1Né dans les milieux savants des années 1940-1950 avec les premières théories de la communication (école de Francfort, école de Palo Alto, théorie de l’information, cybernétique), le discours communicationnel émerge socialement à partir des années 1960, avec l’essor des médias et de la culture de masse, avant d’être repris par les institutions publiques et les politiques dès les années 1970. D’après Érik Neveu (1994), en seulement quelques décennies, ce n’est rien moins qu’« un mythe de la communication » qui s’est développé, contribuant à transformer la société de consommation chère à Baudrillard en une « société de communication » qui promet tout à la fois abondance, décentralisation, autonomie des individus, mondialisation et contraction de l’espace-temps. Pour Dominique Wolton (2012), on peut même parler d’un « tournant communicationnel à l’œuvre depuis un demi-siècle » dans la mesure où la communication est « l’une des plus grandes révolutions des xxe et xxie siècles ».
2Absent de la pensée classique (il n’a pas d’entrée dans le Vocabulaire de la philosophie d’André Lalande), le terme de communication recouvre une large diversité conceptuelle, nourrie aussi bien par le structuralisme, la linguistique, la sémiologie que par la révolution informatique et les sciences de l’information et de la communication (Ibid.). D’après les premières théories de la communication, il peut désigner tantôt un processus technico-mathématique de transmission d’information (modèle de Claude Shannon qui distingue l’émetteur, le récepteur, le message, le canal, etc.), tantôt un processus linguistique de communication verbale (les six fonctions du langage de Roman Jakobson), tantôt un processus psychologique d’interaction systémique (approche de l’école de Palo Alto avec Gregory Bateson ou Paul Watzlawick), etc.
3Dans cet article, nous utiliserons les travaux récents de Dominique Wolton (2012), qui distingue trois sens au concept de communication :
- le sens technique classique hérité des théories de la communication : la communication est d’abord l’acte de transmettre un message, une information ou une signification, d’un émetteur vers un récepteur, par le biais d’un canal (la parole, l’écriture, l’imprimerie, la téléphonie, la radio, la télévision, Internet, etc.) ; dans ce cas, il n’y a pas de communication sans transmission ;
- un sens psychique hérité de la psychologie et de la psychanalyse : la communication est l’acte par lequel un émetteur et un récepteur se comprennent, s’entendent, s’accordent, c’est-à-dire par lequel il existe entre eux une circulation du sens qui constitue un point de rencontre ou d’union, le plus souvent en vertu de ressemblances (ou « points communs ») ; dans ce cas, il ne suffit pas d’une transmission pour faire la communication, il faut que cette transmission engendre une compréhension mutuelle (fût-ce sur un désaccord), ce qui dépend de multiples facteurs (psychologiques, éducatifs, sociaux, culturels, politiques, etc.) ;
- enfin, un sens politique : la communication est l’acte de négociation grâce auquel l’émetteur et le récepteur parviennent à dépasser l’incommunication radicale engendrée par la somme de leurs différences et par l’absence de point de rencontre ou d’union ; dans ce cas, plutôt que d’être abolie par la haine, la communication tourne en mode minimal et consiste à « faire cohabiter des points de vue plus ou moins contradictoires » (Ibid.).
4Cette tripartition a le mérite de souligner « la complexité de tout processus communicationnel » (Ibid.), à savoir la disjonction (souvent inaperçue) qui existe entre information et communication (Wolton, 2009). Elle permet d’établir que, quels que soient les canaux ou les technologies utilisés, les processus de communication sont toujours menacés par le risque de l’incommunication car « le récepteur n’est jamais en ligne avec l’émetteur » (Wolton, 2012) : il modifie toujours le sens de ce qui a été transmis ou bien il ne le reçoit pas de la manière attendue. C’est pourquoi l’acte de communiquer, au sens plein du terme, ne se réduit pas à l’acte de transmettre (c’est-à-dire échanger des informations selon une logique des significations) mais inclut l’acte de partager (c’est-à-dire échanger des ressemblances et des différences selon une logique du sens). « L’enjeu de la communication reste l’appréhension, et la gestion de l’altérité » (Ibid.).
