CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Il ne faut pas trop s’inquiéter au sujet de la place des langues romanes [1] dans l’Internet (voir notre article « Un milliard de Latins… dans l’Internet ? » dans ce volume). Le français, en grande proportion, le portugais et l’espagnol en moindre mesure, ont encore beaucoup de marge en termes d’utilisateurs de l’Internet [2] et, de plus, leur avenir démographique joue en leur faveur. L’italien conserve encore ses privilèges de langue de culture internationale et le catalan, avec la force de son élan identitaire, se trouve relativement bien placé dans l’Internet. Seul le roumain paraît souffrir un peu du fait de sa faible portée internationale, mais la population arrive à trouver une satisfaction, non pas idéale, mais suffisante dans la consultation de l’Internet et dans la communication spécialisée. Mais cette situation que connaissent les langues néolatines les plus connues est loin d’être le quotidien pour la vingtaine d’autres langues romanes que le public non directement concerné connaît peu.

Cet article traite de toutes les langues romanes qui ne sont pas langues officielles d’État, ce qui exclut de fait les langues qui viennent d’être mentionnées : le catalan (langue officielle d’Andorre), l’espagnol (une vingtaine d’États), le français (une trentaine d’États), l’italien (Italie, Suisse, Saint-Marin et le Vatican), le portugais (neuf États) et le roumain (Roumanie et Moldavie).
Loin de nous la prétention de donner une liste des toutes les langues minoritaires romanes, exercice risqué du fait du flou qui existe en matière de typologie de langues en général, et qui n’épargne pas les langues romanes. Des aspects culturels, historiques ou politiques peuvent, outre les questions proprement dialectologiques, interférer dans la dénomination ou classification de telle ou telle langue.
Wikipédia fournit une typologie des langues romanes périodiquement actualisée [3] et le site Ethnologue, après un rafraîchissement structurel assez récent, fournit des informations, sinon pas toujours consensuelles, du moins très consultées [4]. En France, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) fournit une liste des langues régionales de France [5].

2En France et en Belgique sont parlées plusieurs langues d’oïl [6] ; l’occitan [7] et le catalan sont bien vivants en France, en Espagne et en Italie ; le franco-provençal [8] est en récupération à l’est de la France, en Italie et en Suisse, et le corse « a le mistral en poupe » dans l’île de beauté. En Italie aussi, il y a un nombre important de langues néolatines [9] souffrant des situations sociolinguistiques diverses. Dans la péninsule ibérique, la richesse linguistique qu’y a laissée le latin [10] va au-delà des langues officialisées [11] et en Italie elle couvre presque toute la Péninsule. Et ailleurs, nous avons d’une part la situation de confort statutaire du romanche en Suisse [12] et de l’autre, la dispersion et assimilation mortifère que souffre l’aroumain [13].

3Les langues romanes qu’on appellera ici, par souci de concision, minoritaires (voir encadré) connaissent des développements différents : les unes retrouvent, grâce à des actions parfois associatives et, dans les meilleurs cas, publiques, un élan de survie et de redéveloppement, et d’autres sont sur le point de mourir.

Nous utiliserons l’expression « langues minoritaires » dans cet article, bien que cette dénomination prête à polémique. D’autres dénominations pour couvrir l’ensemble des langues non protégées par un statut officiel d’État sont utilisées mais sont loin d’être consensuelles, telles « langues minorisées », « langues moins diffusées », « langues régionales », « langues autochtones », etc. Voir le récent article de Louis-Jean Calvet (2016) concernant les difficultés pour nommer des langues réunissant des caractéristiques sociolinguistiques et/ou ou sociopolitiques proches.

Rappel du contexte historique récent

4Au milieu du xixe siècle, 20 % de la population française ignorait la « langue nationale [14] » (c’est-à-dire le français), et le recensement de 1806 [15] (qui a nécessité un travail d’interprétation contemporain) indiquait que plus de 8 millions de Français (25 % de cette époque) parlaient l’occitan ; 2,2 millions, le franco-provençal ; 175 000 le corse (soit la presque totalité de l’île) ; et 120 000 le catalan. Ce recensement ne donne pas le détail sur le nombre de locuteurs des langues d’oïl, mais il est fort à parier que parmi les 58 % de la population qui parlait ces langues, un nombre respectable avait une autre langue d’oïl que le français [16] comme langue maternelle.

