1Le xxe siècle est marqué par la lente émergence de l’environnement et, avec lui, de la communication environnementale. Si les préoccupations environnementales américaines naissent dès la fin du xviiie siècle au cœur des villes industrielles polluées, elles apparaissent tard en Europe. À partir des années 1970, de nouvelles façons de voir le monde alimentent des groupes intellectuels, associatifs et scientifiques. Leurs écrits (Sachs, 1993 ; Meadows et al., 1973 ; Morin, 1982) font une critique acerbe de notre développement industriel et de notre rapport à la nature et aux sciences, et proposent de nouveaux modèles de société. Pourtant, ceci reste peu audible dans l’euphorie du boom économique. Sans doute, comme le pensent les historiens, faut-il aussi incriminer en France, un esprit cartésien et positiviste empêchant de penser la pluralité des échelles spatiotemporelles et la globalité de toute problématique environnementale. En tout cas, les sciences de l’information et de la communication mettent, elles aussi, du temps à investir l’environnement. Ce retard touche beaucoup de disciplines de sciences humaines, à l’instar de l’histoire de l’environnement. Pour l’expliquer, nous remarquerons, comme Massard-Guilbaud (2002), que l’histoire et, par similitude, la communication se saisissent surtout a posteriori des questions sociétales. Or, la question environnementale met un temps certain à faire société. Il faudra attendre les années 1990 pour voir la concrétisation de cette question.
2Politiques dédiées, ingénierie écologique, éducation environnementale, métiers verts, traitements médiatiques, controverses, etc. : le champ de l’environnement devient si présent que Jacques Theys reçoit, en 1992, une commande de l’État pour définir ce mot-valise. Il montre que l’environnement s’exprime à cette époque selon cinq dimensions : écologique (faune, flore, habitat), sécuritaire (risques, gestion/déchets, eau, air), économique, sociale et culturelle. Remarquons que cela pourrait être une belle définition de ce que l’on appelle aujourd’hui le développement durable (DD). Et qu’il est étrange de constater que, si la plupart des auteurs actuels rappellent que le DD a été défini officiellement en 1987 par l’Organisation des Nations unies, ils oublient que la notion a mis du temps, elle aussi, à faire société. Dans les années 1990, l’environnement reste la seule notion visible et englobante. Ce n’est qu’à la fin du xxe siècle que se réalise massivement le glissement sémantique au profit de la notion d’un DD plus économiquement correct et qui allie, dans un même projet, piliers social, économique et environnemental (limité cette fois aux sens écologique et sécuritaire). Un DD souvent qualifié de mot « fourre-tout », qui est aussi plus apte à rassembler un paysage hétéroclite d’enjeux, d’acteurs, de représentations, de discours et de modes d’actions. Un paysage idéal pour le chercheur…
La naissance d’une réflexion théorique
3De fait, l’environnement comme le DD sont à présent des objets sociaux bien repérés et les sciences de l’information et de la communication commencent à s’en saisir. Dans les années 1990, la communication des organisations produit plusieurs ouvrages de référence. Communication éthique, sincère, transparente, cohérente, partenariale, etc. : la communication environnementale définie par Vigneron et al. (1996) n’a pas pris une ride. Aujourd’hui, elle s’appelle plutôt communication responsable (Audouin et al., 2010). Mais elle en reprend tous les principes avec un accent plus positif, collaboratif et citoyen. De même, la communication publique et territoriale va se spécialiser lentement avec l’application des « agendas 21 » institués lors du sommet mondial de Rio de 1992.
4Du côté des théoriciens des médias, Suzanne de Cheveigné analyse en 1994 la construction médiatique du thème environnement dans les journaux télévisés français. Mais ce type de recherche reste rare alors qu’il est actuellement banal pour tous les types de médias. Le même constat peut être fait avec les technologies numériques qui permettent pourtant aujourd’hui de revisiter de nombreuses questions d’information et de communication dans les secteurs touchés par le DD (l’intelligence territoriale, la concertation, la communication interne ou externe, etc.). Elles permettent aussi de mieux aborder la pluralité des acteurs, des discours et des représentations, un autre champ de recherche très actif en information comme en communication (citons, par exemple, les travaux de Jeanneret, 2003 et de D’Almeida et al., 2004).
5La muséologie de l’environnement a aussi ses auteurs fondateurs. Dès 1992, Davallon publie un ouvrage au titre éclairant : Quand l’environnement entre au musée. Et signale que « le rôle du musée a changé. […] il doit […] davantage mettre en scène un débat, en acceptant d’intervenir avec des réponses soit incomplètes, soit incertaines et en soulevant surtout des questionnements nouveaux ». Cela accompagne la double mutation des musées : mutation des contenus privilégiant l’intérêt des publics et mutation du rapport plus égalitaire du visiteur aux savoirs des experts. Ce tropisme original pour un musée forum, vecteur d’une expérience écocitoyenne n’a fait d’ailleurs que s’affirmer depuis (Girault (dir.), 2000 ; Girault et Viel, 2007).
6Un autre champ de recherche concerne les principes clés du DD : la participation et la concertation. Un champ inventif où, par exemple, la controverse environnementale est envisagée comme modèle d’apprentissage social capable de favoriser une nouvelle façon de penser et d’agir dans un monde incertain et complexe.
7Enfin, dans les années 1990, la communication et la médiation scientifiques, proches des questions d’environnement, sont, elles aussi, très activées par les problématiques de sciences citoyennes portées par les physiciens humanistes et les philosophes et historiens des sciences.
8De fait, la conscientisation et la participation éclairée des citoyens s’affirment tôt et partout comme un objectif fort. Cela concerne au départ le champ de l’éducation relative à l’environnement (fécond dès les années 1970, car proche des milieux associatifs et intellectuels des origines) ou encore les champs de la communication des organisations non gouvernementales ou de la communication publique. Ils sont rejoints aujourd’hui, par celui de la communication dite d’influence issue du marketing, de la communication et sociologie des usages ou de la psychologie environnementale (née timidement dans les années 1970).
9Cette liste d’exemples est loin d’être exhaustive. Elle veut souligner que, si la problématisation de la communication de l’environnement et du DD a été tardive, elle a su poser les bases d’une réflexion théorique solide et ouverte. Une réflexion qui a, depuis, gagné en maturité si l’on en croit le nombre actuel d’ouvrages critiques (par exemple, Bourg, Grandjean et Libaert, 2006) et de recherches engagées sur ces questions.
10Ainsi, à l’aube du xxie siècle, l’environnement et, avec lui, le DD offrent aux sciences de l’information et de la communication un formidable champ de confrontations idéologique, sémantique, territoriale, médiatique, technique… Les débats sur l’instabilité de nos sociétés, les urgences environnementale, économique, sociale et culturelle ou l’évolution des modes d’information et de communication laissent présager d’autres mutations à venir. Nous parions qu’une des premières mutations sera le remplacement de l’expression « développement durable », trop compromis par ses dérives économiques et politiques. Quoi qu’il en soit, les fondamentaux de cette notion répondent à un questionnement nécessaire au devenir de nos sociétés et de notre planète. Et la communication y restera toujours centrale. N’est-elle pas ce que Libaert (2003) appelle le quatrième pilier du développement durable, véritable attracteur et médiateur des autres piliers et objet interdisciplinaire de recherche idéal pour les sciences de l’information et de la communication ?