CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les formules « Rubygate » et « bunga bunga », désignant les frasques berlusconiennes, ont fait le tour du monde médiatique et sont désormais entrées dans le vocabulaire courant. Rappelons les faits. Le 27 mai 2010, Karima el-Mahroug, une jeune danseuse marocaine âgée de 17 ans, connue sous le surnom Ruby Rubacuori (« Ruby, la voleuse de cœurs »), est arrêtée à Milan, accusée du vol d’un bracelet. Silvio Berlusconi, alors président du Conseil, téléphone dans la nuit à la préfecture de Milan pour la faire libérer. Il affirme qu’elle est « la nièce du président égyptien Hosni Moubarak » et, pour éviter une crise diplomatique, demande qu’elle soit libérée et confiée à Nicole Minetti, conseillère régionale de son parti.

2Ruby avait été invitée depuis le mois de février à participer à des soirées « bunga bunga » dans les salons de la somptueuse villa de Berlusconi à Arcore, près de Milan. « Ce soir-là, déclarera-t-elle, Berlusconi m’a expliqué que le “bunga bunga” était un harem inspiré par son ami Kadhafi, avec des filles qui se déshabillent et lui donnent des “plaisirs physiques” ». Dans La Repubblica, Ruby explique : « Après le dîner, nous descendions dans un hall, au rez-de-chaussée, où commençait le “bunga bunga” ».

3À l’automne 2010, Ruby est placée sur écoute. Le 26 octobre, le journaliste Gianni Barbacetto publie un court article en première page d’Il Fatto Quotidiano, quotidien de gauche très antiberlusconien, intitulé « “Io e Berlusconi.” Una ragazza accusa » (« Moi et Berlusconi. Une jeune fille accuse »). Un second article paraît le lendemain et, le jour suivant, les journaux et médias du monde entier reprennent l’information : le scandale Ruby éclate (Barbacetto, 2013).

4En janvier 2011, une enquête pénale est ouverte contre Berlusconi : il est accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec une mineure et d’avoir abusé de son pouvoir suite à sa demande de la faire libérer. Après deux années d’instruction, le 24 juin 2013, le Cavaliere est condamné en première instance à sept ans de prison pour incitation à la prostitution de mineure et pour abus de pouvoir. Cette peine est assortie d’une interdiction à vie d’exercer un mandat public. Berlusconi déclare « Je suis absolument innocent » et dit qu’il « résistera à la persécution ». Il cultive la figure du martyr des « juges rouges », car l’homme fort doit se présenter comme une victime pour tenter d’attirer la compassion. Il engage aussitôt un recours auprès du tribunal de Padoue « parce que les faits n’existent pas », qualifiant les soirées d’Arcore de « repas élégants ».

5Un procès complémentaire a condamné les trois complices de Berlusconi : Nicole Minetti, un impresario de stars Lele Mora, et surtout le célèbre présentateur de sa chaîne de télévision Rete 4, Emilio Fede. Tous trois ont été accusés d’enrôler des prostituées pour fournir le « harem » d’Arcore et satisfaire les plaisirs du « dragon ».

6Condamné définitivement à un an de prison pour fraude fiscale dans le cadre d’une autre affaire, dite Mediaset, Berlusconi a perdu en novembre 2013 son mandat de sénateur et son immunité parlementaire.

7Les raisons de l’écho médiatique mondial du « Bunga bunga » tiennent d’une part à la personnalité de Berlusconi – à la fois dirigeant politique et magnat des médias – et d’autre part à la formule elle-même, dont la signification a donné lieu à de multiples exégèses. Le récit des frasques d’un homme puissant, âgé de 75 ans, offre la matière à un storytelling planétaire sur la tragicomédie italienne. Tel l’apprenti sorcier, Berlusconi le propriétaire de télévisions devient le héros d’un soap opera. D’un côté, le magnat richissime amoral ; de l’autre, un pays qui souffre, au bord de l’asphyxie. Ce sera d’ailleurs le titre d’un éditorial retentissant du New York Times : « The Agony and the Bunga Bunga ».

