1Communication et management semblent indissociables, aussi bien au niveau des pratiques que des analyses. Les managers sont devenus des « communicants », utilisateurs d’instruments, de dispositifs et de processus de communication considérés, en particulier à partir des années 1980, comme fondamentaux d’une recherche d’excellence (Peters et Waterman, 1983) ou, plus tard, comme solutions aux « crises » du management.
2Un « allant de soi » donc, qui pourtant ne se traduit pas massivement dans les travaux de recherche en sciences de gestion. En effet, ceux-ci ont surtout analysé les relations fonctionnelles de la communication au sein des organisations qui, avant de devenir « communicantes », ont instrumentalisé la communication, en particulier pour le contrôle, la motivation des salariés ou encore la coordination au fil de l’évolution des pratiques et des concepts.
De la communication comme outil de contrôle…
3Dès le début du xxe siècle, Frederick Winslow Taylor (1911) préconise une organisation scientifique du travail ; puis Henri Fayol (1918) décrit un système de division du travail avec spécialisation des fonctions et séparation des pouvoirs. La communication est alors intégrée comme instrument de contrôle, indispensable outil permettant la coordination et le fonctionnement même des modèles. Une conception classique prévaut alors : la communication est descendante et se limite à une transmission rationnelle d’informations dans le cadre d’une organisation hiérarchique.
4Les entreprises des Temps modernes évoluent ensuite et prennent en compte les facteurs sociaux et de motivation : des salariés « satisfaits » sont plus performants. Pour Elton Mayo (1933), la coopération et l’exercice des créativités sont des sources d’amélioration des productivités. Il est donc nécessaire de tenir compte des aspects informels (et communicationnels) au sein des organisations, dans le sillage des travaux des psychosociologues (Bavelas, Lewin, etc.). Trente ans plus tard, Douglas McGregor prolonge cette analyse et préconise une amélioration du contrôle avec une démarche participative. Il ne s’agit cependant pas d’une remise en cause de l’organisation industrielle, mais d’élargir la conception de la communication qui n’est plus limitée à la transmission d’informations dans un cadre formel. Il convient alors, une fois l’implication de chaque acteur reconnue, de tenter de contrôler l’ensemble des interactions formelles et informelles, en particulier en installant des dispositifs de gestion des communications ascendantes et en canalisant les latéralités.
5Herbert Simon, en 1947, propose un nouveau schéma d’analyse qui permet de faire la synthèse de la conception classique de l’entreprise, mécanique de production, et des propositions de l’école des relations humaines visant à prendre en compte l’informel pour augmenter la motivation – et donc l’efficacité – des salariés.
6La théorie de la décision s’appuie sur une analyse des organisations en termes d’information, d’une part, et d’influence, d’autre part. Toute décision s’inscrit dans le cadre de la rationalité limitée et les organisations doivent tenir compte des coûts d’information comme des intérêts divergents. Ces derniers déterminent l’implantation de processus particuliers visant à les accorder. « À l’évidence, il ne saurait y avoir d’organisation sans communication, car le groupe ne disposerait alors d’aucune possibilité d’infléchir le comportement des individus. » (Simon, 1983)
7La communication, en termes de processus indispensable à la fois pour les prises de décision et les transmissions de ces décisions, n’est dès lors plus un élément relativement extérieur ou complémentaire aux logiques de gestion des entreprises, mais devient un élément constitutif du management. Les managers doivent en effet non seulement veiller à produire des informations descendantes adaptées, mais aussi prévoir de les expliquer et mettre en place des dispositifs de gestion des remontées d’information, préalable organisationnel aux prises de décision.
8Il s’agit bien d’un changement de paradigme qui, en proposant une nouvelle analyse des organisations centrée sur les décisions, incite au développement des circuits et réseaux de communication tout en accordant un nouveau statut à l’information, que ce soit dans les réseaux formels ou informels de l’entreprise. Les organisations doivent ainsi mettre en place des routines qui permettent de mieux faire face aux incertitudes, de diviser les processus de décision entre plusieurs acteurs pour plus d’efficacité et de limiter le risque d’erreur dans cette théorie basée sur la rationalité procédurale.