5En Italie, où les langues romanes couvrent presque la totalité de la péninsule, en 1864, à peine 2 % de la population maîtrisait l’italien [17], d’après Tullio de Mauro [18], et à peine 10 % pouvaient le comprendre, d’après Arrigo Castellani [19]. Les politiques musclées de Mussolini en faveur de l’italien (interdiction de toute autre langue que l’italien, purisme, réformes grammaticales, intervention dans la toponymie, etc.) visaient autant les langues étrangères que régionales [20]. Si ces politiques ont drastiquement réduit le nombre de locuteurs des parlers locaux et délégitimisé leur utilisation, les langues régionales (souvent appelées, et de manière péjorative, dialetti) sont restées très vivantes dans l’oralité et dans les manifestations culturelles (littérature, chanson, radio, cinéma, etc.). En l’an 2000, à peine 44 % de la population parlait uniquement ou principalement l’italien [21].

6Les langues d’Espagne ont aussi connu le poids parfois écrasant de l’espagnol, langue du pouvoir et de colonisation, et souffert des périodes néfastes d’interdiction (la période de Franco étant la dernière en date), réduisant de manière violente le nombre de locuteurs de la plupart des langues, à l’exception du galicien et, surtout, du catalan dont la longue tradition culturelle et plusieurs facteurs tant politiques que géographiques ont permis de garder la force (c’est aussi le cas du basque, langue non romane).

Le nouvel élan

7Quelques initiatives nées autour des années 1970 en Europe ont marqué une nouvelle période d’ouverture comme pour le breton [22], l’occitan [23] ou l’alsacien [24] en France, et pour certaines régions, ou « communautés autonomes », en Espagne.

8Cependant, la plupart des langues régionales des pays européens ont dû attendre les initiatives du Conseil de l’Europe et notamment la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires de 1992, favorisant la protection et « la promotion des langues régionales et minoritaires historiques ». Ce texte, d’ailleurs très débattu en France [25], a permis un rebondissement des volontés locales en faveur des identités culturelles et linguistiques régionales. Ces volontés ont parfois été accompagnées par l’État, tant en France [26] qu’en Italie [27] ou en Roumanie [28] (mais dans ce cas, la seule langue romane concernée, l’aroumain, n’a pas profité de cette législation), mais elles ont surtout bénéficié de l’apparition de budgets, parfois nationaux, mais surtout européens et des régions elles-mêmes qui ont permis des actions de récupération des dynamiques de la langue.

9Si le xxe siècle a été marqué partout par une tendance à l’hégémonie linguistique et culturelle, on peut constater, vers la fin, un nouvel élan portant sur la diversité culturelle et linguistique. Aux initiatives régionales du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne et de l’Union africaine, pour ne citer que les plus visibles, ont suivi des décisions de portée mondiale comme la Recommandation sur la promotion et l’usage du multilinguisme et l’accès universel au cyberespace (Unesco, 2003) et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (Unesco, 2005), ou les recommandations du Sommet mondial de la société de l’information concernant les contenus locaux et l’accès universel à la société de la connaissance (2004) [29]. Il est à signaler, du reste, que la Francophonie a été souvent à l’origine de ces initiatives et que sans son intermédiation certains débats n’auraient peut-être pas eu lieu ou auraient été retardés.

10Concernant les langues minoritaires en Europe, certains programmes de la Commission européenne ont soutenu les principales initiatives de coopération linguistique. Des études portant le nom d’Euromosaic, Production et reproduction des groupes linguistiques minoritaires au sein de l’Union européenne[30], ont permis d’apporter un diagnostic et certains acteurs, comme l’European Bureau for Lesser-Used Languages (Eblul) [31], disparu aujourd’hui, ont été à l’initiative de programmes de revitalisation des langues minoritaires.