8En effet, plusieurs scandales sexuels concernant Berlusconi avaient éclaté depuis 2009. Wikileaks rapporte que les chancelleries, à commencer par le département d’État américain, étaient inquiètes des « wild parties » (« soirées fiévreuses ») de Berlusconi. Ainsi, le Premier ministre s’était, de façon étrange, rendu dans un quartier pauvre à la périphérie de Naples pour y célébrer l’anniversaire des 18 ans d’une jeune inconnue, Noemi Letizia, qui l’appelait « Papi ». Peu après, le Corriere della Sera découvrit qu’un entrepreneur fournissait des escort girls pour animer des soirées dans la résidence romaine de Berlusconi. Puis L’Espresso publia l’enregistrement d’une de ces prostituées, Patrizia D’Addario, durant une nuit passée avec le Cavaliere. Suite à ces scandales, Veronica Lario, l’épouse de Silvio Berlusconi, publia une lettre dans laquelle elle accusait son mari – qu’elle surnomme « l’empereur » – de « fréquenter des mineures », déclarait que c’était un « homme malade » et demandait le divorce.

« Bunga bunga », un nom de marque

9La formule « bunga bunga » fut un titre extraordinaire pour ce soap opera berlusconien. La première à l’avoir utilisée publiquement est Ruby, pour parler des soirées à Arcore. Pour certaines participantes à ces soirées, ce serait le nom de la « discothèque » dans le sous-sol de la villa. La formule, objet de multiples articles dans la presse, a donné lieu à d’innombrables blagues et parodies sur Internet. Le mot est devenu un hashtag sur Twitter (#bungabunga) et il a même suscité la multiplication de produits dérivés sur le modèle audiovisuel.

10Selon Paul JJ Payack, président du Global Language Monitor aux États-Unis, « La phrase “bunga bunga” a eu un impact mondial. Une de nos bases de données recense près de 800 articles avec ce mot à travers le monde, dans des sites en langue arabe, chinoise et russe. […] Il existe actuellement 744 000 références sur Google. » (LeMonde.fr, 2011)

11L’expression, entrée dans le langage courant comme synonyme d’actes sexuels débridés attribués à une tribu de cannibales, aurait été soufflée à Berlusconi par Mouammar Kadhafi pour définir un rituel sexuel dans son « harem » de jeunes femmes.

12Une actrice amie de Silvio Berlusconi, Sabina Began, surnommée « la reine des abeilles » en tant qu’organisatrice de fêtes dans sa villa de Sardaigne et sa résidence romaine, a soutenu que c’était un surnom tiré de son nom de famille. Silvio Berlusconi a livré aussi une interprétation officielle lors du procès : il a évoqué des « dîners élégants », des « compétitions style French cancan » organisées dans « l’ancienne discothèque de ses enfants » …

13Comme toute bonne série, le « bunga bunga » a suscité la commercialisation de nombreux produits dérivés. L’expression a inspiré une parodie de la chanson « Waka Waka » de Shakira, l’hymne de la Coupe du monde de football 2010. De multiples objets ont été commercialisés en Italie, parmi lesquels un parfum nommé I love bunga bunga, un bracelet aphrodisiaque, une marque de chaussures pour femmes, des cosmétiques, des tissus, des valises, des dentelles, etc. À Londres, un bar-pizzeria italien a adopté le nom Bunga Bunga. C’est aussi devenu un jeu de table, Bunga Republic, dans lequel les participants doivent corrompre leurs adversaires pour conquérir un espace dans la carrière politique. Plus récemment, Gianni Barbacetto le journaliste qui avait révélé l’affaire, a publié une bande dessinée intitulée Ruby, sexe et pouvoir à Arcore (Barbacetto, D’Alessandro et Ferrara, 2014).

Critiques et manifestations en Italie et dans le monde

14L’affaire a suscité une médiatisation mondiale à la fois critique et satirique, notamment dans la presse anglosaxonne, mais aussi de nombreuses manifestations en Italie.

15Ainsi les Femen ont-elles manifesté, torses nus peints aux couleurs de l’Italie, avec le slogan : « Silvio, che cazzo fai ? » (« Silvio qu’est-ce que tu fous ? », avec un jeu de mots, car cazzo désigne la verge). Début 2011, une pétition de dix mille citoyens intitulée « Dégage, pour une Italie libre et juste » fait écho à un appel lancé par Libertà e Giustizia soutenu par des intellectuels comme Gustavo Zagrebelsky, Umberto Eco ou Roberto Saviano. Le slogan, inspiré des révoltes arabes, fait l’objet d’une campagne sur le Web dite de « contagion démocratique » et le mouvement anti-berlusconien Popolo Viola ira porter le slogan sous les fenêtres de la résidence d’Arcore.