5Dans cette perspective, nous nous demanderons de quelles manières et dans quelles mesures le design contribue aux phénomènes de communication, et en quels sens. Car si le xxe siècle a été celui de la communication, il a également été celui du design, comme en témoigne l’exposition « Design, miroir du siècle » présentée au Grand Palais à Paris au début des années 1990 (Noblet, 1993). Cette concomitance du design et de la communication a-t-elle un sens ou bien n’est-elle qu’un hasard historique ? Quel est le rôle du design dans l’émergence des logiques de communication au xxe siècle ? En quoi l’acte de design peut-il être considéré comme un acte de communication ? Et réciproquement, en quoi l’acte de communication peut-il être un acte de design ? Quels sont les points de rencontre entre design et communication ?
Le design, arme de communication massive
6Bien que la notion de design remonte à la Renaissance, le design industriel est avant tout « un phénomène du xxe siècle » (Schulmann, 1995). Préparé par les grands mouvements créatifs et humanistes de la fin du xixe siècle et du début du xxe (Arts and Crafts, Art Nouveau, Deutscher Werkbund, Bauhaus), il apparaît aux États-Unis dans les années 1920, à la veille de la Grande Dépression. C’est là que les premières agences d’Industrial Design se développent et démultiplient les ventes des produits industriels en leur donnant des formes aérodynamiques, lisses et arrondies (en 1934, Raymond Loewy redessine pour Sears Roebuck le réfrigérateur Coldspot, dont les ventes grimpent de 60 000 à 275 000 unités en seulement deux ans). En quelques décennies, l’influence du design industriel est spectaculaire autant que décisive : non seulement il fait apparaître une nouvelle profession, celle de designer industriel, mais il bouleverse en profondeur la stratégie des entreprises, les mécanismes de production, la forme des produits de consommation et les logiques de marketing et de communication qui leur sont associées.
7Ce triomphe du modèle mercatique du design, au détriment du modèle humaniste du Bauhaus allemand (Findeli, 1995) ou du modèle de l’Esthétique industrielle française (Le Bœuf, 2006), constitue le tournant des années 1950. Dans les entreprises, il se manifeste très vite par la fusion entre le design et le marketing. Apparu progressivement aux États-Unis en tant que théorie et méthode à partir des années 1930 (c’est-à-dire en même temps que l’Industrial Design), le marketing s’impose comme fonction majeure dans l’entreprise dès les années 1950. Dès lors, entre design et marketing, la différence ne tient plus qu’à un fil : le design industriel devient un processus créatif au service du marché visant à « projeter un univers de signes sur des produits pour induire des critères d’achat qui ne soient plus de l’unique ressort de la fonction » (Heilbrunn, 2006). Par conséquent, le design industriel est d’emblée un opérateur majeur de la « société de consommation », définie comme « activité de manipulation systématique de signes » (Baudrillard, 1970), qui fonctionne à la fois comme « une morale (un système de valeurs idéologiques) et un système de communication, une structure d’échange » (Ibid.).
8On retrouve ici le sens premier, c’est-à-dire technique, de la communication. En effet, transformer les objets en signifiants consommationnels grâce au design consiste à en faire des canaux de communication qui transmettent un message (commercial, idéologique) entre l’émetteur (la marque) et le récepteur (le consommateur). Mais ce n’est pas tout : dans le système de la consommation, non seulement les objets sont traités comme des signes, mais ils reçoivent encore une deuxième couche de significations, celle des discours communicants qui s’ajoutent à eux dans le vase dispositif de leur promotion (slogans commerciaux, publicités dans les mass media, etc.). Là encore, le design joue un rôle de premier plan dans la mesure où les stratégies de communication sont en elles-mêmes des objets de conception et font l’objet d’un travail de design minutieux. On appelle d’ailleurs design de communication (communication design) la branche spécialisée du design qui consiste à concevoir et mettre en forme des messages et des dispositifs « communicants » (notamment par le design graphique, le design interactif, le design d’information, le design d’environnement, etc.). Dès lors, non seulement le design joue un rôle décisif dans le système contemporain de la consommation-communication, mais il intègre dans sa définition même le « champ de la communication » comme l’un de ses secteurs clés, aux côtés de ceux (classiques) de la conception de l’image de marque, de la conception des produits et de l’aménagement de l’espace. Si le système généralisé de la consommation est finalement un système de la communication, le design en est clairement le bras armé – au sens où il est son meilleur instrument de conquête (des marchés).
9Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas que l’injonction de communiquer, qui s’impose à tous les acteurs sociaux et économiques depuis près d’un demi-siècle, s’impose également aux designers, en vue de valoriser et faire connaître leur travail. Il ne s’agit plus seulement de concevoir des produits mais de « faire de l’image avec ses produits » car « aujourd’hui, nul n’est maître de son destin s’il ne maîtrise la communication de son produit » (Colin, 2003). Au point où « tout designer qui se respecte se doit de disposer d’une revue de presse épaisse comme un annuaire » (Ibid.). Ce n’est pas seulement que les designers doivent eux aussi vendre leurs produits, leurs idées, leurs compétences (ce qu’ils font déjà) mais c’est que, « bien souvent, il ne s’agit plus de vendre tel ou tel produit, mais bel et bien de se vendre » comme si le signifiant du designer était devenu lui-même un objet de consommation (les designers-stars savent bien en jouer). Dans les cas les plus extrêmes, on peut se demander néanmoins si l’acte de communiquer (sur) le design ne finit pas par remplacer l’acte de design lui-même. Quoi qu’il en soit, à l’aube du xxie siècle, pour les designers, non seulement « la communication fait désormais partie intégrante de leur travail » (Ibid.) mais « on peut penser, dès lors, que les nécessités de la communication de masse, et ses outils informatiques, interviennent dans la forme de l’objet de manière aussi décisive et contraignante que le firent en leur temps celles du moule industriel » (Ibid.). Désormais, « le projet n’est pas achevé tant qu’il n’est pas communiqué » (Ibid.).
Quand le design ne communique plus
10Dans les années 1960, en plein essor du système de la consommation-communication, des voix s’élèvent contre les dérives mercatiques du design, qui tendent à le couper de ses racines humanistes et à engendrer avec les usagers une relation d’abrutissement commercial. En Allemagne, à l’école de design d’Ulm (Hochschule für Gestaltung), où se poursuit en la réinterprétant la tradition du Bauhaus, le nouveau directeur Tomás Maldonado entend « promouvoir un design au service de l’individu et non de la société de consommation » (Laurent, 2008). En Italie, les groupes Archizoom et Superstudio remettent en cause le mouvement moderne fonctionnaliste et défendent un design pop et ludique. En 1969, Joe Colombo publie même un manifeste intitulé Antidesign, dans lequel il prône l’abandon de la production d’objets afin de cesser de servir aveuglément le capitalisme. Cette « crise morale du design » (Vial, 2015) culmine dans la « Lettre aux designers » d’Ettore Sottsass en 1990, où l’on peut lire ces mots :
Actuellement, notre problème est le suivant : une fois qu’on a touché les esprits, une fois qu’on a expliqué aux tribus, aux populations, aux clans, aux familles, aux individus, tout ce à quoi ils « peuvent » penser, rêver, désirer et posséder, leurs esprits ne peuvent s’arrêter de rêver, de désirer, d’imaginer. Ils déclenchent des réactions en chaîne et la supernova explose.