Les langues minoritaires romanes à l’ère de la société de la connaissance

11Ces programmes ou cadres ont permis à un certain nombre des langues de surmonter divers écueils dus à leur marginalisation antérieure. Si beaucoup d’énergie a été investie sur les aspects culturels et d’enseignement de la langue pour la plupart d’entre elles, certains groupes linguistiques ont aussi misé sur la récupération de leur langue en tant que langue d’accès à la connaissance, au bénéfice de son informatisation et sa modernisation. Depuis un bon nombre d’années, des entités s’occupent du développement du langage spécialisé, des industries linguistiques et de l’accès à la connaissance, pour certaines langues. Ainsi, un nombre important d’outils a vu le jour pour l’occitan (<www.lexilogos.com/occitan_dictionnaire.htm>) et le galicien, allant des dictionnaires de langues et de traduction comme de lexiques spécialisés, ainsi que des correcteurs automatiques et d’autres outils informatiques. Pour l’occitan, il y a un grand éparpillement d’entités et d’actions, mais l’ensemble donne des résultats fort intéressants, comme ceux que proposent, par exemple, Lo Congres (<www.locongres.org/fr/applications/dicodoc-fr/dicodoc-recherche>) et l’Institut d’Estudis Occitans (<www.ieo-oc.org>) en France, ou la Chambra d’Oc (<www.chambradoc.it/chambraDoc.page>) en Italie. Il faut se rappeler que l’occitan est officiel en Catalogne espagnole (dans sa variante aranaise) et au Piémont (Italie). Dans le cas du galicien, langue officielle de la Communauté autonome de Galice (Espagne), la déjà ancienne Académie royale galicienne (<academia.gal/>) et l’Institut pour la langue galicienne (<ilg.usc.es>) jouent un rôle officiel de tutelle de la langue, et diverses entités publiques, universitaires ou associatives participent à sa modernisation avec un nombre important d’activités terminologiques, lexicographiques, de traduction et de création d’outils linguistiques. Un observatoire de la langue galicienne est également très actif [32]. Ces deux langues possèdent des traducteurs automatiques de et vers certaines langues (<www.apertium.org/index.spa.html?dir=oci-cat#translation>), grâce à des initiatives menées par des groupes universitaires espagnols, au départ, et complétées ensuite par d’autres entités. Il est à noter cependant que l’occitan n’est pas inclus dans le système Google traduction (<translate.google.com/?hl=fr>), alors que le galicien et le corse y figurent.

12L’asturien [33] et l’aragonais sont aussi inclus dans la traduction automatique que propose le système Apertium, mais il serait illusoire de penser que les locuteurs de ces deux langues disposent des outils linguistiques avancés et suffisants. L’asturien ne jouit que d’un statut limité (langue protégée mais pas officielle) et l’activité de l’Académie de la langue asturienne (<www.academiadelallingua.com/>) en matière de modernisation de la langue est très récente – le système de diffusion de terminologie Termast, réalisé par le collectif Softasur (<noticies.softastur.org/>), étant l’une des ces actions, ainsi que la traduction de certains programmes libres (Firefox, Ubuntu, Thunderbird, etc.) et d’applications mobiles. Quant à l’aragonais, langue officielle en Aragon, mais en risque de disparition, il dispose d’une Académie aragonaise (<www.academiadelaragones.org/historia.htm>) stable depuis peu, et de très rares outils linguistiques, surtout universitaires ou associatifs, sont disponibles.

13Concernant le corse, le fait de figurer dans Google traduction ne signifie pas qu’il y ait une grande activité en matière d’outils linguistiques et bien que de nombreuses applications et logiciels soient traduits en langue corse, ceci est surtout dû à des initiatives universitaires [34] ou associatives [35]. Un Plan stratégique d’aménagement et de développement de la langue corse en 2007 n’a apparemment pas été suivi d’actions concrètes, du moins dans ce sens (Colonna, 2009).

14Les langues d’oïl ont très peu de ressources linguistiques sur Internet et n’ont pas à proprement parler d’institutions de tutelle en matière de modernisation de la langue, mais des initiatives comme celle de l’association Chubri (<www.chubri.org>) qui mène depuis peu des initiatives intéressantes en faveur du gallo [36], sont à signaler. Malgré son statut en Belgique, le wallon ne bénéficie pas non plus d’actions coordonnées de modernisation, bien que, comme pour les autres langues d’oïl (champenois, normand, picard, bourguignon, etc.), il existe de nombreuses associations produisant parfois des dictionnaires en ligne [37] et autres outils.

15Le franco-provençal, malgré une profusion d’associations et d’organismes publics ou parapublics (surtout en Suisse et en Italie), manque d’outils linguistiques. C’est également le cas de nombreuses langues de l’Italie comme l’émilien-romagnol, le lombard, le napolitain (ou napolitain-calabrais), le piémontais, le sicilien et le vénitien, notamment.