16Durant la même période, un groupe de femmes se rassemble sur la place de la Scala à Milan contre le « bunga bunga » avec le slogan « Une autre histoire italienne est possible », faisant référence à une campagne électorale de Berlusconi qui avait adressé à tous les foyers un livre illustré à sa gloire sous le titre Une histoire italienne. La journaliste Assunta Sarlo commente ainsi ces actions : « il s’agit d’une critique forte adressée au pouvoir et à son comportement. Il n’est pas acceptable que le monde entier parle de l’Italie selon un modèle féminin télévisuel, centré sur l’usage du corps ».

17Le 13 février 2011, une grande manifestation des femmes rassemble un million de personnes indignées par le comportement de Berlusconi qui conduit à l’humiliation féminine. Avec son slogan « Se non ora, quando » (« Si ce n’est pas maintenant, alors quand ? »), cette manifestation marque un tournant vers la fin politique de Berlusconi avec le décrochage d’une grande partie de l’électorat féminin et catholique.

18À la même époque, les médias étrangers mènent une campagne anti-berlusconienne sur le « bunga bunga », notamment aux États-Unis avec le New York Times et en Grande-Bretagne avec The Economist, toujours en pointe dans ce combat. Ainsi le 21 janvier 2011, sous le titre « Pauvre Italie », The Economist souligne que c’est le septième scandale dans lequel Berlusconi est impliqué et qu’il n’a toujours pas démissionné. L’article le compare à Cetto La Qualunque, un homme d’affaires corrompu et vulgaire inventé par Antonio Albanese et rendu célèbre grâce à la télévision et à un film.

19Deux jours plus tard, dans le New York Times, la journaliste Rachel Donadio compare le « bunga bunga » à un soap opera dont le Cavaliere est le protagoniste : « Une situation politico-judiciaire scandaleuse » dans laquelle « Berlusconi apparaît toujours moins comme le leader d’une démocratie d’Europe occidentale que comme un personnage dramatique de la Rome impériale ». La journaliste évoque judicieusement une « comédie surréaliste et tragicomique » dans laquelle « faits et fictions, réalité et télé-réalité se confondent ».

20Le 6 juin 2011, le New Yorker consacre à son tour un article à l’affaire, intitulé « Basta Bunga Bunga », et en juillet Vanity Fair publie un long article intitulé « La Dolce Viagra ». Le 12 septembre, l’éditorial du New York Times de Frank Bruni – titré « The Agony and the Bunga Bunga », en référence au livre d’Irving Stone, The Agony and the Ecstasy – évoque le « libidinous emperor – sorry, prime minister », chef d’orchestre pour son soixante-quinzième anniversaire d’un « opéra-bouffe triple-X ». Cette ligne éditoriale anglo-saxonne faisant des frasques de Berlusconi le symbole de la crise du pays persiste : par exemple, Bill Emmott, ex-directeur de The Economist, publie sur CNN en février 2013 un article intitulé « From “La Serenissima” to Bunga Bunga : How Italy Fell Into a Coma », où il compare la chute de l’Italie au déclin de Venise au xve siècle.

La jouissance du pouvoir et la néo-télévision

21Il serait aisé de faire du « bunga bunga » le dernier avatar de la jouissance de l’homme de pouvoir vieillissant – d’autant que Berlusconi a su concentrer les pouvoirs politique, économique et médiatique, ce qui constituait d’ailleurs « l’anomalie italienne » dans une grande démocratie européenne. Mais il faut aller au-delà de l’explication psychologisante de la perversité et de la séduction des pouvoirs, en considérant la centralité de la télévision, notamment de la néo-télévision dans la vie des Italiens et de Berlusconi. L’Italie est un pays qui préfère la télévision à la radio et à la presse écrite et où le telegiornale est la source d’information de 80 % des Italiens. Or, le lieu de la théâtralisation du pouvoir s’est déplacé des palais et de la cour à la télévision et à ses mises en scène. Avant d’entrer en politique en 1993, Berlusconi fut un entrepreneur qui a constitué, trente ans durant, un empire médiatique, la Fininvest, possédant d’une part trois réseaux commerciaux de télévision (Canale 5, Italia 1 et Rete 4) et d’autre part le grand groupe d’édition Mondadori, propriétaire entre autres, d’une cinquantaine de magazines. Le Cavaliere a construit son groupe télévisuel contre la Rai publique, sur un modèle qu’Umberto Eco qualifia dès 1983 de « néo-télévision ».