9Ainsi, la relation entre management et communication se transforme radicalement, en interne principalement, non seulement avec le dépassement du « formel » et la prise en compte – voire la canalisation – de phénomènes qui « échappent » au dirigeant, mais surtout parce que la communication est désormais formalisée dans une logique organisationnelle qui génère des pratiques de contrôle (Crozier et Friedberg, 1977). La nature des informations fait l’objet d’interrogations et c’est bien le modèle mécaniste qui disparaît au profit d’un modèle plus « ingénieural » dans lequel la communication, toujours instrumentalisée, est intégrée comme un phénomène complexe, multidimensionnel, indispensable pour les transmissions d’informations qui peuvent poser problème comme pour le renforcement de la motivation des acteurs. La communication est aussi liée, dans ce cadre, à des logiques d’adaptation qui deviennent fondamentales alors que l’entreprise commence à devenir « proactive », dans des démarches d’apprentissage, ce qui préfigure le modèle de l’organisation apprenante qui apparaît quelques décennies plus tard.
… à la communication comme élément central de l’organisation
10Dans le même temps, alors qu’il ne suffit plus de produire pour vendre, le marketing devient communicant : il faut rechercher des informations (études de marché), répondre aux désirs des clients (relations de service, service après-vente), communiquer sur les produits (avec une évolution de la réclame vers la publicité) et cultiver les relations publiques (sponsoring, mécénat, mais aussi lobbying). Un âge d’or, donc, de la communication au sein des entreprises, même si, malgré une prise en compte croissante des remontées d’information de l’opérationnel au stratégique, le service « communication », ouvert à l’extérieur, reste un service à part.
11Cependant, l’apport de l’analyse systémique contribue à une évolution conceptuelle et pratique. L’entreprise devient une organisation complexe ouverte sur son environnement pour laquelle la communication – en pratique, concept et processus – est doublement intégrée : ce caractère d’ouverture du système impose une adaptation permanente aux conditions externes et la structure a besoin d’une coordination interne. Le modèle de l’organisme supplante celui de la machine et l’entreprise devient contingente. Avec Henry Mintzberg (1982), la communication, en tant que mécanisme de coordination, devient un élément fondamental de la structure.
12Pour autant, le xxe siècle apporte peu d’analyses qui dépassent le cadre fonctionnel pour la communication, de facto reléguée au statut de réalité secondaire par rapport à l’essence même de l’organisation.
13Annie Bartoli (1990) cherche à identifier les conditions de mise en œuvre d’une « communication organisée dans une organisation communicante », dépassant ainsi une analyse des méthodes et des fonctions communicationnelles et cherchant surtout à mettre en perspective les enjeux de la communication avec l’évolution des structures, pour rompre, en particulier, avec les préconisations incantatoires (« il faut communiquer plus »). Au sein de cette organisation communicante, où les communications interne et externe s’articulent en complémentarité, « un raisonnement relatif et temporel […] s’impose : on communique pour ou sur […]. Toute autre ambition globale n’est-elle pas une gageure pure et simple ? » (Bartoli, 1990)
14Cette analyse rejoint en partie les approches communicationnelles des organisations, depuis les années 1980, en rupture avec les modèles précédents. « En dehors de la communication, l’organisation n’est qu’une idée » (Taylor, 1988). L’entreprise communicante serait alors principalement un système de communication. Il s’agit bien de réfléchir en termes de réseaux et d’usages, de relier recherche de performance et participation, d’inscrire l’entreprise dans les réalités communicationnelles, en conceptions comme en pratiques.
15Si les analyses instrumentales de la communication semblent bien dépassées – la communication n’étant plus considérée ni comme un moyen ni comme une conséquence en particulier des évolutions des structures –, cette conception d’une organisation construite par la communication, à travers les interactions des acteurs, semble bien en phase avec l’évolution des moyens (et des usages) de communication à la fin du siècle dernier, alors que clients, citoyens et consommateurs s’organisent en réseaux. Dans ce contexte, révolution ou adaptation, mirage ou réalité, le management s’assume comme pratique, posture communicationnelle qui reste, toujours, à la recherche de son efficacité.