16Les langues rhéto-romanes ont connu un développement important en matière d’outils linguistiques et de modernisation de la langue :

  • Pour le frioulan, la Société philologique frioulane (<www.filologicafriulana.it/>), à l’Agence régionale pour la langue frioulane (<www.arlef.it>) et à l’Observatoire régional de langue et de culture frioulane (<www.friul.net/OLF/jugn00/art1.htm>), ont permis la création des dictionnaires bilingues [38], des correcteurs automatiques de la langue, des dictionnaires terminologiques, des bureaux de normalisation et d’orientation linguistique, des formations à la langue de fonctionnaires publics, des actions de toponymie, etc [39].
  • Le ladin bénéficie d’entités de veille et d’action linguistique depuis les années 1970 et l’Union générale des Ladins des Dolomites a permis de créer le Service de planification de la langue ladine [40], produisant outre des dictionnaires en ligne, des systèmes de correction automatique et d’analyses statistique de corpus, ainsi que des textes et bibliothèques en ligne, des banques de données lexicales, terminologiques et néologiques, etc. (<www.ladintal.it/>)
  • La langue romanche, langue nationale de la Suisse depuis 1938 et officielle dans le canton des Grisons [41], a un organisme de tutelle, la Lia Rumantscha (<www.liarumantscha.ch/?changeLang=_fr#>), financée majoritairement par des fonds publics et qui offre du matériel pédagogique, des dictionnaires et des lexiques spécialisés en ligne ainsi que des services d’orientation, traduction et formation linguistique.

17Le sarde, malgré son officialité en Sardaigne et l’existence de plusieurs « offices » (Ufitziu de sa limba sarda) en différentes localités [42] et d’autres entités veillant à son développement, et hormis plusieurs dictionnaires et lexiques, peine aussi à donner satisfaction aux locuteurs en matière d’accès à la connaissance.

18D’autres langues ou parlers romans risquent la disparition par manque d’organisme de tutelle ou du fait de leur dispersion, à l’image de l’aroumain [43] déjà cité, et ce malgré la présence de plusieurs entités consacrées à leur développement.

Développement terminologique

C’est en 1999 qu’est créé un réseau pour les terminologies des langues néolatines minoritaires, appelé Linmiter, sur les pas de son « frère ainé », Realiter [44], né six ans plus tôt [45].
Linmiter avait pour objectif de réunir des partenaires de différentes langues minoritaires romanes afin de créer les synergies pour un développement terminologique similaire à celui provoqué par Realiter (une trentaine de lexiques spécialisées en six ou sept langues, douze séminaires internationaux et plusieurs autres projets en néologie, terminologie et outils linguistiques [46]).
Des représentants de ces langues ont participé aux différents travaux : l’aroumain, l’asturien, le corse, le frioulan, le galicien, le gallo, le ladin, l’occitan, le sarde et l’aragonais.
Ce réseau a reçu, outre l’appui de l’Union latine, celui de l’Eblul, de la DGLFLF, ainsi que de plusieurs institutions régionales.
Une enquête sociolinguistique préliminaire a été menée [47] afin d’évaluer les besoins pouvant être communs et les ressources existantes. Ensuite, a été entreprise une activité de formation à la terminologie, avec des séminaires à Barcelone, Corte (Corse), Lanusei (Sardaigne) et Val di Fassa (Dolomites, Italie), destinés à des linguistes, traducteurs, réviseurs et même des fonctionnaires des administrations concernées. Comme produit de ces formations, deux lexiques multilingues ont vu le jour et sont consultables sur Internet : le Lexique multilingue de l’environnement[48] (2002), et le Lexique multilingue du transport de tourisme[49] (2004).
Plusieurs autres projets ont été formulés mais la disparition de l’Eblul et la réduction des budgets de l’Union latine, les deux principaux soutiens de Linmiter, n’ont pas permis de les développer et le réseau n’a plus enregistré d’actions conjointes après 2008, même si certains des membres ont continué à travailler ensemble sur des projets ponctuels.

Les langues romanes minoritaires dans l’Internet

19Quelle est la place de l’Internet dans ce renouveau des langues romanes ? L’Internet participe-t-il de ce renouveau ou bien en est-il bénéficiaire ?

