (2016) pour sa part en dénombre plus de soixante [3], mais de nombreuses sont qualifiées de dialectes. Par exemple, le romanche parlé dans le canton des Grisons se subdivise en sursilvan, vallader, surmiran, sutsilvan et putèr que Jacques Leclerc présente comme des variantes du romanche [4] alors qu’Ethnologue les cite dans un paragraphe « dialectes » dans lequel est cependant indiqué que ce sont des langues différentes (« separate languages ») du romanche, du ladin et du frioulan [5].

3Pour l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), qui propose un site sur la vitalité des langues et y répertorie celles qui sont aujourd’hui en danger [6] (il en existerait environ quarante), la liste est encore différente. On y trouve des langues citées ailleurs comme le napolitain-calabrais (que l’Unesco nomme l’italien du sud) parlé par plus de sept millions de locuteurs et aussi des langues plus ésotériques telles le gardiol dérivé du provençal alpin et parlé en Calabre par 340 personnes.

4L’Union latine, un organisme intergouvernemental, ne prend en compte que les langues officielles – catalan, espagnol, français, italien, portugais et roumain –, auxquelles s’ajoute le latin, langue officielle de l’État du Vatican, que nous ne prendrons pas en compte ici. Nous verrons plus loin que cette position, plus modeste et pragmatique a un sens et que le statut des langues, que ce soit au niveau national ou régional comme le catalan, n’est pas sans lien (nous dirons qu’il est corrélé) avec leur « poids ». Une discussion de toutes les langues romanes dépasserait le cadre de cet article : nous nous intéresserons surtout aux plus « importantes » – en fait les langues retenues par l’Union latine [7].

5Quel que soit le nombre de langues, dialectes, variantes, etc., le nombre d’individus dont la langue maternelle est issue du latin est élevé, plus de 760 millions selon Ethnologue. Il faut préciser que ce nombre ne concerne que les locuteurs en langue première (ou langue maternelle), cette remarque s’appliquant à l’ensemble de cet article. Ce nombre peut être comparé à celui des locuteurs de deux autres groupes importants : les langues chinoises (plus d’un milliard de locuteurs [8][9]) et le groupe indo-iranien regroupant les langues parlées depuis l’espace kurde jusque dans la partie centrale de l’Inde (près de 700 millions de locuteurs [10]). Il peut être aussi comparé au groupe germanique qui comprend entre autres langues l’anglais et l’allemand et qui regroupe un peu plus de 450 millions de locuteurs [11]. Bien qu’elles soient approximatives, ces données nous montrent que le groupe des langues romanes est l’un des tout premiers à l’échelle mondiale, au moins en ce qui concerne le nombre de leurs locuteurs.

Bref rappel au sujet du baromètre Calvet des langues du monde

6Mais le nombre de locuteurs n’est qu’un des éléments qui détermine l’importance, le « poids » d’une langue. C’est pourquoi nous avons, en 2012, créé et mis en ligne [12] un « baromètre Calvet » des langues du monde permettant de classer celles-ci les unes par rapport aux autres. Le classement se fonde sur onze facteurs qui tous participent à l’importance que l’on peut attribuer à une langue donnée. Ils peuvent être de nature démographique (nombre de locuteurs, entropie, taux de fécondité), politique (statut officiel de la langue), culturelle (traductions, prix littéraires), économique (indice de développement humain) ou technologique (Internet, Wikipedia). La définition exacte de ces facteurs ainsi que les méthodes utilisées pour les calculer sont décrites en détail sur le site. Nous recommandons au lecteur intéressé de s’y reporter pour une bonne compréhension de la signification des facteurs et du fonctionnement de l’outil [13][14][15]. Il faut noter que nous n’utilisons pas les valeurs brutes des facteurs mais des valeurs « normées » obtenues en affectant les valeurs 0 et 1 aux minima et maxima observés puis en procédant à une interpolation linéaire pour les valeurs intermédiaires. Une valeur normée est donc comprise entre 0 et 1. Par défaut, nous accordons la même importance, le même poids, à chacun des facteurs, mais pour répondre à une question ou un problème précis, l’utilisateur peut choisir de modifier leurs importances relatives grâce à des curseurs permettant de fixer des coefficients multiplicateurs entre 0 et 1. L’utilisateur affecte ainsi à chaque facteur l’importance qui lui semble raisonnable entre non-prise en compte (en fixant le curseur à 0) et prise en compte maximale (en fixant le curseur à 1). Pour chacune des langues étudiées le score maximum théorique et donc de 11 (tous les facteurs et tous les coefficients égaux à 1) et le score minimum de 0.

