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Affirmation de soi et reconnaissance

1Concept polymorphe que se partagent les approches scientifiques et les connaissances ordinaires, l’identité ne se laisse pas appréhender aisément, sa transversalité disciplinaire rendant l’analyse encore plus complexe. Son caractère paradoxal a été, de tout temps, mis en exergue : de l’affirmation d’Héraclite, faisant observer qu’il n’est pas possible de se baigner deux fois dans le même fleuve, au célèbre aphorisme rimbaldien « Je est un autre », on ne compte plus les formulations mettant aux prises, voire sous tension, similitude et altérité – notre époque prenant ses distances avec les approches « primordialistes », à tonalité substantialiste, tout en privilégiant une perspective constructiviste.

2Alors que le cogito cartésien a de lui-même une intuition immédiate, la référence au soi ne se conçoit que dans la longue durée et, comme l’a bien montré Paul Ricœur (1990), n’est accessible que de manière narrative, à travers la médiation d’un récit où le je institue le tu et réciproquement, l’installation de la subjectivité dans le langage – ajoute Émile Benveniste (1976) – créant la « catégorie de personne ». Le sentiment d’appartenance suppose des perceptions ou des catégorisations relevant de principes de différenciation et de comparaison se rapportant au genre, à la classe d’âge, à la situation familiale, au capital culturel, au milieu professionnel ou aux convictions personnelles : comme le notent Philippe Blanchet et Michel Francard (2003), un sujet peut par exemple se définir « comme “homme” dans un débat consacré à l’examen du taux de féminisation dans les carrières universitaires, comme “linguiste” dans une équipe de recherche faisant appel à de multiples compétences, comme “belge” dès qu’il se rend en France et comme “européen” lorsqu’il traverse l’Atlantique ». Cette affirmation de soi est indissociable d’un processus dialogique et reste soumise à une reconnaissance tant par les membres du groupe concerné que par l’extérieur. L’image, suggérée par Charles Cooley (1983), du miroir (looking-glass self) est très précieuse. Cela implique une négociation non seulement avec ceux qui partagent les mêmes systèmes de valeurs mais aussi avec l’ensemble de la collectivité dans laquelle nous sommes insérés. Il en résulte des obligations réciproques, les bénéfices escomptés par ces affiliations nécessitant en contrepartie la conformité à certaines règles.

3La dimension temporelle est ici fondamentale. Si à un moment donné, telle ou telle représentation peut très bien converger vers des identifications institutionnelles, religieuses, ethniques ou territoriales que d’aucuns ne manqueront pas d’exploiter à des fins parfois politiques, il n’en demeure pas moins que la continuité et la fidélité à des traditions peuvent céder la place à des phases de ruptures ou de questionnements, la foi ou le patriotisme cessant d’être les cadres de référence lorsque – sous le coup des mutations sociales – l’Église ou la Nation tendent à perdre leur hégémonie. À cet égard, et comme le rappelle Amin Maalouf (1998), bien des appartenances obligées de naguère sont aujourd’hui vécues ou ressenties comme des « identités meurtrières ». Les ressources culturelles disponibles, qu’elles prennent la forme de mythes fondateurs ou qu’elles aient recours à des rites ou à des symboles, sont toujours le produit d’un passé plus ou moins tourmenté et fluctuent selon les contextes, mêlant affinités et oppositions, proximités et distances au sein de stratégies d’évitement ou de contournement, de repli ou de rejet, d’accommodation ou d’intégration. Carmel Camilleri (1999) fera aussi mention de « pondération différentielle », d’« alternance des codes », de « bricolage » ou de « syncrétisme » selon des variantes « défensive », « distinctive », « volontariste » ou « polémique ».

4Bon nombre d’enjeux identitaires, concluait Frederick Barth (1995) dans une contribution pionnière, se situent aux frontières des groupes ethniques, les choix et les pratiques linguistiques constituant par ailleurs des « marqueurs d’appartenance », dans le cadre d’entités restreintes (argot) ou supranationales (francophonie). De nos jours, les difficultés socio-économiques et le processus de mondialisation ont tendance à brouiller les repères, à susciter des recompositions ou des crispations, de nature tribale ou communautarienne, la place sans cesse plus grande accordée à la « réflexivité » dans les sociétés contemporaines imposant de nouveaux arbitrages.