12En 2002, le critique d’art américain Hal Foster va même jusqu’à soutenir que « le design est l’un des principaux agents qui nous enferment dans le système quasi total du consumérisme contemporain » (Foster, 2008). Tout semble emporté par la logique de l’image communicationnelle et consommatrice, jusqu’à l’architecture elle-même : « la construction, sous l’emprise du design, tend aujourd’hui à s’aligner sur la production d’objets consommables. […] Le design rend la ville consommable, en images au moins, comme les objets, plus qu’il ne favorise un bon usage des objets et de la ville. » (Chevrier, 2003)
13Cependant, ce paroxysme ultra-communicationnel du système de la consommation bute très vite sur un échec du sens et engendre, dès les années 1970, une rupture croissante avec le consommateur-récepteur. Saturé de signes et de messages toujours plus riches de significations mais plus vides de sens, le consommateur ne croit plus aux discours communicants et publicitaires, dont l’inflation sémantique atteint un point tel qu’elle confine à la fois au ridicule et à l’insupportable. Certes, au sens technique, la communication consommationnelle prospère car les messages affluent mais, au sens psychique, c’est l’incommunication qui l’emporte. En France, les intellectuels et les artistes s’en font rapidement l’écho, que ce soit sur un mode théorique, humoristique ou littéraire. En 1970, Baudrillard se livre déjà à une série de commentaires de textes de slogans publicitaires des années 1960, dont la justesse n’a d’égal que la drôlerie. À titre d’exemple, voici l’une des publicités pour femme qu’il cite :
Avoir trouvé sa personnalité, savoir l’affirmer, c’est découvrir le plaisir d’être vraiment soi-même. Il suffit souvent de peu de chose. J’ai longtemps cherché et je me suis aperçue qu’une petite note claire dans mes cheveux suffisait à créer une harmonie parfaite avec mon teint, mes yeux. Ce blond, je l’ai trouvé dans la gamme du shampoing colorant Récital… Avec ce blond de Récital, tellement naturel, je n’ai pas changé : je suis plus que jamais moi-même.
15Et voici le commentaire critique qu’il en donne :
Si l’on est quelqu’un, peut-on « trouver » sa personnalité ? Et où êtes-vous, tandis que cette personnalité vous hante ? Si l’on est soi-même, faut-il l’être « vraiment » – ou alors, si l’on est doublé par un faux « soi-même », suffit-il d’une « petite note claire » pour restituer l’unité miraculeuse de l’être ? Que veut dire ce blond « tellement » naturel ? L’est-il, oui ou non ? Et si je suis moi-même, comment puis-je l’être « plus que jamais » : je ne l’étais donc pas tout à fait hier ? Puis-je donc m’élever à la puissance deux, puis-je m’inscrire en valeur ajoutée à moi-même, comme une sorte de plus-value dans l’actif d’une entreprise ?
17Nous ne sommes pas très loin du sketch de l’humoriste Coluche, en 1979, sur « La publicité », dans lequel ce dernier se joue de la rhétorique des marques de lessive :
Ah ! Il est bien le nouvel Omo ! C’est celui qui lave encore plus blanc que blanc !
Moi, j’avais l’ancien Omo qui lavait plus blanc et il lavait déjà bien hein !
Mais maintenant il y a le nouvel Omo qui lave encore plus blanc !
Moi j’ose plus changer de lessive, j’ai peur que ça devienne transparent après !
19L’inflation sémantique est telle qu’on se demande s’il ne manque pas une septième fonction du langage à la théorie de Jakobson : la fonction délirante, c’est-à-dire à proprement parler in-sensée. Toutefois, loin de s’étioler avec le temps, cette inflation n’a fait que s’accroître et se naturaliser, jusqu’à s’ériger en un système cynique (pensons au roman 99 francs de Frédéric Beigbeder) auquel chacun s’est habitué comme à un jeu communicationnel dont il subit, sans être dupe, les effets de non-sens. Cette incommunication consommationnelle est devenue banale et quotidienne, autant qu’elle est devenue l’objet d’un métier, celui des concepteurs-rédacteurs, designers et marketeurs. Certes, on parle surtout ici des discours, c’est-à-dire des messages textuels, mais, comme on l’a vu plus haut, c’est l’ensemble du design industriel qui fonctionne selon ce modèle de l’image communicationnelle et qui en instille et en distille l’esprit dans les discours comme dans les objets et les espaces de la post-modernité.
Le retour en force du sens : vers un design communicationnel ?
20S’il a triomphé sur le plan professionnel dans la seconde moitié du xxe siècle, le modèle mercatique et consommationnel du design n’a pas pour autant éclipsé les origines humanistes de la discipline. Dès la fin des années 1980, les designers ont commencé à faire émerger de nouvelles formes de design (éco-conception, design centré sur l’utilisateur, design d’interaction, design de services, codesign, etc.) visant à être centrées sur l’humain et suivant, de ce fait, un mouvement d’« éclipse de l’objet » (Findeli et Bousbaci, 2005).