7Tous les facteurs étant considérés comme également importants (c’est-à-dire tous les coefficients étant fixés à 1), le classement débute comme indiqué dans le tableau 1. Et nous voyons que si l’anglais domine largement, ce qui ne constitue pas une surprise, les six langues officielles prises en compte par l’Union latine figurent dans les vingt premières langues du classement. Y figurent également cinq langues germaniques, trois langues slaves, deux langues ougriennes, plus le japonais, le mandarin et le turc. Très large domination donc des langues « d’origine » européenne, dont certaines (anglais, espagnol, français ou portugais) ont connu à partir du xvie siècle une expansion mondiale.

Tableau 1

Les 20 premières langues du monde selon le baromètre Calvet

Tableau 1
Rang Langue Score Rang Langue Score 1 Anglais 9,062 11 Suédois 5,543 2 Espagnol 7,806 12 Turc 5,321 3 Français 7,733 13 Norvégien 5,232 4 Allemand 6,987 14 Polonais 5,200 5 Russe 6,335 15 Danois 5,104 6 Japonais 6,187 16 Finnois 5,103 7 Néerlandais 6,138 17 Hongrois 5,103 8 Italien 6,131 18 Roumain 5,050 9 Portugais 5,970 19 Catalan 5,047 10 Mandarin 5,964 20 Tchèque 5,020

Les 20 premières langues du monde selon le baromètre Calvet

8Pour revenir aux langues romanes, nous trouvons au-delà de la vingtième place l’occitan, le galicien et le wallon aux 46e, 49e et 92e rangs. Dans le panorama mondial des langues, la place de la romanité apparaît donc importante et nous allons tenter d’en comprendre les raisons.

Poids des langues romanes, points forts, points faibles

9Le tableau 2 indique pour chacune des six principales langues romanes, outre le score global et la place dans le classement mondial, les scores obtenus pour chacun des onze facteurs. Nous avons fait figurer en gras les valeurs supérieures à 0,7 et en italique celles inférieures à 0,3 afin d’en faire apparaître les points forts et les points faibles.

Tableau 2

Scores des principales langues romanes

Tableau 2
Catalan Espagnol Français Italien Portugais Roumain Classement 19 2 3 8 9 18 Score total 5,047 7,806 7,733 6,131 5,970 5,050 Locuteurs 0,420 0,872 0,660 0,636 0,788 0,516 Entropie 0,033 1,000 0.332 0,064 0,109 0,214 Véhicularité 0,671 0,786 0,828 0,689 0,724 0,626 Statut officiel 0,025 0,293 0,505 0,064 0,120 0,042 Traductions source 0,645 0,776 0,878 0,793 0,655 0,614 Traductions cible 0,780 0,981 0,984 0,879 0,889 0,772 Prix littéraires 0 0,816 0,844 0,652 0,597 0,299 Articles Wikipedia 0,843 0,899 0,921 0,901 0,888 0,793 IDH 0,906 0,766 0,917 0,895 0,707 0,765 Taux de fécondité 0,065 0,160 0,112 0,031 0,081 0,034 Pénétration internet 0,659 0,457 0,752 0,527 0,402 0,375