5Comment, plus précisément, penser le rapport à l’altérité ? Le terme est dérivé du bas latin alteritas. Il apparaît, l’une des toutes premières fois, vers 1270 et désigne alors le changement ou l’altération. Au xviie siècle, sous la plume de Bossuet, il évoque la « distinction » ou la « pluralité » et s’oppose à tout ce qui a trait au même ou à l’identité. Les dictionnaires philosophiques renvoient très souvent à un autre vocable : celui de différence et les typologies retenues – se fondant sur des situations existentielles spécifiques – peuvent être plus ou moins sophistiquées.

6Celle proposée par Françoise Mies retient tout d’abord l’allotité, c’est-à-dire la prise de distance et le retrait spéculatif. Cette attitude de surplomb n’est évidemment pas la seule concevable. On peut aussi songer à l’interpellation, au face-à-face et à l’entre-deux. Ce qui se joue alors n’est pas un simple rapport de sujet à objet mais touche à un impératif ou à une requête fondés sur la parole, laquelle ne peut être que dialogique : celui qui dit Tu, insiste Martin Buber (1969), s’offre à une relation, l’appel qui est lancé étant comme une « écharde dans la chair de la raison ». Les travaux d’Emmanuel Levinas, de Paul Ricœur ou de Franz Rosenzweig vont dans cette direction et se réfèrent, selon les cas, à la vulnérabilité, au dénuement ou à l’affection. Celle-ci « dénoyaute le moi, fissure, arrête le conatus essendi dans son élan, met en cause la maîtrise, décentre, arrache le pain de la bouche pour le donner à l’autre ». L’expérience d’autrui est « expérience par excellence », « sans concept », « hétéronome », au carrefour de la transcendance, de la résistance et de l’appel. Elle intervient dans la constitution de l’ipséité, à travers la responsabilité ou l’investissement, l’amour ou la compassion. Si la vie quotidienne illustre avec force combien notre Moi relègue autrui au statut toujours précaire d’être second, l’asymétrie qui en découle n’exclut cependant pas la réciprocité, l’éthique universaliste s’élaborant à partir d’un foyer de singularités. Un troisième cas de figure est celui de l’immersion dans l’élémental : le monde, dans cette approche, « cesse d’être le corrélat d’une représentation pour être simplement celui où je suis enraciné, où je baigne et où je suis enveloppé » (Mies, 1994). Nous sommes alors dans le registre de la connaturalité, de l’entrelacs ou de la co-appartenance.

7Plusieurs interrogations peuvent être par suite formulées : « Comment la tragédie de l’Holocauste fut-elle possible ? Comment tenir compte des différences ethniques, sociales ou culturelles, sans les ériger en frontières ? […] Pourquoi le mal, si intérieur, peut-il surgir comme d’un dehors ? » (Ibid.) Au cœur de la réflexion : l’Autre et son questionnement. La tradition platonicienne raisonnait en termes de « non-être », de « séparation du Même », de « déficit ontologique ». Le Moyen Âge a poursuivi sur cette lancée, considérant la vérité comme adéquation de la chose à l’intellect, égalisation du connaissant et du connu, perpétuant une vision binaire et réductrice. C’est avec Hegel qu’un autre paradigme, empruntant la voie non plus du solipsisme mais de la dialectique, s’est développé : il n’est plus, désormais, d’extériorité absolue et des médiations peuvent intervenir afin de répondre à une exigence de reconnaissance (Honneth, 2000) ou de diversité (Taylor, 1989), de réciprocité (Gutmann et Thompson, 1996) ou de participation (Sen, 2005).