22Il s’agit d’une télévision de la relation (et non du message) qui fabrique une « communauté émotionnelle » et célèbre la confusion vie publique/vie intime, la compétition, la culture consumériste, la starisation du quotidien, la psychologisation et l’individualisation du politique et des relations sociales. Ce qui importe dans la néo-télévision, c’est « l’être ensemble », le contact et l’émotion partagée : le spectacle et le divertissement sont les référents centraux. Cette « télévision de l’intimité » (Mehl, 1996) célèbre la relation quotidienne, mais elle sait aussi mettre en scène la dramatisation et la fictionnalisation du réel. Elle hybride les genres d’émissions et les mêle dans un flot continu, où les repères sont les animateurs-présentateurs, compagnons de tous les jours et de « tout le monde ».

23Au-delà de la propriété des médias, Silvio Berlusconi a acquis une parfaite maîtrise des techniques de cette néo-télévision qu’il a contribué à construire en Europe du Sud. Il s’exprime comme un animateur, il mime et souvent se place dans une relation de connivence et de concurrence avec les plus grands animateurs de talk-show. Il fait en sorte que l’on s’intéresse à lui, à ce qu’il dit et fait. Il raconte des histoires en permanence et veille à demeurer au centre de l’actualité, comme l’animateur est au centre du plateau. Car le panopticon social s’est inversé : la périphérie suit et contrôle les faits et gestes des copains-stars placés au centre.

24Berlusconi est un orfèvre de la néo-télévision dans le champ médiatique et de l’anti-politique en politique. Il manie ainsi trois grandes technologies de la néo-télévision qu’il a importées avec succès dans le champ politique.

25La première c’est le talk-show, organisé de façon centripète à partir de l’animateur-conducteur qui est un guide et un chef, car il distribue les rôles, anime le débat public en se faisant le complice et le médiateur du public. Il donne la parole, contextualise, dirige, suscite les clivages – bref, il est un démiurge. Il émeut, fait pleurer ou sourire, impose les rythmes et les thèmes. Il se rapproche de son public, exprime le sens commun, porte la voix des « sans-voix » au petit écran. Il se veut une incarnation de l’opinion publique, de l’homme ordinaire, et suscite la connivence, la confiance, voire l’identification avec le public. Le talkshow met en scène des « histoires de cœur », les discours de la souffrance, de la déchirure personnelle et fait triompher la compassion publique. Ainsi, il confond vie privée et vie publique.

26La deuxième technologie néo-télévisuelle que manie le Cavaliere est le storytelling, la capacité à fabriquer des récits et à « raconter des histoires », afin de « fictionner » le réel, sur le modèle de la série ou du feuilleton. Les fictions télévisuelles créent, par répétition et retour des personnages connus et devenus familiers, du divertissement et du plaisir, mais aussi une familiarité et une proximité avec les héros. Or elles sont toutes organisées autour de deux thématiques : l’amour et l’action. Berlusconi livre le feuilleton de sa vie quotidienne et invite à suivre ses aventures amoureuses, ses amitiés et ses passions, ses démêlées politiques ou judiciaires, et ainsi à fidéliser un public attaché à traquer la vie du leader.

27La troisième technologie néo-télévisuelle est la « téléréalité ». Le « télé-réel » Berlusconi fut accessoirement le propriétaire de la célèbre société Endemol, productrice d’émissions de ce genre. La télé-réalité prolonge le talk-show dans sa quête de communion et la recherche de « l’emotainment » (l’émotion et le divertissement). Le téléspectateur est invité à partager les émotions de son double porté à l’écran, à s’identifier et à souffrir avec lui. Berlusconi est un spécialiste des reality shows où l’émotion est constamment sur les plateaux. La télé-réalité crée des « métissages télé-réels » (Balandier, 2006). Berlusconi est à la fois réel et « télé-réel » : il dédouble sa présence sur le « terrain » (celui du football ou de la politique où il dit « être descendu ») et sur le plateau de télévision. Il multiplie les images iconiques grâce à la télévision et va et vient constamment entre télé et réel pour répondre au « désir de télé-réalité généralisée » (Ibid.).