Scores des principales langues romanes

10Nous observons que les six langues ont un score élevé pour l’indice de développement humain, le nombre de traductions source et cible et la présence dans l’encyclopédie en ligne Wikipedia. Ceci témoigne du niveau économique et culturel des pays dans lesquels elles sont parlées comme langues premières. Un autre point commun est le faible taux de fécondité de ces pays. Les langues romanes sont des langues de pays vieillissants, et les ex-colonies d’Afrique dans lesquelles on les parle ont une population qui se développe bien plus vite. Dans ces pays le nombre élevé de langues entraîne des difficultés de communication et conduit souvent à adopter la langue de l’ancien pays colonisateur (français, espagnol, portugais) comme langue officielle et comme langue seconde dont la fonction est de permettre la communication entre des ethnies différentes, ce qui donne un fort taux de véhicularité à ces trois langues.

11Du point de vue du « statut officiel », nos langues se divisent en deux groupes : d’une part le français et l’espagnol [16] bénéficiant d’un statut dans de nombreux pays ; d’autre part le catalan, l’italien et le roumain qui ne jouissent pas d’une telle reconnaissance – le portugais se situant entre ces deux groupes. Ce facteur souligne donc l’importance des ex-empires coloniaux dans le poids de ces langues.

L’espagnol

12Outre la langue officielle de l’Espagne, l’espagnol est celle de plus de vingt pays d’Amérique latine, dont certains sont très peuplés : Argentine, Colombie, Venezuela et évidemment Mexique. L’ensemble des pays hispanophones d’Amérique regroupe plus de 300 millions de locuteurs alors que l’Espagne n’en compte qu’une quarantaine. La valeur maximale obtenue par l’espagnol sur le facteur entropie [17] et bien sûr son score élevé sur le facteur nombre de locuteurs sont les conséquences de cette situation.

13Le niveau de développement moyen de l’Amérique latine affaiblit le poids de l’espagnol sur certains facteurs comme l’indice de développement humain et l’équipement internet si l’on compare au catalan, à l’italien et surtout au français, dont la grande majorité des locuteurs vivent dans des pays très développés (France, Canada, Belgique et Suisse). Le développement économique de l’Amérique latine est donc de première importance dans ce contexte. Cet « effet de masse » fera qu’à la différence du français (voir plus bas), le développement via les anciennes colonies africaines pèsera peu comparé à celui de l’Amérique hispanophone. Quant aux Philippines, la plus peuplée des anciennes colonies de l’Espagne, l’espagnol y est aujourd’hui pratiquement oublié, si l’on néglige un créole basé sur l’espagnol, le chabacano, dont le nombre de locuteurs L1 n’est pas bien établi [18][19].

14Il faut aussi noter les valeurs très honorables des facteurs traduction source et surtout cible. En ce qui concerne les traductions à partir de l’espagnol (traductions source), plus de la moitié sont dans le domaine de la littérature et l’apport des grands auteurs sud-américains y est très important. Pour fixer les idées, les données extraites de la base Translationium [20][21] entretenue par l’Unesco montrent que depuis 1979, ont été enregistrées 56917 traductions à partir de l’espagnol, dont 30316 ont pour objet la littérature. Parmi les douze auteurs les plus traduits figurent huit auteurs sud-américains (García Márquez, Allende, Vargas Llosa, Borges, Neruda, Cortázar, Fuentes et Paz) dont les œuvres ont, au total, fait l’objet de 4 569 traductions, et quatre originaires de la péninsule ibérique (Cervantes, García Lorca, Pérez-Reverte et Vázquez Montalbán). Ceci montre clairement l’importance de la culture sud-américaine contemporaine dans l’hispanité et plus généralement dans la romanité. Durant la même période (de 1979 à nos jours) ont été recensées 228 557 traductions vers l’espagnol dont 196 089 ont eu lieu en Espagne. Si on se limite au seul domaine de la littérature, les nombres sont 105 687 et 95 093. Sur ce point, l’Amérique latine exporte mais n’importe pas ou, plus probablement, importe d’Espagne.

15Le poids de l’espagnol vient donc à la fois de l’Espagne et de l’Amérique hispanophone, dont l’importance pourrait s’accroître dans l’avenir.