8Les sciences sociales ont également apporté leur pierre à l’édifice en s’interrogeant sur les classifications et les représentations relatives à la couleur de la peau, à la dimension de la boîte crânienne, à la pilosité ou à la gradation des « races ». On apprend ainsi que l’altérité a longtemps été considérée comme « une qualité ou une substance pérenne et naturelle », qu’elle « fonde, en même temps, une différence irrépressible et l’impérieux devoir de celui qui ne me ressemble pas de se rapprocher de cette part d’universel dont ma propre histoire est dépositaire » (Badie et Sadoun, 1996). Les opinions émises sont elles-mêmes très contrastées, l’Autre pouvant m’être familier et en consonance (au point de consentir à m’effacer devant lui) ou, au contraire, celui auquel je ne m’identifie pas, que je pressens comme alienus et que je tiens pour extérieur à une communauté. Les déclinaisons sont nombreuses et varient selon les époques et les sociétés, les crispations les plus fortes se manifestant lorsque le groupe d’appartenance se veut trop exclusif ou lorsque l’individu place tous ses espoirs d’action et de protection dans l’exaltation des solidarités qui le lient à sa propre structure. De ce point de vue, l’État-nation, en réclamant l’allégeance prioritaire de sujets devenus citoyens, a marqué une étape décisive dans la dramatisation de l’altérité : quitté ce giron, « l’Autre devient brutalement un étranger […], “hors du commun”, “fondamentalement différent” », un « intrus » pouvant incarner la dangerosité, la traîtrise ou les allégeances douteuses (Ibid.).

9Le clivage entre « eux » (clandestins, intégristes, demandeurs d’asile, SDF) et « nous » ne s’est guère atténué. Se pose alors la question du vivre-ensemble et de la coexistence des cultures, les apories ou les impasses du « droit à la différence » ne devant pas être perdues de vue.

Particularismes et principe d’universalité

10Toutes ces discussions peuvent être prolongées par l’examen des controverses anglo-saxonnes en matière de justice sociale ou de neutralité morale, d’autonomie individuelle ou de relativisme culturel. Ce dernier, de simple principe méthodologique destiné – dans l’esprit des anthropologues du xixe siècle – à combattre l’ethnocentrisme, s’est paré abusivement, dans certains cercles (notamment parmi les prosélytes du « droit à la différence »), d’une dimension ontologique qui n’est pas sans équivoques ni contradictions, la proclamation que toutes les expressions peuvent être admises et avoir la même respectabilité contribuant à amplifier les désarrois. En effet, si tout est équivalent, le dogmatisme, le révisionnisme ou la tyrannie deviennent « légitimes », et on peut alors « contextualiser » n’importe quelle atrocité. De même, si « tout est bon », le savoir est à mettre sur un pied d’égalité avec le vaudou, la magie ou l’ésotérisme. Or, contrairement à ce que laissent entendre les zélateurs du postmodernisme ou du « politiquement correct », le respect des personnes, le « sens moral » ou la sensibilité à l’égard d’autrui ne peuvent être considérés comme des codes ou des idéaux qui ne seraient l’apanage que d’une élite occidentalisée, la quête d’universaux ne devant pas être disqualifiée mais encouragée. Nier cette transcendance reviendrait à glorifier les pires servitudes. Fondée sur l’opposition être/devoir être, l’idée kantienne de République n’est pas si éloignée de ces préoccupations puisqu’elle introduit le rationalisme en politique, qu’elle appelle une vision synthétique de la nation associant « héritage » et « volontarisme », et qu’elle promeut la création d’un espace de communication au sein duquel prédomine l’ascèse de l’argumentation et de la preuve.

11L’« éthique de l’authenticité » souffre, pour sa part, de trop d’ambiguïtés pour constituer une réponse appropriée aux problèmes d’intégration. Beaucoup de ses porte-parole tendent, à la façon d’un Richard Rorty par exemple, à accréditer la thèse selon laquelle ce qui compte est le « différend absolu » plutôt que l’entente ou la conciliation, le dissentiment plutôt que l’accord, la singularité et l’incommensurabilité plutôt que l’existence ou la recherche d’un point commun.

12Ce refus d’une « communauté communicationnelle », chère à l’École de Francfort (Habermas, 1987), paraît très dommageable car ceux qui, dans le camp communautarien, défendent cette position ne saisissent la réalité, que celle-ci soit juridico-politique ou éthico-religieuse, qu’à travers sa perversion instrumentale et ne peuvent admettre que nous puissions parvenir à une compréhension intersubjective et donc à la formation d’un consensus. En souscrivant à de tels propos et en pratiquant l’amalgame, on occulterait l’un des principaux enseignements de la rhétorique pérelmanienne, à savoir que « seule l’existence d’une argumentation, qui ne soit ni contraignante ni arbitraire, accorde un sens à la liberté humaine, condition d’un choix raisonnable » (Perelman, 1958). On méconnaîtrait pareillement que, le temps d’un dialogue, « il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; ni esclave, ni affranchi ; ni homme, ni femme » (Épître aux Galates, III, 28), le respect de la diversité ne devant pas conduire au tribalisme.