28À ces technologies puissantes, la néo-télévision berlusconienne ajouta une image dégradée de la femme, traitée comme un objet de décoration et de séduction sur le plateau. Ce sont les fameuses veline (showgirls). Lorella Zanardo, réalisatrice d’un documentaire sur « Le corps des femmes », dit que « la conception des femmes qui résulte de l’affaire Ruby est qu’elles sont ou saintes ou putains ». La néo-télévision berlusconienne a enfermé l’image de la femme dans cette dichotomie catholique (la sainte) / cathodique (la putain ou la velina). En effet, elle est aussi une « télévision actrice » qui invite les téléspectateurs à venir sur le plateau pour réaliser leur rêve de devenir des stars ou des starlettes, en vue d’obtenir une ascension sociale. « Faire la velina » ouvrirait facilement les portes de la réussite. Telle est la leçon des émissions de la néo-télévision lancées sur les chaînes de Berlusconi dans les années 1980-1990. Le « bunga bunga » apparaît a posteriori comme un écho du vélinisme introduit sur les chaînes de Berlusconi dans des émissions comme « Drive In » diffusée chaque semaine sur Italia 1, de 1983 à 1988, qui connut un si grand succès qu’il devint le rendez-vous du dimanche soir. Sur le plateau, de nombreuses lolitas, bimbas et autres veline plus ou moins dénudées ou en tenues suggestives, circulent, dansent, sourient et surtout se taisent. À partir de 1991 et durant quatre ans, une autre émission « Non è la Rai » (« Ce n’est pas la Rai ») fut diffusée sur Canale 5, puis sur Italia 1. Visant surtout un public d’adolescentes, elle réifie voire mercantilise, le corps de la femme-objet, censée livrer le modèle de la beauté, de la féminité et de la réussite sociale.

29Le scandale du Rubygate est revenu vers son auteur comme le boomerang de la néo-télévision sur un de ses grands maîtres. Tel l’arroseur arrosé, Berlusconi est victime de ce qui a fait son succès. La confusion de la vie privée et de la vie publique, la mise en scène de la femme-objet, le storytelling du type « amour, gloire et beauté » qu’il a promus durant trente années sur ses chaînes commerciales, lui ont permis de construire une puissante « hégémonie culturelle », au sens gramscien du terme. Hégémonie si puissante qu’il est devenu lui-même un personnage « télé-réel » et a conquis le pouvoir politique en maniant l’imaginaire néo-télévisuel. Toutefois, ce qui lui avait permis de rénover la représentation politique en crise au début des années 1990, lorsque tous les partis avaient été décimés par l’enquête Mains Propres, est devenu son talon d’Achille vingt ans plus tard. Et le voilà emporté par les décisions judiciaires qui lui avaient ouvert grandes les portes du pouvoir. Ainsi le Rubygate marque-t-il et le plongeon judiciaire et le décrochage politique de Berlusconi. À Rome, la roche tarpéienne est proche du Capitole. Mais le berlusconisme néo-télévisuel et anti-politique qu’illustra bien l’émission « Non è la Rai » a-t-il pour autant disparu ?

Français

Le scandale du Rubygate, qui éclata en 2010, a suscité une médiatisation mondiale et de nombreuses manifestations en Italie. Il est revenu vers son auteur Silvio Berlusconi, comme le boomerang de la néo-télévision sur un de ses grands maîtres. Transformé en un personnage « télé-réel », le Cavaliere a conquis le pouvoir politique en maniant l’imaginaire néo-télévisuel. Désormais tel l’arroseur arrosé, il est victime de ce qui fit son succès.

Mots-clés

  • Berlusconi
  • Rubygate
  • Italie
  • néo-télévision
  • téléréalité

Références bibliographiques

Pierre Musso
Université de Rennes Télécom ParisTech
Pierre Musso est professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université Rennes 2 et à Télécom ParisTech. Il est titulaire de la chaire « Modélisations des imaginaires, innovation et création », membre du LTCI et membre associé du LIRE-ISH. Spécialiste des médias en Italie, il est notamment l’auteur de Berlusconi, le nouveau prince (L’Aube, 2004) et Le Sarkoberlusconisme (L’Aube, 2008).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 09/09/2014
https://doi.org/10.3917/herm.069.0091
Pour citer cet article
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