Le français

16Parlé en France et dans d’autres pays riches comme le Canada, la Belgique et la Suisse, langue officielle de nombreuses organisations internationales le français semble avoir une situation stable. Il occupait jusqu’à récemment la seconde place du baromètre et y a été remplacé par l’espagnol. Ses points les plus faibles sont le nombre de locuteurs en langue première et l’entropie. On considère généralement que son avenir se situe en Afrique, mais cela dépendra bien sûr de la politique linguistique et d’éducation des pays africains qui ont adopté le français comme langue officielle et dans lesquels il est assez souvent la langue de communication entre les diverses ethnies.

17La situation en ce qui concerne les flux de traductions est assez peu différente de celle de l’espagnol, brièvement évoquée plus haut. Le pourcentage de traductions d’œuvres littéraires à partir du français est similaire à celui observé de l’espagnol (respectivement 51 % et 53 % du total des traductions). Celles vers le français ont lieu en France pour 78 % d’entre elles (86 % en Espagne lorsque l’espagnol est la langue cible). Les autres pays francophones (Canada, Suisse et Belgique) ne représentant respectivement que 9,5 %, 3,5 % et 3,4 %. Les différences que l’on observe sont d’abord le nombre de traductions, bien plus élevé à partir du français que de l’espagnol (212 000 et 57 000 pour le total des traductions, 107000 et 30000 dans le domaine littéraire), tout ceci étant à périmètre constant c’est-à-dire les traductions déclarées à l’Unesco depuis 1979. Mais la plus grande différence réside dans la proportion des auteurs d’expression française originaires de France. Parmi les vingt-cinq auteurs les plus traduits, vingt-deux sont français et trois sont belges : Georges Simenon, Hergé (Tintin) et Morris (Lucky Luke). En la matière, la place de la France dans la francophonie est donc prépondérante et celle des trois autres pays francophones moins importante que ce que l’on pouvait attendre.

L’italien

18L’italien pose un problème : selon Ethnologue, il y aurait en Italie 58 millions de locuteurs [22]. Mais sur la même page, il est indiqué que le sicilien (122e dans le baromètre), le napolitain (109e), le vénitien (113e), le lombard (110e), le groupe sarde et quelques autres dépassent chacune en Italie le million de locuteurs pour atteindre au total un nombre supérieur à 20 millions. Or l’Italie ne compte que 60 millions d’habitants ! Il apparaît donc difficile d’évaluer le nombre exact de locuteurs, en langue maternelle, de l’italien et des divers dialectes et langues parlés dans la péninsule. Le potentiel de développement de l’italien ne dépend que de l’Italie. L’empire colonial n’a pas laissé de trace linguistique. La Somalie a rejeté l’italien comme langue officielle au profit d’un somali véhiculaire et de l’arabe, et en Éthiopie comme en Libye l’italien a pratiquement disparu. Les points faibles de l’italien dans notre classement (tableau 2), à savoir l’entropie et le statut officiel, ont peu de chances de s’améliorer. Il en est de même du taux de fécondité qui, comme dans la plupart des pays développés d’Europe occidentale, est très bas.

Le portugais

19Comme l’espagnol, le portugais est beaucoup plus parlé à l’extérieur que dans son pays d’origine, mais dans ce cas nous n’avons pratiquement affaire qu’à un seul pays, le Brésil. Ceci explique la faible valeur du facteur entropie comparé à l’espagnol et au français.

20Le portugais, ex-langue coloniale, est officiel au Portugal, au Brésil, au Timor oriental mais également dans cinq pays d’Afrique : Guinée Bissau, Cap Vert, Sao Tomé-et-Principe, Angola et Mozambique. Il existe également quelques confettis à Macao et en Inde. D’où la valeur intermédiaire du facteur statut officiel. Mais à la différence du français et de l’espagnol, il existe au moins un pays dans lequel le portugais est plus qu’une langue officielle retenue par « réalisme » après les indépendances de 1974 : il s’agit du Mozambique, où le portugais est langue maternelle de plus d’un million d’Africains [23][24] auxquels s’ajoutent environ six millions d’utilisateurs en langue seconde.