20À l’heure actuelle, et à notre connaissance, il n’existe pas d’autres références solides sur la présence des langues minoritaires romanes dans l’Internet que celles produites par Maaya pour la DGLFLF (2014) (hormis celles produites pour les langues catalane et galicienne en Espagne). Il serait pourtant très intéressant de comprendre le rôle que joue l’Internet dans ce nouveau contexte. L’étude référencée s’est préoccupée d’un groupe d’une quinzaine de langues minoritaires de France et il est possible de dégager certaines leçons qui pourraient s’appliquer au reste des langues romanes qui n’ont pas été étudiées.

21L’étude a consisté à réunir le plus grand nombre de liens Internet ayant une relation étroite avec la présence dans l’Internet de chacune des langues considérées, sans prétendre à l’exhaustivité, mais avec un nombre suffisant pour que l’analyse statistique soit valide et porteuse de sens. Chacun des liens a été caractérisé par un ensemble de paramètres, y inclus une notation de 0 à 9 mesurant le niveau de contribution du lien considéré en relation avec la question de la présence dans l’Internet de la langue. L’élément qui est apparu le plus pertinent pour classifier chacune des langues est celui du secteur d’où provient le site ou la page : universitaire, associatif, gouvernemental (spécialement collectivités locales), commercial ou page personnelle.

22Ainsi, il est apparu une classification des langues étudiées en fonction principalement de ce paramètre :

  • Langues parlées et avec une bonne présence sur la Toile, maintenue de manière équilibrée par tous les secteurs : alsacien et catalan.
  • Langues relativement peu parlées mais en très fort dynamisme sur la Toile, avec un déploiement homogène multi-secteur y inclus les collectivités locales : le basque et le corse.
  • Langues relativement peu parlées dont la présence dans l’Internet est poussée par les citoyens mais insuffisamment appuyée par les collectivités locales : breton, franco-provençal et occitan.
  • Langues relativement peu parlées et qui connaissent des difficultés particulières dans leur présence sur la Toile : francique et langue d’oïl.
  • Langues parlées mais avec une faiblesse marquée sur la Toile, maintenues par le secteur académique et recevant un faible soutien institutionnel : les créoles, langues kanak, futunien, langues de Mayotte, tahitien et wallisien.

23La présence majoritaire académique (souvent suivie par une présence notable du secteur commercial, dans les endroits touristiques) est un signe que la langue est un objet d’étude plus qu’un sujet vivant dans l’Internet. Cela devrait alerter, d’un côté, les citoyens, organisés de manière associative ou par des initiatives individuelles et, de l’autre, les pouvoirs publics, sur le besoin de dynamiser la présence de la langue dans l’Internet. Par contre, une forte mobilisation citoyenne est un signe de vitalité pour la langue dans l’Internet surtout si elle s’accompagne du soutien des autorités locales ; la situation idéale étant une participation équilibrée entre les différents secteurs.

24Une analyse plus fine permettrait ensuite de vérifier la solidité des informations proposées en ligne (pourcentage de ressources linguistiques et bases de données par exemple) et l’usage de la langue locale dans les sites mis en inventaire, avec le degré associé de multilinguisme offert.

Les langues romanes minoritaires dans Wikipédia

Les langues romanes minoritaires ne sont pas absentes de la célèbre encyclopédie en ligne. Le galicien, bénéficiant d’un statut régional et d’un nombre important de locuteurs (4 millions) est la première de ces langues avec plus de 130 000 articles. L’occitan, qui ne bénéficie pas du même statut et qui est bien plus dispersé dans un territoire plus important (auquel s’ajoute le morcellement dialectal), suivrait avec près de 90 000 articles. En piémontais, il y aurait près de 65 000 articles, 46 000 en asturien, 34 000 en lombard, 31 000 en sicilien et en aragonais. Le napolitain, le wallon et le vénitien figurent parmi les langues ayant entre 10 000 et 30 000 articles. Finalement, en bas du tableau, ayant entre 1 000 et 10 000 articles, figurent l’émilien-romagnol, le corse, le sarde, le normand, le frioulan, le romanche, le judéo-espagnol (ou ladino), le picard, le ligurien, le franco-provençal et l’aroumain, en ordre décroissant.