13Dès lors, le principe d’universalité, tel qu’il est formalisé par Francis Jacques ou Karl Otto Apel, ne mérite pas ce rejet mais doit être conforté, qu’il s’agisse d’une visée contractualiste ou d’une philosophie de l’interlocution. Le cadre général dans lequel prend place cette réflexion n’est autre que celui jadis exprimé par Montaigne – « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition » – ou celui se rapportant à la civilité ou à la politezza. Comme l’écrivait Georges Devereux (1972), « si l’on n’est rien qu’un Spartiate, qu’un capitaliste, qu’un prolétaire, qu’un bouddhiste, on est près de n’être rien du tout, et donc de ne pas être du tout ».

14L’engagement communautaire, s’il peut être respectable (c’est-à-dire hors de toute ethnicité « essentialiste »), ne doit pas occulter les références aux « lumières universalistes » et aux « libertés individuelles », le vieil adage scolastique (Distinguere sed non separare) méritant toute notre attention.

15L’instauration d’une « citoyenneté différenciée », font valoir Tzvetan Todorov (1989) ou Pierre-André Taguieff (2013), ne saurait être « inconditionnelle ». Comment alors être à l’écoute des différences tout en ne cédant pas aux surenchères ou aux dérives de type « castéiste » (en référence aux politiques de « réservation » menées en Inde) ? Doit-on s’abriter derrière un « patriotisme constitutionnel » ou militer pour la défense de « droits spécifiques » ? Quelle que soit l’orientation choisie, de nouveaux cadres d’analyse s’imposent, les dynamiques culturelles s’insérant dans un champ notionnel complexe, en plein devenir.

16Le lien social est à la fois d’identité et d’altérité. Le recours au paradigme « relationnel » permet de bien mettre en évidence chacune de ces polarités à travers un double registre : celui de l’échange et celui de la solidarité. Plusieurs modalités apparaissent (Bajoit, 1992). Selon les sensibilités, on insistera sur des processus de « liaison » (tels ceux de « rapprochement » ou d’« adaptation ») ou de « séparation » (comme ceux de « rivalités » ou d’« opposition »), certains auteurs comme Georg Simmel jouant la carte non pas du dualisme mais de la dualité tout en prenant en considération logiques internes et externes, horizontales et verticales, micro et macro.

17Concernant plus spécifiquement la problématique de l’intégration, trois niveaux de réflexion peuvent être mentionnés :

  • celui de la sodalité prend en compte la capacité humaine à fonder des groupes, définis comme des unités actives tels un couple ou une famille, une entreprise ou un syndicat, une Église ou une armée ;
  • lorsque l’on raisonne en termes de réseaux ou de civilité et que l’on s’intéresse aux rapports qui s’établissent au sein d’une parenté ou d’un voisinage, d’un cercle ou d’un salon, le vocable le plus adéquat est celui de sociabilité ;
  • la socialité, quant à elle, désigne des morphologies (qu’il s’agisse de tribus ou de féodalités, de cités ou de nations) et renvoie à l’analyse des formes de solidarité.

18L’étude des phénomènes de mobilisation intègre structures de contrôle et stratégies d’échange. Les premières sont de nature normative (intériorisation), coercitive (soumission), institutionnelle (délégation de pouvoir) ou actionnelle (participation) ; les secondes répondent à diverses finalités, inclusives ou exclusives (Baechler, 1998).

19Envisagée, à la manière de Mancur Olson, de Thomas Schelling ou d’Albert Hirschman, dans une perspective « relationnelle », la combinaison de toutes ces variantes nous éclaire sur les comportements d’exit ou de voice, de loyauté ou de protestation, d’apathie ou de défection.

20Si, comme l’ont fait valoir Paul Ricœur ou Michael Walzer à partir d’une méditation sur les catégories réflexives de « jugement réfléchissant » et de « validité exemplaire », nous ne pouvons pas nous abstraire de ce que nous sommes, nous ne pouvons pas non plus abandonner la pensée de l’universel, d’un universel « inchoactif », « pluriel » ou « délibératif », basé sur la « force des convictions ». Celles-ci, n’ayant pas pour vocation prioritaire de se faire l’écho d’« indignations ritualistes », représentent « notre être, notre patrimoine, notre foi » et doivent être aussi soumises au feu de la critique, tout en sachant que l’échange « n’aboutira jamais à une totale identification » mais à une « mise en commun » par confrontation des valeurs les unes aux autres dans une « totalité présumée » (Habermas, 1987 ; Ricœur, 1990).