21Le tableau 2 nous montre également que le taux de fécondité est un point faible et qu’il ne changera pas dans un avenir prévisible, les phénomènes démographiques étant par nature lents. Le poids relatif du Brésil est nous l’avons dit très important dans l’ensemble lusophone. Le taux de fécondité étant plus élevé au Brésil qu’au Portugal – respectivement 1,8 et 1,3 enfant par femme (Pnud, 2014) – et abstraction faite des migrations dont l’effet linguistique ne peut se faire sentir qu’après un temps de latence d’une à deux générations, le poids relatif du Brésil par rapport au Portugal augmentera encore et, par conséquent, fera encore baisser le facteur entropie. Du point de vue des flux de traductions, la base de données Translationium citée plus haut montre que le Brésil est plus actif que le Portugal : il n’y a donc ici aucun effet de « rattrapage » que le développement du Brésil pourrait provoquer. Parmi les points faibles, reste l’aspect technologie : le taux de pénétration internet est de 54 % au Brésil et de 62 % au Portugal [25].

22Comme pour le français, l’évolution des politiques linguistiques des anciennes colonies est donc un potentiel de développement de la lusophonie, et comme pour l’espagnol, la réalité du portugais se situe en Amérique latine, au Brésil, pays très peuplé, en cours de développement dans un continent lui-même en cours de développement. Là se trouve le vrai potentiel de développement du portugais.

Le roumain

23Le roumain semble un peu en retrait, il n’a pas vraiment de point fort. Nous n’observons sur aucun facteur un score supérieur à 0,8. Les raisons de cette situation sont, au moins en partie, historiques. Durant les derniers siècles, les empires ottoman, autrichien, russe puis soviétique ont dominé tout ou partie du pays, dont la langue n’a pu développer une visibilité à l’étranger. Sa récente intégration à l’Union européenne devrait lui permettre d’y parvenir. Pour l’instant, le développement économique est la priorité. L’amélioration de la visibilité et du poids du roumain viendra de l’indice de développement humain puis de facteurs culturels comme les traductions source et cible.

Le catalan

24Le catalan pour sa part a une histoire, il a existé un « empire » catalan en Méditerranée occidentale. La monarchie espagnole puis le régime franquiste ont tenté de faire oublier cette histoire et cette langue. Parmi les six grandes langues romanes officielles de l’Union latine, le catalan est aujourd’hui la seule à être la langue d’un peuple sans État. Son potentiel de développement est politique comme culturel. Dans ces deux domaines, la renaissance de ces trente à quarante dernières années est réelle. Il existe un parti indépendantiste en Catalogne et dans la Generalitat de Catalyuna une volonté de développer le catalan. Pour s’en convaincre, on peut consulter les sites des universitats (et non pas universidades) de Barcelone, Castellon, Gérone, Lerida, Tarragone, Valence, Vich et quelques autres, sites qui sont rédigés en catalan [26]. La culture catalane n’est cependant pas encore très visible de l’étranger.

Les autres langues romanes

25Les autres langues romanes sont beaucoup moins visibles et peuvent être considérées comme mineures, sans que cet adjectif prenne ici une connotation péjorative. Nous l’avons dit plus haut, plus de quarante langues romanes sont décrites dans notre classement, se situant au-delà de la 150e place. Cependant elles participent à la diversité de la romanité. Certaines sont en danger d’extinction, mais ne sont pas pour autant abandonnées à leur sort. Nous pouvons citer l’aroumain qui a fait l’objet d’un rapport au Conseil de l’Europe (1997). Pour obtenir quelques données sur ces langues minoritaires, outre le baromètre Calvet et le site Ethnologue cité plus haut, on consultera le site des langues minoritaires en Europe [27] ou l’Atlas des nations sans État en Europe (Bodlore-Penlaez, 2011).