25Si certaines langues minoritaires néolatines se trouvent confortées par une bonne tutelle d’organismes publics ou parapublics, la plupart ne dépendent que de la bonne volonté de leurs locuteurs, parfois organisés en associations ou académies, ou bien épaulées par l’université, mais sont loin de pouvoir remplacer les langues de contact dans la communication spécialisée.

26À l’image du catalan autrefois, du galicien et du frioulan aujourd’hui, il serait souhaitable que des institutions publiques puissent proposer des politiques non seulement culturelles, historiques ou d’enseignement de la langue, mais aussi de modernisation. Ces politiques passent par la constitution de dictionnaires larges et de lexiques spécialisés en ligne ; d’outils bureautiques dans la langue ; d’outils d’informatisation de la langue tels que correcteurs automatiques, systèmes d’analyse et de synthèse de la langue (écrite et orale) et notamment, d’outils d’accès à l’information multilingue par Internet.

27Il devient urgent de traduire toute application d’accès à l’information et à la communication via les principaux réseaux sociaux et notamment les « applications » mobiles. Le but majeur de ces technologies serait la traduction automatique (écrite et vocale), aujourd’hui bien plus accessible que par le passé, mais nécessitant des corpus importants de textes et de mémoires de traduction pour atteindre un seuil acceptable. Ceci passe, bien entendu, par des politiques de numérisation d’ouvrages afin de constituer des corpus de langue.

28Il faudrait aussi, avant tout, une politique de formation à la production de textes savants, afin de rendre la langue attractive aux yeux de leurs locuteurs. Des formations à l’appropriation des outils comme Wikipédia et des dispositifs légaux pour la constitution de biens communs numériques (comme le représente Creative Commons) constitueraient un excellent début pour cette objectif tout en motivant à la création de contenus dans l’Internet dans, ou au sujet de, ces langues minoritaires.

Notes

Français

Si les langues romanes qui ont un statut d’officialité au niveau de l’État montrent un grand dynamisme en matière de présence sur l’Internet et dans la communication spécialisée, il n’en va pas de même avec la vingtaine d’autres langues néolatines, dont le grand public est peu familier. Les langues d’oc et d’oïl, le sarde, le corse, le ladin, le romanche, l’aragonais, le franco-provençal, le vénitien, et tant d’autres langues parlées de la péninsule ibérique aux Balkans et des Ardennes jusqu’en Sicile, connaissent aujourd’hui une certaine renaissance grâce à l’action volontariste des locuteurs, des structures régionales, de certaines organisations internationales et, parfois, nationales. Mais la situation des unes et des autres est bien différente en fonction du nombre de locuteurs, de leur concentration ou dispersion, des appuis institutionnels, etc. Cet article essaie de jeter un rapide regard sur leur situation dans la société de la connaissance.

Mots-clés

  • langues romanes
  • langues minoritaires
  • cybermétrie
  • langage spécialisé
  • Internet

Références bibliographiques

Daniel Prado
Actuellement consultant et représentant régional du Réseau mondial pour la diversité linguistique Maaya (dont il a été secrétaire exécutif) et ancien directeur de la terminologie et des industries de la langue à l’Union latine, organisation intergouvernementale, Daniel Prado a été à l’origine d’un nombre significatif d’initiatives en matière de modernisation du langage pour les langues romanes (réseaux, rencontres, séminaires, publications, sites web, projets internationaux et nationaux), ainsi que d’importants projets en matière de diversité linguistique et multilinguisme, notamment dans le cyberespace.
Ancien directeur à l’Union latine ; ancien secrétaire général de Maaya
Avec la collaboration de
Daniel Pimienta
Daniel Pimienta a étudié les mathématiques appliquées et l’informatique à l’université de Nice. Il rejoint IBM France en 1975, comme architecte de systèmes de télécommunications. En 1988, il devient conseiller scientifique de l’Union latine à Saint Domingue, et dirige un projet de réseau régional. En 1993, il fonde l’Association Réseaux & Développement (Funredes), une ONG pionnière sur le thème de la fracture numérique au Sud. Il est secrétaire exécutif du réseau mondial pour la diversité linguistique (Maaya) depuis 2015. Il a reçu le Namur Award 2008 pour l’ensemble de ses actions pour une vision holistique de l’impact social des technologies de l’information et de la communication.
Président de Funredes ; secrétaire général de Maaya
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/09/2016
https://doi.org/10.3917/herm.075.0101
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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