CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La communication n’est pas née au xxe siècle – elle est de tous les temps. Parce qu’elle engage le rapport que chacun entretient avec autrui, parce qu’elle est constitutive de toute relation et de tout échange, elle répugne à la périodisation historique, à la datation et au travail généalogique. Elle appelle davantage une théorie de l’homme – une anthropologie –, et témoigne d’une dimension universelle de la condition humaine par-delà les époques et les lieux.

2Force est d’admettre que le xxe siècle joue, pour cet invariant, le rôle d’un puissant révélateur de la place fondamentale qu’il occupe dans toute vie, individuelle ou collective. Le xixe siècle a préparé le terreau fertile à son éclosion future tous azimuts – d’abord à un niveau politique, en promouvant l’individu comme valeur démocratique et sujet de droits ; ensuite à un niveau technique, par le biais de découvertes (vapeur, électricité, télégraphe, etc.) qui fournissent aux échanges et aux circulations les infrastructures matérielles d’une proximité effective. Enfin, la conjonction de ces facteurs, leur diffusion dans une opinion publique devenue souveraine, leur amplification dans un espace médiatique au pouvoir croissant ont conduit à des investissements nouveaux, à des pratiques et à des usages qui devaient aboutir à une transformation profonde des scènes de l’expression publique et privée.

3L’omniprésence de la communication, la multiplication des lieux, des acteurs et des formes qu’elle prend au xxe siècle, n’excluent pas qu’elle demeure à bien des égards impensée ou mal pensée. Prise entre le soupçon de manipulation des masses et des consciences d’un côté, et l’idéologie technique des réseaux de l’autre, son étude n’a cessé d’osciller entre dénonciation et louange, pour bien souvent se dissoudre dans la critique des standards et stéréotypes sociaux, dans le secret de fabrique informatique des codes et protocoles, et, plus récemment, dans l’apologie des vertus prétendument libératoires des clics et des tweets.

4L’acceptation de la communication semble alors relever d’une géométrie variable – mais selon une équation sans véritables inconnues puisque deux couples d’opposés y font loi : masse/individu, politique/technique. Le rejet sera fonction de la massification du message transmis pour les risques politiques encourus (domination, aliénation, uniformisation), sans que la réciproque se vérifie à même hauteur : ainsi Internet, parce que chacun peut y participer, fait consensus, emportant l’enthousiasme général sans mise à distance ni réflexion critique durable sur la technique et son emprise désormais massive.

5Régulièrement confondue avec ses concurrentes – la « com’ » d’une part et « l’info » d’autre part –, la communication se trouve enfin en proie à des emplois erronés ou approximatifs. Ces derniers en banalisent, pervertissent, du moins parasitent et brouillent son sens comme concept, avec pour effet, dans les études qu’elle suscite et leur cadre disciplinaire, un déficit de prestige scientifique et de reconnaissance académique. Autant d’obstacles et de télescopages qui se conjuguent donc pour retarder, voire empêcher, la pleine et juste mesure d’un phénomène aujourd’hui plus que jamais mondial.

6C’est sur ce double héritage historique et sur le devenir paradoxal – entre attraction et répulsion, surprésence et omission – de la communication au xxe siècle que réside le pari du présent volume d’Hermès et de celui qui suivra. Dans le premier, sous-titré « Les révolutions de l’expression », trois grandes entrées ont été privilégiées ; d’abord, les mutations médiatiques qui sont analysées à partir de l’étude des transformations qu’apportent les nouveaux supports et moyens matériels et immatériels de la communication ; ensuite, les acteurs et marqueurs de l’espace public, qui devient l’objet d’enjeux tant politiques et militaires qu’économiques et commerciaux ; enfin, les relations qu’entretiennent les industries culturelles et la communication, principalement à partir de l’acte de création artistique. Le second volume sera consacré aux grandes problématiques théoriques et transversales que le mot et l’idée de communication appellent.

Éric Letonturier
Sociologue et philosophe de formation, Éric Letonturier est maître de conférences et chercheur au CERLIS (université Paris 5). Chercheur associé à l’ISCC, il est responsable de la collection « Les Essentiels d’Hermès ». À côté de travaux interdisciplinaires et épistémologiques sur le concept de réseau, il mène des recherches relevant de l’histoire de la pensée sociologique et des systèmes de pensée en général, ainsi que de la sociologie de la culture et de l’institution militaire.
Bernard Valade
Bernard Valade, est professeur émérite à la Sorbonne (université Paris Descartes) et rédacteur en chef de la revue Hermès.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/12/2014
https://doi.org/10.3917/herm.070.0011
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