26Pour résumer, nous dirons que « grâce » à l’empire romain, aux grandes découvertes du début des temps modernes et aux empires coloniaux qui ont suivi, l’importance des langues romanes est essentiellement due à des raisons historiques. Aujourd’hui, elles sont principalement des langues de pays riches. La francophonie [28], l’hispanophonie [29] et la lusophonie [30] sont des réalités. L’italien, fille aînée de la romanité, le roumain et le catalan sont un peu en retrait mais figurent parmi les vingt premières langues de notre classement mondial. Cependant, ce poids ne peut s’évaluer que dans un contexte global. Il nous faudrait le comparer avec celui d’autres langues importantes telles que le chinois mandarin, le hindi, le turc, le farsi, le bengali, le bahasa indonesia et bien entendu les grandes langues du continent qui a dominé le monde durant les derniers siècles, l’Europe, avec en particulier l’anglais. Étant donné l’écrasante domination militaire, économique et culturelle des États-Unis et l’héritage laissé par l’empire britannique, la place de l’anglais ne sera pas mise en cause dans un futur envisageable. Mais si nous examinons le classement du tableau 1 et celui plus complet disponible sur le site du baromètre, nous pouvons nous poser des questions sur sa future évolution. L’allemand et le russe semblent stagner depuis quelques années et ne mettront probablement pas en cause les deuxième et troisième places de l’espagnol et du français. Le danger pour les langues romanes de « second rang » (italien, catalan, roumain et peut-être portugais) viendra plutôt des langues de pays très peuplés en voie de développement rapide comme le mandarin, le farsi, le coréen, le hindi, le vietnamien et l’indonésien. Dans les vingt ou trente prochaines années, ces pays verront leurs rôles et de manière concomitante celui de leurs langues devenir plus importants. On estime actuellement que l’avenir du monde se situe dans la zone Asie-Pacifique. Déjà, lorsque l’on recherche les langues enseignées au niveau « undergraduate » dans les universités des pays concernés, on constate la présence des langues que nous avons citées plus haut. On peut y voir un effet de proximité analogue à ce que nous connaissons en Europe, mais également une politique volontariste prévoyant ce que pourrait être l’avenir.

27On le comprend, il s’agit d’un problème multifactoriel que personne ne peut maîtriser totalement. Les paramètres sont historiques, géopolitiques, culturels, sociaux. S’il est difficile de prédire l’évolution de la situation à un horizon de dix, trente ou cinquante ans, nous pouvons néanmoins demeurer optimistes : la romanité est importante et le demeurera au xxie siècle.

Notes

Français

Après avoir défini le domaine des langues romanes et sélectionné les plus importantes, en fait celles prises en compte par l’Union latine, nous examinons leur poids dans l’optique définie par le Baromètre Calvet des langues du monde qui fait l’objet d’un bref rappel. Nous mettons en évidence l’importance des langues romanes tant du point de vue individuel pour les langues sélectionnées (catalan, espagnol, français, italien, portugais et roumain) que du point de vue global : la romanité dans le monde. Les forces et faiblesses de chacune des langues sont décrites et commentées. Les raisons de cette importance sont historiques mais aussi géopolitiques, culturelles et sociales.

Mots-clés

  • langues romanes
  • romanité
  • baromètre des langues
  • poids des langues
  • catalan
  • espagnol
  • français
  • italien
  • portugais
  • roumain

Références bibliographiques

Alain Calvet
Alain Calvet est ingénieur chimiste et docteur ès sciences physiques. Après quelques années comme enseignant aux universités de Nancy I et Paris VI, il a fait l’essentiel de sa carrière dans la recherche pharmaceutique en France et aux États-Unis. Il est l’auteur de nombreuses publications et brevets dans les domaines de la chimie organique, de la recherche thérapeutique et de l’analyse et la modélisation des données massives. Depuis sa retraite, il collabore avec son frère L.-J. Calvet, particulièrement sur le projet « Baromètre des langues du monde ».
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/09/2016
https://doi.org/10.3917/herm.075.0034
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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