21Une telle dialectique nécessite un dialogue permanent entre les cultures, dialogue qui ne peut manquer d’être conflictuel mais où chacun doit s’engager en étant conscient qu’il a à apprendre de l’autre, en acceptant l’éventualité d’importants changements dans ses attitudes ou ses croyances et en étant ouvert à une dynamique de « transformation mutuelle », au lieu de se complaire dans ses spécificités communautaires, aussi grandioses ou séduisantes soient-elles.

22La montée des phénomènes de désaffiliation ou de ségrégation doit être replacée dans un contexte de remise en cause de l’État-providence et de déstructuration des rapports sociaux. L’affirmation nationaliste de type « réactif » et le retour aux « racines » témoignent, de leur côté, d’une poussée identitaire de plus en plus forte susceptible de déboucher sur des conflits interethniques. Le spectre des positionnements est ici des plus vastes, allant de la stigmatisation au cosmopolitisme, de la nostalgie à l’acrimonie, les compromis effectués débouchant sur la constitution de territoires bien délimités, sur le respect scrupuleux des distances et sur des stratégies de consolidation très élaborées fondées sur des « accommodements » et des « transactions ».

23Si les sujets de discorde ne manquent pas (songeons à l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers, aux procédures d’asile et aux conditions d’obtention de la nationalité du pays de résidence, aux politiques dites de « remédiation », ou encore aux récents débats sur la mémoire de l’esclavage ou la réception des contrats d’accueil familial), l’intégration – à travers le prisme du contrat social – ne peut plus être appréhendée comme une voie moyenne entre assimilation et insertion mais comme un processus de négociations et de redéfinitions, articulé à un système de normes et à des principes communs (les différences ne devenant enrichissement que si elles vont de pair avec la promotion de valeurs universelles).

24Dans ces conditions, un défi est lancé au législateur : comment trouver un équilibre entre le respect des droits des individus et les modes d’expression collective, sans que ceux-ci annihilent les premiers ? L’alternative se précise entre une Europe des citoyens et une Europe des minorités, l’égalité de traitement et la lutte contre les discriminations étant fondamentales de même que la conquête de nouveaux droits ou l’ouverture de nouveaux espaces d’expression et de sociabilité, de liberté et de responsabilité.

25L’heure est désormais aux « mutations » et aux « recompositions », aux « bricolages » ou aux « métissages » avec, en toile de fond, la montée en puissance des « intégrismes » et des « tribalismes », l’interrogation formulée par Isaiah Berlin en 1990 (comment réconcilier le « legs des Lumières » avec la « pluralité des normes et des valeurs » ?) étant plus que jamais pertinente.

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Quelle place et quelle signification accorder au droit à la différence, aux politiques de reconnaissance ou aux engagements de type communautaire ? Les approches en termes de relativisme culturel sont-elles pertinentes ? Comment trouver un équilibre entre le respect du droit des individus et les modes d’expression collective ? Toutes ces interrogations présupposent un examen attentif du rapport à autrui et des dynamiques identitaires, la perspective « transactionnelle » pouvant se révéler très féconde.

Mots-clés

  • altérité
  • droit à la différence
  • intégration
  • particularismes
  • reconnaissance
  • relativisme culturel
  • universalisme

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Gilles Ferréol
Agrégé de sciences sociales, Gilles Ferréol est professeur de sociologie à l’université de Franche-Comté où il dirige le laboratoire C3S (Culture, Sport, Santé, Société). Il est l’auteur de nombreux ouvrages portant notamment sur l’altérité et les relations interculturelles, les minorités et l’intégration, l’ethnicité et les politiques migratoires. Ses travaux s’inscrivent dans une perspective comparative et questionnent les rapports entre tradition et modernité, particularismes et universalisme.
Courriel : <gferreol@hotmail.com>.
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/06/2015
https://doi.org/10.3917/herm.071.0109
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