1Décrire le parcours de « la » communication en se rattachant à des « événements » serait une tentation dangereuse, fût-elle séduisante à première vue. Ce xxe siècle, marqué par deux guerres mondiales, les décolonisations, puis la mondialisation de l’économie, s’achève à l’aube d’une « quatrième révolution industrielle » : l’ère du numérique. Les bornes du calendrier ne peuvent donc rendre compte des mouvements sociétaux, des inventions technologiques ni du rôle des politiques tant les facteurs s’entremêlent sans nul souci de datation. Ce texte propose plutôt de présenter les étapes du parcours institutionnel de la communication au siècle précédent. L’hypothèse majeure est celle de conjonctions, subites, de forces différentes – flux économiques, régulation étatique, nouveautés technologiques – suscitant en retour des réactions ou résistances de la société civile, avec finalement ratification juridique.
2Les « points d’arrivée » sont marqués par les décisions institutionnelles, du type déclaration, convention ou régulation, proclamées par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), l’Union européenne ou l’État français. L’univers professionnel de l’information et des nombreux métiers qui s’y rattachent (ainsi que les associations et syndicats) se montre extrêmement vigilant. Le Conseil de l’Europe édite des chartes, l’Organisation internationale de la francophonie des guides en période électorale, des avocats se spécialisent en droit de l’information. La France a longtemps revendiqué son exception à propos du paysage audiovisuel français. La littérature est abondante sur ces thèmes, ce qui prouverait, s’il en était besoin, que le quatrième pouvoir est sous le regard des trois autres.
Volonté de contrôle contre volonté de partage
3Le fond du débat porte sur l’information versus la communication. À chaque époque, pour chaque type d’outil technique, se joue une lutte complexe entre l’importance stratégique de l’information en tant qu’accès aux données et l’exigence éthique d’une communication partagée, d’une information retravaillée parce qu’appropriée, décodée par l’utilisateur final. La rivalité entre production et puissance de diffusion du côté information, et réceptivité et fluidité de circulation du côté communication traverse un siècle pas encore mondialisé ; ce fut l’objet de controverses théoriques durables et même d’un conflit à l’Unesco dans les années 1980 qui entraîna notamment le départ des États-Unis.
4Le terme « information » dans les années 1905, tout comme celui d’« instruction » pour le ministère de la scolarisation, désigne l’apport labellisé et contrôlé par l’État (et/ou le patronat) des textes officiels, directives, fonctionnement hiérarchique ou judiciaire. Le juge d’instruction, tout comme le journaliste, obéit à un code déontologique. Les cadres de l’État ou de l’armée sont soumis à un devoir de réserve. Il en va ainsi dans le secteur de la recherche, de l’entreprise, du marché concurrentiel. Très longtemps liée à la volonté de conserver le pouvoir, y compris financier, cette valeur attachée à l’information secrète, réservée aux initiés, diffusée partiellement, se trouve renforcée et généralisée du fait de l’économie libérale ; l’accès de tous à l’information est d’abord « confisqué », puis fortement ralenti, par le pouvoir associé au monde de l’entreprise qui contrôle la presse – ce qui ne manque pas de susciter des réactions antagonistes au début du siècle. On observe alors une démarche communicationnelle soutenue par la franc-maçonnerie et le saint-simonisme : l’enseignement est laïcisé, l’instruction continue pour adultes facilitée, les hôpitaux sécularisés, l’accès aux soins pour tous mutualisé. Les journaux d’opinion se multiplient, reprenant la tradition des spectacles de cabaret tandis que se répandent les caricaturistes et les chansonniers. Peintres et écrivains, tout comme les publicitaires, investissent le domaine jusque ici « interdit » de l’information. La demande de communication va croissant dans toutes les catégories sociales, générationnelles, hommes/femmes confondus. Ces deux tendances, l’une de contrôle et l’autre de volonté de partage, traversent les deux tiers du siècle, en dépit du soutien appuyé de l’Unesco dans les années 1980 à la suite du rapport McBride pour un « nouvel ordre mondial de l’information » (NOMIC). Crise grave, qui se reproduira quelques années plus tard en 1984 à propos de la Convention pour le droit à la diversité de l’expression culturelle, combattue et non ratifiée par à peu près les mêmes États. Ce conflit institutionnel se prolonge à propos de la gouvernance de l’Internet, les États-Unis se trouvant alliés paradoxalement aux régimes dictatoriaux pour empêcher une gouvernance universelle et démocratique.
5La non-communication serait-elle le lot tragique de l’humaine condition ? Avec le renouveau des rêves d’Empire en bien des parties du monde et le recours quasi permanent aux systèmes externalisés, l’Homme, pris dans ces faisceaux de causalités objectives et d’algorithmes mathématiques, n’est plus ni coupable ni responsable, mais simplifié, objectivé, robotisé. Tel s’affiche le triomphe actuel du pilotage par la seule information « connectée ».