21Parmi elles, on peut citer le design centré sur l’utilisateur (user-centered design), qui est intimement lié à la question de la communication. Partant du constat que « nous sommes entourés d’objets de désir, et non d’objets d’usage » (Norman, 2002), le design centré-utilisateur se focalise sur les besoins et les intérêts de l’usager (c’est-à-dire du sujet) et met « l’accent sur la fabrication de produits utilisables et compréhensibles » (Ibid.). Grâce aux modèles conceptuels, aux rétroactions, aux contraintes, aux affordances, le design centré-utilisateur permet à un artefact bien conçu de communiquer de lui-même et par lui-même avec l’utilisateur, sans qu’il y ait besoin d’instructions d’utilisation : « l’appareil doit s’expliquer lui-même » (Ibid.). En ce sens, « le design est vraiment un acte de communication, qui implique d’avoir une compréhension profonde de la personne avec laquelle le concepteur communique » (Ibid.). Si cette approche est principalement ergonomique et cognitive, elle introduit néanmoins au cours des années 1990 un état d’esprit nouveau dans la manière de faire du design, qui ne va cesser de prendre de l’ampleur. D’autres formes nouvelles de design vont s’en inspirer, au premier rang desquelles le design interactif, qui envisage l’interaction entre une interface numérique et un usager en termes de « synergie communicationnelle » (Designers interactifs, 2013).
22Œuvrer à concevoir et pratiquer le design comme un acte communicationnel, qui ne favorise pas seulement la communication au sens technique mais également au sens psychique, c’est tout l’enjeu de l’alliance du design et des sciences humaines et sociales, qui est aujourd’hui de plus en plus au fondement de l’enseignement de la discipline. À titre d’exemple, on peut citer ici, parmi beaucoup d’autres, la contribution de la sémiotique à l’acte de design (Deni, 2009). Puisque « la sémiotique est une méthode nécessaire à l’interprétation des phénomènes communicatifs complexes » (Ibid.), naturellement « le sémioticien accompagne le travail du designer dans l’organisation de la signification (du concept) et dans l’efficacité de sa communication » (Ibid.). De même, plus généralement, la « sémiotique des objets » (Zinna, 2009) est un atout remarquable pour les designers, comme on le voit par exemple dans l’analyse sémiotique des chaises et des pratiques sociales qu’elles induisent (Beyaert-Geslin, 2012).
23Voilà pourquoi on peut dire avec Klaus Krippendorff (2006) que « le design industriel se trouve à un tournant critique » :
Concevoir des artefacts pour faire sens, produire des significations et avoir une portée sociale, c’est-à-dire revenir aux significations perdues de l’origine latine du mot « design », implique un changement radical pour la pratique du design. Il s’agit d’un tournant vers des considérations de sens – un tournant sémantique.
25Plutôt que de se concentrer sur la mise en forme de l’apparence des produits, le design doit se concentrer sur la « conception d’artefacts matériels ou sociaux qui ont une chance d’avoir une signification pour leurs utilisateurs » (Ibid.). Pour Krippendorff, il s’agit du passage du « design centré sur la technologie » (technology-centered design) de l’ère industrielle au « design centré sur l’humain » (human-centered design) de l’ère post-industrielle. Désormais, « le design est une fabrique du sens des choses ». Par là, il faut comprendre que « les produits du design doivent être compréhensibles pour leurs utilisateurs », non pas tellement en termes fonctionnels, esthétiques, ergonomiques (communication au sens technique de la transmission d’information, de significations ou de valeurs), mais en termes psychiques, sociaux, culturels (communication au sens psychique de la compréhension mutuelle et du partage de sens). Ainsi considéré, « le design est une façon de comprendre les choses, de leur donner un sens, de nous les rendre familières et de les intégrer à notre vie » (Ibid.). Telle pourrait être la définition contemporaine d’un design plus communicationnel, prenant au sérieux la complexité humaine de la communication, en se dégageant de l’emprise des significations pour valoriser la production de sens et contribuer à faire monde.